Société

Halloween, l’occasion de célébrer sa résurrection ?

Si on apprécie tant la fête d’Halloween, c’est parce qu’elle nous permet de cacher notre réelle identité, voire de la transformer en copiant des personnages de films, au travers de costumes et de maquillages. C’est aussi un grand moment pour les publicitaires et les marques : l’intérêt d’Halloween est d’installer une relation consensuelle entre la marque et sa cible. Halloween étant déjà connue et appréciée, les marques n’ont qu’à incorporer l’évènement dans leurs gammes de produits ou dans leurs services pour inciter à la consommation. Fêter serait-il devenu synonyme d’acheter ? En tous cas, les marques et les publicitaires l’ont bien assimilé.

All Hallows Eve, c’est trop long? Créons Halloween, pour le bonheur de tous

« La peur est la sœur de l’imagination », disait Roseline Cardinal, et Halloween en est la preuve. Avoir peur, c’est imaginer son meilleur déguisement, et imaginer, c’est penser qu’on fait peur et donc se satisfaire. Mais, comme tous frères et sœurs, la joie n’est pas toujours au rendez-vous. La peur et l’imagination s’affrontent dans un combat sans fin, et si l’on veut continuer dans cette visée métaphorique, la peur semble représenter notre société. Ce climat angoissant qui nous hante chaque jour, à travers les informations, les pressions sociales, la vitesse des interactions avec le monde extérieur, ou simplement le fantasme de toujours être meilleur que l’autre. L’imagination tente ainsi d’affronter la peur en lui apportant des solutions originales : les fêtes. C’est grâce à elles qu’on oublie nos malheurs, allant parfois jusqu’à en rire.

Halloween, qui est une altération de All Hallows Eve (« le soir de tous les saints »), est à l’origine une fête celtique d’origine irlandaise : le nouvel an celtique. Il y a environ 3 000 ans, le calendrier celte ne se terminait pas le 31 décembre mais le 31 octobre. Cette dernière nuit symbolisait celle du dieu de la mort, Samhain. Les enfants déguisés symbolisaient les âmes des morts qui venaient autrefois (et peut-être encore) rendre visite aux vivants dans la nuit du Samhain celtique. C’est au milieu du XIXe siècle, suite à la Grande Famine en Irlande, que de nombreux Irlandais s’exilèrent aux États-Unis et y exportèrent cette tradition. La fête d’Halloween devint alors populaire outre-Atlantique et bénéficia d’un regain d’intérêt en Europe.

Une des coutumes les plus connues consistait à placer une bougie dans un navet, une betterave ou une pomme de terre afin d’en faire une lanterne. Placés sur le rebord des fenêtres et le long des chemins, ces « légumes-outils » servaient à guider les morts et à accueillir les âmes des défunts. Les immigrants irlandais seraient à l’origine de l’usage de la citrouille, légume de saison le plus répandu aux États-Unis.

Quand la publicité s’approprie des codes culturels

Tout communicant cherche à atteindre trois objectifs : faire connaître, faire aimer et faire agir. Quelle tendance prime aujourd’hui ? Celle du marketing émotionnel. Il tente de capter l’attention du consommateur en lui faisant ressentir diverses émotions : désir, empathie, surprise et fierté.

Qu’en est-il de la publicité des marques à Halloween ? Le terrain est différent : une grande partie de la société participe à cette fête, ce qui apporte un pouvoir particulier aux marques. L’individu, quant à lui, tente de se créer une nouvelle identité. Masques, déguisements, perruques et maquillages sont les bienvenus : ils cachent notre réelle identité et en dévoilent parfois une autre. Les individus s’intéressant déjà à l’événement, les marques tentent de le rendre atypique et émotionnellement agréable.

Fanta a beaucoup communiqué durant le mois d’octobre en reprenant les codes d’Halloween : création d’un espace éphémère, affiches publicitaires, etc. La marque aurait- elle capitalisé sur la couleur de son soda ? Aurait-elle, de ce fait, plus de légitimité que les autres marques ? Le schéma serait d’associer un code couleur à un événement et d’associer à l’événement le code couleur de sa marque. Fanta possède de façon « naturelle » la couleur orange depuis les années 1940. Cela implique que les consommateurs s’y soient habitués, et qu’inconsciemment, ils pensent en priorité à Fanta avant d’acheter un soda pour fêter Halloween.

Au même titre qu’un achat de Nike ID (personnalisables sur le site Internet de Nike), les marques « personnalisent », ou plutôt « customisent », leurs produits pour répondre à l’émergence de nouveaux besoins identitaires. Pourquoi manger un hamburger chez McDonald’s pour Halloween si celui-ci ne reprend pas ses codes ? Pourquoi acheter des bonbons s’ils ne sont pas donnés aux enfants déguisés qui frappent à nos portes et nous menacent de nous jeter un sort ? La société exerce une forme de pression sur nos modes de vie : même une personne qui ne fête pas Halloween se doit d’avoir quelques friandises au fond de son placard. Personnaliser ses produits permet à l’individu de se sentir différent. Mais à l’occasion d’Halloween, le processus est tout autre : les marques customisent les produits pour que chacun ait un point commun et se rassemble. On se ressemble donc une fois par an à l’occasion d’Halloween. Ce qui laisse penser que, ce jour- là, nous passons de la « case quotidien » à la « case Halloween », et que la personnalisation s’effectue. Mais nous pourrions tout de même parler d’une « production industrielle des différences », comme le souligne Jean Baudrillard dans La Société de consommation. Les marques produisent des modèles économiques en adéquation avec des pratiques culturelles fortes.

L’amour et la mort, nos deux moteurs de vie

A l’époque, les enfants déguisés symbolisaient les âmes des morts. Aujourd’hui, on observe une rupture bidimensionnelle : les enfants ne sont plus les seuls de la partie puisque les adolescents, les jeunes adultes et les adultes participent à cette fête. Les âmes des morts sont désormais représentées par des objets plus que par des individus. Si les marques transposent les symboles de peur et de mort sur leurs produits, c’est notamment parce que la société est plus connectée et vivante à travers l’extérieur qu’à travers son propre corps et son propre esprit. Ainsi, pour se convaincre qu’on fait peur, on regarde, écoute, boit et mange des représentations de la peur et de la mort conçues par les marques. Comment pourrait-on effrayer sans se déguiser en Chucky ou sans décorer sa maison de toiles d’araignées ?

Si Halloween plaît tant, c’est parce qu’on peut combiner la mort et l’amour au sein d’un même évènement. Lorsqu’on est déguisé et qu’on fait peur aux autres, on s’aime personnellement puisqu’on éprouve un sentiment de victoire sociale. De la même manière, quand un invité, au cours d’une soirée d’Halloween, se penche vers vous, en vous criant « Je vais te tuer ! », avec du sang qui dégouline de sa bouche, vous ne tentez pas de le raisonner. Vous savez qu’il joue un rôle. Finalement, ce sont ces rôles de « méchants héros » qui nous permettent à tous, le temps d’une journée, de nous imaginer autrement. Honoré d’Urfé disait « Aimer c’est mourir en soit pour revivre en autrui. ». À l’occasion d’Halloween, on se meurt par le port de déguisements qui rendent légitime tout acte qui ne nous ressemble pas.

Barbara CARRESSE

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