Culture

Sugar Man, la recette d’un succès au cinéma

 
Si Sugar Man raconte la trop tardive notoriété de l’artiste Sixto Rodriguez, ce documentaire connaît lui un véritable succès. Les critiques sont élogieuses et les spectateurs au rendez-vous. L’Oscar 2013 du meilleur film documentaire qu’il a reçu parfait cette belle trajectoire, alors qu’il semblait à l’origine destiné à un public restreint. Une succes story laissée aux mains du hasard ? Pas si sûr ! Ce film illustre parfaitement certaines tendances de l’industrie culturelle. La preuve ici qu’il n’y a pas que du sucre dans Sugar Man.
Ingrédient n°1 : le documentaire
Le temps où documentaire rimait avec « longues séquences animalières sur France 5 à l’heure la plus creuse de la nuit » est révolu. Et pour cause, il est devenu un genre cinématographique à succès. En investissant le grand écran, et c’est bien ce dont rêvent de nombreux réalisateurs, le documentaire devient vecteur d’émotions. Lorsqu’il est animalier, il propose des sujets universels, des images belles et spectaculaires. Souvenez vous du Peuple migrateur en 2001, lui aussi récompensé aux Oscars et plébiscité par le public. Quand il s’agit d’affaires humaines, il doit décrypter et nous ouvrir les yeux sur un système opaque pour nous faire réagir. Inside Job, oscarisé en 2011, éclairait et dénonçait ainsi les rouages d’un système financier planétaire, qui a engendré cette crise économique dont on peine à sortir.

Dans la sauce, on veut des histoires !
Sugar Man, c’est encore une autre recette. C’est le nec plu ultra de ce qu’on appelle, pardon d’utiliser encore cette expression, le storytelling. L’histoire vraie d’un homme simple, élevée au rang de mythe. Un homme qui aurait du être une star mais qui, au lieu de ça, a vécu dans l’ignorance de son succès et dans la plus grande modestie. Le documentaire vient alors réhabiliter Rodriguez et sa musique qui cartonne également. Car c’est bien la première visée d’un documentaire : s’approcher du réel, le dépeindre. Mais pour attirer le public, la réalité se doit d’être romancée et embellie. C’est l’un des rares reproches qui a pu être adressé au film par quelques critiques (voir Le Monde). L’histoire de Sugar Man est véritable mais l’omission de certains éléments rend le récit plus parfait. Si le réalisateur avait mentionné le succès du chanteur en Australie et en Nouvelle-Zélande dans les années 70, ce documentaire aurait été plus réaliste, mais aussi moins spectaculaire. N’est ce pas alors la fonction première du documentaire qui est ici bousculée ? A chercher plus d’authenticité, la construction médiatique ne fait peut être que s’en éloigner.
Ajouter une stratégie bien léchée
Au delà de sa belle réalisation sur laquelle on ne s’étalera pas ici (car elle est l’objet de quasiment toutes les critiques du film), le succès de Sugar Man s’explique aussi par un bel accompagnement marketing. Comme l’explique la productrice Michèle Halberstadt dans le Monde, le film a bénéficié de la technique « platform release » : le film sort d’abord « dans un nombre restreint de salle pour susciter le désir ». En France, après une projection VIP avec stars et show case de Rodriguez lui même, il n’a d’abord été visible que dans quelques salles parisiennes. Quelques villes de province ont pu ensuite le projeter, et il ne cesse encore de voir sa diffusion et son succès augmenter. « D’un opus branché, on est passé à une œuvre populaire, que le grand public veut voir par curiosité ».
Assaisonnement subtil, entre élitisme et populaire
Cette technique marketing est aussi révélatrice d’un phénomène sociologique observable, car elle s’adapte à une population aux goûts culturels de plus en plus éclectiques. Comme le disait le sociologue Olivier Donnat, on est passé de l’exclusion à l’éclectisme. Plus besoin aujourd’hui de rester cantonné à un genre selon son appartenance sociale ou son niveau d’étude pour construire sa légitimité culturelle. Pour résumer, c’est s’intéresser un peu à tout qui est bien vu aujourd’hui, et les frontières entre culture d’élite et culture populaire sont de plus en plus floues. Cette hybridité culturelle peut déclencher une deuxième dynamique : le besoin des élites de se démarquer à tout prix. Une œuvre, devenue populaire, peut alors être réévaluée par les critiques intellectuelles. The Artist ou encore les Intouchables, acclamés à leur sorties par la presse, ont vu leur qualité souvent remise en cause après avoir été massivement récompensés. Il n’est pas toujours bon d’aimer ce que tout le monde aime.
Ainsi peut on déjà s’attendre à ce que Sugar Man, chouchou de la presse, soit de plus en plus critiqué à mesure que son succès s’accroit. Commence alors le décryptage du documentaire : on cherche à connaître la vérité qui se cache derrière ce qui est censé déjà être la réalité.
Un mélange production-critique-public à consommer sans modération !
 
Agathe Laurent
Sources :
« Sugar Man » : les raisons d’un succès bien huilé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man » : un « storytelling » soigneusement agencé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man », le conte de Noël d’un rockeur miraculé, LE MONDE | 25.12.2012
Le succès grandissant des documentaires au cinéma, Le Point
– THÉORIE DU FILM DOCUMENTAIRE (PENSER LE CINÉMA DOCUMENTAIRE : LEÇON 3)
– Le phénomène « Sugar Man »
– Critiques de presse sur AlloCiné des films SugarMan, the Artist, les Intouchables
– Sociologie de la communication et des médias, Eric Maigret

Culture

La French Touch est-elle Made in France ?

 
Continuons notre dossier spécial made in France avec Le Gorille – le webzine musical du CELSA – qui nous parle de la French Touch. Cette dernière montre à quel point la construction d’un imaginaire est décisive, et que les Français eux-mêmes sont souvent les premiers à convaincre.

Produite en France, par des DJs et des graphistes français, il aura fallu la reconnaissance internationale pour que ce phénomène musical qu’est la French Touch soit pris en considération comme une production culturelle française à part entière.
Longtemps absente de la scène électronique, de son histoire et de son imaginaire, la France a finalement trouvé une place de choix, à partir des années 1990, à travers le mouvement French Touch.
Éloigné des codes de la musique française, la French Touch est un mouvement polymorphe qui naît au début des années 1990 et s’illustre par une facilité à s’exporter au-delà des frontières hexagonales. Elle est le fruit d’un ensemble d’artistes, issus de la même génération, qui investissent le champ de la musique électronique en renouvelant et en enrichissant son approche. De fait, outre la production musicale, le phénomène utilise avec habileté le domaine de l’image. Martin James, journaliste anglais considéré comme le premier à avoir utilisé l’expression « French Touch », précise :
« Pour beaucoup, il n’existait aucune règle précise quant à ce genre musical qui, selon moi, n’en était d’ailleurs pas un. Je définirais plutôt la French Touch comme un phénomène post-genre, caractérisé par ses références culturelles et son origine urbaine ou nationale, plutôt que par une forme musicale, une imagerie ou un comportement de type tribal comme en retrouve sur d’autres scènes musicales plus spécifiques. »
Une même génération d’artistes, celle des digital natives, se rencontre ainsi sous le chapiteau de la musique électronique. Les années 1990 sont celles de la culture du mix, du copié-collé, du détournement et sont marquées par l’utilisation d’un outil omniprésent : l’ordinateur. Ainsi, musiciens, labels, graphistes participent ensemble à la création de nouvelles écritures nourries par l’univers culturel anglo-saxon
La synergie entre musique et graphisme s’explique alors par la nature même de la musique électronique et par une philosophie commune qui s’incarne dans le rejet du star-system et de ses codes marketing. Ainsi l’esthétique de la French Touch a pour principe l’absence de représentation des artistes afin de donner une identité visuelle à une musique abstraite. En un mot, les protagonistes ont voulu mettre en avant la musique plutôt que la personnalité des artistes. Musicalement, la French Touch, c’est également une certaine chaleur donnée à la House à travers la prééminence de samples disco et funk, entre autres. Nick Clift, Directeur Marketing chez Astralerks Records, explique :
« Les Français savent donner du style, de la fraicheur, de l’énergie à la musique qu’ils produisent ! »

