Publicité et marketing

La publicité, une fois encore menacée

Le 8 décembre 2016, le Sénat a adopté en deuxième lecture le projet d’enlever la publicité dans les programmes télévisés des moins de 12 ans, après une première lecture en janvier 2015 par l’Assemblée Nationale.
Cette législation a été proposée par l’écologiste André Catolin dans la volonté d’assurer « la protection et le devenir des enfants ». Pour cela, le sénateur envisage l’arrêt de la diffusion des messages commerciaux (sauf ceux d’intérêt général) quinze minutes avant et après les programmes pour enfants sur les chaînes publiques de France Télévisions et ses dérivés numériques.
Loi d’ailleurs votée en demi-teinte puisque les socialistes et communistes ont séché le vote. La France est loin d’être pionnière dans ce domaine puisque ce genre de loi est déjà appliquée au Royaume-Uni, en Suède, en Espagne, en Belgique et en Irlande, mais notre pays est-il prêt et le sénateur a-t-il bien étudié tous les enjeux de cette loi ?

L’Etat salvateur
En votant ce projet, l’Etat se veut protecteur des enfants. France Télévisions ne peut en effet se permettre de diffuser tout et n’importe quoi sur ses chaînes car l’Etat doit répondre à l’application des services publics ; depuis la loi de 1982 proclamant la fin du monopole des chaînes publiques, l’Etat a un mot d’ordre dans ses programmes télévisés : « informer, distraire, instruire » et encore plus quand il s’agit d’un public jeune. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous l’ère de l’ORTF, la loi du 16 juillet 1949 place le jeune public sous haute surveillance.
André Catolin veut diminuer l’influence de la publicité sur les enfants notamment dans le domaine alimentaire. Déjà à l’époque de l’ORTF et de De Gaulle, des militants traditionnels et catholiques mettaient en garde contre l’impact de la télévision sur la santé, la scolarité et la qualité de vie familiale et alertaient les parents sur le danger des valeurs véhiculées par les programmes télévisés.

 
L’enfant-consommateur perdu ?
A l’inverse des chaînes privées qui ne vivent que grâce à la publicité, les chaînes publiques de France Télévisions bénéficient d’autres moyens de financement comme la redevance (taxe prélevée auprès des téléspectateurs pour contribuer au financement des chaînes de télévision publiques), qui a d’ailleurs été déjà augmentée depuis la loi interdisant les publicités après 20 heures. Mais du fait notamment de cette interdiction, le groupe est en difficulté financière et économique. Alors, le projet voté au Sénat ne risquerait-il pas de fragiliser davantage France Télévision, déjà sur une pente glissante ? Obviously not selon André Catolin. Bien sûr, présentant le projet, le sénateur ne va pas hurler sur tous les toits les risques financiers qu’il entreprend pour le groupe. D’après lui, les pertes liées à l’application de ce projet ne ferait perdre à France Télévisions que dix ou onze millions d’euros. Mais, aurions-nous oublié quelque chose … ? Qu’en est-il des annonceurs ciblés sur le public enfantin ? Vont-ils accepter de continuer leur collaboration avec le groupe si ce dernier lui met des bâtons dans les roues ?
Ces questions ne doivent pas être prises à la légère par les votants car l’enfant représente un véritable consommateur potentiel.
Selon une enquête de Médiamétrie, un enfant entre 4 et 14 ans passe en moyenne 2h30 par jour devant la télévision et moins d’une heure sur les tablettes. Également, la multiplicité des écrans et les changements dans les pratiques d’usage et de consommation des programmes télévisés représentent une mine d’or pour les annonceurs, puisque les formats publicitaires se multiplient comme par exemple les vidéos sur Youtube.
Dès la deuxième moitié des années 1960, la télévision devient une culture transmédiatique et se tourne vers la promotion de l’enfant-consommateur. Fabrice d’Almeida et Christian Delporte disent dans leur ouvrage Histoire des médias en France : « Conscients que l’enfance constitue un important potentiel de consommateurs, le monde des affaires exploite le succès des émissions, en lançant des produits dérivés ou des journaux qui nourrissent l’identification des jeunes téléspectateurs à leurs héros préférés ». La télévision alimente un consumérisme croissant car elle use des héros de télé pour vendre des magazines, des jouets, ou encore des albums. La publicité devient alors un véritable relais aux programmes télévisés car elle permet de montrer les nouveaux dérivés puis les nouveaux produits susceptibles de plaire aux enfants.

Il faut sauver l’enfant Ryan

Chaque enfant serait exposé à 2000 signaux commerciaux par jour. Cette loi viserait alors à éviter la surexposition publicitaire et le consumérisme à outrance. Le sociologue américain John Hartley parle de « pédocratie », c’est-à-dire que l’enfant doit être protégé de « la contamination par la culture de masse ».
L’influence de la publicité sur les enfants, on le sait, peut avoir des impacts sur les pratiques voire même sur les comportements sociaux. La publicité a tendance à rendre naturel ce qui était à l’origine culturel, pour citer Roland Barthes et ses fameuses Mythologies. Alors, les filles s’identifient « naturellement » à la couleur rose de leurs Barbies préférées tandis que les garçons s’orientent vers les voitures ou les pirates.
Selon le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, les enfants de moins de sept ans reçoivent « le programme publicitaire comme une vraie information ». Et ne font pas la différence entre ce qui est montré et ce qui est bon pour eux.
Du fait de ce risque d’identification des enfants aux images diffusées à la télévision cette loi permettrait de seconder le rôle des parents c’est-à-dire : apprendre aux enfants à appréhender les images télévisées non pas comme une reproduction véridique de la réalité, mais comme des constructions.
Alors, pour ou contre cette loi ? La suite, au prochain épisode…
Maëlys Le Vaguerèse 
@lvgmaelys
 
Sources :
– Sonia Devilliers, L’instant M, France Inter, 9/12/2016
– Eugénie Bastié, Le Figaro, 8/12/2016

– Mégane Gensous, e-marketing.fr, 9/12/2016
Crédits photos :
– Joanna Zielinska, fotolia.com, 6/03/2016
– Maxim Kabb, 4/02/2014
– Chouchou Brandley, 2/12/2012

Publicité et marketing

Leçon de bon usage des réseaux sociaux: le bad buzz de la SNCF

Lundi 28 novembre, les followers du compte @SNCF sur Twitter ont eu la chance de tomber sur un tweet inédit : « Chez SNCF l’écart de rémunération hommes/femmes est plus faible que la moyenne. Découvrez nos initiatives #GirlsDay ». Et non ! Ce n’est pas une blague, ni l’œuvre d’un hacker, mais bel et bien le groupe SNCF qui se félicite des écarts de salaire qu’il pratique entre les hommes et les femmes.
Egalité dans les inégalités
Aujourd’hui, en France, selon l’Observatoire des Inégalités, les hommes gagnent en moyenne, 23,5% de plus que les femmes, et près de 11% des écarts de salaires entre les deux sexes restent inexpliqués, et relèvent donc d’une pure discrimination. En outre, plus on progresse dans l’échelle des salaires, et plus l’écart entre les hommes et les femmes est important, en partie parce que les femmes sont beaucoup moins nombreuses en haut de l’échelle.
C’est tout particulièrement le cas au sein du groupe SNCF. En effet, suite au constat déplorable d’un effectif très majoritairement masculin, dès 2006, le groupe a développé des politiques dans le but d’augmenter le taux d’emplois féminins. Pour atteindre une plus grande mixité, certaines actions ont été mises en place.
Ainsi, la SNCF a développé le concept du « Girls’ day », qu’elle nous propose d’ailleurs de dé- couvrir dans son tweet grâce au lien qui renvoie vers la page du site. Le concept est né aux États- Unis dans les années 1990, et la SNCF est la première entreprise française à avoir organisé cet évènement à l’échelle nationale. Il s’agit, pour plusieurs intervenants volontaires, d’accueillir des lycéennes et des étudiantes au sein de plusieurs établissements SNCF et Keolis. L’objectif est alors de découvrir les postes proposés par le groupe, de visiter les établissements, de participer à des forums métiers en présence de femmes exerçant des emplois techniques, ainsi qu’à des ateliers de réflexion sur la mixité des métiers.

