Société

L'obsolescence : défaut de la conception ou conception du défaut ?

Depuis juillet dernier, l’obsolescence programmée est un délit puni d’amende et d’emprisonnement par la loi, ce qui est censé favoriser la réparabilité du produit et augmenter sa durée de garantie légale de conformité. Retour sur un crime avec préméditation, complice de la communication.

L’obsolescence programmée : késako ?

Image 1C’est Bernard London, agent immobilier new-yorkais, qui donne naissance au concept en 1932 dans son article intitulé L’obsolescence planifiée. Pour en finir avec la grande dépression. C’est une stratégie d’entreprise qui, en programmant l’obsolescence, pousse le consommateur à remplacer le produit en achetant de nouveau : celle-ci permet une augmentation de la demande, donc de la productivité, donc du profit et enfin de la concurrence, engendrant surconsommation et répercussions écologiques. Ainsi, la communication, à défaut d’information, étouffe la possibilité de l’achat responsable du consommateur-citoyen: les consommateurs échouent à faire un bon choix, ou du moins conscient.

L’obsolescence programmée a trois formes principales :

Technique : composants conçus volontairement de manière fragile ou irremplaçable voire inamovible (des collants ou des ampoules).

Ecologique : jeter un produit encore en fonctionnement au profit d’un produit plus écologique (la prime à la casse).

Culturelle ou psychologique : discours visant à démoder le produit avant même qu’il ne fonctionne plus : elle est une construction sociale écologiquement non durable qui s’appuie sur la stimulation communicationnelle de désirs artificiels orchestrés par la stratégie publicitaire, industrielle et commerciale.

La communication, l’âme culturelle des objets techniques ?

La communication donne tout son sens à la technique comme l’illustre le concept de surhistoricité employé par le philosophe Gilbert Simondon : il désigne la surdétermination de l’objet par des motifs non techniques tels que la mode ou le symbole social qui habillent la technicité. C’est révélateur du rôle essentiel que joue la communication dans la détermination de l’âme culturelle du produit technique : la stratégie marketing,  les campagnes publicitaires, la création d’habitudes de consommation ou encore de besoins.

General Motors a ainsi permis à l’obsolescence culturelle de se diffuser : avec la Chevrolet, il applique pour la première fois le concept de mode aux automobiles (nouvelles couleurs ou nouveaux accessoires), enrichi par l’image et les valeurs que véhicule la publicité en plein essor. Il détrône ainsi le modèle de la Ford T d’abord uniforme, vendue en masse. Si aujourd’hui, par exemple, on voit encore des 2 Chevaux mais qu’on ne voit plus de Peugeot 305 c’est que le discours marketing est passé par là.

L’ingénieur : du créateur au destructeur ?

Capture d’écran 2015-12-27 à 19.46.20Au XXe siècle, General Electric communique sur la durée de vie volontairement amoindrie des ampoules électriques à travers une publicité sous forme de dessin animé où il vante les vertus de ce choix concernant la pérennisation de l’emploi. Mais à cette époque, on n’avait pas encore conscience des limites de notre planète puisqu’on la percevait comme une ressource inépuisable. C’est pourquoi, ce modèle économique et communicationnel s’est solidement ancré, à tel point que l’image de l’ingénieur se dédouble entre le créateur et le destructeur : le magazine des ingénieurs Design News décrivait les différents procédés techniques permettant de réduire la durée de vie des produits. Ainsi, les ingénieurs ont du revoir leur éthique et idéal face à cette conception de la surhistoricité du produit.

Halte aux discours euphorisants sur la croissance !

Capture d’écran 2015-12-27 à 19.47.25L’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) milite pour une législation responsable et un modèle économique qui fait sens puisqu’en effet, les chiffres ne laissent pas de place au doute : 40% des appareils électroménagers sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore et la durée de fonctionnement potentiel d’un téléphone portable hors batterie est de 10 ans alors que leur délai moyen de renouvellement en France est de 18 mois. Ceci est symptomatique de notre système économique qui repose sur l’idée de croissance linéaire par le renouvellement illimité des biens, renouvellement artificiellement dynamisé par l’obsolescence programmée qui s’est vue comme LE remède miracle à l’essoufflement de la croissance. C’est pourquoi ce modèle est dénoncé par Serge Latouche – penseur de la décroissance et du localisme – comme absurde, voulant « croitre pour croitre ».

D’une culture du jetable à une culture du durable ?

L’obsolescence programmée ne fait qu’accentuer les écarts du pouvoir d’achat : les produits peu durables de qualité moindre, moins chers, sont accessibles aux plus démunis, mais devant en racheter plus régulièrement, ils perdent leur pouvoir d’achat sur le long terme face à ceux qui ont les moyens d’accès aux produits durables souvent plus chers. Le produit incarnant le plus cette transition d’une culture du jetable à une culture du durable est la cup étant une excellente alternative économique, écologique, hygiénique et temporelle aux tampons et serviettes.

C’est pourquoi le développement de nouvelles économies alternatives prend alors tout son sens : l’économie de la fonctionnalité pourrait être le remède à l’obsolescence programmée. Dans ce modèle, l’usage prime sur la propriété de l’objet donc le producteur, autant que le consommateur, a intérêt à ce que le produit dure. Cela permettra aussi de concevoir de nouveaux types d’emplois dans la réparation, les services ou le développement durable. 

Mais si en théorie cette loi rend possible la riposte, Nicolas Godfroy de l’UFC – Que choisir signale la difficulté de prouver l’obsolescence programmée dans les faits et met donc en doute les répercussions concrètes de cette dernière : la loi n’aurait qu’une faible portée bien que l’obsolescence programmée ait désormais un statut juridique. En fait, pour lui, cette loi est plutôt un moyen d’agir en aval pour les associations qu’une véritable protection des consommateurs en amont. Il faudra sûrement des mesures complémentaires pour donner corps au pouvoir d’action sur les processus en amont, tel qu’un affichage obligatoire de la durée de vie des produits. Affaire à suivre.

Allison Leroux
LinkedIn

Sources :
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques. 1958
Serge Latouche, Survivre au développement. 2004
Prêt à jeter ou l’Obsolescence Programmée. diffusé sur Arte et disponible sur YouTube
Sensibiliser les citoyens par des campagnes de communication sur le site de HOP
Combattre l’obsolescence programmée par Fabienne Chauvière sur France Info
La lutte contre l’obsolescence programmée par Camille Dulong sur O Communication
Alternatives à l’obsolescence programmée sur obsolescenceprogrammee.fr
De l’obsolescence programmée du consommateur… et des entreprises par Julien Pouget sur L’Usine Digitale
Obsolescence programmée : Apple (re)fait le coup de la panne par Frédéric Bordage sur Terra Eco
iDiots : un film d’animation avec des robots sur l’obsolescence programmée et la dépendance au mobile par Benoît Chamontin sur geeksandco.com
Obsolescence programmée : la preuve impossible ? par Amid Faljaoui sur Trends.be
L’instauration d’un délit d’obsolescence programmée, un coup d’épée dans l’eau ? par Xavier Berne sur Nextimpact
Crédits images :
Urtikan
Aiservice.fr
Commentreparer.com

Tags:

Laisser un commentaire