Culture

Le Brouillard d'Arles de Van Gogh, une ombre au tableau ?

On a entendu depuis peu, à la veille de sa sortie en librairie, le débat autour du Brouillard d’Arles (du nom qui était donné aux livres des comptes de commerce). Carnet retrouvé par un particulier qui entretient son anonymat, ce dernier l’a remis à un marchand d’art de sa connaissance en 2008. Mais depuis, experts français et néerlandais sont en désaccord quant à son authenticité. Se pose alors la question du rôle de la polémique dans le champ artistique : est-elle un élément de stratégie marketing ?

Le mythe du carnet retrouvé.
Il porte en lui toute une myriade de symboles et de significations. S’il n’a pas l’honneur de figurer au sommaire des Mythologies barthiennes, on le retrouve volontiers dans l’incipit de films et romans pour la jeunesse (Les Chroniques de Spiderwick, L’Histoire sans fin).
On confère à ce carnet une valeur particulière parce ce qu’il contient dessins et écritures manuscrites. Il fait référence à des temps anciens que l’on retrouve alors, et semble établir une nouvelle proximité avec l’artiste auquel il a appartenu. C’est pour cela qu’ « à la plus parfaite reproduction, il manque toujours quelque chose : l’ici et le maintenant de l’œuvre d’art, l’unicité de sa présence au lieu où elle se trouve. C’est à cette présence unique pourtant, et à elle seule, que se trouve liée toute son histoire. En parlant d’histoire, nous songeons aussi bien aux altérations matérielles qu’elle a subies qu’à la succession de ses possesseurs […]. L’ici et maintenant de l’original constituent ce qu’on appelle son authenticité » (Walter Benjamin, historien de l’art et critique littéraire).
C’est une stratégie marketing de l’inédit qui cherche à promouvoir la rareté et la nouveauté de l’objet en s’adressant à l’émotion du client (il en faut sans doute pour ces 65 dessins vendus à 69€). Son identité est synonyme d’un désintérêt causé par le soupçon, mais le soupçon lui- même a quelque chose d’intrigant, qui pousse à la curiosité. L’œuvre d’art y entretient son mystère, pour échapper à toute explicitation. Elle peut ainsi devenir le centre des regards et justifier de son prix.
Un visage à l’oreille coupée bien connu du public.
Van Gogh est un artiste passé à la postérité au sein de la culture populaire, et nombre d’expositions rencontrent encore aujourd’hui un franc succès (musée d’Orsay, 2014). En même temps, certains de ses tableaux atteignent des sommes astronomiques, à l’image des 66 millions de dollars dépensés en 2015 par un collectionneur asiatique pour L’Allée des Alyscamps.

Maintes fois, l’authenticité des œuvres de Van Gogh a été remise en question par les autorités compétentes : on sait par exemple qu’à partir de 1887 le Docteur Gachet, ami du peintre, a réalisé de nombreuses imitations des tableaux de Van Gogh. Le Musée d’Amsterdam demeure donc toujours extrêmement prudent quant à l’attribution qui peut être faite des tableaux. Ces dernières sont donc rares et, de ce fait, la cote du peintre demeure élevée.
Un objet-œuvre d’art qui anime les médias.
Les médias s’adressent à un citoyen à la fois soucieux de l’information et consommateur en puissance d’œuvre d’art. L’investigation du journaliste fait la promotion, par le choix de son sujet, du produit-œuvre d’art. Si le discours journalistique est polysémique, c’est parce que l’objet l’est aussi : le Brouillard d’Arles vient se placer entre l’œuvre d’art et le produit culturel. D’un côté, ce n’est pas le vrai carnet de Van Gogh que nous tenons entre nos mains, sa commercialisation en fait un produit de masse.
Cette reproductibilité pourrait bien provoquer une dégradation de l’œuvre d’art et réduire cette dernière à l’état de produit (Adorno) – l’objet d’art ne se retrouve-t-il pas « épuisé par le processus de consommation » (Bauman) ? D’un autre côté, les initiateurs de cette publication se disent motivés par un objectif de démocratisation de l’œuvre d’art (et non pas sa marchandisation). La publication demeure indépendante des attentes du public, elle ne répond pas à un besoin. Reste à savoir à qui profite cette publication : à ceux qui ont découvert le carnet ou aux descendants de l’artiste ?
Une communication « spectaculaire » est faite autour de la polémique sur l’authenticité, qui avait pourtant commencé bien en amont. Les experts du musée Van Gogh d’Amsterdam avaient déjà manifesté leur désaccord en 2008 et 2012. Ce point de vue, jusqu’alors méconnu du grand public, était-il susceptible de nuire à la publication du recueil de dessins ? Les éditions du Seuil voient d’un mauvais œil les attaques du musée qu’elles qualifient de « campagne de dénigrement systématique », à laquelle elles auraient préféré la discrétion.
On est pourtant en droit de se demander si, tout au contraire, la polémique n’accentue pas le phénomène de curiosité, poussant finalement à l’achat. Repensons par exemple au procès fait à Baudelaire pour ses Fleurs en 1847, accusées d’« offense à la morale publique et aux bonnes mœurs ». La polémique créée par certains poèmes, leur censure, suscite alors l’intérêt de la population qui s’empresse d’en prendre connaissance, et des illustrations érotiques ne tardent pas à circuler sous les manteaux du marché noir… Jetant contre son gré Baudelaire sur le devant de la scène médiatique, le procureur général Ernest Pinard avoue lui-même que «si la poursuite n’aboutit pas, on fait à l’auteur un succès, presque un piédestal ; il triomphe, et on a assumé, vis-à-vis de lui, l’apparence de la persécution. ». Le recueil n’est réhabilité dans son intégralité qu’en 1949 mais il est, à sa sortie, déjà connu de tous.
Si la médiatisation du poète n’était pas de son fait, on peut se demander si celle qui est faite
autour du Brouillard n’a pas quelque intérêt. On apprend dernièrement que le musée d’Amsterdam refuse le débat public engagé par les éditions du Seuil, qui avait pour objectif de mettre fin à la polémique : sans arguments pour se défendre ou volonté de faire durer le débat ? En allant à l’encontre des experts français, le musée d’Amsterdam espère peut-être réaffirmer sa figure d’autorité et assurer son monopole sur la figure de Van Gogh. On se rappelle en effet qu’il s’était une première fois trompé sur l’attribution du Coucher de soleil à Montmajour.
Campagne de promotion volontaire ou collatérale, c’est en tout cas un coup de pub réussi pour sa rentrée en librairie, qui ne s’est pas faite dans la discrétion. Et quand bien même il devrait s’agir d’imitations, ces esquisses auront eu le mérite de faire parler de Van Gogh.
Lucie Couturier
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Sources :
•  « De l’œuvre au produit culturel », Dominique Sagot-Duvauroux, HAL archives ouvertes, février 2010.
• « La découverte de nouvelles œuvres attribuées à Van Gogh », Gilles Perrault, Revue Experts n°17, décembre 1992.
• « Un carnet de dessins inédits de Vincent Van Gogh dévoilé à Paris, le musée du peintre néerlandais assure qu’ils ne sont pas de sa main », The Huffington Post, novembre 2016.
• « Des Van Gogh dans le brouillard », Le Monde, novembre 2016.
• « Des dessins ‘‘inédits’’ de Van Gogh, contestés par le musée d’Amsterdam », Le Monde, novembre 2016.
• « Dessins de Van Gogh : la contre-expertise hollandaise », Eric Bietry-Rivierre, Le Figaro, novembre 2016.
• « Vincent Van Gogh, un carnet dans le brouillard », Julie Malaure, Le Point, novembre 2016.
• « Un tableau inconnu de Van Gogh dormait dans un grenier », Le Monde, septembre 2013.
• « Le « faux’’ Van Gogh était en fait un vrai », Sara Webb, Pascal Liétout pour le service français, Le Nouvel Observateur, septembre 2013.
• « Polémiques médiatiques et journalistiques », Ruth Amossy et Marcel Burger, revue SEMEN, 2011.
• « Affaire Van Gogh: Le Seuil dénonce une « dérobade » du Musée d’Amsterdam », Le Parisien, novembre 2016.
• « Van Gogh en plein brouillard », Georges Bourquard, Le Dauphine, novembre 2016.
• « Procès des Fleurs du Mal : condamnation et censure de Charles Baudelaire en 1857 », France pittoresque, février 2014. D’après Le Figaro, 5 juillet 1857 et La Revue des Procès contemporains, 1885.
Crédits :
• Ouest France.
• La Croix.

