À méditer
Méditer à cœur ouvert, L’Art de la méditation, Foutez-vous la paix et commencez à vivre… Autant de titres qui ont fait florès ces derniers mois sur les panneaux souterrains de la capitale ou sous le carreau des librairies.
Art millénaire, la méditation semble pourtant se payer une nouvelle jeunesse à en regarder la place imposante qu’elle occupe parmi les offres littéraires de l’année 2017-2018.
Des incessantes exhortations au bonheur aux images marketing toujours plus zen, il devient impossible de passer une journée métropolitaine sans que le regard ne tombe sur un objet, livre, ou application de développement personnel. La question mérite d’être posée : réelle dégradation de la paix intérieure des individus ou mise en exergue d’un retour aux sources que l’on devrait retrouver à tout prix…marchand ? En bref, réel besoin de fond ou phénomène de tendance ?
Un essor débridé de la culture asiatique
Dans le monde concurrentiel de l’entreprise, où la protection des travailleurs a besoin d’être encadrée par des syndicats et où l’on énonce des lois de « droit à la déconnection », l’image mythique du moine tibétain apaisé peut vite paraître utopique…et faire rêver.
Paradoxe saisissant, la formation des futurs managers et leaders d’entreprises aux Etats-Unis comprend l’ « ingrédient phare » du moine : la méditation.
Phénomène d’engouement sans précédent, la méditation est aujourd’hui acclamée comme la pratique incontournable du siècle et s’inscrit dans le long cortège séduisant des sushis, mangas et univers vidéos peints à la pointe du calame : une culture asiatique mise au goût du jour, à la fois dynamique et raffinée.
Autour de la figure tutélaire du moine tibétain se dresse tout un imaginaire de teintes pastel : rose des cerisiers en fleurs et vert des prairies soignées et des bambous légers. Du toit du monde aux jardins zen nippons, la fresque des cultures sino-japonaises est plutôt apaisante. Bien que largement repris par le marketing, cet imaginaire de fond appliqué à la méditation résulte d’un amalgame entre plusieurs origines, traditions et religions d’Orient. Si la méditation se retrouve aussi bien dans le theravada (Thaïlande) que dans le zen (Japon), c’est plus généralement dans le bouddhisme que l’art de méditer puise ses racines.
Pourtant, la méditation connaît une démocratisation sans égal qui rime avec laïcisation. Comme l’explique Fabrice Midal (1), c’est sous l’impulsion de certains maîtres bouddhistes d’exception que l’art méditatif s’implante en Occident au début des années 60, alors que ces derniers avaient pris un certain recul avec le bouddhisme institutionnel et religieux.
Les bienfaits de la méditation sur le corps ne sont plus à prouver : concentration, imagination, gestion des émotions et du stress… Les racines de médical, remède et méditation puisent évidemment à la même source et cet exercice de pleine conscience séduit un large éventail de pratiquants qu’il faut mettre à la page (blanche, pour plus de sérénité) …
L’âge d’or du silence
Comme tout procédé d’introspection, la méditation cherche à établir une connexion de soi à soi. Se regarder intérieurement devient un bienfait médical, pour peu que l’on se prête consciencieusement à l’exercice. Car s’il faut reconnaître que le principal interlocuteur est avant tout soi-même, force est d’admettre qu’il n’est pourtant pas toujours aisé d’avoir une relation apaisée à soi, ses flux de pensées, ses émotions. Schéma de communication particulier, le sujet se dédouble : vivant et communiquant d’une part, récepteur attentif de ces vibrations vitales de l’autre.
Mais le fait de méditer est également un signe puissant pour l’éventuel œil extérieur qui contemplerait la scène. Tout d’abord, c’est une communication du silence où s’établit un contrat de calme absolu qui évacue le canal « classique » de l’ouïe pour laisser place à la perception des autres sens.
Et de la même façon malgré la recherche d’une acuité décuplée, c’est aussi le retour à un certain état de nature qui est voulu, où le flot des idées puisse s’écouler indépendamment de toute barrière dressée par d’artificielles conventions. Innocence de la pensée, comme un âge d’or dont on voudrait retrouver les bribes, celui de la naissance.
Une mise en application ?