(Hold Up – Super Funk 1997)
Parallèlement, l’émergence du home studio participe pleinement de cette effervescence dans une atmosphère originelle déjantée, clandestine, droguée aussi. Cet esprit indépendant et l’affranchissement vis-à-vis des majors que permettent les nouvelles structures – le home studio en tête – donnent ainsi naissance à une liberté créative qui représente une part constitutive dans la mise en place d’une nouvelle esthétique, musicale et graphique. Entre 1993 et 2001, sous l’impulsion de la French Touch, les ventes du Bureau export de la musique française sont multipliées par 26, passant de 1,5 million à 39,3 millions de disques.
Si la chaleur apportée à la musique électronique par nos compatriotes DJ constitue l’élément caractéristique de la French Touch, le mouvement se caractérise également par un élan d’innovation en termes de communication artistique. En effet, la synergie entre graphisme et musique fut à l’origine d’une nouvelle manière de communiquer la musique.
Le savoir-faire French Touch : la communication 360˚ avant l’heure
Avant les années 1990, la production d’un projet autour d’un artiste était éclatée entre une multitude d’acteurs, chacun apportant sa patte à l’objet final. L’artiste écrivait ses titres et l’album était produit sous la contrainte financière imposée par le label. A la sortie de l’album, la production de clips et de visuels était l’apanage des services artistiques internes aux maisons de disque. La mise en scène des spectacles restait quant à elle secondaire, seules la musique et la personnalité de l’artiste ayant une réelle importance.
Si les graphistes américains et anglais investissent le support « pochette » dès le début des années 1970, il faut attendre en France les années 1990 et les débuts de la musique électronique pour que les hommes d’images commencent à quitter leur support privilégié, à savoir l’affiche.
C’est alors que se met en place une collaboration étroite entre les musiciens et les graphistes de la French Touch, pour accompagner chaque sortie musicale d’un univers pictural et scénique unique. L’identité visuelle, créée à partir des codes de la culture pop, est désormais déclinée sur tous les supports de communication permettant ainsi d’entourer l’artiste d’une image de marque cohérente et immédiatement identifiable.
En 1999, Antoine Bardou-Jacquet, l’un des deux fondateurs de l’atelier de graphisme indépendant H5, expliquait :
« Alors que dans une agence de pub ou une major tu ne rencontres pas l’artiste mais plein d’intermédiaires, des chefs de projet, de marketing, nous on travaille avec les labels dans la proximité, la confiance, la spontanéité. »
Et les ventes s’en suivent ! Adam Scott, disquaire indépendant à New York :
« Les Français font de très belles pochettes, c’est pour ça qu’ils vendent beaucoup d’albums »
L’album Super Discount d’Etienne de Crecy reste à ce titre l’un des exemples les plus marquants de la décennie 1990 et du savoir faire français en termes de communication par l’image. L’agence de graphisme H5, en collaboration avec le label indépendant Disques Solid, habille l’album d’une pochette forte en couleur qui détourne les codes de la société de consommation pour un impact visuel maximum – pochette qui servira plus tard de tatami à deux judokas un peu allumés sur le clip « Prix Choc » et qui sera revisitée en rose pour le second volume Super Discount 2.

Et à ceux qui douteraient de l’existence d’une véritable intention stratégique, les petits génies du marketing qui composent le duo Daft Punk répondent lors d’une interview donnée au magazine Coda en Juillet 1998 :
« On a travaillé de très près sur les pochettes, les vidéos. Ca a été notre plus gros boulot de l’année 97. Finalement, les moments de création qu’on a eus en 97, c’était par rapport à toute la production audiovisuelle. »

Et c’est ainsi qu’on retrouvera sur les trois premiers albums studio du groupe un seul et même logo, abrasif à souhait et décliné en couleurs et en matière pour une image de marque toujours intacte aujourd’hui !
Nul n’est prophète en son pays : la French Touch et le jeu de miroir du Made in France
Inspirés des productions House de Chicago et Detroit, les DJ français s’approprient donc la frénésie mécanique propre à cette musique. Ainsi, la French Touch est fondée sur un paradoxe : voilà une production perçue comme française, dont les DJ sont Français, dont les graphistes sont formés dans des écoles françaises mais dont les racines se trouvent principalement outre-Atlantique et outre-manche. De plus, même les influences plus larges dépassent le cadre hexagonal. Eric Morand, co-fondateur du label F Communications (dont le logo détourne le macaron France destiné aux voitures) raconte :
« Mes parents écoutaient Brel et Brassens. Moi, je n’écoutais que de la disco américaine, plutôt soul… »
Toutefois, cela n’empêche pas les journalistes les plus cocardiers d’y trouver quelque fierté mais aussi une certaine confusion :
« On a affaire à une musique dont les bases sont essentiellement françaises : la disco (sic), le trip-hop… La musique électronique française s’exporte précisément parce que ses bases sont aussi bien en France qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre. C’est la première fois qu’on assiste à ce phénomène » comme le souligne le journaliste musical Christophe Basterra.
Au-delà même de la question des influences, les caractéristiques propres à la musique électronique interpellent. Si les canons de la musique française sont ceux admirablement tenus par Jacques Brel, Serge Gainsbourg, Léo Ferré, Alain Bashung, Claude Nougaro et autres tauliers, alors Laurent Garnier, Quentin Dupieux*, Étienne de Crécy ou Thomas Bangalter sont loin de correspondre aux standards hexagonaux. D’un point de vue linguistique, voilà une musique sans parole à proprement parler, et quand parole il y a, elles sont le plus souvent chantées en Anglais. Profitant d’une musique où le texte tient un rôle mineur, la French Touch ne rencontre donc pas la barrière de la langue. La barrière linguistique, la French Touch la rencontre paradoxalement en France où on ne peut proposer une musique « made in France » sans respecter un cahier de charges et la question des quotas à une époque où les clips étaient davantage diffusés à la télévision que sur internet :
« Quand on faisait une vidéo et qu’il fallait qu’elle passe sur M6 ou sur MCM, il y avait les histoire de quotas de chansons françaises. Or, pour nous qui faisions des chansons destinées à un public international, il fallait qu’il y ait un petit peu de Français. Sinon, on était classés, nous artistes français, dans la même catégorie que les artistes américains. Pour Flashback, on a fait un clip qui est entre le clip et le court-métrage avec des dialogues en français pour entrer dans les quotas français ; ce qui a permis à la vidéo d’être diffusée efficacement » détaille Eric Morand du label F Communication.
Cette barrière de la langue fut justement l’un des obstacles du rock français dont l’export (cf vidéo) pâtit de textes uniquement destinés au public francophone. La patte française de la French Touch aura donc été cette capacité à s’affranchir des contraintes françaises pour mieux les affirmer à l’étranger. Alors que le Made in France cible un marché essentiellement national et trouve d’autant plus d’échos que résonnent les clairons patriotiques en ces temps de troubles, le phénomène French Touch a progressivement permis à la France de s’imposer sur l’échiquier de la culture pop. La French Touch ou l’entrée de la musique française dans la mondialisation :
«  À la fin des années 1990, qu’on soit à Tokyo, à Paris, à New-York, à Londres ou à Singapour, on est une génération qui a les mêmes repères, qui sait utiliser les nouvelles technologies : les frontières se sont abattues » juge  Jérôme Viger-Kohler, organisateur des premières soirées French Touch en France.
Contrairement au Made In France, dont la présence en tant que label est censée garantir un certain succès au produit estampillé, il aura fallu que le phénomène French Touch triomphe d’abord à l’échelle internationale avant que les médias français cocardiers s’en gargarisent pour vanter les mérites de leurs compatriotes dans un pays qui s’est toujours montré soucieux de son rayonnement international et d’un éventuel déclin de son influence culturelle :
« Au début, c’était le Tiers monde aussi, maintenant c’est le Koweit (rires). On a vu que ces gens là étaient reconnus à l’étranger mais n’avaient pas leur place dans les clubs parisiens à l’époque. C’était complètement absurde puis on est passé du truc branché chez nos voisins en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis ou au Japon à quelque chose qui a pris en France » poursuit Jérôme Viger-Kohler.
Nul n’est prophète en son pays…
 
