Politique

Vkontakte vs. Facebook, les enjeux politiques des nouveaux médias

Dans notre monde ultra connecté, il est aujourd’hui difficile d’échapper aux réseaux sociaux. Ils sont présents partout dans le monde et ont une influence de plus en plus importante dans le champ médiatique et politique. Avec ses 1,7 milliards d’utilisateurs, le géant américain Facebook semble être un leader indétrônable. Pourtant, s’il est le numéro 1 mondial, il n’est pas pour autant premier dans tous les pays. En Chine, le leader n’est autre que Sina Weibo, avec ses 309 millions d’utilisateurs, et en Russie, Ukraine et Biélorussie, il s’agit de Vkontakte (littéralement « en contact »), qui en compte plus de 100 millions. Ainsi, la maîtrise de l’information est devenue, au XXIème siècle, un enjeu essentiel pour les plus grandes puissances de notre monde.
Une concurrence Est-Ouest jusque dans les réseaux sociaux

Profil Vkontakte du fondateur de ce réseau, Pavel Durov

Profil Facebook du fondateur de ce réseau, Mark Zuckerberg

Vkontakte et Facebook semblent incarner une rupture symbolique, un fossé communicationnel entre la jeunesse de l’Est et de l’Ouest. Nous pourrions presque voir dans la création de ce réseau, deux ans seulement après celle de son homologue américain en 2006, la volonté assumée de se démarquer culturellement, en créant son propre modèle dans un contexte d’essor des nouveaux médias. Cette volonté de concurrencer coûte que coûte son rival historique n’est pas franchement un phénomène nouveau pour la Russie, bien au contraire.
Pourtant, et c’est bien là que réside tout le paradoxe de cette démarche, des similitudes troublantes existent entre les deux concurrents. Premièrement, le concept, puisque les deux sites sont destinés à la rédaction de messages publics comme privés, au partage de photos ou de vidéos, à la création de pages publiques, de groupes ou encore événements. La ressemblance réside aussi dans les couleurs dominantes et même dans l’agencement des sites et applications qui sont quasiment identiques.
Au-delà de la volonté de concurrencer le modèle américain, la création d’un réseau social national permet d’instaurer une forme d’autarcie communicationnelle, limitant ainsi l’influence culturelle extérieure.
Les réseaux sociaux, vecteurs de contestations politiques

Manifestations de décembre 2011 en Russie

Sur la scène internationale, la Russie est connue pour sa mainmise gouvernementale sur les médias. Ce contrôle s’exerce par exemple sur la production — la majorité des imprimeries sont propriété de l’État — mais aussi à travers la nomination de proches du gouvernement à la tête des principaux organes médiatiques, comme D. Kisselev, nommé par V. Poutine à la tête de Rossia Segodnia en 2013, et surtout par une forme de pression constante sur les journalistes.
Cependant, Internet et les nouveaux médias restaient des espaces de relative liberté, dont le contrôle échappait au gouvernement qui sous estimait sans doute le rôle potentiel de ceux-ci, du moins jusqu’en décembre 2011. À la suite d’élections législatives, aux résultats jugés frauduleux, la population décide de se rassembler dans la rue pour manifester. Dès lors, les réseaux sociaux, et notamment Vkontakte, sont montrés du doigt et accusés d’alimenter un esprit contestataire envers le régime, puisqu’ils ont le pouvoir de fédérer les masses, de rassembler la foule derrière certaines idées, mais aussi d’importer des principes et idéaux venus d’Occident; ils constituent par conséquent une menace envers l’ordre politique établi.
Vkontakte : Un espace de liberté ou un domaine contrôlé ?

Pavel Durov, fondateur de Vkontakte

Suite à ces événements, le gouvernement russe décide de resserrer l’étau autour d’Internet et des réseaux tels que Vkontakte. Cela se caractérise par exemple par la rédaction d’une loi « contre la calomnie », visant à éviter la diffusion de messages allant à l’encontre de l’ordre établi, limitant ainsi la contestation politique. De même, en 2014, Pavel Durov, le fondateur du réseau social russe est évincé au profit d’Igor Setchine et Alicher Ousmanov, deux proches de Vladimir Poutine. Son éviction a lieu dans un contexte bien particulier, celui du bras de fer avec l’Union Européenne et les États-Unis sur l’Ukraine. Ainsi, sur fond de conflit géopolitique, c’est bien une bataille communicationnelle qui se déroule et dont la clé semble être la maîtrise de l’information.
Pourtant, un problème demeure encore à ce jour pour le régime russe : l’impossibilité de censurer les contenus sur Internet, et donc sur Vkontakte. En effet, une forme de censure sur les journalistes restait possible tant que celle-ci s’exerçait de façon indirecte et ce, sur un nombre limité de personnes, et qu’elle ne nuisait pas à l’image du pays. Le problème des réseaux sociaux réside justement dans le fait que chacun peut produire du contenu, politique ou autre. Censurer les contenus sur Vkontakte reviendrait finalement à censurer une grande partie de la population elle-même, chose tout à fait impensable dans un État dont toute la communication étrangère est basée sur la volonté de véhiculer l’image d’une « démocratie » forte.
Aussi, la Russie – au même titre que les États-Unis et la Chine – semble avoir parfaitement compris les enjeux culturels, mais aussi politiques et stratégiques que représente la maîtrise de l’information à l’ère du numérique.
Lucille Gaudel
LinkedIn
Sources :
Chupin Ivan, Des médias aux ordres de Poutine ?, Savoir Agir, 2014, consulté le 27/12/2016 https://www.savoir-agir.org/IMG/pdf/SA28-ChupinIvan.pdf
Hénin Nicolas, La France Russe : Enquêtes sur les réseaux de Poutine, Fayard, 2016, 221370113X
Laroque Clémence, « Facebook, Vkontakte : quels dangers pour le gouvernement russe ? », Le Courrier de Russie , 20/01/2012, consulté le 26/12/2016 , http://www.lecourrierderussie.com/societe/gens/2012/01/vkontakte-facebook-dangersgouvernement
Lefilliâtre Jérôme, « Comment Poutine a mis la main sur Vkontakte, le Facebook russe », Challenges, Le 22/04/2014, consulté le 26/12/2016, http://www.challenges.fr/monde/ comment-poutine-a-mis-la-main-sur-vkontakte-le-facebook-russe_158593
« En Russie, Poutine accentue son contrôle sur les médias », Le Monde, 09/12/2013, consulté le 28/12/2016, http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/09/vladimir-poutineaccentue-son-controle-sur-les-medias-russes_3528033_3214.html
« Les médias russes entre contrôle interne et propagande externe », 20 Minutes, 2/11/2014, consulté le 28/12/2016
Crédits photos :
– Profil Facebook de Mark Zuckerberg
– Profil Vkontakte de Pavel Durov
– Profil Instagram de Pavel Durov
– Reuters Pictures, Denis Sinyakov
 

Culture

Ni Teen, ni Milf, plutôt Com

Vous les connaissez, sûrement, vous les fréquentez, (sûrement) peut être : les sites pornographiques. Comme chaque entreprise, ces plateformes communiquent à coup de campagnes, de tweets et de buzz afin d’attirer plus de consommateurs. Mais le porno connaît la crise : dans un monde de démocratisation excessive via les plateformes gratuites, souvent illégales qui proposent le contenu des plateformes payantes, seuls deux producteurs du paysage X français subsistent : Marc Dorcel et Jacquie & Michel. Les enjeux communicationnels sont donc importants afin de tirer son épingle du jeu et résister à la pression du marché.
50 Nuances de X
La communication des acteurs du porno est très axée sur le buzz. Cependant, la communication sur le contenu pornographique correspond en tous points à celle du cinéma classique. On retrouve par exemple des sites comme die-screaming.com qui établissent des critiques de films pornos, des tops, des revues et suivent l’actualité des stars et des réalisateurs. Tout comme leurs homologues (un peu) moins dénudés, ces films et leurs castings sont présentés lors de cérémonies dans lesquelles ils reçoivent des prix et disposent même de bandes-annonces. Quid des acteurs et actrices ? Ceux-ci possèdent des comptes Instagram, réalisent des entrevues et font la promotion de leurs films sur des supports spécialisés.