Culture

BLACK MIRROR ou le divertissement prophétique

« [Black Mirror] is about the way we live now – and the way we might live in 10 minutes’ time if we’re clumsyn »*Charlie Brooker pour The Guardian, le 1er décembre 2011.
Black Mirror est une série d’anticipation créée par Charlie Brooker en 2011. Cette anthologie présente autant de futurs dystopiques possibles que d’épisodes, soit 13. Chaque épisode a un casting différent, un décor différent et une réalité différente mais un thème commun trace un fil rouge entre toutes ces possibilités : comment l’information et la technologie influent et influeront sur nos comportements et notre nature humaine.
Charlie Brooker a longtemps été chroniqueur pour le Guardian où il critiquait avec cynisme, humour et justesse les médias. Dans un autre registre il a également écrit une mini-série, Dead Set, où des zombies sont lâchés sur le plateau d’une télé réalité.
Avec Black Mirror il pose de fascinantes questions sur notre rapport à la technologie qu’il s’agisse du droit à l’oubli, du poids de l’opinion publique, de l’ultra surveillance, l’intrusion des objets connectés ou encore la prolongation de la vie. Il se plait à imaginer les dérives des nouvelles technologies actuelles et futures. Ces problématiques sont traitées sous un angle noir, souvent satirique, et le reflet de ces mondes se veut de plus en plus prophétique.
Charlie Brooker, « oracle post-moderne »

Cette série anticipe de mieux en mieux le futur jusqu’à en devenir terrifiant autant pour le spectateur que pour son créateur. Dans le tout premier épisode, National Anthem, il met en scène un chantage auprès du Premier Ministre britannique qui, pour sauver la princesse d’Angleterre kidnappée, doit avoir une relation sexuelle avec une truie, en guise de rançon, en direct à la télévision. Le 21 septembre 2015 (4 ans après la diffusion de BM) parait une biographie non autorisée de David Cameron, Call me Dave, dont on retiendra surtout l’anecdote selon laquelle l’ex-Premier ministre aurait inséré son sexe dans la tête d’un cochon mort lors d’une soirée de bizutage étudiant… Charlie Brooker confie en interview qu’il n’arrivait pas à croire que se soit ce scénario qui devienne réel.
Les prémonitions se réalisent. Dans le premier épisode de la dernière saison, Nosedive,
 Charlie Brooker dévoile une société régie par la cote sociale personnelle. La population possède une application permettant de noter en temps réel n’importe qui
 de 1 à 5 étoiles, donnant ainsi une note universelle à chacun. Plus votre note est élevée plus
 vous pourrez accéder à des avantages, une meilleure maison, voiture, etc. Netflix, produisant
 la saison 3, pour promouvoir la série, a mis en ligne un dispositif similaire (Rate Me) montrant que cette réalité n’est pas si fictive et éloignée de la notre. En effet,
 en Chine le parti communiste a annoncé que d’ici 2020 tous les citoyens pourraient être notés
 sur la base de leurs données personnelles et professionnelles afin de déterminer qui est ou non
 un bon citoyen. La réalité s’aligne sur la fiction.
On peut aussi prendre l’exemple de Be Right Back, s2e1, au cours duquel une femme peut discuter avec une intelligence artificielle, capable de se faire passer pour son époux décédé grâce aux diverses données numériques laissé par ce dernier sur internet. Cette fois c’est la série même qui a inspiré un Russe, Roman Mazurenko, à créer un bot compilant toutes les activités sur les réseaux sociaux d’un de ses amis durant les mois précédents sa mort afin de générer des réponses automatiques pour discuter avec lui.
Dans une autre catégorie, Sony aurait déposé cette année un brevet (US2016/0097940 A1) pour une lentille oculaire capable d’enregistrer des images et de prendre des photos. Or dans The Entire History of You, s1e3, une grande majorité de la population possède un implant, Grain, lui permettant d’enregistrer et de visionner ses souvenirs à la demande. Dans un tel monde diverses questions essentielles s’esquissent : le droit à l’oubli est il encore possible ? Cet implant, Grain, en enregistrant tous nos faits et gestes, ne provoquerait-il pas une société panoptique?
Petit point culture: le panoptique est un type d’architecture carcéral permettant de surveiller sans que le prisonnier puisse véritablement le savoir, grâce à une tour centrale. Cela provoque donc un sentiment de surveillance permanente qui n’est pas forcément justifié. Michel Foucault reprend ce modèle dans Surveiller et Punir, en mettant en avant le contrôle social qu’une telle surveillance engendre.

Un Miroir Réfléchissant

L’originalité de Black Mirror est de montrer une véritable mise en esclavage de l’homme par
 la technologie et les médias. Plus horrible encore, le système de servitude de ce tout-technologique n’est pas le fruit de manipulations ni de complots. Il se démarque par sa simplicité et l’impossibilité de s’en échapper.
L’ akrasia est au centre de cette problématique. C’est un concept philosophique rencontré chez Platon désignant une faiblesse de volonté. En passant à côté d’un accident de voiture on ne peut s’empêcher de regarder, de chercher une image impressionnante, tout en sachant qu’il est possible qu’on ne puisse la supporter ou qu’elle nous choquera. L’akrasia réside dans ce paradoxe. Ainsi dans National Anthem, lorsque le Premier ministre anglais cède au chantage (avoir une relation sexuelle avec une truie) toute l’Angleterre se retrouve devant la télé pour regarder. L’excitation des citoyens atteint son paroxysme.

La puissance de la scène est portée par les visages des téléspectateurs dégoutés mais qui ne peuvent s’empêcher de continuer à regarder l’interminable séquence.