La SNCF se montre donc comme un groupe soucieux de l’égalité entre les sexes, et voulant augmenter la mixité au sein de l’entreprise : les recruteurs exigent une candidature féminine au minimum pour chaque poste à pourvoir. À ce jour, 30 692 femmes travaillent dans les rangs de la SNCF, soit 20,33 % des effectifs contre 10 % dans les années 1980. Selon le site officiel, 60,8% d’entre elles travailleraient dans les activités administratives, 5,3% dans les métiers de la traction et 10,6% dans ceux de la circulation.
Twitter, ou la leçon de communication
Ainsi, le groupe a cru bon de « se vanter » sur les réseaux sociaux, de l’écart de salaire qu’il pratique entre les hommes et les femmes : celui-ci n’atteindrait que 4%, et serait donc inférieur à la moyenne nationale française. Le tweet se veut donc en accord avec la politique de mixité du groupe. S’il partait d’une bonne intention, nous avons ici affaire à une belle erreur de communication que les twittos, hommes comme femmes, n’ont pas manqué de souligner par une cascade de réactions. Et si la SNCF s’attendait à des félicitations, l’insurrection sur le réseau social a vite démontré l’absurdité et le scandale d’un tel tweet.
C’est d’abord la journaliste Clara-Doïna Schmelk qui a réagi : « Quand la @SNCF affiche fièrement qu’elle pratique l’écart salarial hommes/femmes, mais moins que d’autres #sexisme #RH ». D’autres utilisateurs ont aussi souhaité répondre directement au groupe en lui recommandant d’attendre que l’écart de rémunération soit nul avant d’en être fier.

Suite à la déferlante de tweets haineux, la SNCF a très certainement compris son erreur et a bien- sûr tenté de se rattraper. En effet, le Community Manager du groupe n’a pas manqué de répondre aux attaques, en se justifiant auprès de chaque twitto : l’écart serait donc lié à « un positionnement sur des métiers moins générateurs d’éléments variables de rémunération » ou encore, « à une différence d’ancienneté ». Chaque tweet de la SNCF est accompagné d’un lien renvoyant à un communiqué de presse expliquant le concept du Girls’ day, afin de rappeler aux internautes les initiatives prises par le groupe en faveur de l’emploi des femmes.

L’importance de l’e-réputation
Mais la vraie question est la suivante : comment une telle publication a pu être validée par l’équipe de communication de la SNCF ? À l’heure où l’e-réputation des marques et des entre- prises est cruciale, en particulier sur les réseaux sociaux, l’une des règles principales du marketing social consiste à « penser public ».
Si la SNCF engage des politiques intéressantes afin de développer l’emploi des femmes, une telle communication ne fait que la desservir. Mais si on s’intéresse de plus près à l’équipe dirigeante du groupe, le fameux tweet n’est finalement pas si surprenant qu’il n’y parait : en effet, un tel fail de communication parait moins étonnant quand on sait que l’équipe dirigeante — le directeur de la communication inclus — est entièrement composée d’hommes. Un regard féminin aurait-il changé la donne ?
Diane Milelli
Linkedin
Sources

• 20minutes.fr « Sur Twitter, la SNCF se félicite de son « faible » écart salarial entre hommes et femmes et crée la polémique » ; mis en ligne le 02/12/2016 ; consulté le 04/12/2016
• Observatoire des inégalités ; « Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes: état des lieux » ; mis en ligne le 27/05/2016 ; consulté le 05/12/2016
• Moutot Dora ; « Sur Twitter, la SNCF se vante de pratiquer l’écart de salaire entre hommes et femmes, mais moins que les autres » ; Konbini ; mis en ligne le 01/12/2016 ; consulté le 04/12/2016
• SNCF ; portrait du groupe, de l’équipe dirigeante et « Girl’s day pour la mixité professionnelle »
• Guernalec Florence ; « E-réputation: les 5 règles à connaître sur les médias sociaux » e-market- ing.fr ; mis en ligne le 22/01/2014 ; consulté le 05/12/2016
Crédits :
 

• SNCF.com

Société

Pape François : un pape 2.0

Depuis 2013, le Pape François a métamorphosé la communication du Vatican. Très présent sur les réseaux sociaux, il met en place une véritable stratégie de communication prônant avant tout l’ouverture à tous. Cependant, ses actions digitales ne plaisent pas à tout le monde et les critiques de certains fidèles créent la polémique. Le pape ne deviendrait-il pas un objet marketing ?
Une rock star des réseaux sociaux
Avec près de 27 millions de followers sur Twitter, le pape rassemble une communauté de tous horizons culturels à travers des profils traduits dans toutes les langues et des publications régulières. Chaque occasion est bonne à saisir pour s’adresser à ses fidèles. En effet, que ce soit sur des problèmes économiques et sociaux, comme la crise des migrants en Europe, ou sur des préoccupations plus religieuses telles que l’Avent, le pape s’exprime assidûment, ce qui s’apparente à une authentique stratégie de fidélisation.

À travers cette hyper-activité médiatique, le pape François confirme vouloir être « le pape des temps modernes », celui qui aura su réconcilier l’Église avec l’époque médiatique. Un pape connecté : ça, c’est nouveau !
Notons également que suite à la création de son compte Instagram en mars 2016, le pape a organisé une rencontre officielle avec le fondateur de ce réseau, Kevin Systrom. Entrevue inattendue pour le jeune PDG, mais aussi pour certains des membres de l’entourage du pape François, déroutés de recevoir la magnat médiatique au Vatican.