Un passage un peu étroit
Ces entreprises de la pornographie ne disposent pas d’un contexte communicationnel très favorable. La crise du secteur et la difficulté de rentabiliser cette activité leur impose un budget limité alors que les objectifs sont grands. Il est indispensable de résister à la pression des sites gratuits, d’attirer de nouveaux consommateurs et faire connaître la marque et ses produits le plus largement possible. De plus, ils doivent faire face à la censure des médias en général et au puritanisme télévisuel, quand plus aucune égérie porno n’est admise sur les plateaux. En témoigne le blocage du compte Facebook de Marc Dorcel suite à la publication d’une photo d’une femme légèrement dénudée il y a 2 ans. D’autant plus que l’algorithme de censure de Facebook supprime automatiquement tous les tétons qui passent (quand bien même ils se trouvent dans une campagne de sensibilisation contre le cancer du sein). Un comble alors que la consommation de vidéos pornographiques (gratuites) ne cesse d’augmenter et représente des millions de pages vues chaque jour. Bien que le porno soit passé dans les mœurs et que les mentalités soient plus ouvertes sur le sujet, il existe néanmoins une forme de lobbying très prude qui pèse sur l’espace médiatique et restreint les possibilités de communication de ce secteur.
Une communication léchée

Malgré des réseaux sociaux assez hostiles, la communication du porno se fait essentiellement sur internet. Il est impossible aujourd’hui de passer à côté de l’utilisation de la communication digitale ; c’est en effet un média très économique, adapté au manque de budget du secteur pornographique et indispensable afin d’être vu, connu et reconnu. Marc Dorcel dispose ainsi d’un compte Facebook, de comptes Twitter, Instagram, Snapchat et d’une chaîne Youtube. Comptes sur lesquels la marque propose des opérations drôles et originales qui deviennent rapidement virales. La campagne « Sans les mains » par exemple a connu un succès phénoménal devenant un des sujets les plus commentés dès sa sortie.

Les ressources de la marque ne s’arrêtent pas là. Elle utilise tous les outils et toutes les innovations à sa portée afin de se démarquer. Elle a par exemple lancé une campagne de financement participatif simplement pour faire parler d’elle. Elle se positionne également sur le secteur de la réalité virtuelle en teasant la possibilité de bientôt pouvoir regarder des films avec l’Oculus Rift et a lancé dernièrement le porno à 360°.
Marc Dorcel est aussi un habitué du détournement d’autres marques et rebondit continuellement sur l’actualité pour promouvoir ses services. Ces traits d’humour lui offrent une grande sympathie et une énorme visibilité auprès du public, les tweets étant largement repris.

Depuis peu, Marc Dorcel s’est acoquiné avec Marcel, agence de com très innovante, preuve du potentiel de la communication dans le secteur du porno et du défi qu’elle représente. De cette association est par exemple née un coup de pub sur Snapchat nommé Snaptisfyer et illustrant l’orgasme en seulement 20 secondes que promet le nouveau jouet de la marque. La story du géant du porno permettait donc de voir la démonstration, réalisée par une animatrice, de leur dernier produit. Et visiblement, ça fonctionne. MD a d’ailleurs reçu pas moins de 5 récompenses pour sa publicité si bien huilée ! C’est ainsi une union gagnant-gagnant, puisque Dorcel acquiert en visibilité, tandis que Marcel gagne en visibilité grâce à son travail avec un des géants du X.

 

Tweet de Dorcel à propos de #Snaptisfyer
Mais la concurrence est forte dans ce domaine et les sites ou les relayeurs de pornos ne cessent de se montrer plus inventifs les uns que les autres. Pour des plateformes telles que Marc Dorcel il peut donc être difficile de faire entendre sa voix et de sortir des codes afin de se démarquer. Autre problème pour ces sites payants, les plateformes gratuites utilisent la même communication originale qui est elle aussi largement relayée sur les réseaux sociaux. Comme Pornhub et sa vidéo spéciale Noël ou encore le coup de com autour de la recherche de vidéos grâce aux emojis. Deux campagnes très virales.

Le secteur de la pornographie rivalise d’inventivité en termes de communication; un peu dramatiquement, on peut dire que leur survie en dépend. Leur touche humoristique et leur originalité séduit le public malgré la censure à laquelle ils doivent faire face. Censure qui justement, les pousse à innover sans cesse pour attirer les consommateurs. Pourra-t-on assister bientôt à une communication du porno bien plus libérée ? Probable lorsque l’on sait que des publicités n’hésitent plus à utiliser les codes de la pornographie pour séduire les consommateurs. La pornographie est définitivement en train de passer dans les mœurs. Les langues se délient et les tabous tombent.
Alexane David
Sources :
• REES, Marc, Nextinpact,  « L’éditeur Marc Dorcel bloqué 30 jours sur facebook pour une photo », publié le 15/07/14, consulté le 21/12/16
• ROPARS, Fabien, Blog du modérateur, « Interview : La stratégie digitale de Dorcel », publié le 19/08/15, consulté le 20/12/16
• PAULET, Samuel, FocuSur. « Interview : Grégory Dorcel, DG de Marc Dorcel, prince de la luxure et du X en France »,, publié le 16/11/2015, consulté le 21/12/15
• LE ROY, Sylvie, L’ADN. « Dorcel, toujours un coup d’avance », , publié le 24/11/2015, consulté le 20/12/2016
• BONNEMAISON, Romain, Paper Geek, « Pornhub : pour Noël, une pub encourage les gens seuls à regarder du porno », publié le 8/12/16, consulté le 22/12/16
• Pierre, auteur à journaldugeek.com, « PornHub : Un emoji contre une vidéo porno », Journal du geek., publié le 22/4/16, consulté le 22/12/16
Crédits  :
• Marc Dorcel
•   Photo censurée
•  Mikadulte
•  Capture Snapchat du compte twitter de Dorcel
• Vidéo youtube de la chaîne Dorcel, Anna Polina – #SansLesMains
• Screen de la page d’accueil de Marc Dorcel

Société

L’association Promouvoir – entre protection et censure, il n’y a qu’un pas.

On a fini 2016 avec un article sur la polémique autour de la sortie de Sausage Party (film retraçant le périple initiatique d’une saucisse entre deux ou trois connotations pornographiques). On commence donc 2017 en s’intéressant à André Bonnet, figure de proue de l’association « Promouvoir », déboutée le 14 décembre dans sa charge judiciaire contre le film controversé. Ou comment un seul homme fait trembler tout le cinéma français actuel.

Politique

Poutine et le storytelling : une recette surannée ?

