Jacques a dit : Morale pour tout le monde !
Le 24 avril, François Hollande a présenté son projet de loi sur la moralisation de la vie publique. Au programme : transparence, contrôle du patrimoine des élus et lutte contre la fraude fiscale. Quelques semaines auparavant, c’était Vincent Peillon qui agitait la sphère médiatico-politique avec sa morale laïque. A l’heure où les scandales s’enchainent, cette notion semble être sur toutes les lèvres et employée à toutes les sauces. Mais pourquoi utiliser ce terme plutôt qu’un autre ? Pourquoi parler de morale plutôt que de déontologie ou d’éthique par exemple ? Une communication efficace passant avant tout par le poids des mots, on comprendra que celui-ci n’est certainement pas anodin.
Un choix de vocabulaire plus symptomatique qu’anecdotique
Il semblerait que le gouvernement ait ici choisi délibérément un mot à forte portée symbolique, chargé d’un impact émotionnel important. Le Petit Robert définit la morale comme la science du bien et du mal. On comprend dès lors l’importance du terme pour un président en mal d’autorité face à un électorat qui réclame des sanctions exemplaires à l’égard du pouvoir corrompu. Réaffirmer une morale, c’est implicitement reconnaître qu’il existe des valeurs fondamentalement positives, auxquelles s’opposent des actions négatives. On balaye ainsi toute ambiguïté : en politique comme ailleurs, il existe de « Bons » comportements et de « Mauvais » comportements, et ces derniers doivent être punis. Et c’est justement cet aspect catégorique qui divise : on applaudit l’initiative ou on dénonce une régression simpliste (certains vont jusqu’à déplorer des relents pétainistes). Cependant, dans l’ensemble, l’initiative reste très majoritairement approuvée (un sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France révélait la semaine suivante que 91 % des Français étaient favorables à l’initiative, dont 48 % « très favorables »). Etonnant, pour un peuple si prompt à monter au créneau à chaque nouvelle proposition gouvernementale ? Pas tant que ça.
Retour aux sources ?
Pour l’intellectuelle Julia Kristeva[1], la civilisation européenne est la seule qui a rompu avec la tradition religieuse, et qui a, dans le même temps, négligé le besoin de croire. En somme, la laïcisation des sociétés a laissé un vide difficile à combler. L’idéalisme n’étant plus encadré par des valeurs religieuses, il serait devenu nihilisme, d’où un climat de désillusions et de pessimisme quasi-permanent, exacerbé ces dernières années par la crise. En ce sens, l’approbation générale de ce retour à une nouvelle morale n’est pas étonnant. Au-delà d’un simple ras-le-bol face aux excès de quelques hommes de pouvoir, cet engouement exprime peut-être dans une certaine mesure une forme de soulagement face à ce retour aux certitudes. Ce qui profite bien entendu au gouvernement qui peut se draper d’une autorité nouvelle et noble, qui se veut au service non seulement d’un bien commun (orienté vers une classe dirigeante idéale du fait de la moralisation de la vie politique) mais également de chaque individu (via une incitation à devenir meilleur grâce à la morale laïque).
Moralité : entre coup de com’ et véritable changement, la frontière est parfois plus mince qu’on ne le croit.
Marine Siguier
[1] Conférence «Europe ou chaos » du 28/01/13