Gianluca Pesapane
Antoine Benacin
Visitez le site du Gorille, le webzine musical du CELSA
Sources :
French Touch, le catalogue de l’exposition des Arts Décos
Reportage « French Touch », TV5
L’émission French Touch de Pop etc. sur France Inter

Culture

« Real humans »

 
Le 4 avril 2013 sur Arte sera diffusée la série à succès suédoise « Real Humans » (Äkta Människor). Cette œuvre de science-fiction, diffusée pour la première fois en janvier 2012, se déroule en Suède, dans un futur proche, où les hommes cohabitent avec des hubots (androïdes inspirés des modèles actuels japonais). Compagnons utiles et intimes, les hubots prennent peu à peu visage humain, et deviennent capables de ressentir des émotions et d’accomplir des actions malhonnêtes.
En s’attachant au destin d’une famille et de ses hubots, le créateur de la série, Lars Lundström, s’échappe des représentations traditionnelles de la science-fiction pour accentuer la dimension dramatique de l’intrigue. Les scènes sombres, rappelant l’univers silencieux de la série Les Revenants, s’opposent aux décors pastel d’une banlieue futuriste, pour mieux accentuer la division de la société sur la question des hubots. La série se noue autour d’une intrigue avant tout policière, basée sur le quotidien de personnages ordinaires.
Ainsi, leur existence s’intègre parfaitement dans la fiction réaliste permise par l’intimité des foyers. Ce qui interroge le créateur, c’est avant tout le rapport social et les conflits psychologiques entre hubots et humains. Véritable miroir, la machine reproduit les réactions de son propriétaire, se soucie de sa santé et de son bien-être, allant même jusqu’à investir la place d’un amant ou d’une mère. Mais cette fonction de compagnonnage trouve ses limites dans le regard d’une partie de la société, qui fait front contre cette mixité dérangeante. Dénonçant les rapports amoureux et sexuels avec les hubots, les déviances du marché noir qui en fait d’idéales prostituées tout comme les couples affichés, « Real Humans » s’apparente aux groupes d’extrême droite. Ici, les parallèles avec notre société sont constants.
Real Humans est donc un excellent hybride des films de science-fiction, tel qu’ Intelligence Artificielle de Spielberg. Il s’agit de reproduire par la fiction les angoisses et les travers de la société. Derrière le masque grossier des hubots, se cache la sempiternelle interrogation : l’homme est-il bon ? Pourtant, là où True Blood accentue les vices et les imperfections, Real Humans semble hésiter. Le malaise grandit à mesure que le doute s’installe quant au rôle du hubot dans la société. L’homme doit-il aimer sa créature ou en avoir peur ? D’ailleurs, le sous-titre de la série, « Qu’avons-nous encore fabriqué ? » nous rappelle l’idée d’une science babélienne qui s’acharne à dépasser le divin. Ce thème de prédilection se retrouve dans la pensée de Mary Shelley avec Frankenstein ou le Prométhée moderne, où elle reproduit entre l’homme et sa machine l’idée du Créateur. Ce rapport conflictuel nourrit toute une mythologie parfaitement distillée dans la série, à l’image de la réponse d’un hubot sur la question de son origine : « Nous venons de vous, de votre imagination ».
En effet, l’étrangeté des hubots, avec leurs yeux bleus électriques et leurs visages lisses, est révélée dès les premières secondes de la série, lorsqu’ un groupe de hubots libres cherche à fuir la destruction. Dotés d’une conscience, d’opinions et d’initiatives, cette bande incarne l’innovation à son extrême, l’homme-machine parfait.
Cette hypothèse s’inscrit dans la continuité du mécanisme de Descartes et traverse les imaginaires collectifs depuis les premiers automates jusqu’aux avancés de l’électronique avec le courant cybernétique de l’après-guerre.
Aujourd’hui, le robot intrigue toujours, comme le prouve l’exposition achevée début mars au Musée des Arts et Métiers : Et l’Homme…créa le robot[1]. On pouvait y découvrir les progrès des robots chirurgiens, des prothèses nouvelle génération et s’interroger sur le robot de demain. Tout nous indique que le futur proche de Real Humans pourrait être le nôtre, et c’est sur cette vraisemblance que se joue l’intrigue. Proche de l’angoisse de la série Les Revenants[2], Arte développe à l’instar de Canal+, la dimension transmédia qui nourrit le succès attendu de la série. Ainsi, vous pouvez découvrir sur le site[3], dès la diffusion du premier épisode, le 4 avril 2013, le Hubot Market dans lequel il est possible de constituer son propre robot et de le partager sur les réseaux sociaux.
 Clémentine Malgras

 

[1] Le site de l’exposition :

[2] Lien vers le dossier Fast’NCurious consacré aux Revenants : http://fastncurious.fr/category/edito/dossiers

[3] Le site de la série Arte : http://www.arte.tv/fr/real-humans-100-humain/7364810.html

 

1
Culture

Splash, comme un cheveu sur la soupe

Un vrai faux flop ?
Retour sur une émission qui a agité le monde médiatique et suscité moult réactions dans l’opinion publique : Splash. Un concept « nouveau » : des valeurs, des vedettes, du spectacle, du vrai, du naturel… La promotion de l’émission depuis fin janvier n’est pas passée inaperçue. TF1 a lancé en grande pompe sa nouvelle émission du vendredi soir importée des Pays Bas. Les journalistes ont été intransigeants, en partie dépités, les blogueurs se sont manifestés, les twittos aussi, à leur façon, Jean-Marc Morandini a décrypté… Bref tout le monde en a parlé et tout le monde en a entendu parlé. Un nuage médiatique s’est formé avant le lancement de l’émission et s’est transformé en orage pendant sa diffusion. Un orage plutôt avantageux, c’est en effet grâce à lui que l’émission est tout de même restée au-dessus de la barre des 5 millions de téléspectateurs. Une orchestration parfaite plus qu’un buzz naturel.