À l’heure où la Russie se positionne de façon de plus en plus belliqueuse sur la scène internationale, l’importance de la figure de l’homme providentiel ne faiblit pas aux yeux du Kremlin. Ainsi, la diffusion d’images grandiloquentes et les mises en scène épiques autour du chef de l’État Vladimir Poutine se poursuit avec vigueur pour défendre l’aura d’un leader viril à l’énergie inépuisable.
Poutine chevauchant un étalon sauvage dans les steppes sibériennes, Poutine aux bras de sept mariées de la Place Rouge, Poutine le fusil à la main lors d’une chasse aux tigres … Ces clichés véhiculant les « exploits » de l’ex agent du KGB sont autant d’images familières aux citoyens russes et aux observateurs internationaux qui perpétuent l’édification d’un mythe contemporain autour de la figure du président de la Fédération de Russie.
Derrière la profusion des mèmes à l’effigie du chef de l’État se trouve une stratégie communicationnelle soignée. Celle-ci se décline sous la forme d’un storytelling qui connaît ses premières heures en 2000, lorsque Poutine publie une première autobiographie qui retrace sa trajectoire depuis la petite délinquance dans les rues de Leningrad jusqu’aux dorures du Kremlin.

Un culte étatique de la personnalité
La relance économique de la Russie initiée par Poutine lors de son premier mandat est à l’origine de sa réputation de sauveur de la nation. Cette légitimité du chef de l’État contraste fortement avec celle de son prédécesseur Boris Eltsine perçu comme souffreteux et alcoolique. En découle un désir de la part du Kremlin de perpétrer ce statut à travers une « communication du charisme » particulièrement bien huilée.
Cette communication plonge ses racines dans la propagande communiste stalinienne mais sait exploiter comme il se doit les médias contemporains. En témoigne la forte présence de Vladimir Poutine sur le Web. La vidéo du chef de l’État s’improvisant crooner en 2010 lors d’un dîner mondain ou le clip de promotion d’une agence de publicité où Poutine apparaît en détenu sont par exemple sanctionnée par trois millions de vues en deux jours.
Ces deux vidéos montrent une habilité du Kremlin dans la mobilisation des médias 2.0 dans sa stratégie communicationnelle. Elles attestent également d’un désir de faire écran autour de la personnalité du dirigeant. Les crispations liées au durcissement du régime depuis le début du troisième mandat amènent le pouvoir à vouloir substituer à l’image de l’homme d’État parfois clivant, une personnalité proche du peuple russe.
Cette propagande permet à Poutine s’offrir une image de politicien sérieux et inexorable. Elle lui permet également de s’affirmer comme une figure éternellement juvénile et moderne, qui contraste fortement avec le conservatisme et l’austérité de la politique proposée sur le plan intérieur par l’administration dont il est la tête.
Un simulacre mal dissimulé
Néanmoins, force est de constater que même en Russie, on ne s’y trompe pas. Les ficelles communicationnelles tirées par le Kremlin sont loin d’être aussi novatrices qu’on veut bien le dire, et le succès de Poutine n’est pas tant lié à la qualité de l’image qu’il véhicule qu’au très fort contrôle autour des médias.
L’univocité du discours autour du chef de l’État est perçue par une part non négligeable de la société russe (plus de 20%), notamment la classe moyenne, comme une manipulation grossière. Des initiatives telles que l’érection d’un buste de Poutine en empereur romain en Crimée témoignent du simulacre.

Une grande part des urbains éduqués se détachent ainsi de la figure présidentielle. À travers le prisme des médias étrangers, ils mesurent l’influence du pouvoir russe sur le débat démocratique et constatent l’accentuation de l’autoritarisme malgré les tentatives de charme de la part des dirigeants moscovites.
La désignation par Poutine du nouveau CEO du principal réseau social de Russie (VKontakte) et la réappropriation par le pouvoir des agences de presse les plus importantes, à l’instar de l’agence Ria Novisti, montrent une emprise quasi omnipotente du Kremlin sur le discours tenu autour du dirigeant.
Une influence qui se maintient par delà les frontières
Si cette méfiance se renforce en Russie, il n’en demeure pas moins que l’influence de Poutine à l’international continue de croître. En atteste l’éditorial du Monde du 30 décembre qui l’érige au statut d’homme le plus important de l’année 2016.
« Si D. Trump a monopolisé la « une » de l’actualité en 2016, le véritable homme de l’année qui s’achève est Vladimir Poutine. La course de fond que le président russe a engagée depuis maintenant seize ans pour remettre son pays au centre du jeu est en train de porter ses fruits de manière spectaculaire. » (Éditorial du Monde, 30/12/16)
Une telle prise de position à contre courant des autres principaux quotidiens (Donald Trump est pour beaucoup la personnalité majeure) est due notamment au rôle de premier plan joué par le dirigeant russe. Il s’est illustré dans le cadre des dossiers internationaux et a su encourager également une spectacularisation sa personne au sein des médias et sur le web.
Fougueux, autoritaire et tendanciellement belliqueux, Poutine incarne désormais dans l’imaginaire collectif l’homme politique ayant réussi, de même que son homologue outre Atlantique, à se hisser au-dessus de la pâleur des politiciens internationaux. Il semble incarner désormais une action politique narrativisée à l’extrême au point de rappeler parfois la fiction du cinéma d’espionnage.
La « poutinemania » qui se manifeste chez les dirigeants internationaux, à l’instar de François Fillon, ainsi que chez les internautes, montre que la figure de Vladimir Poutine n’en finit pas de susciter admiration et/ou fascination. Aujourd’hui, nous sommes en droit de spéculer : peut-être y aura t-il a un jour une place pour le grand Vladimir dans le panthéon de la pop culture occidentale ? Son ami et hôte fiscal Gérard Depardieu l’y attend de pied ferme.

Etienne Brunot
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Sources :
« Poutine, Homme de l’année », Editorial, 30/12/2016, Le Monde
« Un buste de Poutine en empereur romain érigé en « reconnaissance de l’annexion de la Crimée », 16/05/2015, Le Monde
« Dans la tête de Vladimir Poutine », Mahieu Salma d’après Michel El, chaninoff, 08/05/2015, Le Figaro
« Une guerre de communication ? La Russie entre propagande d’État et stéréotype occidentaux », Vivien Chauffaille, 09/12/2014, Avril 21
« Poutine, la victoire du culte de la personnalité ? », Stéphane Wojcik, 12/03/2012, Avril 21
Crédits photos:
1. Ouest France, Moscou. Un troisième mandat pour le président Poutine, Modifié le 27/09/2013 http://www.ouest-france.fr/sites/default/files/styles/image-640×360/public/2013/09/27/moscou.un-troisieme-mandat-pour-le-president-poutine.jpg
2: Extra extra, « Vladimir Putin is riding », 10 juillet 2014, http://www.extraextra.fr/wpcontent/uploads/2014/02/poutine-470×245.jpg
3 : https://img.rt.com/files/news/3f/56/50/00/28.jpg, Cast in faux bronze: ‘Emperor Putin’ monument revealed outside St. Petersburg, 17 Mai 2015
4: http://cabelkawan.jallet.org/wordpress/wp-content/uploads/2015/03/poutinebiche-500×326.jpg, Cabel Hawan, « 15 ans de Poutine ! », 26 mars 2015
 

Politique

Fillon et la refonte de la Sécurité Sociale : le premier faux-pas.

