Société

Etats-Unis : la fabrique à show

 

L’un cache des billets à San Francisco en tweetant des indices permettant de retrouver le sésame, tandis que l’autre dénonce les rappeurs américains qui arborent de fausses montres sur Instagram.Rien ne semble rapprocher ces deux phénomènes 2.0, que l’on retrouve respectivement sous le compte de #HiddenCash sur Twitter et de #FakeWatchBusta sur Instagram.

Et pourtant. Le premier à avoir fait le buzz à la fin du mois de mai,  est Jason Buzi, un investisseur américain, qui, après avoir gagné énormément d’argent, a décidé d’en faire bénéficier les habitants de San Francisco. Pour se faire, il a donc opté pour un procédé simple et ingénieux : à chaque somme d’argent dissimulée, le bienfaiteur tweete un indice sur son emplacement, depuis son ordinateur. Une fois découvert, l’heureux élu est invité à tweeter une photo du butin. Ce Robin des Bois qui agit, dit-il, « par plaisir », a fait savoir qu’il espère étendre son projet à d’autres grandes villes comme New York ou Los Angeles et pense pouvoir continuer à vivre à l’abri tout en donnant jusqu’à 1000 dollars par jour. Il s’est décidé à faire don de sa fortune dans la ville californienne car celle-ci détient le plus grand écart de richesse du pays. Depuis qu’il a été démasqué le 10 juin dernier,
#HiddenCash a déclaré vouloir cacher des billets dans les villes de Londres,
Madrid et Paris durant la première semaine de juillet. Un événement
certainement très attendu des européens.

Et c’est d’Europe que vient le deuxième justicier, un trentenaire connu sous le nom de #FakeWatchBusta sur Instagram et qui se dénomme lui-même The Dark Night of Watches. Ce passionné d’horlogerie et de mécanique et collectionneur de montres, s’amuse à divulguer les tricheries des grands noms du rap comme Soulja Boy (rappeur, producteur et acteur américain) ou même des stars internationales comme Garrett Wolff de la NFL (football américain) qui s’affichent fièrement sur leur propre compte avec de fausses montres de luxe – que certains ne savent même pas contrefaites. L’humiliation peut être sévère lorsque la dénonciation se retrouve placardée publiquement sur Instagram, à l’aide d’un « FAKE » rouge sur la photo du détenteur de la fausse montre. Ce qui peut s’apparenter à une chasse plus « fun » que sérieuse, comporte tout de même des risques pour le traqueur qui fuit les menaces de procès.

Finalement, entre ces deux « phénomènes du web », on retrouve cette même volonté de procéder de façon anonyme. Figures modernes des héros de notre enfance, ils se placent dans la lignée des bienfaiteurs masqués qui avancent dans l’ombre – l’ordinateur étant le gadget par excellence du héros moderne -, risquant beaucoup pour maintenir une certaine forme de justice, voire un équilibre entre le bien et le mal. Même si porter une fausse Rollex n’a jamais tué personne, nos redresseurs de tort défendent des valeurs qui sont celle d’une justice sociale contemporaine. Une redistribution des richesses et une dénonciation du « bling-bling » américain n’ont certes pas le même objectif mais l’auto-justice est dans les deux cas symptomatique. Encore appelée « vigilantisme », ce comportement consiste à faire exercer la loi de manière individuelle et en dehors de toutes considérations juridiques légales. Batman ou Spiderman témoignent du succès des justiciers aux Etats-Unis, terre d’origine des héros à capes et des vengeurs inconnus. Pas étonnant que les internautes (nouvelles figures des citoyens) trépignent devant de telles opérations. Une tendance somme toute, pas si moderne…

fakewatchbusta

Un autre point commun réunit #HiddenCash et #FakeWatchBusta : le goût de la mise en scène, voire de la spectacularisation. Le premier s’en sert pour faire preuve de générosité quand l’autre l’accuse. En effet, si Jason Buzi, le riche investisseur, a fait le bonheur de dizaines de citoyens américains en faisant acte de charité, il a surtout choisi de recourir à une communication virale et à une réalisation inédite, en grandeur nature. En France, quand un gagnant au loto décide de reverser une partie de son du à des associations, la discrétion est souvent préférée à l’exubérance et c’est à peine si quelques médias relatent la nouvelle.

Personne ne semble dépasser les américains au jeu de la « surproduction » quasi hollywoodienne. En témoigne l’événement organisé en novembre 2013 par la fondation « Make-a-wish »qui réalise les rêves d’enfants atteints de maladies graves: le petit Miles Scott, souffrant d’une leucémie et fan des supers-héros, a pu vivre son rêve et lui aussi s’armer de sa cape de « BatKid ». Toute la ville de San Francisco – la police, le maire, l’équipe de football, les médias locaux et 7000 volontaires – ont collaboré pour faire de la ville, un Gotham City plus vrai que nature. Le mini-héro a ainsi pu débarrasser la ville de ses méchants, exploit que n’a pas manqué de saluer Barack Obama et la Première Dame.
Boy's Batman Wish

Le faste de ce genre de mise en scène, l’Europe n’est pas encore prête à l’adopter : ne serait-ce pas d’ailleurs ce que dit en partie #FakeWatchBusta en dénonçant la contrefaçon ostentatoire ?

Laura Pironnet

Sources
HuffingtonPost
HuffingtonPost
LesInrocks
LeFigaro

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