Ici, répugnance et attraction se mélangent. Alfred R. Mele, définit l’akrasia, dans Irrationnality: An essay on akrasia, self-deception and self-control, comme « la tension paradoxale dans l’action du sujet qui n’a que des raisons de ne pas faire une chose, mais choisit quand même librement de la faire alors que rien d’extérieur ne l’y force ».
Ce paradoxe se retrouve dans les trois épisodes de la première saison. Dans 15 Million Merits, e2s1, le héros Bing participe à un concours télévisuel similaire à XFactor. Devenir célèbre grâce à ce concours semble être le seul moyen pour sortir du système oppressif et uniformisé. Il va sur le plateau pour exprimer sa haine envers ce système jusqu’à menacer sa propre vie. Le système lui répond en disant qu’il adore sa prestation et qu’il a gagné le droit de dire ce qu’il pense sur la télé nationale et d’avoir la vie d’une célébrité. Dès lors, son discours de « vérité » contre ce système de divertissement fait partie lui-même du système, il se retrouve alors incapable de s’en distinguer et d’en sortir. Ainsi le média l’a transformé, a inversé son message. En se conformant à un format il s’est en fait conformé à un mode de vie. Ce qui prouverait que nous communiquons comme nous vivons ? Dès lors le média nous conditionnerait presque ?
Il n’est pas uniquement question de dénoncer la technologie, l’omniprésence des écrans, mais de montrer aussi comment cette technologie qu’aujourd’hui nous nous imposons nous imposera demain un certain mode de pensée et une attitude.
Dans The Entire History of You, s1e3, le héros suspecte sa femme de le tromper. Grâce à son implant, il visionne et re-visionne sans cesse une scène de dîner où il croit voir des indices d’adultère. Alors qu’il n’a pas besoin de ces images pour confirmer son jugement, il n’arrêtera son enquête qu’une fois s’être imposé la souffrance qu’est le visionnage de sa femme le trompant.
Voir ce qu’on ne peut s’empêcher de regarder nous transforme. Nos nouveaux outils sont créés pour nous servir, nous améliorer, nous dévoiler, nous cacher, nous surveiller, nous augmenter.
 La technologie offre des possibilités infinies et non des besoins mais il semblerait que l’homme ne puisse se les refuser.

Ulysse Mouron
 
*« [Black Mirror] porte sur notre façon de vivre maintenant – et la façon dont on pourrait vivre d’ici 10 minutes si nous sommes maladroits. »
 
Sources :
Charlie Brooker, « The Dark Side of our Gadget Addiction », The Guardian, 1er décembre
 2011
Joël Bassaget, « Black mirror » : Les écrans totalitaires de Charlie Brooker », Libération, 6
 janvier 2012
Raphael Clairefond, « Black Mirror les secrets de la série qui a vu le futur », Sofilm,
 novembre 2016
Grégor Brandy, « Toutes les choses géniales écrites par Charlie Brooker, l’homme derrière la
 série « Black Mirror » », Slate.fr, 21 octobre 2016
Crédits photo :

Photo 1 : screenshot générique
Photo 2 : portrait de Charlie Brooker réalisé pour Brighton Lite
Photo 3 screenshot saison 1 épisode 3
Phot 4 et 5 : screenshot saison 1 épisode 1

Culture

Prix Nobel de littérature : Bob Dylan souffle le chaud et le froid

Le 13 octobre dernier, pour la remise du prix Nobel de littérature, le bâtiment de la Bourse de Stockholm débordait de reporters venus du monde entier, impatients de connaître le nom de l’heureux élu. C’est alors que Sara Danius, secrétaire de l’Académie suédoise, fit son entrée et prit la parole. : « Bob Dylan ». Un silence de plomb s’empara de la salle. Chacun comprit que la nouvelle ferait sensation dans son pays. Et la secousse fut bien réelle…
Fierté de millions de fans aux quatre coins du monde, félicitations de grandes figures politiques et artistiques, doutes et agacement chez plusieurs pontes de la littérature mondiale — cela faisait longtemps qu’un prix Nobel de littérature n’avait pas autant fait « jazzer ». Tous en ont parlé, excepté le principal intéressé qui resta muet pendant deux semaines, irritant ses détracteurs.
Bob Dylan est définitivement une personnalité atypique du monde de la culture : il a conservé durant toute sa carrière une indépendance dans sa communication, comme en atteste ce feuilleton particulier. À travers son silence, puis des remerciements tardifs dans un entretien au Daily Telegraph, et enfin un communiqué de l’Académie nous apprenant son absence à la remise des prix, la légende continue de cultiver sa distance, au risque de perdre son monde…
Une nomination controversée
Une chose est sûre, le prix de l’audace revient à l’Académie suédoise. En choisissant Bob Dylan, légende folk des sixties, porte-drapeau du mouvement des droits civiques aux États-Unis, poète du rock ’n’ roll adulé par des générations de mélomanes, elle s’attendait à créer une onde de choc bien supérieure à celles des années précédentes. Le ton était assumé : le prix Nobel serait médiatique. Elle savait que choisir une grande figure de la musique du XXème siècle pour un prix littéraire de premier plan était osé et que le débat sur les frontières des genres serait forcément abordé, tandis que des rangées de dents grinceraient chez les intellectuels conservateurs.
Comme souvent aujourd’hui, l’œil du cyclone fut sur les réseaux sociaux. Twitter était en ébullition : dans le camp des supporters, bon nombre de personnalités politiques y sont allées de leurs hommages (toujours utiles pour montrer leur fibre culturelle) et de nombreux artistes et figures littéraires ont tenu à défendre le choix polémique de l’Académie. Ci-dessous par exemple, les tweets d’Obama et celui de l’écrivain britannique Salman Rushdie, auteur du best-seller mondial, Les Versets sataniques.

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
En face, la fronde n’était pas en reste. En France comme à l’étranger, ce choix populaire a été fustigé, considéré comme dégradant pour la littérature — c’est ce que laisse entendre le ton cynique de l’écrivain américain, Gary Shteyngart. Le critique littéraire suédois, Per Svensson a même qualifié le prix de « populiste » et « trumpifié ». Les motivations de l’Académie ont aussi été au cœur des critiques, Irvine Welsh, auteur écossais de Trainspotting, en était même venu à traiter les membres de l’Académie de « vieux hippies séniles ».
Cette levée de boucliers peut s’expliquer de plusieurs manières. Elle relève d’abord de l’attachement à une définition conservatrice et scripturale de la littérature. Un autre aspect est aussi à prendre en compte : la nomination du compositeur interprète a une vocation d’ouverture du monde de la littérature sur celui de la musique et de reconnaissance de la communication entre les arts. Cela s’avère problématique si on considère la littérature comme un champ délimité, comme l’entendait Pierre Bourdieu, avec ses propres acteurs, les écrivains se partageant le réservoir de prestige propre au champ.
Un grand levier de distinction, le prix Nobel de littérature, dans les mains d’une personnalité de la musique. C’est un corps étranger qui prend sa part du gâteau, la menace d’une nouvelle concurrence, celle des compositeurs et paroliers qui pourraient à l’avenir encore éclipser les écrivains et faire décroître leur emprise sur le champ. Il apparaît aussi en filigrane, un certain mépris pour la figure du chanteur de 75 ans, illégitime car trop populaire, trop vedette, trop showbusiness, à la différence des écrivains discrets qui préféreraient l’érudition aux projecteurs.
« Why try to change me ? »
Bob Dylan est pourtant loin d’incarner ce stéréotype. Depuis toujours, il a semblé fuir les contraintes de la société pour garder sa liberté d’homme et d’artiste. Pour preuve, après sa nomination, ce silence-radio face aux médias ainsi que sur sa ligne téléphonique, à en croire Odd Zschiedrich, chancelier de l’Académie suédoise, qui n’aurait pu joindre que son agent et le responsable de sa tournée. Seule réaction (pour peu qu’elle soit interprétée ainsi) : le mystérieux chanteur a terminé chacun de ses concerts avec une chanson de Frank Sinatra, intitulée « Why try to change me ? ».
Il est vrai qu’on lui a toujours connu une grande discrétion, parfois déroutante pour les fans et leurs attentes. Celles-ci sont en effet élevées de nos jours, surtout en matière de communication. La figure du chanteur « hyper-communicant », qui élargit et fidélise sa fanbase sur les réseaux sociaux, et multiplie les coups de promotion et les interviews à chaque sortie d’album, est devenue un must. On peut objecter que Dylan est un chanteur de l’ancienne école, nombre de ses fans ne sont donc pas aussi connectés que ceux des pop stars actuelles, et lui-même n’a plus à faire ses preuves. Il demeure cependant, que sur un épisode comme celui du Prix Nobel, la médiatisation qui entoure les grands chanteurs impose une communication publique minimale que Bob Dylan a mise en évidence en ne la respectant pas.
Est-ce là un signe d’impolitesse ou d’arrogance, comme on l’en accusa ? Le chanteur français et son ami de longue date, Hugues Auffray, confia à L’Express : « Ce silence est conforme à sa personnalité. Il ne cherche pas du tout à plaire. C’est un type discret depuis toujours. (…) Il parle à peine, n’a pas un mot pour son public, mais les gens reviennent toujours car ils se trouvent en face de quelque chose qui les dépasse ».
Le 16 novembre dernier, l’Académie suédoise annonçait que Bob Dylan ne se rendrait pas à la remise des prix, à cause « d’autres engagements ». Un nouveau rebondissement donc, qui n’étonne qu’à moitié.
Pouvait-on vraiment imaginer l’énigmatique Bob Dylan au milieu de cette cérémonie, sous les grands lustres de l’Hôtel de Ville de Stockholm, délivrant son discours devant tout un monde institutionnel avec lequel il n’a rien à voir ?
Aux dernières nouvelles, la secrétaire de l’Académie, Sara Danius, affirmait que Bob Dylan envisageait de venir chercher son prix à Stockholm seulement au printemps prochain. L’affaire laisse donc une impression singulière, celle d’un feuilleton dommageable pour Bob Dylan, qui aurait mérité d’être fêté pour l’ensemble de son œuvre, comme l’histoire avait commencé, et non critiqué pour son manque de clarté sur cet épisode particulier.
Hubert Boët
Sources :
– Hermance Murgue, « L’intrigant silence de Bob Dylan après son prix Nobel » L’Express.fr, rubriques Actualité> Culture> Musique, publié le 25/10/2016, consulté le 18/11/2016.
– Claire Fallon, « 27 Tweets That Perfectly Capture How Baffling Bob Dylan’s Nobel Prize Win Is » TheHuffingtonPost.com, rubrique Arts & Culture, publié le 13/10/2016, consulté le 21/11/2016
– Stéphane Koechlin, « Bob Dylan, toujours dans le vent », ANousParis.fr, rubrique Musique> Artistes, publié le 4/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Bruno Lesprit, « Bob Dylan, pris par « d’autres engagements », n’ira pas
chercher son prix Nobel » LeMonde.fr rubrique culture, publié le 16/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Culturebox (avec AFP) « Prix Nobel : Bob Dylan se rendra à Stockholm… au printemps » Culturebox.francetvinfo.fr, rubrique musique, publié le 18/11/2016, consulté le 21/11/2016,
Crédit image : 