Fin novembre et contre toutes attentes, François Fillon l’emportait à la primaire de la droite et du centre, devenant ainsi le présidentiable du parti Les Républicains (LR). Cette victoire a sans doute été possible grâce à la réaffirmation d’une ligne droitière forte portée par un candidat aux convictions conservatrices assumées. Parmi les propositions de son programme, celle portant sur la modification des remboursements de la sécurité sociale a très rapidement fait du bruit dans le Landerneau.
Une remise en cause historique
Pour pallier le déficit de la sécurité sociale, Fillon a exprimé le souhait que seules les maladies chroniques et les infections longue durée soient remboursées par la sécurité sociale; le reste devrait dès lors être pris en charge par les mutuelles. Ce système implique donc des remboursements plus ou moins importants selon l’organisme auquel on souscrit. En somme, il s’agit de faire un pas vers la privatisation de la sécurité sociale en se rapprochant du modèle américain. Seuls les plus nécessiteux, c’est-à-dire les personnes aux revenus trop modestes pour se munir d’une mutuelle, seraient éligibles à une sorte de bouclier sanitaire qui leur fournirait une couverture maladie accrue gratuitement, les préservant ainsi de ce grand recul social.
Avec cette proposition, au départ bien inscrite dans son programme, Fillon est le premier candidat à remettre en question le système de santé français, pourtant plébiscité et pris en tant que modèle par d’autres pays. Ce projet n’a rien d’anecdotique puisque c’est l’esprit et la lettre d’une conquête sociale emblématique de après-guerre qui se trouvent menacés d’extinction. Dans l’article qui lui est consacré dans le journal Libération du 19 décembre 2016, Henri Guaino, député LR des Yvelines, dit à propos de cette réforme : « C’est une purge comme jamais proposée depuis la Seconde Guerre mondiale […] peut-être le pire programme de casse sociale qui a été imaginé depuis 1944 ». Fillon fait donc des mécontents dans tous les camps, y compris le sien. Sans doute parce que sa proposition tente d’effacer le socle du modèle social républicain établi.

Une idéologie libérale en guise de faux-semblant
En lieu et place du modèle actuel dans lequel chaque citoyen consent à un effort financier pour les autres, François Fillon propose de substituer une idéologie de responsabilisation et de souci des grands équilibres. Au point, là encore, de troubler son propre camp et de s’attirer les remontrances de ceux qui y voient une vision moralisatrice du salut par la souffrance. Aujourd’hui tout le monde a le droit à la même pres- tation sanitaire quel que soit sa situation financière. En cela, la sécurité sociale fran- çaise repose sur des valeurs de solidarité. Privatiser, entièrement ou partiellement la sécurité sociale, c’est défaire un pilier de l’État-providence. Donner la priorité aux mutuelles signifie effacer l’égalité entre tous et défavoriser davantage les plus précaires. En effet, d’après Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, cette réforme coûterait des milliers d’euros supplémentaires par an à chaque foyer. C’est donc l’instauration d’un système à deux vitesses que Fillon plébiscite : d’une part se trouveraient ceux qui ont les moyens de se payer le luxe d’être en bonne santé et d’autre part, ceux pour qui ce serait impossible.

L’homme rattrapé par son image
Les primaires républicaines s’adressaient à une fraction de la population. Mais une fois la victoire acquise, la véritable compétition implique de brasser un public bien plus large. Le jeu de la surenchère à droite n’est donc plus autant permis. Dans un souci de réalité et pour ne pas hypothéquer ses chances à la présidentielle, Fillon opère un renoncement malgré lui. Avec ce recul, c’est le spectre de l’homme transparent, pointé du doigt comme tel, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont le courage et l’audace ne sont pas les premières vertus, qui revient. Quoi qu’il en soit, ce renoncement aura tôt fait d’apparaître aux yeux d’un grand nombre de citoyens comme le premier faux pas du grand favori de cette élection, mieux vaudrait alors pour lui que ce soit le seul !
Déborah MALKA
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Sources
BOFF Céline, « Sécurité Sociale : non, François Fillon ne fait pas marche arrière sur ses promesses », 20Minutes, publié le 13/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http:// www.20minutes.fr/economie/1980055-20161213-securite-sociale-non-francois-fillonfait-marche-arriere-promesses
BREZET Alexis, « Sarkozy-Fillon : cinq ans d’humiliations », Atlantico, mis en ligne le 23/ 12/ 2014, consulté le 21/ 12/ 2016. http://www.atlantico.fr/decryptage/sarkozyfillon-cinq-ans-humiliations-1919292.html
EQUY Laure, Interview d’Henri Guaino, Libération, publié le 19/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016.
FARGUES Laurent, « Sécurité sociale : pourquoi Fillon tarde tant à expliquer son programme », Challenges, mis en ligne le 09/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http:// www.challenges.fr/cs-articlebig/securite-sociale-pourquoi-fillon-tarde-tant-a-expliquer-son-programme_442102
France Info, « Quatre propositions de François Fillon sur la sécurité sociale », France Télévisions, mis en ligne le 12/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/quatre-propositions-de-francois-fillon-sur-la-securite-sociale_1965995.html
GODELUCK Solveig, « Santé : les propositions de Fillon font polémique », Les Echos, mis en ligne le 25/ 11/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http://www.lesechos.fr/ elections/primaire-a-droite/0211532561992-sante-les-propositions-de-fillon-font-polemique-2045768.php
LANDRE Marc, « Une pétition anti-Fillon de médecins « pour sauver la Sécu » cartonne sur le net », Le Figaro, mis en ligne le 21/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/12/21/20002-20161221ARTFIG00009-unepetition-anti-fillon-de-medecins-pour-sauver-la-secu-cartonne-sur-le-net.php
« La réforme de la sécurité sociale vue (et revue) par François Fillon », Sciences et Avenir, mis en ligne le 14/ 12/ 2016, consulté le 21/ 12/ 2016. http://www.sciencesetavenir.fr/politique/la-reforme-de-la-securite-sociale-vue-et-revue-par-francoisfillon_108889
Crédits photo : Guillaume TC
Crédits dessins : Charles Fery