Plus de mal que de peur ?
Si le fond de l’émission autant que la forme, ont suscité l’émoi des téléspectateurs et des professionnels, on peut s’interroger sur l’avenir de cette recette : une émission de divertissement qui se situe à la croisée des mondes, entre différents genres télévisuels. Elle parvient à s’imposer le vendredi en prime time sur la première chaîne grâce à l’orchestration totale de son lancement à sa production en passant par sa réception. Combien de temps encore va-t-on continuer à critiquer, à juger des émissions sans se rendre compte que l’on participe à leurs déploiements ? Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement des téléspectateurs, chacun se divertit comme il l’entend, tant qu’il en est conscient. Pour aborder la question de l’enjeu de ce type d’émission il faut accorder au média télévisuel un certain pouvoir sur les individus.
Splash, parmi tant d’autres, c’est une adaptation du fond et de la forme pour trouver la recette miracle du succès coûte que coûte. On ne se situe pas vraiment dans la télé-réalité, trop télé-poubelle, mais on prône des valeurs humaines, tel que le dépassement de soi, comme justification de l’existence de l’émission et de la participation des « vedettes ». Un peu comme dans une autre émission elle aussi diffusée le vendredi soir, Koh Lanta, là aussi Denis Brogniart avait bien précisé qu’il ne voulait pas qu’on parle de télé-réalité… Splash, du divertissement pur et dur alors, mais qui sait mêler différents codes sans les rendre trop visibles, mais sans les nier complètement non plus.
Sur la forme, TF1 réussit encore un tour de maître, effet de buzz bien orchestré avant et pendant l’émission qui contribue à son succès, à le déclencher même. Un peu comme ça avait été le cas pour The Voice : le nuage formé par les critiques, les détracteurs, tout cela joue en faveur de la chaîne. Commentaires sur commentaires, critiques, débats, rumeurs : tant qu’on en parle on s’assure le succès. Si on voulait vraiment faire disparaître un programme on ne pourrait qu’opter pour l’abstention et l’ignorance, la meilleure des armes. Et c’est ce qui finira irrémédiablement par arriver, les téléspectateurs ne se laissent pas berner indéfiniment.
Le divertissement certes, et sur TF1 d’accord, mais avec une telle recette qui assure à la chaîne succès et rentabilité, tout devient possible. « Le concours des meilleurs tailleurs de haies ? », « Qui veut tondre ma pelouse ? », « Conduite avec les stars, les stars repassent leur permis ? »… La télévision, publique comme privée, n’a-t-elle pas aujourd’hui plus que jamais une responsabilité ? Si le divertissement doit rester rentable et libre dans sa composition, le média lui-même ne devrait pas faire le sourd quant à sa responsabilité sociale. On a su mettre un point d’honneur à ce que les entreprises assument leur responsabilité sociale et environnementale, ici elle prend peut-être un sens un peu différent, mais la télévision ne pourra pas continuer de passer à côté pendant longtemps.

Margot Franquet
Sources :
François Jost, « « Splash » sur TF1 : sous son apparente vacuité, une émission calibrée pour le succès », Le Plus Nouvel Obs
Nathalie Nadaud-Albertini, « « Splash » sur TF1 : pourquoi c’est un bon concept », Le Plus Nouvel Obs
L’express.fr
My TF1 Replay, Splash le grand plongeon

Culture

Monstres & Cie : le numérique au service du film

 
Tout miser sur la durée
L’un des points clés d’une bonne stratégie de communication concerne la bonne gestion du temps. A quelle date lancer la campagne, sur quels supports et pour quelle durée ? Cette obsession de maîtriser le planning communicationnel n’est en aucun cas un gage de réussite pour une marque, mais elle assure a minima la maîtrise des messages diffusés. D’ordinaire, pour un produit culturel tel qu’un film, la promotion commence de 3 à 6 mois avant la sortie de celui-ci. Cette période représente le temps nécessaire pour attirer le spectateur en lui fournissant au compte-goutte des anecdotes de tournage, quelques trailers et la bande-annonce.
Ce temps est encore davantage raccourci lorsqu’il s’agit de films d’animation. C’est pourquoi, FastNCurious s’intéresse aujourd’hui à la dernière campagne de Monstres and Cie dont le nouvel opus sortira en juin prochain. Leur campagne de communication a commencé il y a plus d’un an, en mai dernier, lors de la sortie aux Etats-Unis de « Rebelle ». Face à ce choix plutôt inhabituel on peut se demander les raisons qui ont motivé Pixar à entamer une campagne de promotion autant en amont. Ce pari était assez osé dans la mesure où le risque était élevé de voir leur stratégie s’essouffler auprès du public.
Le grand retour de Mike et Sulley
La principale raison ayant motivé une préparation si minutieuse de la part des studios est la relative ancienneté du dernier Monstres and Cie. Le premier volet du film nous narrant les aventures de Mike Wazowski et James Sullivan à Monstropolis a été réalisé il y a bientôt dix ans. En règle générale, les autres films tels que Cars, Shrek ou Madagascar ont profité de l’engouement populaire autour de leurs héros pour sortir une suite dans les quelques années qui ont suivi. Après une si longue absence, le danger était que les spectateurs aient « oublié » Mike et Sulley. D’autant que le synopsis du nouvel opus, est, il faut le reconnaître assez pauvre puisque le film nous raconte la rencontre à l’université des deux personnages principaux qui se détestaient avant de devenir les meilleurs amis du monde. L’enjeu était donc de recréer du contenu sur les réseaux sociaux avec le peu d’informations disponible, sans spoiler le film (ni le lancement des autres films Pixar) tout en entretenant la flamme des spectateurs sur la durée.
La Monsters University : une stratégie de brand content
La campagne a été lancée par la création d’une fanpage appelée Monsters University (je vous encourage à aller y jeter un petit coup d’œil) qui est un bon exemple de communication dynamique sur les réseaux sociaux. La page ne fait pas concurrence à la page officielle de « Monstres and Cie ». Les deux ont leur identité propre. Celle consacrée à l’école parvient à fournir du contenu aux internautes tout en diffusant des vidéos promouvant la vie sur le campus, des messages officiels du doyen. Surtout, elle renvoie au site internet spécialement créé pour l’occasion. Ce site imite en tout point ceux des vraies universités américaines. Outre un plan du campus, un programme détaillé des cours ou les témoignages des anciens étudiants vous trouverez également un onglet pour vous y inscrire. Au passage, Pixar n’a pas oublié d’y intégrer un espace boutique qui permet de s’acheter des goodies à l’effigie du logo de l’université.
Cette stratégie numérique s’est accompagnée aux Etats-Unis d’une large campagne de relations presse relayées par des magazines tels que Entertainment Weekly. En France, peu de sites se sont intéressés à cette campagne qui est pourtant un très bon exemple de la manière dont on peut mobiliser une communauté de fans avant la sortie d’un film.
 
Angélina Pineau
Sources :
Le site de l’école
Message vidéo du doyen
Page Facebook de la Monsters University