Une : Illustration de Zep
Image des tweets : screenshots de Twitter, 24/11/2016

Culture

Wajdi Mouawad, ou l’Art au service de la sensibilisation dans la communication

« Vous nous croyez en guerre alors que nous sommes en manque
Vous nous surveillez mais vous ne voyez rien
Vous nous écoutez mais vous n’entendez rien
Ni l’Alpha de nos peines, ni l’Oméga de nos haines »
– Ciels, Tome 4 de Le sang des promesses, Wajdi Mouawad.
 
Nous avons tous en tête le nombre de victimes du conflit syrien ; les estimations ne cessent de se multiplier – et de grossir — sur tous les médias d’information. Mais ils ont beau marteler des statistiques, des nombres impressionnants de victimes, des noms d’armes compliqués, ce ne sont que des mots, qui glissent sur le récepteur sans jamais vraiment l’accrocher. D’où peut-être l’utilisation par les médias de moyens de sensibilisation et de l’art comme moyen de communication.
Le défi incessant des campagnes de sensibilisation
Les médias, notamment la télévision, font en effet régulièrement le choix d’émailler leurs documentaires ou reportages de témoignages de victimes, qui ancrent les faits montrés dans le réel. Le récepteur se sent concerné – ce pourrait être lui, ce pourrait être son pays. Cette femme amputée, ce pourrait être sa mère, sa sœur, sa fille (impression d’autant plus renforcée aujourd’hui avec la menace terroriste qui tente de faire croire qu’elle peut frapper n’importe où, n’importe quand). Sans nécessairement le pousser à agir – il faut souvent plus que l’identification à une victime pour faire cela – , le pathos, dans l’art et les médias, est un moyen de faire prendre conscience.
Les campagnes de sensibilisation pour la sécurité routière jouent ainsi régulièrement sur un effet de choc, l’irruption de l’horreur dans des situations quotidiennes que nous avons tous vécu. Le but ? Heurter les cibles de la campagne, leur faire prendre conscience que les accidents n’arrivent pas qu’aux autres et montrer les dégâts causés par des accidents – des images réelles, qui rappellent que les accidents de la route ne gâchent jamais qu’une vie. Mais une fois le choc initial dépassé, que reste-t-il vraiment de ces campagnes ? Un sentiment d’injustice pour les victimes, de la rage pour ceux qui sont responsables des accidents, certes. Mais il est très rare qu’on se dise qu’un accident puisse nous arriver à nous. Le but initial de ce type de campagne n’est que rarement atteint, tout simplement parce qu’on ne retient finalement que le choc et non pas ce qu’il veut démontrer. Le moyen dépasse le but, en quelque sorte.

Un autre type de campagne sensibilisante serait celui jouant sur la culpabilisation. Les campagnes sur la propreté des villes prennent souvent le parti-pris de montrer les conséquences néfastes de petits gestes que chacun a déjà réalisé au moins une fois, parfois au risque de forcer le trait. Jeter un mégot de cigarette revient ainsi souvent dans ce genre de campagnes à polluer l’océan, à tuer un bébé tortue… Ce qui est sans doute vrai, mais ne peut avoir qu’un impact limité. Tout d’abord parce qu’on ne garde pas ces campagnes en tête comme celles jouant sur l’effet de choc (aussi parce qu’elles se concentrent sur des gestes plus anodins, répétés sans cesse et auxquels on ne fait pas forcément attention), ensuite parce que le récepteur a souvent tendance à se braquer face à elle. Il n’est pas le seul à faire ces gestes, pourquoi serait-il le premier à changer ses habitudes ? Est-ce que ce serait vraiment efficace ? Et comment savoir que le publicitaire à l’origine de cette campagne n’est pas lui-même coupable de pareils gestes d’inattention ?

Les campagnes de sensibilisation sont certes souvent plus efficaces que celles se voulant purement objectives et informelles, mais elles sont aussi victimes de leurs propres méthodes : en jouant sur les émotions des récepteurs, sur le pathos, elles se prêtent aussi à un rejet purement subjectif de ces derniers. Elles semblent donc arrivées dans une impasse.
La transcendance de la barrière de l’indifférence par l’Art – l’exemple de Wajdi Mouawad
En Avril 2016, Wajdi Mouawad, dramaturge et metteur en scène canadien d’origine libanaise, est nommé directeur du Théâtre de la Colline. Une victoire de prestige, qui n’est que la suite logique d’une carrière riche, et, à bien des égards, unique. Car Wajdi Mouawad a une histoire singulière. Multiculturelle. Né au Liban en 1968, puis obligé de quitter son pays alors qu’il n’est encore qu’un enfant pour fuir la guerre civile, il s’installe au Québec avec sa famille. Il apprend à parler le québécois avant l’arabe, et restera toujours marqué par cette guerre civile qui n’est pas vraiment la sienne et par la perte de ses origines.
Alors Mouawad écrit. Pas son histoire, non. Il ne mentionne presque jamais la guerre au Liban. Non, Mouawad écrit – ou tente d’écrire – l’universel. Il écrit la perte des origines, la perte du sens, la perte des repères. Le sang et la mort nés des racines de la guerre. Son premier cycle, Le sang des promesses, composé de quatre pièces (Littoral, Incendies, Forêts et Ciels), mêle intime et collectif. Ou plus exactement : comment la tragédie familiale peut être un reflet du drame historique, de la mort, des morts. Des oubliés. Du meurtre banalisé et ignoré.

