Logo Celine : Hedi Slimane et le système de la mode
En janvier 2018, le styliste et photographe français Hedi Slimane a été nommé Directeur de la Création Artistique et de l’Image de la maison Céline, propriété du groupe LVMH. Après Dior Homme (2000-2007) et Saint Laurent (2012-2016), Hedi Slimane signe son arrivée chez Celine en transformant le logo de la marque par le retrait de l’accent aigu sur le « E » et un changement typographique. Sous l’égide du créateur, la marque cherche à conquérir de nouveaux marchés en étendant ses collections à la mode masculine, à la couture et aux parfums.
Comment le logo nous raconte-t-il le processus de métamorphose de la marque ?
Le discours du logo
En gommant les traces de francité et du genre féminin qui le composaient, ce logo annonce les ambitions stylistiques et commerciales de la marque.
Les caractères sont rapprochés et le logo se fait plus fin, plus « slim ». Il se transforme à l’image de la silhouette androgyne et filiforme toujours imposée par Hedi Slimane, signifiant en filigrane le style et le souci du détail du créateur.
Le retrait de l’accent fait sens à deux niveaux. Il supprime d’une part l’analogie avec le prénom féminin Céline et fait écho au lancement d’une collection homme, nouvelle cible de la marque. D’autre part, il indique l’ambition d’un développement à l’international. Celine est aujourd’hui formellement dénuée de toute trace de son origine française, dans la continuité de son e-shop lancé en 2017 dédié à la vente directe de produits à l’échelle mondiale.
Sur la dernière campagne de la maison de mode, le logo accompagne les portraits de jeunes mannequins diffusés sur les comptes Facebook et Instagram de la marque. L’utilisation d’Instagram par Celine remonte elle aussi à 2017, entre recherche de modernité et conquête d’un public supposé jeune.
En modifiant son logo, la marque Celine prend la parole – Logos signifiant « parole » en grec – et fait parler d’elle. Elle exprime ainsi une volonté de s’adresser à un nouveau public masculin, international et plus jeune.
Une approche systémique de la marque
À l’annonce de sa nomination, Hedi Slimane témoigne de son enthousiasme à l’idée « de commencer ce projet holistique pour la Maison Céline. » Cette attitude introduit la démarche systémique du créateur. En effet, il supervise tous les discours de la marque et choisit et photographie lui-même les mannequins des campagnes publicitaires selon ses propres codes binaires : des clichés toujours en noir et blanc sur lesquels les mannequins posent de dos puis de face, seuls ou en duo.
Du défilé « Céline 01 » de la Fashion Week de Paris en septembre dernier aux affiches publicitaires déployées à une échelle mondiale, en passant par le design et les vitrines des boutiques locales, M. Slimane appréhende chacun des éléments de la marque comme appartenant à un seul et même ensemble.
Dans ce jeu de relation global-local, le créateur a initié la suppression du mot « Paris » sous le logo Celine de sa dernière campagne, notamment sur les supports de communication à la production sérielle. Il perdurera cependant sur les étiquettes des vêtements et sur les packagings.
Sur Instagram, la marque met en scène sa présence mondiale dans les rues des capitales de la mode : façade d’immeuble à Paris, panneau publicitaire à Londres, camion permettant la circulation de la marque à la vue de tous à New-York… La marque détaille les supports qu’elle occupe dans l’espace public, chacun d’eux se faisant signifiant de sa présence répétée à l’international, et donc de son hégémonie. La mosaïque du réseau social circonscrit ces villes dans un même espace, venant appuyer l’idée d’un système global composé de sous-systèmes locaux où l’importance est donnée au détail.
Pour compléter cette construction, la marque effectue des renvois à son passé. Après avoir supprimé son historique Instagram, Celine publie la captation d’un rideau doré, objet à la fois symbole de métamorphose, de séparation et de médiation du désir. Dans la légende de cette publication, la marque justifie la transformation typographique de son logo par une volonté de retour aux sources – les années 1950, période où elle fut créée -, permettant au passage de rappeler son ancrage historique.
Cette approche systémique de la mode n’est pas sans rappeler celle de Roland Barthes dans son ouvrage Système de la Mode. Dans un entretien au Monde en 1967, il déclare :
« Pour moi la mode est bien un système. Contrairement au mythe de l’improvisation, du caprice, de la fantaisie, de la création libre, on s’aperçoit que la mode est fortement codifiée. […] Si la mode nous apparaît à nous imprévisible, c’est que nous nous plaçons au niveau d’une petite mémoire humaine. Dès qu’on l’agrandit à sa dimension historique, on retrouve une régularité très profonde. »
Celine est désormais remodelée à l’image de Hedi Slimane et de la reconstruction planifiée par le groupe LVMH. La marque pèse aujourd’hui près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et Bernard Arnault, le propriétaire et président-directeur général du groupe LVMH, espère « arriver entre 2 et 3 milliards, pour en faire une des premières marques du monde. »
Jeanne Petit
Sources :
Roland Barthes, Système de la Mode, 1967
CELINE (@celine), Instagram, INTRODUCING CELINE NEW LOGO, 2018, consulté le 30/09/2018
Challenges, « Luxe : Pourquoi Céline se lance sur le marché masculin », Anne-Marie Rocco, 2018, consulté le 30/09/2018
Le Monde, « Entretien de Roland Barthes avec Frédéric Gaussen », 1967, disponible sur
http://motspluriels.arts.uwa.edu.au/MP1099rb.html, consulté le 29/09/2018
Les Echos, « Le projet Slimane », Gilles Denis, 2018, consulté le 29/09/2018
LVMH, « Hedi Slimane nommé Directeur de la Création Artistique et de l’Image de Céline », 2018, consulté le 29/09/2018
Crédits photos :
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