Politique

Y a-t-il un comique pour sauver l'élection ?

En 1995, les humoristes de l’émission satirique Les Guignols de l’info ont grandement participé à la victoire de Jacques Chirac aux élections présidentielles. En effet, il était présenté comme un homme bon vivant, au comportement supposé proche de celui du Français moyen, ce qui lui assurait un important capital de sympathie. Cette intrusion de la sphère comique dans les élections se retrouve également aux Etats-Unis, et prend des formes à la fois plus hybrides et plus prononcées.
Dès lors, de quelle manière les hommes et les femmes politiques tentent-ils de contrôler l’incontrôlable représentation humoristique dont ils sont l’objet ? Et joue-t-elle en faveur du candidat sur les plans politique et médiatique ?

« Dans l’autre, on trouve toujours un peu de soi »

Aux Etats-Unis, certaines émissions humoristiques se veulent être le reflet de la société dans son ensemble. Dans le cadre des élections présidentielles, ce rôle miroir prend encore plus d’importance, comme on a pu le voir avec Saturday Night Live par exemple. Cette émission, créée en 1975 par le producteur Lorne Michaels et diffusée sur NBC, est devenue célèbre pour ses nombreuses imitations satiriques, notamment celles de personnalités politiques. La ressemblance avec les humoristes témoigne de la qualité de l’émission : il aura fallu plusieurs mois pour trouver Tina Fey, l’humoriste incarnant Sarah Palin.

A droite, Sarah Palin ; à gauche, l’humoriste Tina Fey ; crédit : hollywoodreporter.com

Saturday Night Live accueille chaque semaine une célébrité qui prend le rôle du présentateur et c’est sur ce point précis qu’elle a fait parler d’elle il y a peu. Le 7 novembre 2015, c’est Donald Trump qui a été choisi pour présenter l’émission. Il ne s’agissait pas de tourner au ridicule le comportement ou le caractère du personnage, mais de lui offrir ce que certains ont pu analyser comme une sorte de tribune lui permettant d’accroître sa popularité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce type d’exposition peut être contrôlé par l’équipe de campagne : il y aurait une sorte d’« exception humoristique » qui pourrait placer le candidat en position de force par rapport aux satiristes.

« Comme un cheveu sur la soupe de l’élection »

C’est Donald Trump qui cristallise les tensions dans cette campagne 2016 et qui s’est retrouvé au cœur d’une autre polémique en septembre dernier. Il a été reçu par Jimmy Fallon pour une interview dans son émission Tonight Show with Jimmy Fallon. Il ne s’agissait pas de l’interroger sur son programme politique mais de donner l’impression d’une discussion conviviale : l’image la plus commentée sur Internet a été celle de Jimmy Fallon ébouriffant les cheveux de Donald Trump. Les accusations se sont multipliées : certains se sont demandés quelle était la légitimité de l’humoriste pour interroger un candidat à la présidentielle, surtout si cela ne visait pas à soulever des points intéressants de son programme.

crédit : Andrew Lipovski / NBC

On s’éloigne par conséquent de l’infotainment que l’on connaît en France, et dont Yann Barthès est le chef de file. Jimmy Fallon et David Letterman qui le précéda, sont des humoristes, ils n’ont jamais prétendu être des intervieweurs politiques ou même des animateurs, mais ce n’est pas pour autant que leurs émissions n’ont pas une incidence sur les téléspectateurs et sur leurs votes. Ainsi en 2008, John McCain avait annulé à la dernière minute son passage au Late Show with David Letterman, lui préférant une émission politique reconnue, celle de Katie Couric. Vexé, David Letterman avait alors déclaré que le chemin vers la Maison Blanche passait obligatoirement par son plateau, et que John McCain s’en mordrait les doigts pour l’avoir manqué. La défaite du candidat républicain quelques mois plus tard a semblé confirmer ses propos.

« Il faut cultiver notre jardin »

Dès lors, il faudrait considérer l’humour (mis en scène, et non pas seulement glissé dans un discours) comme une stratégie de la communication, visant à toucher un public plus large et peut-être même plus jeune. La première tentative avait été faite par Barack Obama, alors qu’il avait déjà été élu Président mais qu’il souhaitait faire la promotion d’Obamacare : il avait été reçu par l’humoriste Zach Galifianakis dans une parodie de Late show, intitulée Between Two Ferns with Zach Galifianakis et diffusée uniquement sur Internet, sur la plate-forme Funny or Die qui a depuis ouvertement affiché son soutien au Parti Démocrate.
Ainsi le 22 septembre 2016, le même programme a reçu Hillary Clinton et ce, à la demande de l’équipe de campagne de la candidate, en la soumettant à des questions pour le moins ironiques et dérisoires telles que « Avez-vous déjà pensé à être plus raciste ? ». L’objectif était de donner une image plus sympathique et détendue de la candidate, car c’est sur ce point que se concentrent beaucoup les critiques du Parti Républicain.

Hillary Clinton, Between Two Ferns; crédit : Funny or Die

Finalement, cet investissement n’a qu’un seul but : séduire l’électeur par le ludique s’éloignant ainsi du purement politique. La personnalité du candidat ne s’exprime plus uniquement à travers les points forts de son programme, mais se découvre également à travers les émissions humoristiques auxquelles il participe. Ces interventions restent contrôlées par les équipes de campagne, ce qui fait que le comique reste au service de la communication du candidat sans réellement pouvoir changer la perception que l’on a de la campagne, et ce même si elles peuvent apparaître comme des prises de risques et parfois même comme des actes subversifs.

Justine Ferry

Sources :
– Fey, Tina. Bossypants. Little, Brown and Company, 2011. 0-316-05686-3
wikipedia; Saturday Night Live (consulté le 30/10/16)
Carter, Bill (mis en ligne le 24/09/08 / consulté le 30/10/16)
Hughes, William (mis en ligne le 29/10/16 / consulté le 29/10/16)
Memoli, Michael A. (mis en ligne le 22/09/16 / consulté le 29/10/16)
Saraiya, Sonia (mis en ligne le 16/09/16 / consulté le 30/10/16)

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