Culture

Tempête sur la musique : la déferlante Frank Ocean

Si la musique reste aujourd’hui cette filière prophétique décrite par Jacques Attali en 1977 dans son ouvrage Bruit, celle qui vit les crises et les conflits avant les autres, les autres secteurs de la culture ont quelques années de turbulences et de mutations devant elles. En témoigne cette année 2016 tout juste achevée, qui a vu se mélanger une sortie d’album de Mr. Ocean très préparée, l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché, et de vieilles majors reléguées au rang de simples associées…tout cela dans le tourbillon de la sortie de deux albums, Endless et Blond, hymnes à la création, à l’expérimentation, et surtout à l’abnégation.
À l’image des Daft Punk, rester dans l’ombre est devenu le meilleur moyen d’être sous les feux des projecteurs. Communiquer son art relève du jeu du chat et de la souris, de l’ombre et de la lumière…jusqu’au dévoilement de l’œuvre, celle de la sortie officielle qui suscite bien souvent des conflits d’intérêts. L’art se prolonge sous différentes formes et en être l’unique propriétaire devient un luxe que nombre d’artistes veulent s’offrir. S’exprimer et tout maîtriser : voilà une fois de plus l’exemple que le chef d’orchestre peut être en studio comme derrière les plans de promo.
L’art de trouver le bon tempo…tout en jouant avec les silences
L’attente. C’est ce qui a rongé les fans du chanteur pendant presque quatre ans. Elle n’est pourtant pas à l’origine d’une stratégie marketing. Frank Ocean, au sortir du triomphe Channel Orange,  s’est confronté à la difficulté de retrouver son identité d’artiste, tout en luttant contre le syndrome du deuxième album. Ces quelques années qui ont séparé ce premier album de Blond se sont transformées en saga sans fin pour les fans comme pour l’homme, aussi attendu qu’un messie.
Pourtant, le successeur de Channel Orange n’a pas tardé à faire parler de lui. « Je vais faire la première partie d’Outkast cet été à Pemberton donc je vais peut-être renoncer à Coachella » laissait-il entendre en 2014, annonce suivie d’une bribe de morceau « Memrise », lâchée sur Tumblr six mois après. S’ensuivaient un autoportrait publié sur Twitter, une photo énigmatique avec deux magazines titrés « Boys don’t cry » et « I got two versions. I got twooo versions », une annonce de date de sortie (juillet 2015, qu’il ne respectera évidemment pas), un faux lien iTunes, quelques sons volés publiés sur le net puis vite effacés, une fausse fiche de prêt de bibliothèque listant toutes les dates potentielles de sortie de l’album pour enfin arriver, en juillet 2016, à un article dans le New-York Times annonçant de façon certaine la sortie du tant attendu opus, le 5 août.
En effet, un live stream Apple Music tourne en boucle sur le site du chanteur, depuis le 1er du mois, on y voit Frank Ocean sciant des planches de bois sur fond d’extraits sonores. La vidéo est à elle seule le symbole des années d’impatience : l’auditeur devient le spectateur du travail lent, méthodique de l’artiste qui invite son public à s’attarder. Le 5 août, l’album ne pointe d’ailleurs toujours pas le bout de son nez. Comme si le temps n’était pas un facteur important, Frank Ocean va publier après quatre ans d’attente, à partir du 19 août et en l’espace de deux jours, deux albums : Endless et Blond.
Depuis 2013, l’hystérie collective a vu des millions de tweets défiler sur internet, chacun exprimant son désarroi profond, sa colère de ne jamais voir paraître le disque tant rêvé, ses lettres d’amour ou de haine… Des filtres Snapchat dédiés ont même été créés par la plateforme afin de sustenter les fans avides d’un quelconque signe avant-coureur.

http://frankocean.tumblr.com/post/115712574756/i-got-two-versions-i-got-twooo-versions


Une partie d’échec pour gagner dans la durée
Grâce à la stratégie mise en place avec habileté par Frank Ocean et son équipe, le chanteur s’est libéré du contrat qui le liait à Universal en publiant d’abord Endless, un long album visuel, élusif sans morceau diffusible en radio et peu exploitable en promo pour une maison de disques… pour sortir le jour suivant son véritable nouvel album sur son propre label, en dépit des sommes dépensées par Universal pour financer son nouveau disque. Nous passerons ici les détails techniques et aspects financiers pour nous attarder sur les enjeux de communication d’un tel tour de passe-passe.
Ce coup de poker permet à Frank Ocean de supprimer les intermédiaires en ne se fiant qu’au distributeur, Apple. La marque devient, avec l’autre plateforme de streaming Tidal, un interlocuteur privilégié pour les artistes afin de promouvoir leur musique. Jimmy Iovine, PDG d’Apple Music, déclare dans une récente interview ne pas vouloir pour autant prendre la place d’un label mais « faire de sa plateforme le meilleur lien entre l’artiste, le label, et le consommateur. » Le site de streaming ne se place plus aujourd’hui au simple rang de subordonné à la maison de disques, mais comme un véritable acteur de pouvoir sur la distribution et la diffusion de la musique dématérialisée.
En ne commerçant qu’avec lui, l’artiste peut se permettre de tout décider : quand sortir son album, ce qu’il veut y mettre… L’important pour la plateforme est de détenir l’exclusivité du contenu. L’avantage pour l’artiste : la communication entre lui et son public est directe. Pour Paul May, le plus proche collaborateur de Frank Ocean, « L’art ne peut pas être précipité. Il s’agit de s’assurer d’atteindre l’esthétique parfaite pour la situation. Pour y arriver, cela demande constamment des ajustements, des essais et des erreurs… ». C’est ce qu’offrent Apple Music et Tidal aux artistes les plus rentables : du temps. Frank Ocean a réussi l’impensable aujourd’hui : créer l’espace de liberté le plus total, tant sur le plan de la communication que de la création, tout en étant financé à hauteur de major.

Expérimenter et renouveler les nouvelles formes de création
Avec l’explosion du streaming, on observe dans le top Billboard un changement radical de la proposition musicale des artistes les plus vendeurs. Que ce soit Beyoncé, Kanye West, Solange, Bon Iver, Frank Ocean ou encore Radiohead, chacun développe son art de façon très personnelle, engagée, sans single formaté pour les charts. On remarque que sur Spotify, Deezer et autres plateformes, l’engagement du consommateur n’est plus financier mais un engagement de durée. On prend du temps pour découvrir un tube, on cherche à s’aventurer dans les albums, à se perdre afin de trouver celui dont est issue notre chanson préférée. Dans une époque où nous avons accès à tout, faire un album qui ne cible pas tout le monde est un moyen d’attirer des foules.
Cette logique s’applique aussi à la volonté de re-matérialiser la musique en la prolongeant sous forme de magazine, de coffret vinyle… Frank Ocean l’applique avec la publication gratuite, très limitée de son magazine Boys don’t cry. Le principe de rareté et de gratuité mêlés le placent immédiatement dans l’esprit du fan au rang d’oeuvre d’art gracieuse, désintéressée.
Frank Ocean réussit à faire de l’art avec un objet commercial à grande échelle, et d’un objet commercial considéré comme dépassé, un objet d’art de notre époque. Il expérimente, prolonge, développe dans la longueur l’histoire ce qu’il veut raconter… sans jamais pour autant perdre le nord : « Je sais exactement quels sont les chiffres, a-t-il confié dans une récente interview au NYT. J’ai besoin de savoir combien j’ai vendu d’albums, combien de streamings, quels territoires jouent ma musique plus que d’autres, car cela m’aide à décider où l’on irait faire des concerts, où l’on pourrait ouvrir un magasin de location de voiture, un pop-up store ou quelque chose dans le genre… ». Un chef d’orchestre qui mène son porte monnaie à la baguette.
 
César Wogue
Sources :
– Edward Helmore, Universal reportedly outlaws streaming ‘exclusives’ after Frank Ocean release, 23.08.2016, https://www.theguardian.com/business/2016/aug/23/universal-streaming-exclusives-frank-ocean-release, consulté le 23/12/2016
– Joe Coscarelli, Apple Music: Platform? Promoter? Both., 22.12.2016, http://www.nytimes.com/ 2016/12/22/arts/music/apple-music-platform-promoter-both.html, consulté le 26/12/2016
– Ben Sisario, Frank Ocean’s ‘Blonde’ Amplifies Discord in the Music Business, 25.08.2016, http:// www.nytimes.com/2016/08/26/business/media/frank-oceans-blonde-amplifies-discord-in-themusic-business.html, consulté le 26/12/2016
– Jon Pareles, With Streaming, Musicians and Fans Find Room to Experiment and Explore, 22.12.16, http://www.nytimes.com/2016/12/22/arts/music/streaming-album-bon-iver-kanye-westfrank-ocean.html, consulté le 26/12/2016
– Marine Desnoue, Frank Ocean, la puissance marketing de Blonde, 08.16 http://oneyard.com/ magazine/frank-ocean-puissance-marketing-de-blonde/, consulté le 26/12/2016.
– Jon Caramanica, Frank Ocean Is Finally Free, Mystery Intact, 15.11.16, http://www.nytimes.com/ 2016/11/20/arts/music/frank-ocean-blonde-interview.html, consulté le 25/12/2016
– Adam Bychawski, Apple Music boss denies forcing Frank Ocean to split with his label ahead of Blonde release, 23.12.16, http://www.factmag.com/2016/12/23/apple-music-boss-denies-forcingfrank-ocean-split-label-ahead-blonde-release/, consulté le 25/12/2016
Crédits photo :
– Boys don’t cry®
– Télérama