Le 24 janvier dernier, lors de la Cinquantième Journée Mondiale des Communications Sociales, le pape à souligné que la communication est le meilleur moyen de propager la miséricorde, valeur essentielle pour le Vatican. Avec une rhétorique puissante telle que « L’amour, par nature, est communication, il conduit à s’ouvrir et non pas à s’isoler. », il développe petit à petit une stratégie nouvelle : celle de la communication 2.0. Une communication qui rapproche plutôt qu’isole et qui doit être au service de la communion : « En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes appelés à communiquer avec tous, sans exclusion ». Il en donne ainsi l’exemple en s’intégrant pleinement aux différents canaux de notre ère médiatique. Ainsi, « tous » ou encore « union », termes qui prônent le rassemblement, reviennent de très nombreuses fois au sein de ce discours qui a marqué les esprits.
Un pape « populaire » qui ne fait pas l’unanimité
Face à cette omniprésence du pape sur les réseaux sociaux, les fidèles les plus récalcitrants à une communication digitale introduisent le débat suivant : un pape populaire est-il légitime ? C’est en effet de « populaire » et « populiste » qu’est qualifié le pape François par certains catholiques. L’idée d’une Église ouverte à tous agace une partie de sa communauté qui se sent délaissée, ayant l’impression de ne plus être le cœur de cible. À vouloir parler aux foules, le Pape ne s’éloigne t-il pas de ses fidèles ? L’hyper-activité médiatique n’est-elle pas néfaste à long terme ? À force de s’exprimer sur une pléthore de sujets, le pape pourrait perdre de son autorité et de son éloquence. Ainsi, un groupe catholique dénonce avec virulence sur Internet celui qu’ils appellent le « pape des masses » ou « pape du spectacle ».
Pape François, un produit marketing ?
C’est précisément cette notion de spectacle qui revient souvent dans la bouche des journalistes. Car , en plus du mécontentement d’une frange de sa communauté catholique, les journalistes et les médias le prennent également pour cible. Tantôt traité de pape « ultra-mondain » tantôt « d’idole virtuelle », la révolution communicationnelle du pape François est sans cesse remise en question. Il est accusé d’être un produit marketing et de mettre en place un culte de la personnalité afin de promouvoir sa religion.
Ces accusations bien que sévères, s’appuient sur de réels arguments.
En effet, le personnage du pape François est mis en avant sur la scène médiatique — rien d’exceptionnel si l’on considère les portraits presque divins de ses prédécesseurs — mais il se retrouve souvent là où on ne l’attendait pas. En février 2014, on le voit par exemple à la une du magazine Rolling Stone. Cette une plus qu’étonnante pour un homme d’Église a d’ailleurs été jugée grossière et honteuse par certains, quand d’autres la saluèrent. Ainsi, bien qu’il soit sans cesse critiqué et accusé de vouloir développer sa marque, le pape François a eu le cran d’intégrer l’Église catholique dans l’ère du numérique. Un effort à saluer quand on connaît la rigidité des protocoles pontificaux.
Steffi Noël
Sources :
• FAURE Mélanie, « Le pape François, roi de la communication digitale » Le Figaro. Publié le 16/03/2016. Consulté le 01/12/16.
• Message du Pape François pour la 50ème journée mondiale des communications sociales. Site officiel du Vatican. Publié le 24/01/16. Consulté le 04/12/16.
• TIBERI Jacques, « François, Pape de la com’ ? » J’ai un pote dans la com. Publié le 29/09/16.
Consulté le 01/12/16.
• DUCHATEAU Jean-Paul et VAN DIEVORT Charles, « Le pape François fait-il surtout du
marketing? » Lalibre. Publié le 31/01/14. Consulté le 04/12/16.
• CESARI Paulin, « Le pape François est-il devenu un produit marketing ? » Le Figaro. Publié le 13/03/2014. Consulté le 03/12/16.
Crédits :
© REUTERS/ Osservatore Romano photographe pour sputniknews.com Twitter
@Pontifex_fr Une du Rolling Stone, Février 2014

Politique

Syria Charity: une stratégie de communication de choc pour sortir l'horreur de l'ombre

Les discours sur les vices et les vertus des outils de communication numériques occupent une place importante dans les discussions de la société. Aussi, il est compliqué de souligner les manifestations de leur pouvoir sans risquer de tenir des propos déjà désuets. Cependant, leur influence considérable sur notre rapport au monde nous pousse quotidiennement à en interroger notre utilisation ordinaire, pour tenter de saisir les nouveaux enjeux qu’ils esquissent (avec leurs promesses et leurs limites).
En ce sens, la couverture des évènements actuels à Alep en Syrie par les médias traditionnels et les réseaux sociaux démontre un nouveau rapport de force dans l’accès de l’information à l’espace public.
L’adage selon lequel la vérité serait la première victime de la guerre est elle toujours pertinente à l’aune de la société 2.0 ?
Alep : le silence des médias français.
Depuis plus de cinq ans, Alep est au centre d’un conflit qui a fait au moins 300.000 morts et engendré la pire crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale.
 Ces dernières semaines, de nombreux bombardements menés par l’armée du président syrien Bachar al Assad se sont multipliés à Alep, tuant quotidiennement des dizaines de civils ( sans compter les nombreux blessés qui ne disposent plus d’hôpitaux pour se faire soigner). Assiégée, la population ne peut s’échapper ni recevoir de l’aide. Ceci, dans le silence le plus total des médias français, focalisés sur Daesh et la lutte anti-terroriste.
« Les morts syriens ne sont qu’un chiffre, il n’auront jamais de visage ni de nom dans nos médias », regrette Ammar Abd Rabbo, journaliste indépendant d’origine syrienne et photographe reconnu.
Comment expliquer une telle omission ? Faut-il tout rejeter sur la fameuse « loi-du-mort- kilomètre » selon laquelle plus il y a de distance, plus notre indifférence face à un drame s’accroit? Dans le cas présent, ce serait oublier les barrières auxquelles se heurte le journaliste en temps de guerre. En effet, il est quasiment impossible de franchir la frontière syrienne, et seules quelques personnes ou marchandises arrivent à réaliser le trajet par des routes illégales et dangereuses.
De plus, les rédactions n’envoient plus de journalistes sur place depuis 2013, à cause du haut taux d’enlèvement ainsi que du danger de mort. Cette année, six journalistes ont été tués en Syrie et neuf sont emprisonnés, selon le recensement de l’organisation Reporters sans frontières.
Ces contraintes compliquent la couverture journalistique des dégâts sur la population civile, et posent les limites des médias dans leur rôle que résume Daniel Bougnoux par cette formule : être une « fenêtre ouverte sur le monde ».
Dès lors, qu’advient il des réalités qui peinent à sortir de l’ombre ? Parviennent elles jamais à atteindre la place publique et par extension, les consciences ?

« Partager pour dénoncer »
C’est la phrase qui accompagne chaque post Facebook de Syria Charity, une ONG d’aide humanitaire et médicale en Syrie dans les zones sinistrées. Sa particularité est d’avoir réussi, à travers les réseaux sociaux, à imposer au monde le quotidien d’Alep jusque là exclu de l’espace public. Longtemps restée confidentielle, sa page Facebook qui compte près de 735 000 abonnés est son principal outil de communication.
Pour créer du retentissement, Syria Charity mise sur une communication de choc. Chaque jour, les membres postent des vidéos insoutenables des bombardements et de leurs victimes, filmés pour la plupart via des Go-Pro fixées sur les casques des ambulanciers.
 Ces vidéos rencontrent un franc succès chez les internautes. La vidéo la plus célèbre datant de Juillet 2016, « plonger trois minutes au cœur de l’urgence et des bombardements à Alep » a été regardée 4.500.000 fois et partagée par plus de 73.000 personnes. À titre de comparaison, l’article du Monde consacré au même sujet a été partagé 29.000 fois dans le même laps de temps.
Cet engouement de la part des internautes a permis à Syria Charity de faire pression sur les médias traditionnels. Mis K-O sur le ring de l’espace public, ils ont commencé à couvrir l’évènement depuis un peu plus d’un mois, comme le rappelle la page Facebook de Syria Charity qui salue chacune de ces initiatives.