Mouawad est un auteur engagé. Pour l’humain, pour la jeunesse qu’il estime sacrifiée. «A quoi tu sers alors si tu n’es pas capable de changer le monde ? » s’interroge l’un de ses personnages dans Littoral, la première pièce de Le sang des promesses. Il ne juge pas, non. Mais ses histoires ramènent l’indicible, le lointain – les massacres, les enfants-soldats – à une échelle plus humaine, plus intime, et, de ce fait, touchent. Son art est un moyen de véhiculer ses idées. L’émotion happe le spectateur, lui fait prendre conscience par le biais du pathos. Or, c’est par la prise de conscience que commence le changement, que l’action peut découler des mots. Mouawad utilise donc l’art comme moyen de communication pour véhiculer ses idées.
C’est également là qu’intervient le risque – et la crainte – de l’alarmisme, qui tend à faire douter les récepteurs de la véracité ou de l’honnêteté des campagnes de sensibilisation. Ce jeu sur les émotions n’est-il pas finalement une manipulation ?
Toutefois, refuser la sensibilisation dans la communication et les médias sous prétexte qu’elle manipule serait un raccourci relativement facile. Les chiffres, aussi objectifs qu’ils puissent paraître, peuvent aussi être manipulés. L’art comme moyen de communication a semble-t-il au moins le mérite de permettre au récepteur de s’identifier, au moins de comprendre la réalité d’une information, tout en proposant une démarche esthétisante qui en renforce l’impact. Et il permet aussi de croire, peut-être encore un peu, en l’humain – à l’image de Wajdi Mouawad qui, malgré l’ambiance toujours sombre de ses pièces, continue de manière presque irréaliste à espérer une réconciliation dans la famille et dans le monde.
 
Margaux Salliot
Sources:
l’Express
Wajdi Mouawad
savethechildren.org
Wikipedia
Site wordpress Jesuisencorevivant
suzou.net
faire-face.fr
20minutes
Crédits photo :
Campagne de sensibilisation de la sécurité routière avec la participation de Rodolphe. Campagne de sensibilisation à la propreté des villes « Vacances Propres ».
Extrait du film Incendies de Denis Villeneuve (2010) tiré de la pièce éponyme de Wajdi Mouawad.
 

Culture

"Merci Patron", le film qui met LVMH au tapis

Toutes sensibilités politiques confondues, difficile de rester insensible au  documentaire à succès de François Ruffin, sorti le 24 février dernier. Fondateur et rédacteur en chef de Fakir, le « Journal fâché avec tout le monde ou presque », Ruffin raconte le combat -presque épique- qu’il mène avec un couple de picards, Jocelyne et Serge Klur, victimes collatérales de la délocalisation de leur usine en Pologne. Les tactiques de communication employées par le groupe LVMH, destinées avant tout à éviter le scandale et empruntes d’une indifférence profonde vis-à-vis des détresses individuelles, y sont dévoilées avec brio.

On retrouve dans le film des codes inaugurés par Michael Moore dans ses documentaires Bowling for Columbine ou encore Capitalism : A love Story. Comique de situation, goût de l’absurde, volonté de mettre en lumière ce qui n’est d’ordinaire accessible qu’à quelques heureux élus. Le ressort du film tient à une idée très simple : LVMH, et par extension son patron Bernard Arnault, sont prêts à tout pour étouffer une affaire qui pourrait nuire à l’image de la marque. François Ruffin et la famille Klur exigent, en dédommagement du licenciement des deux époux, la somme de 35.000 euros, et l’obtention d’un emploi pour Serge Klur. La somme est destinée, entre autres, à rembourser leurs nombreuses dettes et éviter la saisie de leur maison. Et, grande fantaisie, à acheter un chauffage fonctionnel.  D’abord dans une lettre adressée à Bernard Arnault puis auprès d’un homme dépêché chez eux par LVMH, ils ne se démontent pas. La question se pose d’emblée: comment, au juste, espèrent-ils obtenir d’une entreprise une telle démonstration de charité ? La réponse semble peut-être évidente au lecteur averti de Fast’N’Curious, mais elle mérite qu’on s’y arrête. 

La terreur du bad buzz

Par définition, l’objectif premier de toute communication externe d’entreprise est d’instituer et maintenir une image de marque positive. C’est elle qui donne confiance au consommateur, le séduit et le conforte dans son choix. Or, les misères du couple Klur, mise dans les mains de médias et de personnages politiques bien choisis, représentaient un danger crucial pour l’image de la marque. En instrumentalisant ce risque et en le retournant comme une menace contre le groupe, François Ruffin et la famille Klur parviennent à tourner les choses à leur avantage. On les voit rédiger un certain nombre de lettres, expliquant qu’en effet, LVMH et plus particulièrement monsieur Bernard Arnault, étaient responsables de leur extrême précarité.  L’histoire d’une famille plongée dans la misère après avoir perdu des emplois délocalisés, représentait, aux yeux du service de communication de LVMH, un terrible danger…

Hors, comme nous le savons maintenant, le véritable danger était encore à venir: le documentaire de François Ruffin, avec ses dizaines de milliers d’entrées malgré le nombre réduit de salles le projetant, a généré un nombre important d’articles, d’interviews, et de manière plus générale, de remises en question de l’idée même de justice sociale. Le mouvement Nuit Debout, né de l’occupation de la place de la République après la manifestation du 31 mars contre le projet de réforme du code du travail, est dans la ligne directe du documentaire. François Ruffin en est un actif participant.

Comme tentative de réponse, le groupe LVMH va ouvrir au grand public une cinquantaine de ses sites européens pendant trois jours en mai. « 40 maisons » vont ainsi être accessibles gratuitement. Les salons Christian Dior avenue Montaigne, les ateliers Louis Vuitton à Asnières, ou encore le joaillier Chaumet Place Vendôme, les portes de plus de « 50 lieux d’exception » seront ouvertes du 20 au 22 mai, à l’occasion de la 3e édition de ses « Journées Particulières ». L’objectif communicationnel est clair: redonner un visage aux membres du groupes, qui sont, après tout, « humains comme vous et moi ». 

