Qui veut épouser ma banque ?
« Ca y est, aujourd’hui ils l’ont fait. Elle aussi l’a fait, ce matin. Eux, viennent de le faire. Elle, elle l’a fait hier soir, avec lui. Eux vont le faire, mais là tout de suite euh… Lui l’a fait tout seul, comme un grand. Eux aussi l’ont fait, à l’instant. » Mais quoi ? Qu’ont-ils fait ? Si chacun a une petite idée, beaucoup en rougissent déjà. Et pourtant, honnis soit qui mal y pense.
En effet, déjà en 2011, ce qui émoustillait ces jeunes – et moins jeunes – gens, euphoriques sur des affiches gris-orangées, n’était autre que le passage à la banque en ligne. Grâce à cette campagne pour le moins surprenante, la banque en ligne ING direct s’était alors offert un joli coup de publicité, porté par un effet de buzz savamment orchestré. Très bien, et alors ? Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts me direz-vous.
Oui mais voilà, le numéro un de la banque en ligne a choisi de récidiver, jouant une fois encore la carte de l’ambiguïté entre relation d’un client à sa banque et relation amoureuse. C’est ainsi que depuis quelques semaines on découvre une nouvelle campagne de publicité dont le titre explicite a le mérite d’annoncer la couleur : « Vivez une belle histoire avec votre banque ». La caméra suit alors un élégant jeune homme, attirant, image type du cadre trentenaire prêt à s’engager sans pour autant renoncer aux charmes d’un bel amour. Sur le ton de la confidence, tout en scrutant le spectateur de son regard charmeur, il nous explique : « on a tous nos petits secrets, je sais, mais elle… Elle en avait un petit peu trop pour moi. C’est pour ça que je l’ai quittée. Et depuis j’ai fini par trouver celle qu’il me fallait. Et elle ne me cache rien. » Alléluia, l’histoire semble bien se terminer.
Etrangement, ce discours nous rappelle quelque chose… Et pour cause. La ligne directrice ressemble sans conteste à celle adoptée par la banque concurrente Fortuneo. Pas si étonnant lorsque l’on sait que ces deux campagnes ont été pensées par la même agence DDB. « J’aime quand c’est simple. J’aime quand c’est moi qui décide. Et surtout, j’aime quand c’est offert par la maison. » « J’aime quand ça va vite. J’aime éviter les risques. Et surtout, j’aime gagner. » « J’aime ma banque ». Toutes ces belles paroles sont accompagnées par des images pour le moins claires, montrant par exemple un couple se rendant au restaurant pour un dîner aux chandelles. Mais ce n’est pas tout. Dans leur construction, les spots publicitaires d’ING direct et de Fortuneo se rapprochent fortement des stratégies de communication déployées par des sites de rencontre tels que Meetic pour ne citer que lui. On se souvient de Johann (« 30 ans, inscrit sur meetic ») qui, comme notre cher trentenaire d’ING direct, se confiait en 2013 à la caméra : « Finalement je ne rencontrais plus grand monde autour de moi, j’avais mon petit train-train métro-boulot-dodo… » Et cætera et cætera. D’ailleurs, ING direct pousse le vice plus loin et file la métaphore de la relation amoureuse sur Internet. En témoigne le site nouvellerelation.fr (page lancée par ING direct pour promouvoir ses nouveaux produits) qui clame : « vous n’imaginez pas vivre de belles histoires en ligne ? » Comment dès lors ne pas faire une nouvelle fois le parallèle avec les publicités Meetic qui annoncent d’emblée « 1 nouvelle histoire sur 3 commence sur Internet » ?
Mais alors pourquoi ? Quel intérêt les banques trouvent-elles à se travestir en site de rencontre ? L’agence de communication DDB prétend : « La confiance, la simplicité et la transparence sont des ciments à la fois rares et indispensables pour ces deux types de relation, c’est pourquoi nous avons décidé de faire de ce parallèle le fil conducteur de notre campagne ». Certes, de ce point de vue le lien semble évident. Dans un communiqué de presse, ING direct affirme quant à elle utiliser « un ton volontairement audacieux et décalé ». L’on sait en effet combien l’effet de surprise est appréciable dans toute stratégie de communication. Cette mise en scène inattendue d’une relation amoureuse entre un client et sa banque permettrait donc de dynamiser et dépoussiérer l’image du monde de la banque, souvent considéré comme trop stricte, rigide, ennuyeux et ainsi d’attirer et de séduire une cible plus jeune.
Mais après ING direct et Fortuneo, combien de banques encore auront cette idée lumineuse ? Car à y regarder de plus près, l’on se rend compte que les doubles sens, si ce n’est l’humour sexuel, ne sont pas nouveaux dans le monde de la publicité. Si même les égéries de Liligo, site comparateur de prix pour les voyages aériens, sont « capable[s] de [s]’envoyer en l’air en quelques secondes » ou ont « trouvé le moyen le plus économique pour [s]’envoyer en l’air », on peut craindre que ces effets de buzz ne deviennent, paradoxalement, communs.
Margaux Putavy
Sources
Nouvellerelation
Cbanque
Ilétaitunepub
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