1
Culture

Interview – Les Revenants : la communication autour du phénomène télévisuel

 
En Janvier dernier, FastNCurious vous proposait son premier dossier sur la série les Revenants de Canal+. L’étude de cet objet nous avait permis de soulever des problématiques culturelles, marketing et médiatiques. Suite au succès du dossier, Clémentine Malgras a pu recueillir les propos d’Hadrien Cousin, Chef de produit web chez Canal+, qui confirment bel et bien ce que nous avions avancé. Grâce à la stratégie de bouche-à-oreille savamment orchestrée, l’impact de la série a dépassé les attentes de la chaîne. De plus, suite à la volonté de se différencier des productions américaines, la stratégie digitale n’a pas été développée outre mesure.
Nous vous souhaitons une bonne lecture et rafraîchissez-vous la mémoire en relisant notre dossier !
Le public séduit
Les réactions autour de la série ont-elles dépassé vos attentes ?
Il était évident que par sa nature et la qualité de sa facture, la série allait générer des réactions, ne laisser personne indifférent. Cependant, il est vrai que son retentissement dans la presse et sur les réseaux sociaux a été particulièrement impressionnant. Le soir de la première diffusion, CANAL+ se plaçait même en tête des mentions sur Twitter. Ce n’était jamais arrivé avec une précédente Création Originale, et le succès et le bruit médiatique ne se sont pas essoufflés au fil des épisodes, preuve que l’œuvre a su capter une audience fidèle, conquise par l’atmosphère de la série dès les premiers épisodes.
Son succès se fonde en partie sur un bouche à oreille très positif, l’aviez vous anticipé en encourageant le partage sur les réseaux sociaux ?
La prémonition de ce « buzz » est née lors de la projection du premier épisode au festival de fiction tv de La Rochelle. L’accueil a été très enthousiaste de la part de la presse et des professionnels du secteur. C’est pour cette raison qu’il nous a semblé intéressant de livrer ce premier épisode au grand public sur le site un mois avant sa diffusion antenne. Le succès a été au rendez-vous pour cette opération qui aura duré moins de 48h avec plus de 10 000 visionnages de l’épisode et de nombreuses mentions sur les réseaux sociaux.
Le succès des Revenants serait-il donc dépendant d’une très bonne communication sur internet (comme le démontre le trailer Twitter) ?
Le succès d’une œuvre n’est dépendant que de ses qualités intrinsèques. Le meilleur des buzz Twitter s’essouffle bien vite si la série ne tient pas ses promesses. Le succès des Revenants tient donc avant tout à la qualité d’écriture, d’interprétation, de réalisation… Cependant, il est certain que le bruit médiatique qu’elle a généré sur les réseaux sociaux pendant plusieurs mois a motivé et motive encore de nombreuses personnes à s’intéresser au programme. Ce qui explique aussi certainement les bons résultats des ventes de DVD après la diffusion.
Les deux derniers épisodes semblent partager le public. Comment interprétez- vous les réactions parfois déçues des téléspectateurs ?
La série ouvre volontairement de nombreuses pistes pour la saison 2 et pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. C’est évidemment volontaire et prometteur pour la suite. On peut donc imaginer que les téléspectateurs attendaient davantage de réponses à tous les phénomènes inexpliqués qui interviennent dans cette ville étrange, mais il aurait été trop facile et un peu hâtif de répondre à tout après seulement huit épisodes !
Pensez vous que les attentes des abonnés Canal+ soient plus grandes quand il s’agit d’une production française ?
Aucune idée.
Une série intégrée
Comment s’est construite l’idée d’un site interactif ? A qui le destinez-vous et quel est son rôle ?
L’idée était de proposer la plongée la plus immersive possible dans l’ambiance si particulière de la série. En se basant sur la bande originale proposée par Mogwai, l’agence a imaginé un dispositif où l’internaute peut naviguer en 360° dans cette ville étrange, se perdre, rencontrer les personnages de la série, plusieurs fois, à des endroits différents, en se glissant dans la peau d’un revenant. C’était donc un dispositif grand public, une porte d’entrée sur l’univers de la série. L’idée étant d’y recueillir des bribes d’information mais surtout de s’imprégner de l’atmosphère du lieu et de la série.
En appuyant votre communication sur un storytelling fort, Canal+ cherche-t-il a capter une audience plus jeune et plus connectée ?
Effectivement, ce genre de dispositifs présente le double avantage d’être suffisamment impressionnant visuellement pour constituer une curiosité en soi sans connaissance a priori de la série, mais ils proposent également aux fans de prolonger l’expérience télé en partant à la recherche d’indices cachés, d’éléments narratifs supplémentaires qui étaient délivrés chaque semaine sur le site.
Ou est-ce un moyen de faciliter le contact entre un public plutôt habitué aux productions policières et le registre très fantastique de la série ?
Le public de CANAL+ n’est pas spécifiquement habitué aux productions policières. Pas par la chaîne en tout cas, et ce n’est pas une volonté éditoriale que d’axer la Création Originale sur le créneau polar. Le fil rouge est plutôt la garantie d’une qualité de production et d’une intransigeance éditoriale qui sont un gage de qualité pour les abonnés, l’assurance de voir une proposition télévisuelle différente du reste du PAF, au meilleur niveau européen et capable de rivaliser avec les productions des studios américains.
La stratégie de communication très réussie des Revenants a-t-elle été influencée par celles des séries américaines ? Par exemple, les innovations marketing et transmedia de la série Lost sur ABC, comme le jeu video Lost Experience.
La stratégie de communication s’est avant tout basée sur les spécificités de la série : évocatrice plus que figurative, une tension intense jamais appuyée, son côté intemporel, le bouleversement des repères… Ensuite, il est certain que des dispositifs particulièrement élaborés comme ceux testés par ABC sur la série Lost sont des modèles du genre pour susciter un engagement fiévreux des fans. Mais ils sont à double tranchants, car plus l’audience est engagée, plus l’attente est forte et la peur de décevoir également ! Mais le style des deux séries est radicalement différent. Lost tentait de créer une nouvelle mythologie en s’appuyant sur une symbolique extrêmement forte, une cartographie précise… Les Revenants s’articule autour du dérèglement du quotidien, de l’apparition progressive de l’étrange dans des existences rangées et ré-établies. Cependant, nous travaillons effectivement sur un concept d’intersaison actuellement.
 
Propos recueillis par Clémentine Malgras

Culture

Tarantino déchaîné

 
N.B. : Cet article risque de décevoir les cinéphiles. On parle communication ici.
On connaît tous Quentin Tarantino à l’aune de ses films déjantés, violents et colorés, que l’on a vus, revus, ou peut-être jamais vus (d’ailleurs, il serait peut-être temps d’aller y jeter un coup d’œil). Néanmoins, on méconnaît encore Tarantino le communicant, celui qui a su, tout au long de sa prolifique carrière (depuis ses  premiers scripts réalisés par d’autres jusqu’à la sortie de son tout dernier film, Django Unchained, le 16 janvier) jouer avec son propre personnage et le contenu de ses films pour faire parler de lui et promouvoir de facto ses œuvres. Un bel exemple de personal branding que nous allons essayer d’analyser ici.
 
Un acteur raté, un cinéaste né, un communicant doué
 Il faut le dire, Tarantino semble avoir un don pour se saisir des médias et faire parler de lui, ce qui sert évidemment la promotion de ses films. Acteur raté (en 1998 il monte sur les planches de Broadway pour jouer un gangster sadique, mais se fait doublement conspuer par la critique, pour sa prestation et pour le succès mitigé de son film Jackie Brown), il a néanmoins un certain talent pour jouer la comédie et mener les médias par le bout du nez. Pourtant, ce n’est pas un personnage réellement charismatique, quoique l’on puisse en dire, mais il fait preuve devant les caméras et les journalistes d’une impudeur et d’un narcissisme qui font de lui un bon client médiatique et un bon communicant. Il aura su se créer un personnage, en adéquation avec sa filmographie, et dont il est en fait le faire-valoir : un homme haut en couleurs, connu pour ses sautes d’humeur, une star de l’industrie du cinéma que l’on attend avec impatience de voir apparaître quelques minutes dans chacun de ses films. Réfléchissez-y quelques instants : quel autre réalisateur a ce statut de star cinématographique (et qui n’est pas lui-même un acteur) ? Bien sûr, on aime à dire que l’on va voir un film de Haneke, que l’on a vu tous les Leone ou les Godard, mais aucun de ceux-là n’ont réussi là où Tarantino a triomphé : créer une « marque » associée à leur nom.
 
