Barbie se met en formes
« Now can we stop talking about my body? » D’un revers de sa main de plastique, Barbie balaye les questions relatives à sa … plastique, en Une du magazine Time. Le groupe Mattel l’annonce dans l’hebdomadaire américain : Barbie fait sa révolution, et se refait une, ou plutôt des beautés. Après des mois d’études de marché, de tractations en interne et de tests auprès de ses (très) jeunes client(e)s, Barbie accueille dans son monde merveilleux trois variations de la fameuse sylphide blonde et longiligne créée en 1959, ainsi qu’une multitude de nouvelles carnations et textures de cheveux.
Changement de régime
Au terme d’un casse-tête linguistique – le risque étant de stigmatiser les morphologies des nouvelles venues – la marque a arrêté les termes « petite », « tall » et « curvy ». Ce ne sont pas tant les Barbie hautes comme trois pommes et sa longiligne comparse qui font parler d’elles que la plus dodue. Si les mamans s’inquiètent de savoir si malgré ses hanches larges, elle ne sera pas trop engoncée dans la robe de la « vraie » Barbie, c’est surtout que cette poupée gironde requiert de réinventer, si ce n’est déconstruire, la représentation que l’imaginaire collectif (a fortiori les fillettes) se fait de la figure de Barbie comme idéal féminin. Et avec elle, le rapport au corps et à la beauté.
Une silhouette mythique
Nul n’ignore la charge symbolique qui pèse sur les frêles épaules de Barbie. A la simple évocation de son nom, chacun peut se figurer le visage poupon, le brushing impeccable, la taille de guêpe et les jambes graciles et interminables ; et se surprendre à idéaliser ces mensurations insensées. Le clone siliconé et raté d’une vraie fausse Barbie suffit à s’en convaincre : il est physiologiquement impossible d’atteindre ce standard esthétique. Le substantif « Barbie » ne désigne-t-il pas dans le langage courant une jeune fille dénuée de spontanéité et de naturel ? La figure de la poupée Mattel n’en demeure pas moins une référence en matière de féminité, et pas la plus saine. Depuis sa création, Mattel a d’ailleurs continuellement été – et souvent à juste titre – taxée de sexisme ; et a toujours botté en touche faisant de Barbie une précurseur qui avait toujours eu un temps d’avance sur les femmes. Ce discours qui faisait d’elle un vecteur d’ « empowerment » des petites filles n’a pas résisté à la primauté de son apparence sur ses fonctions successives : pilote d’avion, médecin ou astronaute.
La plastique mystifiante et mystifiée de Barbie a brouillé les messages émis par Mattel. La marque voyait ainsi ses ventes s’effondrer tandis que des jouets moins stéréotypés tels les Lego et autres Reines des Neiges semblaient libérés, délivrés de la concurrence autrefois redoutable du géant américain. Il était grand temps de réformer un univers poussiéreux, presque sexagénaire, dont le protagoniste évoquait une beauté aseptisée. Surtout à l’heure où la féminité se fait protéiforme : les pulpeuses Beyoncé, Kim Kardashian et Lena Dunham jouissent d’une extraordinaire exposition médiatique. Elles délivrent une vision de la femme moins stéréotypée et surtout moins onirique, qui ne peut laisser ni les mères ni leurs filles insensibles.
Matage par Mattel
Un enfant sur deux nés aujourd’hui aux Etats-Unis étant issu de l’immigration, et 92% des petites Américaines ayant eu une Barbie, le calcul était vite fait. Cette plus grande diversité – des figures féminines médiatisées d’une part, de la société dans son ensemble d’autre part – devait forcément se répercuter sur les comportements de consommation de mères soucieuses d’offrir à leurs filles des jouets auxquels elles puissent s’identifier. Si la poupée aux proportions « idéales » alimente le mal-être de petites filles dont la morphologie ne correspondait pas aux standards établis par Barbie ; une plus ressemblante favorise leur identification au jouet, et par extension un rapport apaisé à leur corps. Une étude publiée en 2006 a avéré ce que beaucoup de critiques pressentaient : les petites filles qui jouent avec Barbie sont plus sujettes à vouloir être minces que les autres. Mattel a donc dû avancer à pas de velours, le sujet étant éminemment sensible. Et veiller à ne pas heurter les millions de clientes à travers le monde dont Barbie a bercé l’enfance, et qui entretiennent avec elle une relation quasi-affective.
Dos au mur, l’entreprise a pris des risques considérables en faisant ce choix. Depuis l’annonce fracassante de la prise de poids de l’héroïne de leurs parties de jeu, nombreuses sont celles qui se sentent dépossédées de « leur » Barbie, comme si les petites nouvelles lui volaient la vedette. L’une des « curvy », avec ses formes voluptueuses et ses cheveux bleus à la Katie Perry a les faveurs des petites filles ; sûrement pas celles des inconditionnelles de longue date pour qui la poupée doit être blonde et mince … En réalité, Mattel ne fait qu’emboîter le pas à d’autres institutions du jouet : Corolle a par exemple lancé fin 2015 une ligne style Benetton composée de cinq poupons à personnaliser avec des habits tendance renouvelés au gré des saisons. La marque s’inscrit donc dans la mouvance de la fast fashion en proposant aux fillettes de suivre le rythme effréné des restockages de Zara et H&M. Au-delà d’être une recette marketing semble-t-il gagnante, la diversification de la figure de la poupée semble s’inscrire dans une sincère volonté des marques d’être plus fidèles aux réalités de la « vraie vie ». Le monde du jeu se fait miroir miniature d’une société en mutation(s). Et en cela, une marque ayant une telle visibilité auprès des plus jeunes se devait de montrer qu’il n’existe pas une mais des beautés. Lives in plastic are fantastic!
Erwana le Guen
Sources :
Eliana Dockterman. « Barbie’s Got a new body » in Time.
Crédits images :
Mattel
Time
Envisioning the American Dream
Gossip
Mattel