L’immigration à l’ère Macron, droitiser pour mieux régner
C’est avec le projet de loi sur l’immigration, présenté jeudi 11 janvier 2018, qu’Edouard Philippe met en scène le durcissement de la politique migratoire française. Bien loin de la « grande société » rêvée par Alexis de Tocqueville, la justification de ce projet de loi semble attester d’une dynamique individualisante, et au demeurant égoïste. Réponse à un besoin sécuritaire, le gouvernement court-circuite ici les prétentions d’une droite en reconstruction avec une loi de circonstance.
Avant tout, et il est parfois bon de le rappeler, nous vivons dans une société multiculturelle. Ce multiculturalisme est une réponse à l’individualisme qui découle de la séparation des corps sous l’Ancien Régime. Il n’y avait plus d’appartenance collective face à l’avènement des institutions que sont la famille, le mariage ou les syndicats. Durant la deuxième moitié du XXème siècle, c’est ainsi que l’on reconnaît la place des identités dans la société. Et au lieu d’entretenir cette dynamique, ce projet de loi semble vouloir fédérer autour d’une volonté de repli. Examen de l’asymétrie dans la réception d’une loi sur un problème qui déchaîne les passions.
L’émotion, facteur clivant d’une loi archaïsante
Premièrement, et il semble pertinent de le rappeler, cette loi n’est pas mauvaise en soi. La thématique de l’immigration est souvent mise en avant de façon manichéenne dans nos médias, et il importe de s’en détacher. Dans ce qu’on peut lire, une conception effectivement binaire du débat sur l’immigration ressort souvent. La bonne politique serait nécessairement celle de l’accueil, et la mauvaise, la méchante, celle de la restriction qui serait motivée par l’entre-soi et la difficile acceptation de l’autre. La question soulevée par l’annonce de cette réforme est ici plus complexe qu’elle n’en a l’air.
Ici, et une fois encore, la position tenue par Emmanuel Macron est difficile à catégoriser. D’un côté en adéquation avec les propos de Mme Merkel qui prône un accueil inconditionnel, et de l’autre partisan d’un pragmatisme qui dépasse une pensée jugée irrationnelle axée sur un principe moral de solidarité. Cette réforme et la façon dont elle est introduite par Emmanuel Macron et Edouard Philippe mettent en exergue un autre aspect du débat, qui va au-delà de celui qui concerne l’accueil ou la restriction. Le curseur se déplace vers la confrontation entre l’émotivité, celle des belles âmes qui s’attardent sur les individus et les raisons qui les poussent à émigrer, et la rationalité, bien que froide et désincarnée, qui constate les difficultés d’accueil du fait du manque d’infrastructures en France.
Nous retrouvons ici la volonté de construire une image selon laquelle le président Macron ne s’encombre pas de considérations partisanes : il n’y a pas de souci à prendre à la gauche et à la droite, c’est toujours l’efficacité qui prime.
Loin du droit mais près du peuple ?
Dans ce projet, comme dans tout projet de loi, il y a une prétention, prétention de répondre à un besoin social via l’envoi d’un signal. C’est éluder que, dans cette démarche, on martyrise la matière juridique, on détricote ce qui a été fait auparavant, on reprend ce qui a été défait… On malmène le droit, on le décrédibilise en le marquant du sceau des errances politiques. Les exemples en la matière foisonnent. En 1980, Valéry Giscard d’Estaing fait voter la loi Bonnet relative à la prévention de l’immigration clandestine, rendant plus strictes les conditions d’entrée sur le territoire. En octobre 1981, François Mitterrand abroge la loi Bonnet et instaure de nouvelles dispositions dans l’ordonnance de 1945, dans le sens de la sécurité pour les étrangers sur le territoire français.
En l’occurrence, on trouve une illustration assez éloquente de ce que le pouvoir politique inflige à la pérennité de principe du droit. Comme dans de (très) nombreux cas, la politique semble primer sur la solennité attachée à l’objet juridique. Quel est l’intérêt de montrer ces évolutions et ces changements ? Il s’agit de relativiser et de désacraliser. Il s’agit de penser une temporalité autre que celle imposée aujourd’hui par le quinquennat, par le culte des 100 jours, par la volonté de faire vite. Alors, cette loi, c’est que de la com’ ? Peut-être bien, quand on voit comment les dirigeants ont la faculté de détricoter ce qui a été fait précédemment. Il se pourrait que l’effet à long terme d’une telle réforme soit bien maigre.
Paradoxe de plus, autorité en moins
Finalement, on retiendra deux choses de ce projet de loi. Un volet politique qui tient d’une volonté de couper l’herbe sous le pied à une droite très à droite incarnée par le segment qu’exploite Laurent Wauquiez à l’heure actuelle. Un volet communicationnel, plus symbolique, qui concerne le signal envoyé aux migrants avec cette loi et le caractère dissuasif de celle-ci.
Souvenons-nous du principe d’un programme qui souhaitait faire valoir l’ouverture. La mise en pratique de celui-ci se manifeste aujourd’hui par ce projet de loi qui, selon Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, est plus dur que la loi Pasqua de 2003 ou que la politique menée par Nicolas Sarkozy. La terminologie utilisée dans le projet est également dans cette veine : est effectuée la distinction entre « réfugié » et « migrant économique ». On a d’une part un terme marqué d’un point de vue émotionnel, d’autre part une dénomination technique et plus désincarnée. Comme pour légitimer le durcissement des conditions d’accès au territoire français pour ceux qui seraient animés par la « seule » envie de connaitre de meilleures conditions de vie.
Pendant ce temps, on cultive l’apparence de l’unité au sein de la majorité, dans une volonté de garder la face et d’apparaître unis. Combien de temps reste-t-il avant le début de la mutinerie contre le capitaine Macron ?
Corentin Loubet
Sources
Marilyne Baumard / « La trame du projet de loi sur l’asile et l’immigration a été communiquée aux associations » / Le Monde / Publié le 10.01.2018 / Consulté le 15.01.2018
Kim Hullot-Guiot / « Immigration, un projet de loi dur et contesté » / Libération / Publié le 11.01.2018 / Consulté le 15.01.2018
Maryline Baumard / « Que contient le projet de loi asile immigration ? » / Le Monde / Publié le 11.01.2018 / Consulté le 16.01.2018
« Les dates clés de l’immigration en France » / Le Monde / Publié le 06.12.2002 / Consulté le 18.01.2018
Alexandre Devecchio / Elisabeth Levy « En matière d’immigration, Macron va bien plus loin que ses prédécesseurs »/ Le Figaro Vox / Publié le 27.12.2017 / Consulté le 18.01.2018
Crédits photo
- Théo Haggaï, Cailloux, 2017
- Felix Vallotton, La Blanche et la Noire, 1913
- Henri Matisse, La Danse, 1911
- Selçuk, Macron