Mariem Diané

Sources :

http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=243117.html
http://www.boursorama.com/actualites/lvmh-organise-des-portes-ouvertes-apres-le-film-satirique-merci-patron-8a0dacbbe34750843ec8ab4ebaaabe84
http://www.lemonde.fr/politique/article/2016/04/06/nuit-debout-a-paris-on-continuera-jusqu-a-aboutir-a-quelque-chose-de-concret_4896552_823448.html

CROWDFUNDING LOUVRE
Culture

Le crowdfunding investit (dans) le musée du Louvre

« Tous mécènes de l’Amour ! ». C’est le mot d’ordre de la 6ème campagne d’appel aux dons du musée du Louvre. Le projet : en appeler aux aficionados des Beaux-Arts pour réunir une partie de la somme nécessaire au musée pour acquérir L’Amour essayant une de ses flèches, une œuvre commandée par la marquise de Pompadour, la célèbre favorite du roi Louis XV, au sculpteur français Jacques Saly.
Ainsi, le crowdfunding ou financement participatif n’est plus l’apanage de l’industrie musicale ou des nouvelles technologies. En effet, ce mode de financement sans intermédiaire, qui permet à chacun de soutenir un projet précis, est en train de devenir une réponse au manque de moyens de l’Etat dans le domaine de l’Art et de la culture. Bien plus, cette tendance apparaît comme une stratégie communicationnelle qui semble payer pour les institutions culturelles, et notamment pour le musée du Louvre.
L’art et la manière de dépoussiérer les musées
Fini le temps où les grands chefs d’entreprise philanthropes et amateurs d’art tenaient le premier rôle dans le renouvellement et la restauration des collections des musées. L’heure est aujourd’hui au crowdfunding. En optant – en partie – pour ce mode de financement innovant, le musée du Louvre se positionne comme un acteur culturel en voie de modernisation. Qui plus est, l’opération de communication qui enrobe l’appel aux dons, fait entrer le musée dans l’ère numérique. Un site, épuré, renseigne le public sur l’œuvre, la campagne et « comment devenir mécène », sans pour autant le noyer sous un flot d’informations inutiles. Une vidéo animée retraçant l’histoire de la sculpture est diffusée sur les réseaux sociaux et permet de capter l’attention de l’internaute – comme en témoignent les nombreux commentaires élogieux qu’elle a recueillis sur Facebook.

 
On retrouve également un clin d’œil au sujet de l’œuvre (L’Amour sous les traits de Cupidon) dans la date de clôture de la campagne : le 14 février 2016, jour bien connu des amoureux. Une campagne digitale plutôt bien rodée pour cette vénérable institution qu’est le Louvre.
Enfin, les modalités de don se trouvent élargies à l’occasion de cette nouvelle édition : au don en ligne ou au paiement par chèque s’ajoute la possibilité de payer via son smartphone ou sa tablette. De quoi achever de convaincre les plus sceptiques que le musée peut encore se révéler in.

Crowdfunding, a crowd-puller ?
Si le musée a bien conscience qu’avoir recours aux grands mécènes est plus avantageux, plus lucratif que cet appel aux dons, comment expliquer que «  Tous mécènes ! » en soit déjà à sa sixième édition et que les donateurs continuent d’affluer ? Il faut donc souligner qu’au-delà de la recherche de fonds, ces campagnes sont l’occasion pour le musée du Louvre d’élargir et de fidéliser un public. En effet, tout au long de l’année, des onglets – plus ou moins discrets – sur les sites des musées, invitent l’internaute aux dons. Cependant, des projets concrets tels que l’acquisition de L’Amour essayant une de ses flèches, sont réellement fédérateurs dans le sens où le donateur se sent devenir « un acteur à part entière de la vie des collections » (Eléonore Valais-de Sibert, anciennement chef du service du mécénat individuel du musée du Louvre). Cela fait prendre conscience au citoyen qu’il participe à la constitution d’un héritage culturel. De plus, il semble qu’un investissement – même minime – dans un tel projet de valorisation du patrimoine, incite le mécène à se rendre plus régulièrement au musée pour contempler l’œuvre qu’il a soutenue. Un hommage sera également rendu aux souscripteurs, comme cela avait été le cas lors de la campagne pour l’acquisition des Trois Grâces de Lucas Cranach en 2010, où les noms des 7000 donateurs avaient été inscrits sur la cimaise accueillant l’œuvre.

Le crowdfunding apparaît ainsi comme un instrument efficace pour approfondir la relation entre le public et l’institution muséale. Toutefois, cette méthode ne répond que partiellement à la désaffection que connaissent l’art et la culture, car si elle renforce le lien avec des catégories socio-culturelles déjà acquises, elle n’en crée pas nécessairement avec des publics moins réceptifs à son objet.
Juliette Bonnet
Sources :
« Quand le Louvre en appelle aux Français pour acheter un trésor national », L’Obs, le 06/10/2015, http://tempsreel.nouvelobs.com/l-histoire-du-soir/20151006.OBS7199/quand-le-louvre-en-appelle-aux-francais-pour-acheter-un-tresor-national.html
Dounia Hadni, « Crowdfunding : une stratégie payante pour les musées », Les Echos, le 10/10/2015, http://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/021389158567-crowdfunding-une-strategie-payante-pour-les-musees-1164155.php
« Le crowdfunding, nouvelle solution de financement pour les musées ? », Good Morning Crowdfunding, le 08/10/2014, http://www.goodmorningcrowdfunding.com/le-crowdfunding-nouvelle-solution-de-financement-pour-les-musees-0810144/
« Tous mécènes ! Quand le musée du Louvre se finance par le crowdfunding », Regards Sur Le Numérique, le 30/11/2012, http://www.rslnmag.fr/post/2012/11/30/Tous-mecenes-!-Quand-le-musee-du-Louvre-se-finance-par-le-crowdfunding.aspx
Crédits images :
Mathieu Ferrier, Agence Photo F. et Antoine Mongodin
Musée du Louvr

FLORENCE FORESTI
Culture

Pour le prix de la meilleure cérémonie, j'appelle Florence Foresti

Il était grand temps de venir dynamiser un programme qui battait quelque peu de l’aile. Tenues de Gala, sourires timides et sérieux assurés, il s’agit bien sûr des César, qui ont depuis quelques années déjà pris l’allure d’un conseil des ministres à l’Elysée.
Crées par Georges Cravenne deux ans après l’Académie des arts et techniques du cinéma, les César, dits aussi « La nuit des César », ont pour vocation de récompenser les meilleures productions cinématographiques en suivant le modèle de son grand frère américain, les Oscars. Seulement voilà, depuis quelques années, la cérémonie des César semble être devenue une « Très longue nuit ».
Une France étriquée dans son costume 3 étoiles
Le vrai problème se trouve peut-être dans le rapport qu’entretiennent les Français avec leurs hautes institutions culturelles. La procédure de vote aux César a tout de la procédure de vote d’une loi à l’Assemblée nationale. Le collège de votants est composé de professionnels du cinéma, le vote s’organise en deux tours, le premier détermine les concourants aux différents prix, le deuxième les gagnants de chacune des catégories. La présence du ministre de la Culture et de la Communication à la cérémonie est systématique. Cette mise en œuvre procédurière transparait jusque dans la salle du théâtre du Châtelet, l’ambiance est glaciale, le parterre d’illustres acteurs français présent ce soir-là semble inanimé, les rires sont rares… voire inexistants. Les discours sont souvent longs et ponctués de phrases poético-philosophiques qui achèvent d’endormir l’assemblée… et les téléspectateurs devant leur téléviseur. N’est pas Aristote qui veut. Ambiance.
A côté, le cousin américain s’en sort bien mieux, en témoignent les audiences: les Césars représentent 10 à 15% des parts de marché, contre 30 à 40% pour les Oscars. Comment expliquer alors cette différence de popularité entre deux cérémonies qui se ressemblent… ou presque. Les Oscars ont su garder leur fraicheur. Notamment, les discours sont minutés chez nos homologues américains, à hauteur de 45 secondes. Même si cette règle a rarement été respectée dans l’histoire des Oscars, certains gagnants sont contraints d’abréger leurs discours, les remerciements défilant simplement sur un écran. Si seulement c’était le cas en France, le célèbre Fouquet’s pourrait recevoir ses convives à une heure décente. Avec quelques 3h30 de cérémonie en moyenne, les Césars trainent définitivement en longueur.
« C’est qui la meilleure ? »
Heureusement, un vent d’air frais a soufflé cette année sur une cérémonie poussiéreuse. Le vent prend l’apparence ici d’une jolie brunette quarantenaire à l’humour corrosif qui endosse le costume de présentatrice.
Une imitation de Flashdance plus tard, chacun avait hâte de découvrir la performance de Florence Foresti en tant que maitresse de cérémonie… et rares sont les déçus. Les chroniqueurs d’Hanouna ont même encensé l’humoriste, Isabelle Morini Bosc clame « c’est la première fois que je ne me suis pas endormie ». Foresti a su américaniser ces César et dérider son auditoire, on a même cru voir rire et sourire certains des comédiens présents (on vous jure). Loin, très loin de la très décevante et malheureusement trop longue (4h30 de cérémonie en tout !) édition 2015 par Edouard Baer, Foresti a su capter l’attention du téléspectateur en pratiquant l’auto dérision et en lançant même quelques petites piques bien senties à l’attention des acteurs, Vincent Cassel a alors brillé par… son absence.
L’émission a considérablement gagné en rythme et Foresti a réussi son pari: clôturer la cérémonie pour minuit pile et éviter les longueurs qui lui faisaient mauvaise pub.
Madame a même réussi à convier Vanessa Paradis pour sa réinterprétation de “Bloqués”, la mini-série de Orelsan et Gringe diffusée sur Canal +. Les audiences sont au rendez-vous malgré la très forte concurrence de Koh Lanta (TF1) ce soir-là, le Foresti Show a réuni 2,5 millions de téléspectateurs.
L’humour a donc été le grand gagnant de cette 41ème cérémonie des César et Foresti remporte le prix de la meilleure présentatrice. C’est qui la meilleure ? C’est Foresti !