Culture

Miyazaki du pinceau au stylet

Alors que le « Disney japonais » annonçait la fin de sa carrière après Le Vent se lève, Hayao Miyazaki annonce un nouveau long métrage pour 2020. Version longue du court métrage Boro la Chenille, ce nouveau projet dans lequel la petite chenille sera animée entièrement en image de synthèse, entame la rupture du maître incontesté de l’animation japonaise avec le dessin à la main.
Envers et contre lui
C’est un changement vis-à-vis du processus de création qui semble en contradiction avec les convictions d’un réalisateur qui depuis toujours prônait sa singularité et son indépendance, refusant à Disney les modifications pour la diffusion de Princesse Mononoké. Ce passage du dessin au numérique, du papier à l’écran n’est ni anodin ni arbitraire. La fin du pinceau de Miyazaki, qui se dressait contre les injonctions de production des animés, ne laisse aucun adepte du cinéma d’animation indifférent.
De l’animé à la synthèse
Les dessins animés comme le nom l’indique, sont une suite de dessins qui mis bout à bout prennent vie pour créer des mouvements et finalement des animés. L’animation de synthèse est la création entièrement numérique de personnages sur écran mis en mouvement par ordinateur. C’est Pixar qui inaugura le succès du cinéma de synthèse avec des succès au box office tels que Toy Story en 1996 ou encore Monstres & Cie en 2001. Disney emboita le pas avec d’indéniables succès comme par exemple Madagascar. La différence de processus de production entre ces animés a bien évidement une incidence sur le rendu final : alors que le dessin conserve une esthétique en 2D qui rappelle la BD ou le manga pour Miyazaki, la synthèse donne une sensation confondante de 3D.
Cependant, les différences ne s’arrêtent pas à l’esthétique et les considérations économiques et matérielles de la production cinématographique ne sont jamais très loin. L’image de synthèse répond aux exigences de la nouvelle consommation de cinéma de masse. Moins cher, plus rapide, plus moderne et « plus réaliste », la synthèse donne au numérique sa légitimité sur le marché de la création d’animés. Toutefois, ce changement d’outil et de support chez Miyazaki interroge et inquiète des fans qui y voient la fin d’une époque, d’une tradition, d’un savoir-faire.

Photo : Sausage Party

Photo : Nausicaä de la vallée du vent
Quand le stylet efface le style
Souvent comparé à Walt Disney pour l’ampleur de son succès, Miyazaki se distingue par bien des aspects du géant Américain. Soucieux de ses créations, l’auteur japonais prête une attention très particulière au style et à la précision de ses dessins, allant même jusqu’à repasser plusieurs fois derrière chacun de ses dessinateurs. Cette att
ention est largement perceptible dans le rendu des paysages fantastiques et oniriques de ses longs métrages comme ceux de Princesse Mononoké ou de Nausicaa. L’auteur a d’ailleurs souligné l’importance de l’équilibre entre l’utilisation de l’ordinateur et du dessin.
Mais Boro la Chenille semble contredire cette exigence de la préservation du savoirfaire manuel et semble en même temps annoncer la fin d’une méthode. Le passage du pinceau au stylet s’accompagne d’une modification inévitable de style : l’image finale s’éloigne de ses origines manga et perd l’authenticité du trait pour le réalisme du 3D. Le choix du dessin répondait à l’intention de l’auteur de ne pas reproduire « le réel dans sa forme concrète ». Cette transition s’accompagne également des modifications des conditions de production. L’utilisation de la synthèse raccourcit le temps de production et de création de l’animé, alors qu’un Miyazaki nécessitait cinq à sept ans de travail, Boro verra le jour après trois ans de création.
Photo : layout du film Mon voisin Totoro

La chute d’une légende
Mais au-delà du style, c’est tout un symbole qui s’effrite. En laissant tomber le crayon et le pinceau, Miyazaka semble jeter le voile sur des années de tradition scripturale. Dernier représentant d’une création « à l’ancienne », le choix de l’auteur éveille la peur de l’irréversible, de la transition sans retour d’une tradition de la main à la pratique du clavier. Cette nouvelle réanime l’éternel sentiment d’une perte, celle de la culture de l’écrit, de la création manuelle et du support matériel. Les esquisses et les planches cèdent le pas aux écrans et aux algorithmes et les mains semblent oublier peu à peu les gestes ancestraux qui donnèrent naissance à Chiiro ou Totoro.
Ce dernier film ne signe surement pas la mort du dessin animé mais bel et bien celle d’un imaginaire partagé par des fans attachés aux pratiques qui prévalaient à une époque où l’on avait le temps, où l’on avait sept ans pour faire un monde. Toutefois n’oublions pas que le réalisateur aujourd’hui âgé de 77 ans, aura donc 80 ans à la sortie du long métrage, il est donc permis de croire qu’au lieu de se plier aux injonctions de l’économie et de la culture de masse, l’auteur s’est adonné à celle du temps pour nous livrer une dernière expérience fantastique, celle d’une immersion dans son imagination.
Céline JARLAUD
Sources :
ghiblicon.blogspot.fr Ghibli blog
Documentaire Arte Ghibli et le mystère de Miyazaki
animationjaponaise.wordpress.com
www.franceinter.fr L’art de Miyazaki et Takahata exposé
Crédits Photo :
1; 2; 3

Société

Lancer son application : le parcours d’Honi

Alexandre Le Boucher, 24 ans, a co-fondé avec Pierre Delannoy l’application Honi – Défis en couple, qui propose aux couples de pimenter leur quotidien avec des défis. Avec 30 000 utilisateurs et une forte croissance, Honi est l’exemple d’une start-up qui monte. Mais au fait, comment se lance-t-on aussi jeune dans une aventure entrepreneuriale ? Comment se faire connaître sans argent ? Et surtout, comment rendre son application rentable ? Alexandre a accepté de répondre à nos questions.
Le goût du  risque
Il n’y a pas qu’un seul profil d’entrepreneur. Ce qui les lie est peut-être une chose : le goût du risque. Se lancer jeune, sans expérience, peut faire peur. Mais la jeunesse permet aussi de s’engager dans une aventure sans le poids des responsabilités familiales et des crédits (si l’on est chanceux). Pour certains l’expérience salariale permet d’acquérir la maturité nécessaire au développement d’une entreprise. Même si l’expérience est un échec, un employeur sera aussi bien attiré par le profil d’une personne ayant tenté, innové et créé.
Le risque, c’est donc le moteur de l’innovation, de la création. Lancer une application plutôt qu’une entreprise classique permet cependant de limiter considérablement les risques financiers. En effet, le codage informatique peut s’apprendre grâce à des cours en ligne. La plateforme internet UDEMY¹ propose par exemple des cours dont les prix peuvent atteindre quelques dizaines d’euros, moins risqué que d’engager un développeur dont la facture se comptera en milliers.
Une stratégie de lancement déterminante
Les coûts de lancement limités d’un format digital permettent de développer plusieurs versions. [Effectivement, une fois l’application lancée sur une plateforme de téléchargement (Apple Store, ou Google Store pour Android), les critiques des utilisateurs peuvent être virulentes, mais constructives. Elles permettent d’améliorer l’application, mais peuvent aussi effrayer de potentiels nouveaux utilisateurs. À noter que les captures d’écran de l’application sont aussi de redoutables outils marketing : en deux images seulement, qui se doivent d’être pertinentes et révélatrices, c’est l’esprit de l’application qui apparaît au grand public.
De même, le choix de la catégorie dans laquelle est rangée l’application doit être réfléchi. Pour Honi par exemple, il aurait été peu efficace de la classer dans les « réseaux sociaux ». En la faisant appartenir aux « divertissements », l’application fait face à la concurrence moins directe des autres applications de couple.

