Société

Griezmann se grime: le conte tourne mal

Dimanche 17 décembre, le célèbre footballeur Antoine Griezmann déchaîne les foules en postant sur son compte Twitter une photo de lui déguisé en joueur des Harlem Globetrotters, dans le cadre d’une soirée à thème « années 80’ ». Le hic? Il s’est peinturluré de maquillage pour imiter la couleur noire de la peau de la plupart des joueurs de la célèbre équipe. La publication de la photo a très vite provoqué un bad buzz, beaucoup d’internautes s’insurgeant contre le footballeur en lui rappelant que la pratique du « blackface » est historiquement raciste.

La twittosphère – cours des miracles du XXIème siècle – s’enflamme une nouvelle fois. Des échanges où l’on s’invective font s’opposer deux clans : ceux qui soutiennent Griezmann tout en reconnaissant sa maladresse, ceux qui le traitent sans vergogne de raciste. Le socialiste anglais David Lammy s’indigne lui aussi, illustrant l’ampleur que ce tweet a pris.

C’est l’intention qui compte

Et si c’était possible de nuancer l’acte? D’essayer de comprendre le pourquoi du comment et surtout l’état d’esprit et les raisons qui ont poussé la célébrité française à se grimer en noir pour sa fameuse soirée… Pour la plupart des internautes, ces questions n’ont pas lieu d’être. Alors que Griezmann s’est défendu en avançant que les Harlem Globetrotters avaient bercé l’imaginaire de son enfance, l’excuse n’a néanmoins pas suffi à tarir les émotions. Qu’il s’agisse d’un hommage ou d’un moyen de faire rire, comme le suppose le Huffington Post en précisant qu’ « il pensait faire rire ses abonnés », l’indignation se comprend et se justifie dans un contexte historique où l’appropriation culturelle post-coloniale fait débat.
Twitter, toujours, nous rappelle que l’acte n’avait pas pour intention d’être raciste, juste un hommage. C’est aussi une belle erreur de communication qui a terni l’image de Griezmann – dont on ne mettra pas en cause le racisme.
Les nombreux échangent Twitter rappellent l’importance du blackface et de son historicité raciste.

Un manque de sensibilisation en France

Le blackface est mal connu dans l’hexagone. Issu des « minstrels shows » américains, sa réplicabilité outre-Atlantique est connue et apprise à l’école. Passé sous silence en France, certainement pour cause d’éloignement et par héritage post-colonial, la popularité de l’acte vient du clown Jim Crow, inventé par Thomas Dartmouth Rice et donnera son nom aux tristement célèbres lois infiniment racistes du Sud des États-Unis (Jim Crows Laws). Interrogée par Slate, Syie Chalaze explique que le blackface avait pour but de mettre en exergue « toutes les tares définies par le regard des blancs sur les esclaves noirs: paresseux, insouciants, stupides et indolents». Malgré un manque dans l’apprentissage de l’Histoire, le blackface a déjà laissé des traces en France. En mars 2014, dans l’émission animée par Cyril Hanouna, les chroniqueurs Jean-Michel Maire et Valérie Bénaïm ont pratiqué le blackface pour imiter la Compagnie Créole.

Dans la même veine, lors du carnaval de Dunkerque, des habitants de la ville menés par Bernard Vandenbroucque arpentent les rues de la ville grimés de maquillage noir avec un col roulé noir, un collier d’os, des gants blancs et une jupe de raphia.

Néanmoins, le blackface n’est pas pris à la légère en France. En novembre 2016 des étudiants Lillois de l’EDHEC se sont grimés en noirs lors d’une soirée déguisée pour imiter des personnages de films : Rasta Rocket et Pulp Fiction. Les photos sont parvenues aux yeux de la direction de l’école qui s’est excusée sur twitter et a convoqué les protagonistes impliqués dans ces actes.

Célébrité et responsabilité

Que Griezmann ait été maladroit ou intentionnellement raciste, la question qui se pose est avant tout celle de l’autorité, au sens du pouvoir qui s’impose. Suivi sur Twitter par près de 5 millions d’abonnés, l’envergure que peut prendre une telle « maladresse » est considérable et renvoie une image hautement négative de la personnalité. L’erreur est humaine, mais l’acte reste gravé. Dans l’essai Langage et Pouvoir symbolique, Pierre Bourdieu pose la question suivante : « Mais la force qui agit à travers les mots, est-elle dans les paroles ou dans les porte-parole ou, plus justement, dans le groupe même sur lequel s’exerce leur pouvoir ? ». La question se répercute en filigrane sur l’acte de blackface du joueur de l’équipe de France. Il aurait été bienvenu que la photo reste dans la sphère privée, et ne soit pas diffusée à si grande échelle. Le risque de banalisation de l’acte est présent et fort. La question du filtre se pose aussi. A l’instar du compte twitter de Donald Trump il aurait fallu l’aval avisé des communicants de Griezmann avant de publier une telle photo.

Il faut rire des ignares tout en se méfiant de la raison de leur ignorance.

Jules de Senneville

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Sources

Crédits Photo

  • Photo couv, capture d’écran de la série Netflix « Dear White People »
  • Captures d’écran du compte Twitter d’Antoine Griezmann
  • Capture d’écran du compte Twitter de Pierre Mènes
  • Capture d’écran du compte Twitter de David Lammy
  • Capture d’écran du compte Twitter de Valérie Bénaïm
  • Capture d’écran du compte Twitter de l’EDHEC
  • Les « noirs » de Dunkerque, Philippe Hugues/AFP

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