Ainsi, ce conflit qui n’avait aucune répercussion médiatique dans les journaux traditionnels a trouvé un espace de compensation sur les réseaux sociaux. Et ce, jusqu’à devenir le conflit le plus documenté de l’Histoire, du moins en terme d’images et de vidéos.
« Je pense que les réseaux sociaux sont là pour compenser, voire corriger un traitement médiatique dans lequel on ne voit pas assez la réalité du terrain. », a dit Mohammad Alolaiwy, président de Syria Charity.
Décidément, les réseaux sociaux ont encore un bel avenir devant eux, bien que leur impact soit à relativiser. Outre les nombreux dons qu’a reçu Syria Charity pour aider la population d’Alep, la sur- visibilité de ce massacre n’a entrainé aucune action concrète de la part de la communauté internationale pour faire cesser les bombardements.
Nous adressons donc une profonde pensée pour toutes ces victimes, prématurément arrachées à la vie par la cruauté de ce monde.
Liana Babluani
LinkedIn
Sources :
• France Culture , « Alep , trop d’empathie tue l’action ? » ( 30.11.2016)
• Regards, « Comment remettre la Syrie sous nos yeux » , ( 28 . 07. 2016 )
• Le Figaro , « Alep Est : la situation dégénère alors que plus aucun hôpital ne fonctionne » (21.11.2016)
Crédits :
• Photo 1 – Capture d’écran de la page Facebook Syria Charity ( 18 Juillet 2016)
• Photo 2 : Capture d’écran du site internet d’Arrêt sur Image ( 20.07.2016)
• Photo 3 : Capture d’écran de la page facebook de Syria Charity ( 2 Décembre 2016 )
• Vidéo 1 : Page Facebook Syria Charity (02.12.2016)
• Vidéo 2 :    Page Facebook AJ+ ( 13.12.2016 )

Société

Dakota access pipeline à l'ère des signaux de fumée

Alors que les médias signalent de plus en plus les dangers que représentent les énergies fossiles pour l’environnement, un scandale écologique et idéologique éclate aux États-Unis dans l’État du Dakota du Nord. Et presque personne n’en entend parler.
La guerre des mondes
Tout a commencé en 2014. La compagnie Energy Transfer Partners, spécialisée dans l’industrie pétrolière, obtient l’autorisation de construire un pipeline reliant le Dakota du Nord à l’Illinois en passant par le Dakota du Sud et l’Iowa. Un projet de près de 2 000 km, et d’un montant de 3,7 milliards de dollars.
Le problème ? Le pipeline est censé traverser la réserve indienne de Standing Rock, située dans le Dakota du Nord. Une terre sacrée, habitée par quelques 8 250 habitants, des Sioux pour la plupart. Mais le fait est que, si les réserves indiennes sont des territoires réservés aux peuples amérindiens, elles restent la propriété des États qui continuent officiellement de les administrer. L’État du Dakota du Nord a donc accepté que ce pipeline passe par Standing Rock, et ce malgré les dangers environnementaux que représente une conduite de pétrole dans un tel lieu habité (d’autant qu’aucune évaluation environnementale approfondie n’a été effectuée).
En avril 2016, des mouvements de protestations pacifiques, menés par l’ainé LaDonna Brave Bull Allard de la tribu Sioux, voient le jour. Organisés autour de trois camps, ils attirent quelques milliers de personnes, amérindiens, dans le but de retarder la construction de l’oléoduc. Une résistance à la fois physique et spirituelle, contre ce qui pourrait être une métaphore du capitalisme américain. Le genre de mouvement qui, dans la ligne de Gandhi et Rosa Parks, séduit et fédère. Quelqu’un qui répond de manière pacifique à une violence manifeste semble toujours plus sympathique que son agresseur. C’est simple, manichéen, vendeur. Pourtant, la couverture médiatique n’est pas au rendez-vous. Étrange, quand on sait que ce genre de sujet suscite souvent l’attention du public.

Cependant, l’État et Energy Transfer Partners ne sont pas prêts à renoncer à leur projet – ni à laisser une poignée de manifestants menacer les matériaux et le chantier de l’oléoduc. Commence alors une phase de répression et de violences à peine réfrénées, contre les manifestants pacifiques : jets d’eau glacés, menaces physiques et morales, surveillance digitale et physique, drones, fils barbelés… Les officiers de l’État semblent avoir sorti le grand jeu. Les affrontements s’enchaînent, se radicalisent, jusqu’à l’arrestation brutale de 141 manifestants et à la mise à feu de l’un de leurs camps. On est en octobre 2016. Peu de temps après, les forces de l’ordre bloquent l’accès au ravitaillement des manifestants.
Il y a quelques jours à peine, le projet de Dakota Access Pipeline a été mis en stand-by par le gouvernement Obama. Une intervention fédérale venant récompenser des mois de protestations silencieuses. La nécessité d’effectuer une véritable estimation des risques environnementaux – chose jusque-là négligée par le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis – a enfin été affirmée. Mais le president-elect Donald Trump, plus libéral et climato-sceptique, pourrait à nouveau faire pencher la balance en faveur du pipeline.

#NoDAPL VS Energy Transfer Partner
Le cas du Dakota Access Pipeline soulève par ailleurs une autre question – celle de l’absence de couverture médiatique de l’évènement. Il est vrai que les protestations se sont cantonnées à un périmètre bien précis, inconnu du grand public. Mais tout de même, on parle ici de violences policières lors de manifestations pacifiques de minorité défendant son territoire, son lieu de vie. Que ces évènements soient presque passés sous silence remet sur le devant de la scène le comportement ambigu des États-Unis envers les Amérindiens.
Les réserves indiennes sont souvent des endroits isolés, c’est-à-dire des lieux où la couverture réseau est faible et l’accès à Internet jamais garanti. Difficile, dans ces conditions, d’informer le grand public via les réseaux sociaux — pratique devenue courante lors de l’organisation de manifestations. Difficile, certes, mais pas impossible. Alors que les grands médias faisaient le dos rond et détournaient le regard, la communauté amérindienne et ses sympathisants se mobilisaient.
Le hashtag #NoDAPL (No Dakota Access Pipeline) voit le jour sur Twitter afin d’appeler à la protestation, mais surtout pour informer du déroulement des évènements, qui sans les réseaux sociaux seraient probablement restés dans l’ombre. Des activistes amérindiens, à l’image du Docteur Adrienne Keene, se font les porte-paroles de leur peuple via des blogs, des articles sur des sites spécialisés, et d’autres réseaux comme Facebook ou Tumblr. Jusqu’à, enfin, se voir reconnaître par l’armée américaine elle-même, qui leur consacre un communiqué sur son site officiel. Pour la première fois depuis le début des protestations, un véritable relais officiel semble avoir été mis en place pour soutenir les habitants de Standing Rock.

#NoDAPL finit par devenir la signature des manifestants et la preuve d’une nouvelle forme de résistance – celle qui s’organise et se répand à travers le prisme des réseaux sociaux, comme autant de signaux de fumée.
«Representation matters »
L’absence de reportages et d’articles sur ces protestations est symptomatique de deux autres problèmes. Tout d’abord, le sentiment persistant pour les minorités que l’histoire se répète. On a souvent tendance à oublier que les États-Unis se sont construits sur les ruines de centaines de camps de tribus indiennes, et que celles-ci n’ont jamais véritablement été rétribuées pour leurs pertes. Au contraire, souvent mal intégrés, victimes de l’isolement et de l’alcool, les Indiens sont pour la plupart cantonnés dans des réserves, comme s’ils ne faisaient pas vraiment partie du peuple américain. Comme si on ne voulait pas reconnaître leur culture. L’absence de couverture médiatique concernant le Dakota Pipeline Access semble en être un exemple frappant.