Quoi de plus simple et de plus économique que de fermer les yeux un instant et de se concentrer sur sa respiration ?
La méditation cherche avant tout à réveiller les sens, à focaliser l’attention sur des sensations physiques. En cela, elle tente de réhabiliter le canal du corps, maltraité par des journées où les exigences et les rendez-vous s’enchaînent.
La méditation n’est pas un bien marchand : c’est un état d’esprit, une façon d’être au monde. Il convient toutefois de souligner qu’autour de cette pratique fleurissent un tas de productions destinées à la marchandisation, à commencer par les « guides d’éveil à soi » ou les applications de méditation. Là aussi, le paradoxe est saisissant : si la méditation peut largement être pratiquée pour ‘déconnecter’, pour abandonner un instant le canal virtuel de nos technologies et se recentrer sur celui du corps, proposer une application de méditation semble être une aberration.
C’est pourtant ce qu’offrent des applications comme Petit BamBou et Mind, ou leur équivalent britannique HeadSpace. L’argument est retors et évident à la fois lorsque l’on regarde le type de public visé :
- personne connectée voire ultra-connectée qui aspire à se ressourcer,
- donc présence du portable à portée de main,
- et généralement temps de disponibilité assez court, comme un trajet de métro par exemple, ce pourquoi la personne est poussée vers la méditation (reprise de respiration dans des journées forcément intenses. Pas sûr que madame Bovary ait médité…).
Ces applications proposent donc des formats très brefs de guides à la méditation, autour de 10 mn par jour. Ici, le médium est ostensiblement décalé avec le but poursuivi, à savoir s’accorder du temps et déconnecter un instant. Et pourtant, le taux de satisfaction est remarquable, tout comme celui de nouveaux inscrits, qui s’élève à 4000 par jour (3).
L’effet placebo d’une belle application au design apaisant pourrait être questionné, mais là réside toute la question du marketing…. A méditer.
Zoé Cassard
Méditer – développement personnel – concentration – âge d’or – silence – application – bouddhisme – éveil – marchandisation
Bibliographie :
- Midal Fabrice, Méditer, ed. PUF 2017. Consulté le 14/01/2019.
- Isnard Bagnis Corinne, Qu’est-ce que la méditation de pleine conscience?, ed. PUF 2017. Consulté le 14/01/2019
- Rezzoug Leslie, L’Express, Qui se cache derrière l’appli Petit Bambou ?, 15/10/2018. Consulté le 14/01/2019. https://www.lexpress.fr/styles/psycho/qui-se-cache-derriere-l-appli-petit-bambou_2038994.html
- Viers Aurélien, L’Obs, On a testé 4 appli pour s’initier à la méditation, 08/07/2018. Consulté le 29/12/2019. https://www.nouvelobs.com/societe/20180706.OBS9310/on-a-teste-4-applis-pour-s-initier-a-la-meditation.html
Au vu des publications récentes de :
- Ricard Matthieu, L’Art de la méditation, 2018
- Midal Fabrice, Foutez-vous la paix et commencez à vivre, 2017
- Lenoir Frédéric, Méditer à cœur ouvert, 2018
Applications :
– Petit BamBou : https://www.petitbambou.com/
– Mind : https://www.mind-app.io/
– HeadSpace : https://www.headspace.com/
Crédits photos :
- Passeport santé : https://www.passeportsante.net/meditation-l150
- couverture du livre, Lisez : https://www.lisez.com/livre-grand-format/mediter-a-coeur-ouvert/9782841119622
- couverture du livre, Fnac : https://livre.fnac.com/a10878991/Eline-Snel-Calme-et-attentif-comme-une-grenouille-NED
- Bambouseraie des Cévennes : http://www.lesplusbeauxjardinsdefrance.com/bambouseraie-de-prafrance/bambouseraie-cevennes-bambou-etats/
- Université du Bonheur au travail (ubax) : http://ubatx.org/ubatold/petit-bambou
- Application Mind : https://www.google.com/url?sa=i&source=images&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwj4p6Xtzu3fAhVGXRoKHQ4CAYQQjRx6BAgBEAU&url=https%3A%2F%2Fwww.mind-app.io%2F&psig=AOvVaw2I3ei8vCYaZmPSyNVoCPlb&ust=1547567099839416