Un as de la promo
Avant tout, Tarantino est un maître de l’auto-promotion, du personal branding. Pour se défendre auprès de ses détracteurs qui critiquent son amour pour le feu des projecteurs, il a choisi de les placer face à un simple constat : quand un acteur est amené à parler de son film (et qu’il en fait donc la promotion « cachée »), on ne lève pas les boucliers aussi promptement. Néanmoins, on peut affirmer de manière certaine qu’aucun cinéaste n’a son attitude sous les projecteurs : le personnage Tarantino aime communiquer sur ce qui ne semble pas en rapport avec ses films (sa vie privée, son amour pour la pop culture, son opinion sur le cinéma), mais qui au fond, n’est qu’une stratégie pour occuper l’espace public et médiatique. Quand les autres voient sur le court-terme, lui recherche l’occupation à long terme. Résultat, on ne voit que lui. Depuis le 7 juin, jour de la sortie du teaser de Django Unchained, et jusqu’à  aujourd’hui, la presse et les médias ont multiplié les dossiers, reportages, rétrospectives à son propos. Une campagne de communication comme les autres me direz-vous. Pas tant que ça. Ce serait oublier que Tarantino avait multiplié les déclarations au cours des deux dernières années, évoquant son rêve de réaliser un western spaghetti, sauce Sud esclavagiste, toujours en restant assez vague, mais en donnant assez d’éléments pour que nous en redemandions. Évidemment, cela a mis l’eau à la bouche de beaucoup, et laissé perplexes certains. Mais le stratagème avait marché, et nous étions dorénavant, au mieux, en attente de nouvelles informations, au pire, au courant d’une prochaine sortie du réalisateur du mythique de Pulp Fiction.
 
Des polémiques à l’image de sa filmographie : presque ridicules, toujours alléchantes
Avant même la sortie de Django Unchained sur nos écrans, la polémique faisait rage dans les médias. Ce bon vieux Spike Lee, revenu à la charge contre Tarantino (il l’avait déjà vivement critiqué pour l’utilisation trop prolifique du mot « nigger » dans son film Jackie Brown en 1997), clamait sur Twitter et dans la presse son indignation au vu du traitement de la question noire, qu’il qualifie d’holocauste, dans Django.
 
Certes, on ne peut lui reprocher sa sensibilité sur la question, mais il a ainsi nourri le moulin à eau de Tarantino ; celui-ci, un peu excédé d’avoir à se répéter à chaque nouvelle sortie, a perdu son sang froid face au présentateur britannique Krishnan Guru-Murthy après que celui-ci lui ait demandé s’il n’y avait aucun lien entre aimer la violence à l’écran et l’aimer dans la vie réelle. Ce qui a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la commercialisation de figurines à l’effigie des personnages principaux du film, et qui prouve de façon plus ou moins grossière que Django est aussi un prétexte au marketing pur et dur, ou du moins que le marketing pénètre de plus en plus la sphère artistique.
 
Une fiction pas si pulp
Cependant, le système de la « marque » Tarantino a aussi ses limites, comme le dit si bien Vincy dans son article sur le site ecrannoir.fr : « À force de tout régenter en faisant de chaque sortie une machinerie marketing, centrée autour de lui-même, le réalisateur, qui n’est pas Orson Welles, risque de devenir davantage un Godard caricatural ».
C’est vrai, Tarantino, dès 1997, a rapidement saturé les médias. Et Vincy de renchérir : « À force de multiplier les casquettes et de diluer la qualité dans la quantité, le phénomène dont il était l’épicentre est devenu une tornade à hauts risques. » Mais avec Kill Bill en 2003, Tarantino revient au centre de l’attention, et malgré quelques baisses d’affection (période Inglorious Bastards), la marque Tarantino n’est pas prête de quitter les esprits. Jusqu’à ce que Tarantino se retire lui-même du circuit ? Il l’a en tout cas annoncé : il ne fera que dix films. On a donc encore de beaux jours devant nous pour observer cet énergumène médiatique, génie du cinéma et héraut de la culture moderne.
 
Laura Garnier
Sources :
Le portrait de Tarantino sur Écran Noir
Quentin Tarantino préparerait un western spaghetti sur Slate
Quentin Tarantino, le Luc Besson américain ? Sur Films Actu
Polémique : Django Unchained, le dernier Tarantino, est-il raciste ? sur Slate
 

Culture

Le pouvoir communicatif de la bande-annonce

Pleinement intégrée dans notre quotidien, la bande-annonce est un outil de communication qui produit une réelle influence sur son audience. Analyse.
Comme base de cet article, le box-office français de 2012: Intouchables, Sur la Piste du Marsupilami, Astérix, Le Prénom, La Vérité Si Je Mens 3. La bande-annonce est l’outil publicitaire de base d’une bonne action communicationnelle autour d’une sortie prochaine en salle.
 
Fais ce que tu veux: ne lésine pas sur la crème !
Comme le khâgneux qui hésite à tout mettre dans son introduction de peur de griller toutes ses cartouches, tu dois choisir les meilleurs moments de ton film sans tout donner pour autant. Alors oui, tu vas mettre la meilleure blague d’Omar, la punchline de Patriiiiiick Bruel et la larmichette de Marion Cotillard.
Voici la construction de la bande-annonce du Marsupilami: un plan pour présenter le cadre : musique latine et plages exotiques ; l’Amérique du Sud. L’acteur principal, Jamel Debbouze. La situation initiale donc. Une blague! Puis l’élément perturbateur. Ensuite le début de la quête : Chabat et Debbouze sur un bateau. Une autre blague. Le méchant. Les péripéties : gros plan sur la fille restée au pays, mais aussi les tribus effrayantes, les bêtes sauvages. La brochette d’acteurs passée au peigne fin: Jamel Debbouze, Alain Chabat, Fred Testot, Lambert Wilson (déjà là on se dit “waaaaouw le casting, trop cool”), Géraldine Nakache, Patrick Timsit. Puis du bruit, des pleurs, des rires, un crachat de lama, des rires et à la toute fin: le fameux marsupilami! Pour finir, tu colles ce qu’on appelle un “carton” (d’invitation): “Au cinéma le 4.4.12 partout même en Palombie”.
Il n’est pas si fou de se demander si le matériel cinématographique, comme certaines catch-phrases ou scènes originales et hilarantes, n’est pas pensé en fonction d’une optimisation de la bande-annonce. Les premiers mots de la bande-annonce du film Le Prénom avec Patrick Bruel confirmeraient cette hypothèse: “La vie est dure parfois, vous avez eu une journée fatigante, des rendez-vous à la chaîne, des heures dans les transports en commun, c’est bon de se retrouver en famille.” Adresse directe au spectateur, promesse de détente, de bien-être et intégration du public dans l’intrigue.
 

 
Fais comme tu veux : l’essentiel c’est de vendre ton film comme un petit pain
Contrairement à une idée reçue, la plupart des bandes-annonces ne sont pas réalisées par les studios mais par des sociétés spécialisées comme « Bande-Annonce Productions ». On nage en plein advertainment qui mêle message publicitaire et moment ludique. La bande-annonce souligne tous les points forts et les atouts d’un film: le casting, le cadre, le réalisateur, le scénariste, les partenaires médias et j’en passe. S’il s’agit d’un deuxième ou d’un troisième volet, on cible ce qui a fait le succès des premiers films. Ainsi la bande-annonce de La Vérité si je mens 3 est une compilation de toutes les fois où les acteurs lancent leur fameux “La vérité!”. Le spot du dernier Astérix fait quant à lui, une énième allusion, à l’interdiction d’Obélix de prendre de la potion magique.
 