L’humour, l’ingrédient secret d’une communication réussie
Cette performance, les César n’avaient pas réalisé une audience aussi conséquence depuis les éditions 2005 et 2012 respectivement présentées par Gad Elmaleh et Antoine de Caunes, consacre le pouvoir de l’humour dans nos schémas de communication actuels. Oasis en a fait son outil de travail avec ses fruits personnifiés, Ramontafraise, Manguedebol et toute la bande, qui ont largement contribué au renouveau de la marque et à son succès. La cérémonie des César reste de l’ordre du divertissement pour le téléspectateur, elle doit donc répondre aux exigences du média télévision, notamment en terme d’attention du spectateur, qui ne peut être de 4h30, n’en déplaise à l’Académie des arts et techniques du cinéma.
Notamment, l’humour est placé aux cœurs de nos communications car il permet de construire des relations plus humaines. Florence Foresti n’est ainsi sûrement pas la seule femme à vouer un culte à la beauté de Vincent Cassel, ni la seule mère de famille dont la fille est fan de Louane depuis ses apparitions dans The Voice puis La Famille Bélier. Par ce biais, elle est parvenue à créer une complicité avec son auditoire derrière son poste de télévision.
Surtout, l’humour ne passe jamais inaperçu, en témoigne les nombreuses réactions des réseaux sociaux et des médias dès le lendemain de la diffusion de la cérémonie. En général très bonnes, les critiques ont permis aux César de faire parler d’eux et de redorer leur image, en témoignent les audiences en hausse, merci à Foresti et à son sens de l’humour.
Attention cependant, l’exercice de l’humour n’est pas toujours chose aisée: l’adage dit qu’on ne peut pas rire de tout, en témoigne le flop d’Edouard Baer l’année dernière lorsqu’il se moque de l’idylle pas si officielle de Julie Gayet et de François Hollande. Celle-ci s’est contentée d’esquisser un rire… jaune.
Foresti répond aussi à ses détracteurs, notamment le quotidien Le Monde qui reproche à l’humoriste d’avoir volé la vedette aux acteurs primés qui ont dû revoir à la baisse leur temps de parole. Au grand bonheur des téléspectateurs ?
Manon DEPUSET
@manon_dep
 
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9sar_du_cin%C3%A9ma#Troph.C3.A9e
http://teleobs.nouvelobs.com/actualites/20160227.OBS5473/cesar-2016-foresti-assure.html
http://www.lefigaro.fr/cinema/2010/02/25/03002-20100225ARTFIG00792-cesar-contre-oscar-deux-ceremonies-deux-standards-.php
http://1001startups.fr/communication-humour/
Crédits images :
Le Soir
Capture d’écran Twitter

Culture

Airbnb: la Nuit au musée

On connaît la rengaine : s’il n’est pas déjà chez vous, Airbnb est partout ailleurs. La bête noire des petits et grands hôtels s’impose encore davantage sur le marché de la location, et ce malgré la peur des grandes villes de voir le nombre de leurs habitants baisser au profit d’une population plus saisonnière. A Paris notamment, il est hors de question de voir la ville Lumière se changer en ville Fantôme ; c’est pourquoi la municipalité a récemment mené plusieurs « opérations coup de poing » en faisant la chasse aux « multipropriétaires récidivistes » et à l’ « hôtellerie clandestine »… Pourtant, si à Paris on craint qu’Airbnb ne change la capitale en musée, à Chicago, c’est le musée lui-même qui invite.
Van Gogh is in the place
Quelle n’est pas la surprise des utilisateurs de trouver un beau matin sur la plateforme une annonce de Van Gogh lui-même, vantant les mérites de sa petite chambre décorée « in a Post-Impressionist style ». Toutefois, à dix dollars la nuit (9€), le peintre reste modeste. Il n’a besoin d’argent que pour acheter ses peintures, précise-t-il… Et qui serions-nous pour priver Van Gogh de ses couleurs ? Il ajoute néanmoins qu’il serait heureux de nous offrir des tickets d’entrée pour son exposition à l’Art Institute de Chicago. Quelle générosité !
Et pourtant, les bons Captain Obvious vous le diront, l’artiste a peint sa petite chambre à Arles (et non à Chicago), il n’a jamais connu le succès au cours de sa vie et surtout, il est mort depuis une bonne centaine d’années.

C’est finalement l’Art Institute himself qui est à l’origine de cette idée. Afin de promouvoir la nouvelle exposition, « Van Gogh’s bedrooms », les organisateurs ont reconstitué la chambre exactement telle qu’elle apparaît dans les tableaux du peintre, avec son chapeau de paille, sa perspective si particulière et ses murs bleus. La touche du peintre y est quant à elle parfaitement reconnaissable.
J’irai dormir chez vous

Plus besoin de regarder par le trou de la serrure, venez donc passer la nuit ! Immergez-vous dans l’univers de Van Gogh ! L’originalité de la démarche n’est plus à démontrer, la campagne de communication a été un franc succès et la collaboration avec Airbnb, pleinement assumée. Le community manager de l’institut a lui-même passé la nuit dans la chambre. L’expérience est relayée sur Twitter, sur Instagram et bien sûr, sur Airbnb où les utilisateurs sont invités à commenter leur nuitée, assurant à l’exposition une visibilité à moindre frais, une sorte de bouche à oreille 2.0. L’humour dont ont fait preuve les organisateurs a assuré à l’exposition une large couverture médiatique et l’utilisation d’une plateforme telle qu’Airbnb a permis d’atteindre un public sans doute moins familier du peintre. On le sait, la population des musées n’évolue plus depuis près de quarante ans. L’utilisation toute récente des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Instagram, permet sans doute d’atténuer la barrière entre une institution et son public, d’interagir plus facilement avec ce dernier, mais pas forcément de le renouveler. C’est en cela que la contribution d’Airbnb est intéressante : au-delà de l’aspect humoristique de la démarche, toute personne recherchant un logement sur Chicago sera susceptible de tomber sur l’annonce, et ce, qu’elle soit connaisseuse ou non de l’œuvre de Van Gogh.
Le magazine Télérama, se prêtant au jeu, a même imaginé la « visite virtuelle d’un possible futur Hôtel des Peintres » où chaque chambre serait la reconstitution d’une œuvre connue comme A Woman in the sun de Hopper, ou bien encore La Chambre Bleue de Picasso…
Le principe n’est pourtant pas novateur. Avant même la création d’Airbnb, l’Aubergine Rouge, une chambre d’hôtes à Arles, attirait ses clients grâce à sa chambre Van Gogh, recréée elle aussi d’après le modèle du peintre.