Pour accroître le nombre d’utilisateurs, une seule solution : communiquer. Comme le montre Honi, les réseaux sociaux y sont propices. L’application doit avoir sa propre identité, son propre univers pour atteindre la cible. Il est donc primordial que le développeur se détache de son univers personnel, or cette distance est parfois difficile à appréhender quand on crée de toutes pièces un produit. Le choix des réseaux sociaux doit aussi être en lien avec le contenu de l’application.
Pour Honi, Twitter semble peu opportun, puisque c’est surtout par Facebook que les couples communiquent. Posséder une page Facebook est alors indispensable, mais il faut savoir la gérer. Alexandre a par exemple constaté que publier des défis à réaliser sur la page Facebook entraînait des conversations en commentaire entre les couples et aboutissait à de nouvelles adhésions, alors que relayer des articles n’avait pas d’impact. Sur Instagram, le système de hashtag permet de cibler des contenus en rapport avec le thème de l’application. Aussi, en aimant des photos tagguées « amour », par exemple, l’application se fait connaître efficacement chez les couples grâce à des outils gratuits simples à paramétrer, comme Instagress.com qui permet d’automatiser ce processus en ciblant les photos d’un hashtag choisi.

Enfin le community manager (le porte-parole de l’application) se doit d’être exemplaire pour fidéliser et conquérir de nouveaux utilisateurs. C’est un des outils de croissance principal des jeunes start-ups, et il est gratuit. À la différence des grandes entreprises qui l’utilisent davantage comme un système de SAV, le CM est un rôle clé de la communication puisque il est capable d’interagir directement avec les utilisateurs par le biais des réseaux sociaux. Si cette gestion peut prendre du temps, certaines plateformes comme Mailchimp permettent également d’automatiser le mailing à bas coûts.
Communiquer, c’est bien. Gagner de l’argent, c’est mieux.

Un point commun chez toutes les start-up à succès du digital : le recours au growth hacking. En d’autres mots, le « détournement de la croissance ». Ce sont des manières créatives d’accroître le nombre d’utilisateurs, de les pousser à lire, ou encore à signer un contenu, en dépensant le minimum de budget. Hotmail a par exemple inclus la proposition de parrainage (moyen principal d’adhésion au réseau) directement dans l’e-mail. Avec son son “PS : I love you. Get your free e-mail at Hotmail », l’entreprise s’est ainsi démarquée de toutes les autres boites mail du marché et en est devenu le leader en 1996.
Mais Andy Johns, chez Facebook, reste le maître incontesté du growth hacking. Après avoir réuni une « équipe de croissance », testé de nombreuses idées et récolté les impacts de chacune d’entre elles sur le nombre d’adhérents Facebook, Johns et son équipe ont trouvé le hack le plus efficace. C’était le système du badge personnalisé (à l’effigie d’un drapeau, d’un site internet, d’une marque…) que l’utilisateur pouvait afficher sur sa photo de profil.

Une fois le public ciblé atteint, plusieurs options s’offrent au développeur, en fonction de la nature de son application. Le mode freemium, avec des options payantes dans une application gratuite (comme par exemple les modes « hard » de défis avec Honi), peut permettre d’engranger des bénéfices. Plus infaillible peut-être : créer une demande chez l’utilisateur, à laquelle l’application peut répondre. Pour Honi, le lancement prochain de lots d’accessoires, nécessaires dans certains défis et que les utilisateurs ne possèdent pas, constituera une source de revenus certaine.
Le système du drop shipping² semble alors une évidence : le client passe commande au commerçant, lequel transmet celle-ci au fournisseur qui gère les stocks et assure la livraison. Le commerçant ne conserve donc aucun stock. C’est un système gagnant-gagnant, qui fournit des clients aux grossistes et permet au développeur de l’application de rester dans un circuit complètement digital, à l’instar d’Amazon.

Quant à la publicité, elle reste un moyen efficace de rentabiliser un contenu. Mais sur une application, elle est rapidement intrusive et risque de faire fuir l’utilisateur. L’application peut donc prendre la forme d’une place de marché³, pour mettre en relation des utilisateurs avec des services ou des biens payants, tout en prélevant une commission. Honi a par exemple créé une « carte de l’amour » où les couples s’échangent les bons plans à proximité (activités, restaurants). À terme, l’objectif serait de pouvoir réserver directement via l’application, qui prélèverait une commission.
Le m-commerce (ou commerce sur mobile) représentait 10 % du e-commerce en 2015 en France, soit 6 milliards d’euros, avec une forte progression par rapport à 2014 (+50 %). Le format digital offre des possibilités de développement uniques et peu coûteuses.
Louise Cordier
LinkedIn

Index:
¹ UDEMY : https://www.udemy.com/
² Drop shipping : https://fr.wikipedia.org/wiki/Drop_shipping
³ Place de marché : Espace virtuel de rencontre entre l’offre et la demande
Crédits  :
– Application honi sur le site d’apple : screens – PHOTOS 1 et 2
– Wikipedia : image drop shipping : PHOTO 5
– honeytechblog – PHOTO 4
– presswork.me – PHOTO 3
Sources :
• http://bit.ly/2ix4SxF : consulté le 22 décembre 2016
• FIDELMAN Mark, « Meet the Growth Hacking Wizard behind Facebook, Twitter and Quora’s Astonishing Success », Forbes, publié le 15 octobre 2013, consulté le 22 décembre 2016
 

Publicité et marketing

L’anglophonie compulsive des marques françaises

En 1994 était adoptée la loi Toubon dans l’optique de défendre le français dans un environnement publicitaire de plus en plus enclin à recourir à des langues étrangères. Pour autant, les marques ne se privent pas d’employer la langue de Shakespeare (qui doit d’ailleurs se retourner dans sa tombe au vu des emplois qui en sont faits) dans leurs campagnes médiatiques. En déposant des noms de marques ou de produits en anglais, les entreprises contournent la réglementation qui n’impose alors pas de traduction.
C’est ainsi qu’un nouvel emploi de l’anglais, semble en voie de coloniser le paysage du marketing français. Cette liberté prise n’est pas un mal en soi, mais l’on peut toutefois s’interroger quant à l’intérêt effectif d’une pratique peut-être à terme moins profitable que damaging.

Culture

Je parle donc je suis: l'Agora du 93 à l'honneur dans À voix haute

Seine Saint-Denis, c’est d’la bombe bébé. Et c’est ce que prouvent les jeunes participants d’Eloquentia, le concours d’éloquence du 93. Pour la quatrième année, l’amphithéâtre de Paris 8 se transforme en arène où s’affrontent des orateurs en jean-baskets. Avec une verve décapante, ils nous livrent des bribes d’humanité poignantes. Dans À voix haute, diffusé en novembre dernier sur France 2, Stéphane de Freitas suit de sa caméra discrète et sincère la préparation d’une dizaine de ces jeunes. Pendant plusieurs mois, avocats, slameurs et metteurs en scène leur enseignent les ressorts subtils de la rhétorique. Le documentaire qui en résulte est à couper le souffle, ou plutôt, il donne envie de le reprendre dans un seul but : en parler.