Où tu veux : l’impact de la bande-annonce diffère selon le lieu de visionnage
Au cinéma, c’est l’occasion d’offrir aux spectateurs une petite revue de l’actualité cinématographique du moment. D’ailleurs, qui n’a jamais commencé ses pop-corn à ce moment là? Les producteurs profitent, intercalent leurs spots promotionnels entre la publicité Ben & Jerries, que tu connais maintenant par cœur, et les spots Miko et M&M’s. Alors lorsqu’une bande-annonce arrive, on se réjouit, on rit plus que d’habitude, on s’émeut plus facilement. Bref, on joue la comédie. Ici, tu cherches à attraper les gens qui se déplacent au cinéma, à donner des idées pour une sortie prochaine.
 
À la télé, c’est l’occasion de s’insérer dans un programme de divertissement type “Les Enfants de la télé” ou “Le Grand journal”. Omar Sy et François Cluzet y font un petit speech de deux minutes puis la bande-annonce met tout cela en image. À ce moment là, le spectateur ne distingue plus vraiment la publicité cinématographique car elle s’inscrit dans son émission du samedi, elle fait partie du show. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des bandes-annonces diffusées à la télévision sont des comédies : pas question de miner le moral du spectateur. Ici, tu cherches plutôt à toucher le grand public.
 
 

 
Et puis, il y a la toile, énorme espace de communication cinématographique où la bande-annonce devient virale, où elle peut provoquer le buzz des mois avant la sortie du film en salles. Elle est également accompagnée de trailers.
Commence d’abord sur Allociné et après tu innoveras. L’idéal de la communication online est de créer une communauté d’internautes au sens large, qui va être la première représentante du film. Ici, tu cherches à toucher des porte-paroles et des ambassadeurs de ta marque et de ton film.
 
La bande-annonce est donc devenue un moyen de soutenir son film avant et après la sortie en salles. Elle est faite pour tenir toute seule et constitue une véritable réalisation qui s’adresse au plus grand nombre. Représentative du film, elle doit donner envie de passer à l’acte de consommation. Mais son objectif actuel est quand même de comptabiliser le maximum de vues sur Internet.
À quand une cérémonie pour récompenser les meilleurs spots?
Steven Clérima
 
Sources
Revues
PINO Michaël, Pourquoi est-on déçu par un film au cinéma ? Microsociologie et typologie de la déception, éditions Connaissances et Savoirs, 2008, p.42.
VIVIANI Christian, Entretien avec Axel Brucker, Evolution de la bande-annonce, dans Positif, n° hors-série « La bande annonce », octobre 1996, p.3.
 
Web
http://www.labande-annonce.fr/news/lart-de-la-bande-annonce-loutil-marketing-quest-la-bande-annonce-au-cinema-est-en-train-au-fil-des-ans-de-gagner-ses-titres-de-noblesse/
http://www.culturecrossmedia.com/digital-marketing/comment-susciter-la-curiosite-des-fans-pour-assurer-la-promotion-dun-film-serie/
http://alterrealites.com/2011/09/14/la-bande-annonce-une-approche-du-voirmontrer-1/
 

2
Culture

La déprime à l’affiche

Faites le test : parlez de la 1ère Nuit de la déprime à quelqu’un et vérifiez qu’il répond bien : «ah oui, j’ai vu ça dans le métro, mais c’est quoi en fait ? ». Alors c’est quoi en fait cette Nuit de la déprime ?
Si nous sommes nombreux à avoir remarqué ces affiches c’est 1. Parce qu’il y en a dans presque toutes les stations de métro parisiennes, 2. Parce qu’elle n’est pas comme les autres publicités qu’on a l’habitude de voir.
Un dessin, voire un gribouillis, des couleurs gris-noir, trop de texte étalé partout: cette affiche ressemble à s’y méprendre au dessin d’un enfant. Mention spéciale au canapé et au chat, dont les traits grossiers auraient pu être réalisés lors d’une partie de Pictionnary. Et pourtant, c’est bien cette médiocrité assumée qui attire l’œil et l’attention. Dans un univers publicitaire où règne la perfection, le souci du détail et l’esthétique, une telle affiche ne peut que se démarquer. Elle n’est pas sans rappeler les pubs cinéma des assureurs militants Maïf qui, en représentant monsieur et madame tout le monde en bonhomme bâtons, souhaitent s’adresser au plus grand nombre. C’est le message que fait passer l’affiche : on a tous le droit de déprimer, hommes ou femmes, petits et grands. C’est mieux d’être triste à plusieurs, rassemblés autour d’un même évènement.
Et si on assumait de déprimer ?
Si on ne comprend pas tout de suite de quoi il s’agit, c’est 1. Parce que la profusion de textes noirs sur l’affiche rend l’information moins visible, 2. Parce qu’un tel évènement est peu courant,
« A quoi sert de courir après le bonheur alors que la déprime est à portée de main ? ». Drôle de paraphe encore une fois pour promouvoir un évènement  Proposée par Raphaël Mezrahi, cette soirée aux Folies Bergères a pour but de servir de « pieds-de-nez à la morosité ambiante », comme il l’explique lui-même. Contrairement aux nombreux magazines féminins ou à Lorie, l’humoriste ne nous propose pas d’adopter la « positive attitude », mais bien de se complaire dans un état de déprime et de partager ce moment. Et si c’était le moment de philosopher sur cette « morosité ambiante » ? La question est de savoir si nous subissons bien la société individualiste dans laquelle nous évoluons, et la perte de sens qui s’en suit, à laquelle croient nombre de philosophes, notamment Jean Baudrillard. Maintenant il faut choisir : être triste et déprimé du monde dans lequel nous vivons, ou rire (même jaune) de la situation et ne pas se prendre au sérieux, comme le propose Raphaël Mezrahi.
Au-delà de la question sociétale (oui rien que ça !) que soulève cette affiche, on ne peut que saluer un coup de com’ évènementiel bien maîtrisé. Associer à l’évènement des marques notoires, telles que Kleenex et Nutella, ou Ben&Jerry’s pour le côté Bridget Jones, est un pari réussi et surprenant. Ces marques ont accepté d’être les symboles des moments de déprime. Plutôt que de subir une réputation construite dans les films, elles assument leur rôle de remontants et se montrent présentes dans les moments difficiles de notre vie. Elles sont de plus bien mises en valeur, en couleurs sur une affiche à dominante noir et blanc. Bref, c’est le combo gagnant ! Et ce qui est vrai pour les marques l’est aussi pour les artistes participants à l’évènement, parmi lesquels Véronique Sanson, Catherine Lara, Thomas Dutronc, Alain Chamfort et Enrico Macias. En effet, c’est la crème de la chanson française qui sera présente pour nous chanter leurs chansons tristes. Car les musiques déprimantes font un peu partie de notre patrimoine national. Si Barbara et Brassens pouvaient interpréter « Dis, quand reviendras-tu » ou « Il n’y a pas d’amours heureux », la fête battrait son plein !
Alors rendez-vous le 18 Février pour une triste soirée !
 