Les Amérindiens sont souvent passés sous silence dans les médias – on l’a vu avec l’affaire du Dakota Access Pipeline. Mais leur présence dans les médias est-elle véritablement avantageuse ? Comme toutes les minorités, les Indiens semblent souvent limités à quelques traits de caractère – en un mot, à des clichés. La majorité des Américains ne voient les peuples natifs que sous l’image de Chief Wahoo, le logo de l’équipe de baseball, Cleveland Indians. Ou comme le vieux chef de Pocahontas, taciturne, visage fermé, parlant à peine anglais. Les Amérindiens ne sont donc pas vus comme un peuple civilisé – au contraire. Et leur absence de représentation – de représentation juste et réaliste – dans les médias tels que la télévision, les journaux ou même le cinéma — n’est-elle pas aussi responsable de l’indifférence du reste de la population américaine ?
Margaux Salliot
Twitter
Sources :
• Adrienne KEENE, Native Appropration, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections », publié le 1 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Site du camp Sacred Stone, , « DAPL Easement Denied, But The Fight’s Not Over », Publié le 5 décembre. Consulté le 5 décembre.
• « The U.S. Army Cannot Evict Us From Treaty Lands ». Publié le 27 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Bethania PALMA, « Army Corps Denies Easement and Blocks the Dakota Access Pipeline ». Publié le 4 décembre. Consulté le 5 décembre.
• Camille SEAMAN, « Gallery: Portraits from the Standing Rock protests ». Publié le 9 novembre. Consulté le 5 décembre.
Crédits :
• Camille Seaman pour le site Idea.ted.com, « Gallery, portraits from the Standing Rock protests », 9 novembre 2016
• Adrienne Keene pour le site Native Appropriations, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections »,
1 novembre 2016
• Jason Miller/Getty Images pour le site Business Insider, « MLB Commissioner Rob Manfred to meet with Cleveland Indians owner over use of controversial ‘Chief Wahoo’ logo », 25 octobre 2016
• Matika Wilbur, page Facebook du Sacred Stone Camp, 8 septembre 2016

Publicité et marketing

#MANNEQUINCHALLENGE: le défi viral, nouvelle arme de com

Né dans un lycée de Jacksonville, Floride en octobre dernier, le #MannequinChallenge est un défi lancé aux internautes. Il s’agit de filmer une courte vidéo durant laquelle les personnes enregistrées s’arrêtent immobiles au milieu de leurs actions, selon une mise en scène bien élaborée. D’une simple activité ludique à une véritable stratégie marketing, analyse d’une nouvelle arme de communication.
Affirmation d’un modèle
Ce défi tire son nom de la traduction et signification du mot « mannequin » en anglais. En effet, le mot renvoie au mannequin articulé qui sert de présentoir aux vêtements dans les vitrines et rappelle donc l’immobilité.

L’immobilité dans le #MannequinChallenge est très intéressante à commenter car très paradoxale : le format même de la vidéo implique un mouvement dans le temps, observable grâce à l’affichage des secondes qui défilent en bas de l’écran. La dimension virale qui caractérise le modèle du challenge entre elle-même en contradiction avec cette immobilité mise en avant.
Ce défi de l’immobile s’est ainsi répandu à la vitesse de la lumière sur tous les réseaux sociaux.
Le « challenge », ou illusion d’une « communauté internet »
Le « challenge » ou défi fait désormais partie des traditions autour desquelles les internautes trouvent une certaine cohésion de groupe. La présence de défis sur Internet est devenue la norme, une sorte de rituel de passage pour se sentir intégré au mouvement des réseaux sociaux, qui poussent à s’exposer toujours plus. On peut dès lors invoquer d’autres défis qui n’auront échappé à personne tant ils ont été omniprésents sur Internet pendant des semaines, tel que le #HarlemShake, premier défi devenu viral, mais également le #CalculChallenge, ou encore plus récent le #UNameItChallenge, qui consiste à associer une chorégraphie au remix d’une chanson dans laquelle sont énumérés les aliments essentiels au repas de Thanksgiving.
Les défis s’inscrivent dans une durée limitée, leur popularité s’estompe en général au bout de quelques semaines. Il est dès lors intéressant de noter le caractère éphémère de ces défis, face à ce qui semble devenir une permanence du phénomène du défi en tant que modèle et canal de la viralité.
Le format du challenge touche toutes les couches de la société, ce qui accentue encore une fois son rôle dans une cohésion de la sphère internet. En effet, sont impliqués dans le phénomène autant d’ « anonymes » que de stars du rang de Beyoncé. Cela constitue aussi l’attrait du modèle, car il donne l’impression d’une proximité. Il donne l’illusion que la vie des célébrités est à notre portée.
L’avènement de la toute-puissance de la viralité
Sans le vouloir, en choisissant la musique Black Beatles de Rae Sremmurd, les adolescents qui ont inventé le principe du #MannequinChallenge ont permis au duo d’atteindre la première place du Billboard #Hot100, le classement de singles le plus prestigieux et le plus emblématique de l’histoire de la musique américaine. Voilà qui montre la force irrésistible du modèle du challenge.

Bien sûr, récupérer ce challenge créé par des adolescents pour des adolescents, c’est apparaître jeune. En reprenant les codes de la génération Z, on s’y intègre forcément. Hillary Clinton l’a bien compris. La candidate démocrate a souffert tout au long de sa campagne aux présidentielles d’une image de femme distante, loin de la réalité des Américains. L’électorat que représentent les jeunes ne lui a jamais vraiment montré son soutien, lui préférant Bernie Sanders. Qu’à cela ne tienne ! Hillary Clinton et son équipe ont donc décidé de s’adonner au #MannequinChallenge. Elle en profite pour faire passer un message plus sérieux avec touche de dérision : « Don’t stand still ! Vote today. » (« Ne restez pas immobiles ! Allez voter aujourd’hui. »).

Les politiques et les marques ne sont pas les seules à se tirer la couverture, d’autres acteurs  entrent en jeu : les associations. La récupération du #MannequinChallenge par des organismes dont le but est de récolter des fonds pour la recherche sur diverses maladies rappelle évidemment le #IceBucketChallenge, né en août 2014. Ce défi avait été inventé par l’organisation ALS Association, qui œuvre pour la recherche sur le SLA, maladie dégénérative des neurones. L’initiative avait connu un véritable succès, mais avait aussi été l’objet de critiques de la part d’activistes du mouvement #BlackLivesMatter, qui venait alors d’apparaître. Les activistes #BlackLivesMatter accusaient surtout les médias de détourner l’attention en ne parlant que du #IceBucketChallenge et par conséquent d’ignorer les enjeux du mouvement.
Ayant retenu la leçon de l’impact que peut avoir un challenge, le mouvement #BlackLivesMatter utilise à son tour ce gimmick pour dénoncer un système judiciaire raciste et les violences policières.

Ces multiples détournements du #MannequinChallenge par différents acteurs sociaux sont la preuve que la stratégie de la viralité a pris le pas dans le domaine de la communication. Avec le #MannequinChallenge, la récupération d’un élément de culture internet populaire est officiellement devenue un outil marketing qui s’avère très efficace.
Mina RAMOS
@Mina_celsa
Sources :
• VICTOR Daniel, Mannequin Challenge is the new viral sensation you probably can’t avoid, New York Times, 7/11/2016, consulté le 29/11/2016
• KORNHABER Spencer, Finding meaning in the Mannequin Challenge, The Atlantic, 18/11/2016, consulté le 29/11/2016
• ENCALADA Debbie, Mannequin Challenge Video Spotlights Police Brutality, Complex Mag, 11/11/2016, consulté le 01/12/2016
• BRADLEY Diana, How 9 brands are taking part in the Mannequin Challenge, PR Week, 08/11/2016, consulté le 03/12/2016
Crédit :
• Hans Boodt Mannequins

 

Société

Le véganisme: mode de vie du futur ou mode communautaire?

Le Veggie World, plus grand salon végan d’Europe, se définit lui-même comme « LA destination végan Européenne : cool, branchée, trendy – et sans souffrance animale ». Comme lui, de nombreux évènements surfent sur cette vague végane qui emporte avec elle de plus en plus d’adeptes. Véritable religion du manger respectueusement, le véganisme est partout, sur tous nos médias. Sur Instagram, le hashtag #vegan est un des hashtags les plus populaires et les plus utilisés, montrant bien à quel point le véganisme devient de plus en plus une des thématiques majeures de notre époque. Comme tout mouvement, celui-ci divise et suscite de nombreuses critiques et polémiques.

