They tried to make me go to rehab but I said no, no, no¹
Pour promouvoir le lancement du service à table chez McDonalds, la chaîne de fast food nous propose ce spot publicitaire qui fera plaisir aux fans des 80s (cover de Bonnie Tyler à l’appui). Ce dernier met en scène des technologies qui se lamentent d’avoir été délaissées par leurs usagers, joyeusement rassemblés autour d’un big mac. Le brave hamburger semble leur faire oublier l’existence de Snapchat, et du wifi gratuit à McDo. Surfant sur la tendance de la digital detox, la marque présente maintenant ses restaurants comme des lieux déconnectés, où les portables restent sagement dans les poches et les conversations vont bon train. Ces dernières années, les appels à la purification digitale sont de plus en plus nombreux, mais ont un succès assez faible et marginal, fonctionnant comme une mode face à laquelle la majeure partie de la population reste réticente.
Une stratégie paradoxale
Vous l’aurez remarqué, on évite de traduire digital detox. Le terme est assez transparent, ce qui permet au Français moyen de le maîtriser sans lui ôter son côté inédit et excitant, parce que tout droit venu des Etats-Unis. On parle de cleansing, ce qui nous rappelle l’arrivée phénoménale du smoothie, qui avait pour vocation de purifier notre corps. Apparaissent alors les paradoxes de la digital detox. D’abord, s’il s’agit d’une tendance, alors celle-ci se doit d’être médiatisée, et sur les plateformes adéquates. Les bons samaritains du business vous emmènent dans des endroits magnifiques pour que vous puissiez vous reconnecter à la nature, de quoi faire une jolie photo Instagram. Ensuite, il se trouve que vous pouvez télécharger des applications mobiles pour effectuer votre digital detox…à l’aide de votre portable.
Eloge de l’attention
Dans ses Essais, Montaigne écrit : « Quand je danse, je danse, quand je dors, je dors. » Humaniste, Montaigne revendique un art de vivre équilibré, réconciliant corps et esprit. Pour être heureux et prendre du plaisir dans ce que l’on fait, il faut être tout à son activité, et voir celle-ci, même lorsqu’elle est banale, comme une source de bonheur. C’est exactement la démarche de la digital detox, et c’est aussi pourquoi nous y sommes réticents. Là où Montaigne prône une attention complètement dirigée vers un seul objet, les comportements contemporains cherchent spontanément à avoir plusieurs objets d’attention simultanés. De plus, les progrès du numérique encouragent ce genre de comportement. Prenons l’exemple de la musique : les conditions de son écoute n’ont cessé d’évoluer dans le sens de la portabilité. D’objets comme le phonographe ou le jukebox, qui produisaient de la musique pour une pièce entière et qui n’avaient pas vocation à être déplacés, nous sommes passés aux MP3 et sites d’écoute en ligne, spécialement conçus pour nous accompagner partout. C’est ainsi que l’écoute de la musique est devenue moins une activité à part entière qu’une activité reléguée au second plan, ne créant qu’une atmosphère agréable pour faire autre chose.
Une reine sans divertissement
Dans ces conditions, la perspective de ne faire qu’une seule chose à la fois, sans être sur Twitter en même temps, par exemple, est synonyme d’ennui. Dans un épisode de Girls, Hannah accompagne sa mère dans un centre de retraite spirituelle, dans lequel les téléphones sont interdits. Hannah refuse catégoriquement d’éteindre son portable, mais se laisse néanmoins aller aux activités proposées par le centre (randonnée, yoga…). Ces méthodes sont d’ailleurs celles des centres de désintoxication et de traitement de la dépendance. Seulement, la digital detox nous propose de faire une pause afin de trouver un équilibre, ce qui demande en réalité plus de rigueur que l’arrêt complet de la consommation, comme on l’exige quand il s’agit d’autres addictions. Le sevrage est donc explicitement temporaire, et la rechute fait partie du jeu. C’est ainsi que le psychiatre Serge Tisseron parle « d’arnaque à la digital detox », puisque celle-ci fonctionne sur le principe de substitution de la gratification : l’attention que les participants reçoivent dans les centres de purification remplace celle offerte par les réseaux sociaux. Or, les réseaux sociaux sont notre quotidien, tandis que ces lieux de cure ne le sont pas.
(extrait de l’épisode 5×5 « Queen for Two Days » de la série Girls, HBO)
Hannah semble perdue dans un monde sans réseau, ne sachant que faire pour se distraire, et c’est dans ces conditions qu’elle se laisse aller à sa première expérience lesbienne, qu’elle n’apprécie d’ailleurs pas. Cette séquence suggère certes que, sans contrôle collectif virtuel à proximité, on se sent plus libre de faire ce que l’on veut ; mais elle révèle surtout qu’il faut une expérience inhabituelle pour pallier le manque de stimulation d’un quotidien déconnecté. Etre connecté est le moyen de contourner l’ennui, la solitude ou encore l’attente ; autant d’éléments qui, bien que constitutifs de nos vies, ne sont plus désirés aujourd’hui.
Ainsi parlait Zarathoustra 2
Les médias nous offrent plusieurs dimensions, là où la réalité semble n’en proposer qu’une. Les nouvelles technologies nous donnent accès à un monde plus rapide, plus esthétique, dans lequel le sens de la vue est roi. Nous ne faisons bien souvent que regarder nos écrans, une passivité qui nous confère pourtant un sentiment de pouvoir et de stimulation permanente. Exister, c’est être dans le temps dans l’espace. Or, Internet nous libère de ces contraintes, nous permet de voyager dans le temps, d’être à plusieurs endroits en même temps, d’être, en somme, augmentés. C’est précisément parce que la digitalisation de l’existence humaine est vue comme un progrès que la digital detox est vue comme une régression, et ne peut donc pas remédier à la digital intox.
Léna El Shérif
Sources :
- Thibault D, « McDonald’s vous convainc d’éteindre votre smartphone », 20 novembre 2017, La Réclame
- Grégoire Martinez pour Europe 1, 10 août 2017
- Les Clés de Demain, « La « digital detox » : une belle arnaque ? » 25 février 2015 sur un blog hébergé par Le Monde
- Marine Couturier, « La digital detox, le nouvel attrape-touriste 2.0 » Rue89, L’Obs 30 juillet 2015
- Montaigne, Essais , Livre 3 chapitre 13 « De l’expérience » 1580
Crédits photos :
- Image de couverture : made by KaffeMLG$
- Image 2 : Extrait de la brochure reSTART
¹ Rehab – Amy Winehouse
2 De Nietzche, dans lequel il dit : « L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, une corde au-dessus d’un abîme. Danger de franchir cet abîme, danger de se mettre en route, danger de regarder en arrière, danger d’être saisi d’effroi, danger de s’arrêter soudain. »