Agathe Laurent
Sources :
Les Folies Bergères
Sortir à Paris

Culture

La scripted reality : le réel low-cost spectacularisé

 
Famille, argent, séduction, mensonge, injustice… Autant de sujets sociétaux dont se nourrit la scripted reality. La scripted reality ou fiction du réel, ce sont tous ces nouveaux formats qui pullulent sur nos écrans, des émissions ovnis qui retranscrivent des psychodrames de la vie quotidienne, des faits divers en tous genres. Entre télé-réalité, magazine et fiction, ces nouvelles émissions font débat en France, tant sur le fond que sur la forme de ce nouvel hybride. Leur plus lointain ancêtre français remonte sans doute aux années 1990, avec la diffusion sur la cinq puis sur TF1 de « Cas de divorce » qui narrait, sur le mode du réel, des divorces dans les tribunaux.
Le succès de ce genre d’émissions réside dans l’hybridation de différents codes et rapports de l’intimité au média télévisuel. Une hybridation qui pose problème, le CNC refuse d’apporter des subventions à un genre qu’il n’estime pas du ressort de la création, et le CSA quant à lui, hésitait jusqu’au 11 janvier dernier, à considérer ce nouveau genre comme des œuvres de création. Désormais les émissions comme « Le jour où tout à basculé » ou « Si près de chez vous », toutes deux diffusées respectivement sur France 2 et sur France 3, entrent donc dans le quota d’œuvres de création imposé par le CSA. Pour autant chaque émission sera étudiée au cas par cas avant de lui accorder un statut qui pèsera son poids dans la balance des négociations avec le CNC.
Malgré la reconnaissance du CSA et de l’audience, la scripted reality soulève des interrogations quant à la qualité réelle de ses conditions d’écriture, de production et du lien étroit qui s’établit entre le « nouveau » genre et son public.
 
Une création mise en danger
L’audience est au rendez-vous et il faut admettre le succès de ces émissions auprès du public. « Au nom de la vérité » sur TF1 parvient à capter 20% des audiences auprès de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Une belle progression à un horaire creux (à 10 heures sur TF1 pour « Au nom de la vérité », 14 heures sur France 3 pour « Si près de chez vous », 16 heures sur France 2 pour « Le jour où tout a basculé », les audiences sont très bonnes, on compte entre 800 000 et 1 million de téléspectateurs chaque jour sur France 2, et niveau retour sur investissement les chaînes sont gagnantes. On peut même parler d’émission « low-cost », d’ailleurs les sociétés de production ne s’en cachent pas. Maxime Maton, directeur du développement de la Concepteria du groupe Julien Courbet Production, assume cette qualification qu’il ne voit pas comme un défaut. Le low-cost à la télévision c’est donc environ 30 000 euros par épisodes. En comparaison, un épisode de la série « Plus belle la vie » s’estime entre 100 000 et 200 000 euros, un coût multiplié par au moins quatre pour une série qui était déjà très décriée dès ses débuts. Le problème réside donc ici, dans les conditions de création et de production de la scripted reality.
Si Maxime Maton estime que cette nouvelle écriture « a beaucoup de bienfaits, au delà de répondre à une demande, que ça marche en terme d’audience, ça donne quand même du boulot à beaucoup de monde » ; elle n’offre pas aux auteurs et aux acteurs les conditions de travail idéales à la création. Pour un épisode de 22 minutes il faut compter 2 jours de tournage, une ou deux prises pas plus, et les scénarios doivent couler à flots. Le jeu des acteurs est assez aléatoire, avec ces moyens financier on ne peut effectivement pas s’assurer les services de Marion Cotillard, et en même temps on ne leur laisse pas le temps de développer leur jeu d’acteur. Pour le téléspectateur ignare qui ne parvient pas à suivre les dialogues, la voix-off est là pour lui ré-expliquer ce qui se passe. Un jeu d’acteur médiocre, peu de décors, une voix-off omniprésente, des plans douteux… autant de faibles moyens qui nuisent à la qualité créatrice.
Afin de rester dans cette logique de flux (magazines, jeux télévisés…), les chaînes délaissent la fiction traditionnelle, à commencer par les feuilletons quotidiens. Le PDG de France Télévision, Rémy Pflimlin vient d’abandonner l’une des promesses phares de son mandat : la déclinaison d’une série quotidienne sur France 2. Même réaction de rétropédalage chez TF1, trop de risques, on préfère éviter de se lancer dans un chantier à 25 millions d’euros qui risque fort de ne pas être concluant en terme d’audience. Les chaînes cherchent de nouveaux genres susceptibles de coller au comportement de zapping et à cette logique de flux, en s’inspirant notamment des émissions courtes déjà présentes depuis quelques années en Allemagne notamment. La fiction du réel donne une réponse efficace à tous ces impératifs économiques, sociaux et culturels.
 
 
La fiction du réel ou spectacularisation de l’intimité transformée
 La scripted reality s’inscrit finalement dans la continuité de la télévision de l’intimité, s’ajoutant à la liste des différents genres qui ont déjà fait évoluer le rôle de l’intimité au miroir des médias, reality-shows, talk shows et télé-réalité. On est passé d’un mode du divertissement dans les années 1980, qui consistait à la construction d’un monde fictif n’ayant pas de rapport direct avec la réalité, le quotidien du téléspectateur lambda, d’un mode de l’évasion à un mode de divertissement où l’intimité est mise au premier plan avec l’apparition dans les années 1990 dans premiers reality-shows. On ne cherche plus à sortir de la réalité, au contraire, on doit pouvoir se retrouver dans les individus que l’on observe dans ces émissions. Là où la variété divertissait en montrant ceux qui avaient réussi, la télévision de l’intimité nous divertit en montrant tout le monde et en particulier ceux qui risquent de perdre.
Les émissions de ce nouveau genre mettent ainsi en scène des faits divers, une scénarisation sommaire qui tend à reproduire la réalité et non à construire un univers fictif, et son esthétique propre. La scripted reality cherche à renvoyer au téléspectateur une image du réel et de l’intimité de personnages appartenant à la même réalité. Elle essaye ainsi de renvoyer une image menaçante et menacée de l’extérieur en projetant ces fictions du réel à l’intérieur du foyer, à l’abri de cette réalité. Tout se passe comme si on avait besoin du face à face avec l’évènement inquiétant, de toucher du regard le vertige du vécu alors que la création a pour principe de chercher à se départir de la réalité pour créer un monde à part dans lequel on peut se projeter. La fiction construit en effet un monde dans lequel on aimerait pouvoir entrer sans jamais y parvenir. À l’inverse la scripted reality se fait le miroir du réel que l’on cherche àfuir, dans lequel on ne veut aucunement se projeter. En un sens pourtant elle se fait donc le miroir de la réalité des téléspectateurs mais qui cherchent à s’en défaire. Les personnages sont issus de faits divers, de cette réalité partagée, tout comme la télé-réalité met en jeu des individus anonymes, la scripted reality nous montre ces individus qui pourraient être un voisin, un collègue, une tante…ou nous-mêmes. De ce point de vue c’est une partie de l’intimité qui est ainsi montrée, on cherche à spectaculariser le réel à  travers le médis télévisuel et le genre fictionnel. La scripted reality ne propose pas d’autre représentation du monde.
D’un syndrome de l’évasion, on est passé à un syndrome de la réalité, et la scripted reality renouvelle le rapport à la télévision de l’intimité en incluant une part consciente de fiction. Elle scénarise notre réalité comme le font certaines fictions en faisant dans le même temps la promesse de l’authenticité et de la vérité, à la manière d’autres genres de la télévision de l’intimité.
 
Margot Franquet
Sources :
Arrêt sur image, « Je suis une voyeuse et je m’en flatte », émission du 31/08/2012
Arrêt sur image, « Les fictions du réel, ou la recette de l’audience aux heures creuses », Sébastien Rochat, 13/09/201
Arrêt sur image, « Filippetti ne veut plus de fictions du réel sur France TV », le 29/10/2012
Médias le magazine, émission du 14/10/2012
Stratégie n° 1704-1705 20/12/2012, « Cachez ce programme que je ne saurais voir », Bruno Fraioli

1