Société

Qu'êtes-vous prêt à payer pour consommer gratuitement?

20 Minutes, Deezer, YouTube, Facebook, Google, autant d’espaces médiatiques que nous utilisons au quotidien gratuitement. En réalité ces médias se rémunèrent en vendant des espaces publicitaires sur leurs plateformes ou leurs supports. Pour cela, ils ont besoin d’attirer une audience et de la préserver. La publicité possède une place à part entière dans le paysage médiatique, et ce depuis la transformation de la presse par Emile de Girardin en 1836. Mais à la différence des journaux toujours payants à l’époque, la publicité est aujourd’hui la condition d’accès aux médias qui présentent leur contenu comme “gratuit”.
Il existe alors un hiatus de plus en plus important entre l’impression de gratuité et la pénibilité des interruptions publicitaires souvent non-pertinentes. Pour se débarrasser de ces interventions encombrantes, il suffit de payer le média (Youtube Red, Spotify…). Rien de plus simple… Sauf si le public rechigne à dépenser de l’argent quand il a eu l’habitude de consommer gratuitement. Le beurre et l’argent du beurre, le contenu sans la publicité.

Jusqu’à présent les plateformes médiatiques avaient le choix entre deux stratégies : l’une qui rendait la publicité très intrusive et pénible et qui poussait l’utilisateur à s’abonner et payer ; l’autre qui plaçait la publicité le plus discrètement possible pour faire en sorte que le consommateur l’accepte inconsciemment. Mais les internautes en ont assez et en dix mois le nombre de français ayant installé des « ad-blockers » a progressé de 20 %.
En revanche, selon une étude menée par Nielsen (1), plus de 55% des internautes se disent prêts à accepter les spots vidéos en échange d’un contenu gratuit. Si imposer une publicité n’est définitivement plus efficace, c’est que le consommateur revendique le choix de prendre part au processus publicitaire. Que sommes-nous alors prêts à faire pour continuer à consommer gratuitement ? Accepter sciemment de regarder de la publicité en échange d’un contenu ou d’un produit serait alors une nouvelle forme de monétarisation.
Une petite pub pour l’homme, un grand pas pour l’humanité.

En décembre 2012, Vincent Touboul Flachaire, 17 ans, a l’idée de développer une plateforme de dons en ligne en recourant à la publicité comme financement. Deux ans plus tard, Goodeed (2) est né. Le site rassemble d’un côté l’Unicef, Solidarités international, Weforest (3), de l’autre les annonceurs, et au centre, l’internaute qui accepte de regarder un spot publicitaire pour financer le projet de son choix.
Résultats : 120 000 membres, 3 millions de donations récoltées, 80% des utilisateurs ont entre 18 et 35 ans, et 70% ont fait leur première expérience du don grâce à la plateforme. Ce qui est particulièrement intéressant dans cette forme de financement est l’âge des donateurs. En effet, pour cette génération Y (4), née avec internet, l’omniprésence de la publicité digitale est familière, voir naturelle.  Rendre utiles ces quelques secondes de vidéo par un don est un avantage que leur portefeuille leur interdit généralement. Le concept de Goodeed offre deux intérêts novateurs : une revalorisation de l’usage de la publicité et surtout le choix pour l’internaute d’y être exposé.
Prochain départ après la pub.

L’idée est bonne et ne s’arrête pas au don en ligne. Depuis le mois dernier, grâce à l’application WelectGo, les habitants de Düsseldorf peuvent payer leurs tickets de métro grâce à la publicité. Pour 80 secondes de spot publicitaire visualisé, l’entreprise propose un billet électronique d’une valeur de 2,60€. L’engouement suscité par la formule est inespéré : en un mois 20 000 personnes ont téléchargé l’application et le stock de tickets s’épuise désormais en quelques heures.
L’histoire de cette start-up est pour l’instant assez marginale mais pourrait bien prendre une ampleur insoupçonnée. En effet, considérer la publicité comme un moyen de paiement accessible à chaque consommateur est inédit et redoutablement efficace. Certaines entreprises l’ont déjà bien compris. Vous êtes bloqué à l’aéroport et vous ne voulez pas dépenser 5 euros pour une demi-heure de connexion à la Wifi ? ViewPay vous laisse choisir la vidéo publicitaire de votre choix, vous la visionnez, et vous voilà connecté jusqu’au décollage de votre vol.
Les produits et services proposés sont essentiellement digitaux pour le moment mais comment ne pas envisager un futur où « l’advertpayment » (5) soit généralisé à toute la consommation ? En effet, on pourrait imaginer que regarder volontairement des spots publicitaires vous fasse gagner des crédits utilisables dans n’importe quel commerce.
L’idée n’est pas si utopique, ViewPay travaille déjà avec des entreprises comme McDonald’s, Peugeot ou Auchan.
Visionner plus pour gagner plus.

C’est une véritable boîte de Pandore qui s’ouvre pour les annonceurs. Là où chaque entreprise dépense actuellement une fortune en stratégies digitales pour que le consommateur regarde sa publicité jusqu’au bout, la monétisation des spots publicitaires pourrait bien rendre ces efforts vains. Le public deviendrait alors demandeur de cette même publicité qu’il cherche aujourd’hui à éviter par tout les moyens.
Mais, cette nouvelle façon de consommer la publicité ne sous-estimerait-elle pas le consommateur ? Michel de Certeau dans L’invention du quotidien rappelle que l’individu a la capacité de transformer les pratiques quotidiennes en établissant des « tactiques » pour détourner les « stratégies des dispositifs ». En clair, qu’est-ce qui garantit que devant l’écran je ne détourne pas le regard ? Mais devons-nous envisager un monde à la façon de la série Black Mirror où chaque individu serait prisonnier de la publicité pour gagner sa vie ? Sommes-nous destinés à être victimes d’un syndrome de Stockholm publicitaire ?
Avant de nous récrier contre l’aspect moral de cette technique, posez- vous la question : diriez-vous non à un repas, un plein d’essence ou à un billet d’avion contre quelques minutes de votre attention ?
Alice Jeanpierre
Sources :
• (1) nielsen.com
• (2) Goodeed.com
• (3) Organisme engagé dans la reforestation et l’environnement.
• (4) Désigne les personnes nées approximativement entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990.
• (5) “Advertpayment”: néologisme anglais désignant la monétisation de la publicité en ligne.
• « WelectGo: Kostenlos mit der Rheinbahn fahren »
• « ViewPay propose le visionnage de publicité contre des services en ligne payants », Offremedia, publié le 2/12/2015
• « Fred & Farid lance l’Advertpayment avec Viewpay, nouvelle ère pour la publicité digitale ? »,  airofmelty.fr, publié le 1/12/2015
Crédits :
• Disney
• Clubic.com
• Goodeed.com
• WelectGo
• La série Black Mirror