L’éloquence est un sport de combat
« J’avais l’impression l’année dernière quand je suis arrivée à la fac que toutes mes origines sociales, la catégorie socioprofessionnelle de mes parents, les établissements quelque peu douteux que j’ai fréquenté (…) ça se dessinait sur mon visage mais surtout sur ma parole. » Le documentaire s’ouvre sur ce témoignage, illustration flagrante de la violence symbolique du « marché linguistique » analysé par Bourdieu dans Ce que parler veut dire. Pour le sociologue, il n’y a de bonne ou mauvaise façon de parler qu’en regard de la norme en vigueur, imposée par les « dominants », légitimée par le système. La jeune fille poursuit en racontant comment sa manière de passer des graves aux aigus la désigne directement comme issue de banlieue : « l’habitus linguistique » est socialement déterminé. Les personnes ne maîtrisant pas la forme standard du langage subissent une exclusion provoquant parfois une « auto-disqualification » qui les contraint au silence. Ce fut d’ailleurs le cas pour l’un d’entre eux: alors qu’il se retrouve à la rue suite à l’incendie de son appartement, les mots lui manquent face au mépris de France Habitation. Pas question de s’apitoyer pourtant. Bourdieu nous a appris à voir la sociologie comme « un sport de combat » : avoir conscience des déterminismes, c’est avoir les armes pour se défendre. Loin de tout fatalisme, À voix haute est le récit de ce combat.

Le réalisateur, un Richard Hoggart du XXIème siècle ?
Le réalisateur Stéphane de Freitas a grandi au sein d’une famille d’origine portugaise en Seine-Saint- Denis. Sa passion pour le basket le propulse à l’adolescence dans les quartiers chics de l’ouest parisien. « Fils de garagiste » VS « fils d’héritier » : pas facile d’y trouver sa place. Quelques années plus tard, diplômé d’ASSAS et de l’ESSEC, il fonde une association pour faciliter le lien social et repenser une société plus collaborative : la Coopérative Indigo, à l’initiative d’Eloquentia. Cette ascension éclair rappelle celle du sociologue Richard Hoggart. Recueilli par sa tante dans une famille de la classe ouvrière du Nord de l’Angleterre, il fut le « contre-exemple exemplaire » d’un boursier issu des classes populaires devenu universitaire de renom dans les années 50. Dans La Culture du pauvre, Hoggart affirmait la non-passivité des classes populaires face à la culture de masse : leurs logiques de ré-appropriation culturelle déjouaient l’idée d’individus réceptacles de la « seringue hypodermique » médiatique (Lasswell). « A la fois proche et éloigné » (1957), entre familiarité et prise de recul, la posture d’Hoggart ne tombait ni dans l’écueil du mépris ni dans celui de la complaisance. Il en est de même pour Stéphane de Freitas. Pas de voix-off ni de métadiscours : les récits de vie s’entremêlent aux performances sans jamais tomber dans le pathos sur-joué du tv show. À voix haute est un cocktail explosif que l’on sirote avec le sourire.
Des philosophes antiques au 93 : la parole efficace et poétique
« Je parlais sans prendre en compte l’efficacité, le but de ma parole. L’objectif était de parler le plus possible, un peu comme des éjaculations de poulet ». Derrière la métaphore saisissante de ce jeune homme se retrouve l’importance de la performativité, étudiée dans les travaux de John Austin. Pour ce philosophe anglais, il est possible de « faire des choses avec des mots ». La force d’une énonciation est d’abord « illocutoire » : elle est dirigée dans un certain sens par l’énonciateur. Mais la visée ultime de tout acte de langage est surtout « perlocutoire » : il s’agit de l’effet produit sur l’interlocuteur. Bien qu’on ne puisse le contrôler, on peut l’anticiper. Se confronter à un auditoire est alors le meilleur exercice qui soit.

Eddy Moniot, vainqueur d’Eloquentia 2016.
Comme Flaubert dans son gueuloir, Eddy fait parler ses textes sur les dix kilomètres séparant son village de la gare la plus proche. Pour Jakobson, on trouve du poétique dans la quotidienneté du langage. Choisir une tournure de phrases plutôt qu’une autre parce qu’elle « sonne mieux », c’est déjà user de la fonction poétique.
Discours, plaidoirie, slam, théâtre… A Eloquentia, l’expression n’a pas de limite. Un point commun : la parole. D’après la distinction Saussurienne, la parole se distingue du langage et de la langue par son caractère éminemment personnel. Parler, c’est donc « se révéler aux autres, et surtout à [soi-même] » déclare le réalisateur. Par là même, les jeunes deviennent « les héritiers de Cicéron ». Cet homme d’état et auteur latin, du 1er siècle av. JC, prône en effet la cultura animi, ou culture de l’âme. De même que l’on peut cultiver son champ, on cultive par la pensée ses idées : l’orateur est celui qui se dévoile à travers le langage.
Leïla et Victor Hugo – A voix haute – INFRAROUGE

Comme l’enseignait Platon dans le Gorgias, un orateur doit avoir la subtilité des dialecticiens, la science des philosophes, la diction des poètes, la voix et les gestes des plus grands acteurs. Alors, à Eloquentia, le corps lui aussi « parle » : on apprend à se servir de la kinésique (gestes et mimiques) et de la proxémie (le positionnement dans l’espace).
De l’importance de l’éloquence

Emmanel Macron hurle  HURLE – Heavy metal  (remix)

« On fait campagne en poésie. On gouverne en prose. » : lors des primaires qui l’opposaient à Barack Obama, Hillary Clinton avait repris cet aphorisme de Mario Cuomo (ancien gouverneur de l’État de New York). Elle cherchait alors à le dépeindre comme un candidat dont la rhétorique ne pourrait se traduire en réalité… On voit bien où ça l’a menée ! Marc Antoine, Martin Luther King et Charles de Gaulle l’avaient bien compris : un discours peut renverser le cours des choses. Mais de l’envolée lyrique à la moquerie générale, il n’y a qu’un pas. C’est ce qu’a prouvé Emmanuel Macron dans son récent meeting, largement parodié en chanteur de hard rock ou en loup en détresse à cause d’une voix un peu éraillée. A la radio, la sentence est particulièrement sévère ; Sonia Devillers l’avoue sur France Inter : « Nous passons notre temps à éliminer des invités parce qu’ils ne parlent pas assez bien ». Alors que les anglo-saxons refont du « public speaking » une discipline à part entière, les français restent maîtres dans l’art de l’élucubration soporifique. Remettre l’accent sur l’éloquence permettrait certainement de (r)éveiller les esprits… alors, qu’est-ce qu’on attend ?
Alice Fontaine
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Sources:
•  A voix haute, Un documentaire écrit et réalisé par Stéphane de Freitas / Co-réalisé par Ladj Ly 
(le documentaire 
n’est malheureusement plus disponible en replay)
•   Claude Grignon, « Richard Hoggart ou les réussites improbables », La Vie des idées, 24 
février 2016. ISSN : 2105-3030.
•  Barbara CASSIN, « ÉLOQUENCE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 décembre 2016.
•  Sonia DEVILLERS – L’instant M « Concours d’éloquence dans le 93 : la parole comme une arme » – France INTER, 5 décembre 2016
•  Alban DE MONTIGNY, « Stéphane de Freitas, créateur d’Indigo, réseau social solidaire », publié sur La Croix le 30/08/2016
Crédits photos:
• France 3 Régions
• Julien Pebrel / MYOP pour NEON
•  Eddy Guilloux