Publicité et marketing

20cm de pur bonheur !

 

Vous marchez sur les quais du métro, et, il faut le dire, vous êtes blasé. Vous ne regardez rien en particulier, laissez errer votre regard : vous ne pouvez rater ces affiches de 4×3 qui vous encerclent. Laquelle retiendra votre attention et vous sortira de votre torpeur ? Les publicitaires ont leur petite idée sur la question : la plus provocante et la plus sexualisée.

Sur ce quai c’est probablement la saucisse Morteau affichée récemment dans le métro parisien qui aura arrêté votre regard. Rapide description : résolument minimaliste, la publicité met le produit en centre de l’image, opérant un « hyper focus » sur ce qui peut paraître trivial et peu glamour, une saucisse. Le message qui l’accompagne est concis : « 20 cm de pur bonheur ». Nul doute qu’il faut voir ici une allusion sexuelle pour le moins explicite. L’analogie est peu subtile, d’autant plus qu’elle est triple : la ressemblance sémiotique entre le produit vendu et l’organe sexuel masculin, l’allusion au « 20cm » qui fait également penser à ce dernier et le pur bonheur, qui associe la dégustation de la saucisse Morteau à un orgasme. Le Directeur commercial de la société « Morteau Saucisse », Thierry Belin, clame haut et fort qu’il en a assez de la mauvaise image de la charcuterie renvoyée selon lui par les médias. Son objectif est clair : revaloriser l’image de son produit dont la réputation n’est pourtant plus à faire. Un tel choix publicitaire s’avère alors surprenant. En effet, une telle publicité redore-t-elle l’image de la saucisse, déjà en disgrâce auprès des consommateurs parisiens ? On peut légitimement en douter, car une telle association, aussi osée que gratuite, n’a rien d’appétissant et instaure un certain malaise.

Qu’importe, le sexe en publicité, ça paye. Dans Le Neuromarketing en action, Patrick Georges et Michel Badoc observent qu’un cinquième des publicités est lié au sexe. Pourquoi ? Parce que le sexe fait vendre : « Pour le cerveau humain, le plaisir et la nourriture sont deux besoins fondamentaux, Tous les produits qui s’y référent se vendent plus facilement. ». En choisissant la technique de la provocation la publicité Morteau combine plaisir charnel et alimentation. La saucisse Morteau ne devrait s’en vendre que plus facilement.

Aujourd’hui le sexe est vendeur et le sexe se vend (cf cet autre article publié sur FastNcuirous/).

Cette alliance entre publicité, provocation et sexe peut s’expliquer ainsi : « La provocation en publicité est une stratégie de création, tout comme l’humour ou l’attraction sexuelle, utilisée par les concepteurs publicitaires dans le but d’attirer l’attention des consommateurs et de les choquer intentionnellement » soutient Richard Vézina qui a travaillé sur le lien entre publicité, provocation et sexe. Un cocktail explosif à l’heure où le sexe est omniprésent dans nos sociétés et fait frémir nombre de créatifs. Une tendance que le site Topito illustre parfaitement ici.

Mais revenons à notre exemple initial : vous êtes blasé. Un détail qu’il ne faut aucunement négliger. Car c’est ce fameux détail qui pousse à la surenchère publicitaire. De nos jours les entreprises bombardent les « consommateurs » de publicité. Concurrence extrême oblige, les compagnies se doivent d’innover afin de se démarquer, ce qui explique que la provocation soit devenue une tendance extrêmement populaire ces vingt dernières années. Les marques n’hésitent pas à provoquer, dépasser les limites et risquer un apparent « hors sujet » (cf Benetton) afin de remplir la finalité essentielle d’une campagne publicitaire : se faire connaître et attirer l’attention.
D’autant plus que « Les entreprises désirent avant tout se faire connaître, même au risque de dégager une image négative et de ne pas mettre l’accent sur leurs produits. Les concepteurs publicitaires savent très bien que, devant deux articles identiques, le consommateur optera pour le produit dont le nom lui est familier. En général, l’image négative de la compagnie s’estompe lorsque vient le temps d’acheter », admet Richard Vézina. La provocation serait donc une technique gagnante sur le long terme, tant que le produit a déjà fait ses preuves par le passé et possède une qualité intrinsèque.

C’est finalement ce paradoxe qui doit nous étonner. Face à la lassitude des consommateurs et la montée de la publiphobie, il devient de plus en plus difficile d’attirer l’attention tout en emportant l’adhésion. Les publicitaires font alors un choix : attirer l’attention et augmenter sa notoriété, quitte à susciter la désapprobation du consommateur. Un phénomène que l’on pourrait appeler « le bad buzz programmé ».
Pas si illogique ?  Nous vivons dans une société où l’hégémonie du buzz est avérée. Le buzz (terme anglais signifiant « bourdonnement » d’insecte) est une technique marketing consistant, comme le terme l’indique, faire parler d’un événement autour d’un événement, d’un nouveau produit. Le nouvel objectif du communiquant serait donc de faire du bruit… à tout prix.

La marque devient maîtresse de son « bad buzz », ce qui lui permet de mieux l’anticiper. Une tactique stratégique à l’heure où les twittos mènent de nombreuses vendettas contre les publicités qui leur déplaisent (cf la Pub LCL avec Gad Elmaleh) mais font néanmoins parler de la marque. Gleeden à surfé sur cette tendance avec brio en début d’année avec ses publicités amorales et provocatrices (cf cet article concernant Gleeden).
Une tactique qui n’en demeure pas moins dangereuse : difficile de déterminer où est la limite et ce qui braquera irrémédiablement un client potentiel.
Doit-on alors la féliciter pour son bad buzz ? Probablement, si l’on considère que le plus important dans l’expression « bad buzz », c’est que « buzz » il y a. La preuve en image:

20cm de pur bonheur
 
Maud Espié
Sources
RIIFR
Vertone

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