Politique

L'IVG, un droit mis en danger

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse existe en France depuis la loi Veil de 1975. Mais la montée en puissance de mouvements comme la Manif pour tous, les Survivants, ou encore de certaines associations catholiques nous indique qu’une partie du peuple français, et ce, quarante et un ans plus tard, n’est toujours pas prête à accepter ce que cette loi prône: le droit au choix.
Un malentendu originel
Désormais complètement légal (dans un délai de 12 semaines de grossesse), l’avortement est accessible à toutes les femmes en France. Dès lors, les « pro-life », qui n’ont toujours pas digéré cette loi, semblent s’être donnés pour objectif de sauver des vies en dissuadant par diverses techniques de manipulation des femmes d’avoir recours à l’IVG, notamment en les attirant insidieusement vers le choix de la grossesse.
L’angoisse principale des « anti-choix », comme on peut tout aussi bien les nommer, semble être que la femme qui avorte ne soit pas consciente de ce que ce geste représente, car ce dernier aurait été banalisé par sa légalisation. L’argument de « l’avortement de confort » est, entre autres, régulièrement repris dans les médias, alors même que les « pro choix » n’ont jamais nié le fait que l’avortement soit une épreuve difficile à traverser. En 1975 déjà, et devant les députés, Simone Veil revenait sur ce point en déclarant: « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. (…) aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. »
Une façon très particulière de conseiller…
Les pro-life sont nombreux et organisés. Ils se sont emparés des moyens de communication modernes avec succès. IVG.net est le site le plus connu du genre. Ses méthodes relèvent de la désinformation et de la dissimulation: il s’agit d’apparaître sous la forme d’un site officiel et neutre, en se gardant bien de préciser ses influences, et tout en travaillant à ce que les femmes intègrent qu’en allant se faire avorter, elles sont en passe de commettre un crime.
Il s’agit tout d’abord de bien choisir son vocabulaire, ce qui consiste par exemple à parler d’enfant, plutôt que d’embryon. Le partenaire masculin sera évidemment immédiatement qualifié de père. C’est ensuite une rhétorique bien ficelée qui est déployée : s’attarder sur la taille du fœtus, sur le fait que son cœur bat déjà, ou encore sur le fait qu’à x semaines, les oreilles sont déjà formées (rendez-vous compte). IVG.net sait aussi très bien cibler ses victimes. En effet, comme les adolescentes enceintes peuvent être particulièrement tentées par l’IVG, le site s’attache à renseigner les jeunes filles à propos des différentes aides qui permettent d’élever un enfant: « Alors le RSA, je sais pas si vous vous imaginez mais c’est quand même une bonne petite somme qui vous arrive tous les mois et avec ça vous avez de quoi nourrir votre enfant ».
AfterBaiz.com ou encore testpositif.com sont des sites plus récents qui cherchent à « réinformer sur la sexualité ». Ils visent les jeunes avec leurs couleurs vives et un ton décomplexé. Notons que le fondateur d’AfterBaiz.com est le directeur artistique de la Manif pour tous. Quant aux Survivants, leur rhétorique fait de chacun de nous des « rescapés » puisqu’un enfant sur cinq ne voit pas le jour pour cause… d’IVG.
Enfin, la désinformation pro-life va jusqu’à la diffusion de fausses photos de bébés avortés. IVG.net se décline en chaîne YouTube (SOS ivg), use et abuse de la publicité sur les réseaux sociaux (page Facebook « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »), et propose également un numéro vert mis à la disposition des femmes se posant des questions sur l’interruption volontaire de grossesse. Quel que soit le média, des méthodes similaires sont employées, comme le prouve Guillaume Meurice lorsqu’il décide d’appeler ce numéro vert pour sa chronique sur France Inter.

Et du côté de la loi ?
Ce site s’adressant aux femmes sur le mode de l’intimidation et de la déresponsabilisation était jusqu’en janvier 2016 le premier référencé sur Google avec le mot clé « IVG ». C’est grâce à l’implication du webzine Madmoizelle, et à l’action de Najat Vallaud-Belkacem que le site a perdu sa première place : c’est désormais le site officiel du gouvernement qui apparaît en premier. Néanmoins, IVG.net reste dans le top 3 des recherches et repasse parfois momentanément en tête. La guerre du référencement n’est donc pas terminée.
Un délit d’entrave à l’IVG existe déjà depuis 2014. Ainsi, le fait de chercher à empêcher une femme d’accéder à un établissement médicalisé pour pratiquer une IVG ou s’informer est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Afin d’aller plus loin et d’empêcher ces sites internet d’exister en tout légalité, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, a proposé d’instaurer un délit d’entrave « numérique » à l’IVG début 2016, visant directement les sites de propagande pro-vie. Après que le Sénat a écarté cette extension du délit d’entrave par un avis défavorable en commission, les citoyens se sont mobilisés et rassemblés autour d’une pétition en sa faveur. Le 28 novembre, alors que l’extension doit enfin être débattue au Parlement, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, demande officiellement à François Hollande de s’opposer à cette réforme, sans succès, car le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 1er décembre avec le soutien de l’ensemble de la gauche et d’une majorité de centristes, et ce malgré l’opposition de la droite qui en appelait à la liberté d’expression. Le 7 décembre, c’est au tour du Sénat d’adopter la proposition, avec 176 voix pour et 123 contre. Il reste désormais à voir comment ce projet va se concrétiser et comment vont réagir les responsables des sites visés.

En 2016, l’IVG n’est pas encore un droit acquis
Vous l’aurez compris, l’IVG est un droit qui, même en France, a encore bien besoin d’être protégé et défendu contre la désinformation. La manipulation guette chaque femme rendue vulnérable par une grossesse non souhaitée. Elle est un mal pour un bien selon les anti-IVG. En effet, manipuler une femme, c’est bien peu de choses, face au sentiment du devoir accompli, face à toutes ces vies « sauvées ».
Est-ce accomplir quelque chose de « bien » que de dissuader une femme d’avorter, est-ce que l’embryon doit être sauvé à tout prix, au risque de gâcher la vie d’une femme qui n’a pas l’envie, la force ou bien les ressources nécessaires pour élever un enfant ? Quid des enfants rejetés, malaimés ?
Toutes ces questions ne semblent pas être au cœur des préoccupations des regroupements pro- vie, qui, bien loin de se mourir, sont de plus en plus visibles. Le combat pour le choix n’est pas terminé. Rappelons par exemple que François Fillon, vainqueur des primaires de la droite il y a quelques jours, estime que l’IVG n’est pas un droit fondamental. La vigilance reste de mise afin qu’à l’avenir le site officiel du gouvernement ou celui du planning familial ne deviennent pas des repères d’anti-choix.
Pour une information non-partisane et respectueuse: ivg.social-sante.gouv.fr ou planning-familial.org
Camille Frouin
Sources :
• RICHE Sophie, « La nouvelle stratégie des anti-IVG », madmoizelle.com, 29/06/2016, consulté le 26/11/2016
• BALLET Virginie, « IVG: le « délit d’entrave numérique » écarté par le Sénat », libération.fr, 29/09/2016, consulté le 26/11/2016
• CHAMBRAUD Cécile et DUPONT Gaëlle, « Le débat sur l’avortement se crispe », 29/11/2016, consulté le 29/11/2016
• ivg.net
• afterbaiz.com 
• testpositif.com
• Vidéo YouTube France Inter, 12/10/2016 « Avec les anti-IVG – Le Moment Meurice »
Crédits :
• Twitter @lessurviivants
• Facebook , capture d’écran « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »

Culture

Le Brouillard d'Arles de Van Gogh, une ombre au tableau ?

On a entendu depuis peu, à la veille de sa sortie en librairie, le débat autour du Brouillard d’Arles (du nom qui était donné aux livres des comptes de commerce). Carnet retrouvé par un particulier qui entretient son anonymat, ce dernier l’a remis à un marchand d’art de sa connaissance en 2008. Mais depuis, experts français et néerlandais sont en désaccord quant à son authenticité. Se pose alors la question du rôle de la polémique dans le champ artistique : est-elle un élément de stratégie marketing ?

