Société

Le New York Times se met au noir

Le 28 octobre 2017, le New York Times avait annoncé la mise en ligne d’une version expérimentale de son site sur le « dark web ». Ce choix audacieux soulève de nouveau la question de l’utilisation de nos données sur Internet et constitue une action décisive dans la stratégie de communication du New York Times qui, tout en s’engageant pour la liberté d’expression, opère un rafraichissement de son image. Retour sur cette décision.

L’utilisation du « dark web » : vers plus de liberté

En partie inspirée du blocage de leur site en Chine, depuis la publication d’une enquête portant sur l’évolution de la fortune du premier ministre chinois Wen Jiabao de 2003 à 2013, cette décision remet sur le tapis le débat de la prétendue liberté qu’offre Internet à ses utilisateurs. En effet, perçu et conçu à ses débuts comme un outil permettant une meilleure communication et une circulation de l’information pour tous, cette vision d’Internet a largement évolué, notamment depuis l’affaire Snowden en 2013.
Les internautes ont pris conscience de l’envergure de la logique de surveillance mondiale qui régit l’ensemble des moyens de communication aujourd’hui. Comme nous le savons, les données personnelles constituent le gagne-pain des géants du web tels que Google ou Facebook. Les options sont donc limitées pour les individus qui voudraient protéger leurs données.
La situation est également complexe pour les pays censurés comme la Corée du Nord ou la Chine, qui n’ont pas d’autres solutions pour s’informer que de contourner les lois imposées par le gouvernement. Ainsi, de nouveaux comportements apparaissent dans cette seconde ère de l’Internet, tels que l’utilisation du « dark web ».
Souvent vu à raison comme un lieu favorisant la prolifération de réseaux d’actions illégales (hackers, pédophiles, dealers de drogue, terroristes ou autres criminels), le « dark net » est bien plus que cela. Associé au réseau informatique superposé mondial et décentralisé Tor, il permet aux utilisateurs de se protéger d’une certaine forme de surveillance sur Internet, connue sous le nom d’analyse de trafic.
Cette analyse remet en cause le principe d’anonymat d’Internet, car elle est utilisée pour déterminer qui communique avec qui sur un réseau public et peut donc permettre à des personnes de traquer votre comportement et vos intérêts, souvent dans un but commercial ou de surveillance (comme l’a fait la NSA avec l’affaire Snowden).
Tor résout ce problème en offrant à ses utilisateurs une maîtrise des traces qu’il laisse en ligne. Il est notamment utilisé par les réseaux de lanceurs d’alertes, journalistes, avocats ou dissidents politiques afin d’échanger tout en contrôlant la sécurité de leurs données. Il permet également de contourner la censure sur Internet en permettant aux personnes l’utilisant d’accéder à des sites et contenus bloqués dans certaines zones du monde, comme dans le cas du New York Times.
Aujourd’hui davantage connu du grand public, on pourrait s’inquiéter de la popularisation de l’utilisation du « dark web », car si sa démocratisation est bénéfique aux usagers, on peut craindre que l’utilisation de ce réseau par les grandes entreprises, les médias et les sociétés Internet ne diminuent son but originel. En effet, comme le rappelle le média Wired « quand tout le monde est sur le « dark net », ce n’est plus une partie cachée, c’est juste le web ».
Le choix du New York Times s’inscrit dans cette logique, car le média new-yorkais est bien connu pour ses choix avant-gardistes qui risquent d’influencer ses compétiteurs. Cependant, bien que nous ne doutions pas du réel engagement du journal en faveur de la liberté d’expression, on ne peut s’empêcher de penser aux effets bénéfiques qu’aura cette décision en termes de ventes. Alors, engagement ou stratégie de marque ?

L’engagement : une stratégie de communication qui paye

La stratégie est, selon Desaulniers, une combinaison de façons de faire, ordonnées en vue d’atteindre d’une manière optimale des cibles et des résultats souhaités. La stratégie est donc l’approche que va choisir l’entreprise en vue d’une victoire.
Depuis une dizaine d’années, les nouvelles exigences des consommateurs, investisseurs et leaders d’opinion en matière environnementale, sociale ou sociétale se sont durcies, poussant les entreprises à modifier leurs comportements. La vocation sociale des marques fait désormais partie des critères d’achat. Nombreuses sont donc les entreprises à intégrer dans leurs stratégies de communication, la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE).
Cette soudaine prise de conscience de la part des consommateurs est notamment due à la médiatisation de certains scandales comme le drame du Rana Plaza où la marque H&M avait révélé par erreur, l’extrême attention qu’elle portait à sa réputation depuis l’effondrement de cet immeuble qui avait fait un millier de morts en 2013. Malgré son engagement dans des programmes humanitaires avec l’Unicef, sa crédibilité reste bancale, car elle assurait ne plus utiliser cette main d’œuvre au Bangladesh.
Malgré la popularisation de ce mouvement éthique, les initiatives des marques et entreprises ne sont pas toujours accueillies avec ferveur, de par leur manque d’authenticité. Aujourd’hui, les entreprises doivent justifier de leur engagement par leurs stratégies de communication externe. Le consommateur n’est plus dupe, il exige la mise en place d’un véritable « contrat moral » et non pas d’une simple stratégie marketing.
Fondé en 1851, le New York Times possède lui une certaine légitimité dans sa volonté de favoriser l’accès à l’information pour tous : section « op-ed » pour les écrivains indépendants, mise en ligne gratuite de leurs articles dans leur intégralité. Suite à la victoire de Trump, le journal a également créé un bureau spécial d’investigation basé à Washington, afin de couvrir exclusivement la Maison Blanche. Une décision qualifiée par le président américain de « honte pour les médias » mais qui a permis au New York Times de réitérer son engagement en faveur de la circulation de l’information. Elle représente également une action de communication réussie, 348 000 nouveaux abonnements en ligne ayant été comptabilisés entre mai et juillet 2017.

Le journal continue avec habileté le déroulement de sa stratégie communicationnelle en adoptant une démarche d’ouverture et d’humilité face à la complexité des enjeux de RSE. Les engagements fédérateurs du quotidien s’inscrivent en cohérence avec la stratégie de l’entreprise et les évolutions numériques. Elle promet également d’être une base de discours honnête et stimulant avec l’ajout de nouvelles fonctionnalités comme les commentaires en ligne.
On a hâte de suivre les péripéties de cette version bêta du New York Times, qui nous assure « avoir prévu de partager les leçons apprises – et que nous allons apprendre- à propos de l’ajustement et la gestion d’une plateforme Onion ». On vous encourage également à leur faire un retour sur les éventuels bugs et améliorations en leur envoyant un e-mail à onion@nytimes.com. Exprimez vous !
Elise Batifort
Sources :

Crédits photos :

  1. Illustration de Kevin Zweerink
  2. Carlo Allegri/Reuters
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