Société

De l’usage du stéréotype en communication

Lancée il y a quelques jours, la campagne d’affichage du mouvement de La Manif pour Tous a fait l’objet d’un amusant détournement sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter. Des internautes ont en effet parodié les nouveaux visuels de la campagne, habillés aux couleurs d’un message stéréotypé (« Pas touche à nos stéréotypes de genre »), pour le moins déconcertant. À tel point qu’il devient même difficile de distinguer les affiches officielles de celles qui ont été parodiées…

Retour sur un dispositif communicationnel au slogan volontairement provocateur.

Stéréotypes et communication : à utiliser à bon escient

Campagne affichage Manif pour Tous

Jouer sur les stéréotypes peut être un moyen efficace de communiquer, puisqu’il s’agit de jouer sur des cadres de référence communs pour garantir la transmission rapide d’un message. Les clichés utilisés comme leviers de communication permettent ainsi d’entrer en résonnance avec des représentations socialement partagées et culturellement ancrées. Mais fonder une campagne entière de communication sur les seuls stéréotypes, en les affirmant comme vérité établie et en l’absence de ton décalé, s’avère une démarche périlleuse. Et encore plus quand celle-ci prend part à un débat social houleux.

La Manif pour Tous justifie sa campagne d’affichage comme se voulant provocante avec pour objectif de susciter l’intérêt autour de la question du genre et des modèles familiaux. Il est clair que s’appuyer sur de tels stéréotypes est un moyen affiché de provoquer, mais jusqu’à quel point est-ce une stratégie efficace de provoquer pour diffuser son message et faire parler de soi ? Peut-on aujourd’hui « provoquer pour provoquer » ? Sans nul doute que la provocation gratuite peine à faire sens et se révèle vite creuse.

Il apparaît aussi que le ton de cette campagne manque de subtilité, comme en témoignent les amusantes parodies qui ont surgi sur Twitter (cf. Bannière) dès la révélation des affiches par la Manif pour Tous. Appliqués aux adultes, les « stéréotypes de genre » prennent un tout autre sens, se révélant profondément drôles et absurdes : la femme est montrée comme affairée aux tâches ménagères, en contraste avec une figure masculine assise voire avachie – ou encore, l’homme promenant sa femme en laisse, traduisant la domination masculine sur une prétendue faiblesse du sexe féminin. Ce jeu de détournement des visuels par les internautes souligne le caractère quasi absurde des affiches de LMPT, faisant apparaître leur potentiel parodique intrinsèque.

Cette appropriation parodique par les internautes révèle un certain rejet du message véhiculé par la campagne de LMPT. En effet, on peut analyser ces tweets jouant sur la parodie et l’humour comme des manières d’affirmer une opinion de désaccord, à l’image de La Fontaine qui utilisait le procédé de la métonymie animalière pour se moquer et dénoncer certains comportements de la Cour sous Louis XIV.
 

Le stéréotype : une fonction rassurante mais désuète ?

Jusqu’où l’usage des stéréotypes est-il pertinent dans une campagne de communication ? Ceux-ci peuvent en effet apparaître comme des archaïsmes communicationnels s’ils ne sont pas traités avec un second degré, lequel leur permettrait de revêtir une dimension contemporaine et moderne. L’argument du stéréotype de genre apparaît comme désuet, dans la mesure où il évoque un certain repli communicationnel, qui va à l’encontre de la « société ouverte » dans laquelle nous vivons (1). K. Popper avait bien analysé cet aspect de notre monde contemporain globalisé, caractérisé par le changement ainsi qu’un mouvement continu d’ouverture communicationnelle. Dans un contexte de dispersion et de discontinuité, se poser comme défenseur des « stéréotypes de genre » traduirait alors une volonté de retour à des valeurs originelles.

La campagne de LMPT peut se comprendre à l’aune de la pensée de D. Bougnoux (2) : le mouvement de LMPT aurait l’impression d’une perte de repères du fait des caprices d’une économie-monde qui n’est plus encadrée par l’Etat protecteur. La Manif pour Tous pourrait s’analyser comme l’une de ces communautés « aux identités manifestes » qui ressent le besoin de réaffirmer des valeurs qui s’inscrivent dans un mythe des origines du genre homme/femme, face à la dévastation des valeurs traditionnelles et aux désordres individualistes causés par le marché capitaliste mondial. La revendication de « stéréotypes de genre » semble exprimer comme une peur du changement, de la confrontation culturelle, des différences (ici sexuallo-identitaires).

Si la campagne de La Manif pour Tous a été parodiée aussi rapidement, c’est sans nul doute parce qu’elle brandit des stéréotypes socialement catégorisants qui s’opposent aux valeurs d’ouverture que prône notre société globalisée et ouverte au changement. D’un point de vue communicationnel, ce qui avait pour but d’être une campagne encourageant une lutte claire et affirmée, s’est mué en une campagne en contradiction avec son époque.

S’il est d’abord question dans cette campagne de légitimité des identités sexuelles/sexuées, il est aussi question de légitimité des identités mêmes qui nous fondent en tant qu’êtres particuliers.

 
Alexandra Ducrot
(1) La société ouverte et ses ennemis, Karl Popper (1945) : il y défend l’idée d’une société qui ne se tient pas à des connaissances établies mais reste ouverte à la réactualisation des connaissances avec l’idée d’un possible changement de la réalité qui nous entoure. En effet se revendiquer de vérité unique ou immuable dénierait le caractère profondément pluraliste et multiculturel de toute société démocratique.
(2) Introduction aux sciences de l’information et de la communication, Daniel Bougnoux (1993)
 
Sources :
Il était une pub : « Affiches Manif pour Tous : A peine dévoilées déjà parodiées »
Yagg : « Stéréotypes et escargots géants : Les affiches de la «Manif pour tous» parodiées »
Crédits photos :
Bannière : Il était une pub
 

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