Le mythe du carnet retrouvé.
Il porte en lui toute une myriade de symboles et de significations. S’il n’a pas l’honneur de figurer au sommaire des Mythologies barthiennes, on le retrouve volontiers dans l’incipit de films et romans pour la jeunesse (Les Chroniques de Spiderwick, L’Histoire sans fin).
On confère à ce carnet une valeur particulière parce ce qu’il contient dessins et écritures manuscrites. Il fait référence à des temps anciens que l’on retrouve alors, et semble établir une nouvelle proximité avec l’artiste auquel il a appartenu. C’est pour cela qu’ « à la plus parfaite reproduction, il manque toujours quelque chose : l’ici et le maintenant de l’œuvre d’art, l’unicité de sa présence au lieu où elle se trouve. C’est à cette présence unique pourtant, et à elle seule, que se trouve liée toute son histoire. En parlant d’histoire, nous songeons aussi bien aux altérations matérielles qu’elle a subies qu’à la succession de ses possesseurs […]. L’ici et maintenant de l’original constituent ce qu’on appelle son authenticité » (Walter Benjamin, historien de l’art et critique littéraire).
C’est une stratégie marketing de l’inédit qui cherche à promouvoir la rareté et la nouveauté de l’objet en s’adressant à l’émotion du client (il en faut sans doute pour ces 65 dessins vendus à 69€). Son identité est synonyme d’un désintérêt causé par le soupçon, mais le soupçon lui- même a quelque chose d’intrigant, qui pousse à la curiosité. L’œuvre d’art y entretient son mystère, pour échapper à toute explicitation. Elle peut ainsi devenir le centre des regards et justifier de son prix.
Un visage à l’oreille coupée bien connu du public.
Van Gogh est un artiste passé à la postérité au sein de la culture populaire, et nombre d’expositions rencontrent encore aujourd’hui un franc succès (musée d’Orsay, 2014). En même temps, certains de ses tableaux atteignent des sommes astronomiques, à l’image des 66 millions de dollars dépensés en 2015 par un collectionneur asiatique pour L’Allée des Alyscamps.

Maintes fois, l’authenticité des œuvres de Van Gogh a été remise en question par les autorités compétentes : on sait par exemple qu’à partir de 1887 le Docteur Gachet, ami du peintre, a réalisé de nombreuses imitations des tableaux de Van Gogh. Le Musée d’Amsterdam demeure donc toujours extrêmement prudent quant à l’attribution qui peut être faite des tableaux. Ces dernières sont donc rares et, de ce fait, la cote du peintre demeure élevée.
Un objet-œuvre d’art qui anime les médias.
Les médias s’adressent à un citoyen à la fois soucieux de l’information et consommateur en puissance d’œuvre d’art. L’investigation du journaliste fait la promotion, par le choix de son sujet, du produit-œuvre d’art. Si le discours journalistique est polysémique, c’est parce que l’objet l’est aussi : le Brouillard d’Arles vient se placer entre l’œuvre d’art et le produit culturel. D’un côté, ce n’est pas le vrai carnet de Van Gogh que nous tenons entre nos mains, sa commercialisation en fait un produit de masse.
Cette reproductibilité pourrait bien provoquer une dégradation de l’œuvre d’art et réduire cette dernière à l’état de produit (Adorno) – l’objet d’art ne se retrouve-t-il pas « épuisé par le processus de consommation » (Bauman) ? D’un autre côté, les initiateurs de cette publication se disent motivés par un objectif de démocratisation de l’œuvre d’art (et non pas sa marchandisation). La publication demeure indépendante des attentes du public, elle ne répond pas à un besoin. Reste à savoir à qui profite cette publication : à ceux qui ont découvert le carnet ou aux descendants de l’artiste ?
Une communication « spectaculaire » est faite autour de la polémique sur l’authenticité, qui avait pourtant commencé bien en amont. Les experts du musée Van Gogh d’Amsterdam avaient déjà manifesté leur désaccord en 2008 et 2012. Ce point de vue, jusqu’alors méconnu du grand public, était-il susceptible de nuire à la publication du recueil de dessins ? Les éditions du Seuil voient d’un mauvais œil les attaques du musée qu’elles qualifient de « campagne de dénigrement systématique », à laquelle elles auraient préféré la discrétion.
On est pourtant en droit de se demander si, tout au contraire, la polémique n’accentue pas le phénomène de curiosité, poussant finalement à l’achat. Repensons par exemple au procès fait à Baudelaire pour ses Fleurs en 1847, accusées d’« offense à la morale publique et aux bonnes mœurs ». La polémique créée par certains poèmes, leur censure, suscite alors l’intérêt de la population qui s’empresse d’en prendre connaissance, et des illustrations érotiques ne tardent pas à circuler sous les manteaux du marché noir… Jetant contre son gré Baudelaire sur le devant de la scène médiatique, le procureur général Ernest Pinard avoue lui-même que «si la poursuite n’aboutit pas, on fait à l’auteur un succès, presque un piédestal ; il triomphe, et on a assumé, vis-à-vis de lui, l’apparence de la persécution. ». Le recueil n’est réhabilité dans son intégralité qu’en 1949 mais il est, à sa sortie, déjà connu de tous.
Si la médiatisation du poète n’était pas de son fait, on peut se demander si celle qui est faite
autour du Brouillard n’a pas quelque intérêt. On apprend dernièrement que le musée d’Amsterdam refuse le débat public engagé par les éditions du Seuil, qui avait pour objectif de mettre fin à la polémique : sans arguments pour se défendre ou volonté de faire durer le débat ? En allant à l’encontre des experts français, le musée d’Amsterdam espère peut-être réaffirmer sa figure d’autorité et assurer son monopole sur la figure de Van Gogh. On se rappelle en effet qu’il s’était une première fois trompé sur l’attribution du Coucher de soleil à Montmajour.
Campagne de promotion volontaire ou collatérale, c’est en tout cas un coup de pub réussi pour sa rentrée en librairie, qui ne s’est pas faite dans la discrétion. Et quand bien même il devrait s’agir d’imitations, ces esquisses auront eu le mérite de faire parler de Van Gogh.
Lucie Couturier
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Sources :
•  « De l’œuvre au produit culturel », Dominique Sagot-Duvauroux, HAL archives ouvertes, février 2010.
• « La découverte de nouvelles œuvres attribuées à Van Gogh », Gilles Perrault, Revue Experts n°17, décembre 1992.
• « Un carnet de dessins inédits de Vincent Van Gogh dévoilé à Paris, le musée du peintre néerlandais assure qu’ils ne sont pas de sa main », The Huffington Post, novembre 2016.
• « Des Van Gogh dans le brouillard », Le Monde, novembre 2016.
• « Des dessins ‘‘inédits’’ de Van Gogh, contestés par le musée d’Amsterdam », Le Monde, novembre 2016.
• « Dessins de Van Gogh : la contre-expertise hollandaise », Eric Bietry-Rivierre, Le Figaro, novembre 2016.
• « Vincent Van Gogh, un carnet dans le brouillard », Julie Malaure, Le Point, novembre 2016.
• « Un tableau inconnu de Van Gogh dormait dans un grenier », Le Monde, septembre 2013.
• « Le « faux’’ Van Gogh était en fait un vrai », Sara Webb, Pascal Liétout pour le service français, Le Nouvel Observateur, septembre 2013.
• « Polémiques médiatiques et journalistiques », Ruth Amossy et Marcel Burger, revue SEMEN, 2011.
• « Affaire Van Gogh: Le Seuil dénonce une « dérobade » du Musée d’Amsterdam », Le Parisien, novembre 2016.
• « Van Gogh en plein brouillard », Georges Bourquard, Le Dauphine, novembre 2016.
• « Procès des Fleurs du Mal : condamnation et censure de Charles Baudelaire en 1857 », France pittoresque, février 2014. D’après Le Figaro, 5 juillet 1857 et La Revue des Procès contemporains, 1885.
Crédits :
• Ouest France.
• La Croix.