Un carnet d’adresses bien rempli
Ce n’est pas la seule adresse insolite que l’on trouve sur le site. Bien qu’il s’agisse de sa première collaboration avec un musée, Airbnb est réputé pour avoir hébergé des annonces de location concernant des lieux de tournage célèbres. Ainsi peut-on louer une maison de Hobbit en Nouvelle-Zélande, ou bien à Seattle, l’appartement d’Anastasia Steele et de Christian Grey dans le sulfureux 50 nuances de Grey. Plus récemment encore, la célèbre Alfred Rosenheim Mansion, surnommé la Murder House dans la première saison d’American Horror Story s’est elle aussi retrouvée sur la plateforme. Et malgré les dispositions de la ville de Paris face aux dérives immobilières, Airbnb a su organiser pour les plus curieux, une nuit dans nos célèbres Catacombes le soir d’Halloween.
Allez savoir à qui cette publicité est le plus profitable : à l’Institut ? Ou à Airbnb lui-même ? Disons que c’est bien là le principe d’une collaboration, on ne sait pas trop qui aide qui. Une chose est sûre, dans le chambre de Van Gogh, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles… ou presque.
Marie Philippon
Sources :
Mathias Thépot, « L’invasion Airbnb, une préoccupation majeure pour Paris », La Tribune, le 16/01/2016
Le Monde, Big Browser. « Dormir dans La Chambre de Van Gogh », le 17/02/2016
Emmanuel Tellier, « Si la chambre Van Gogh est prise, neuf autres tableaux où passer la nuit », Télérama, le 12/02/2016
Crédit images
Airbnb, « Van Gogh’s Bedroom »
Twitter : Art Institut, retweet de Tim Schraeder le 25/02/201
Instagram : artinstitutechi, The Art Institut of Chicago

BARBIE
Culture

Barbie se met en formes

« Now can we stop talking about my body? » D’un revers de sa main de plastique, Barbie balaye les questions relatives à sa … plastique, en Une du magazine Time. Le groupe Mattel l’annonce dans l’hebdomadaire américain : Barbie fait sa révolution, et se refait une, ou plutôt des beautés. Après des mois d’études de marché, de tractations en interne et de tests auprès de ses (très) jeunes client(e)s, Barbie accueille dans son monde merveilleux trois variations de la fameuse sylphide blonde et longiligne créée en 1959, ainsi qu’une multitude de nouvelles carnations et textures de cheveux.

Culture

#OscarsSoWhite: Black Artists Matter

Les Oscars blanchis ?
Tout a commencé avec l’annonce des nommés aux Oscars 2016, le 14 janvier 2016. 71.5% d’hommes blancs, 20% de femmes  blanches et 7% d’hommes de couleur, toute catégorie confondue. Pour la deuxième année consécutive, aucune présence de femmes et d’hommes issus de minorités n’est à noter dans les catégories reines que sont le meilleur réalisateur, meilleure actrice et meilleur acteur.
Quelques jours plus tard, des stars hollywoodiennes comme Michael Moore et Will Smith appellent au boycott de la cérémonie des Oscars, accusés d’être trop blancs, via le hashtag #OscarsSoWhite. Spike Lee en tête de file réclame l’instauration de quotas pour assurer plus de diversité parmi les nommés. Il met en accusation l’organisation qui préside aux Oscars, soit l’Académie des arts et des sciences du cinéma et ses 6 000 membres.

 
Le 21 janvier, la présidente de l’Académie Cheryl Boone Isaacs, seule femme noire du comité de direction, annonce de nouvelles mesures prises dans ce sens. L’objectif est de doubler d’ici 2020 le nombre de femmes et de personnes provenant de minorités ethniques. Il faut en effet souligner que parmi les 6 000 membres, 93% sont des hommes blancs. Il s’agit donc d’une politique d’ouverture, qui se refuse à l’instauration de quotas ethniques.
La question de la discrimination ou non dans le processus de désignation des nommés fait depuis toujours débat malgré ces nouvelles mesures. Cette question fait lien avec celle de la représentativité des minorités et des femmes dans les productions culturelles et médiatiques américaines : concourent-elles à la persistance des clichés sur ces minorités et à leur exclusion des processus de création culturelle ?
Des clichés construits par les médias ?
Si la discrimination au sens de ségrégation a officiellement disparu aux Etats-Unis, c’est maintenant face à un phénomène de stéréotypie que doivent faire face ces communautés. Un phénomène relayé par les médias, notamment dans les films et séries. Concernant la représentation des minorités dans les séries américaines, Olivier Esteves et Sébastien Lefait (1), deux enseignants chercheurs, montrent qu’une logique quantitative est privilégiée par les producteurs et réalisateurs. Ils cherchent avant tout une représentativité de ces minorités en termes de nombre d’acteurs dans la série plutôt qu’une représentativité qualitative, qui échappe aux stéréotypes. Ainsi les représentations de musulmans assimilés à des terroristes (NCIS) perdurent sur le petit écran. Au-delà de la fiction, les reportages sur les arrestations et décès de membres de la communauté noire ont suscité des réactions sur les réseaux sociaux. Après la mort de Michael Brown en 2014, certains médias ont décidé de diffuser sa photo lors de sa cérémonie de diplôme, d’autres d’une photo le présentant dans une allure « gangsta ». CJ Lawrence, une avocate, lance alors le hashtag #IfTheyGunnedMeDown (s’ils m’abattaient) en montrant deux photos différentes d’elle : laquelle serait choisie par les médias ? Ce choix est déjà une prise de position : une défense ou une mise en accusation du policier responsable de sa mort.

Si dans l’inconscient américain et donc dans les médias, les minorités sont construites comme des types, il s’agit d’une construction également visible dans l’histoire du cinéma hollywoodien. Pour anecdote, la première actrice noire à être oscarisée en 1940, Hattie McDaniel, l’a gagné pour le rôle de la gentille bonne dans Autant en Emporte le Vent. Elle n’aura d’ailleurs joué quasiment que des rôles de domestique pendant toute sa carrière. Les femmes également subissent une certaine discrimination, fondée elle aussi sur le physique. En témoignent les très nombreux commentaires visibles sur les réseaux sociaux sur le physique vieilli de Carrie Fischer, de retour dans Star Wars 7. Sans s’attarder sur le nombre de rôles accordés aux uns et aux autres, l’industrie elle-même, c’est-à-dire tous les métiers du cinéma dits techniques, restent relativement hermétiques aux minorités et aux femmes, par manque de formation et de possibilité d’intégration.
Pour optimiser les profits ?
On observe aujourd’hui dans la production culturelle américaine actuelle l’émergence d’un certain communautarisme, en réaction à l’échec du Melting Pot. Il semble en effet qu’aujourd’hui les interactions ne suffisent plus pour désenclaver les communautés dans la société américaine. La notion de race existe toujours, et dans le vocabulaire, et dans l’inconscient américain et ce associé à un caractère et à un comportement, bref à un type de population. Ainsi, les chaînes de télévision, les émissions, la musique et le cinéma sont produits à destination d’un certain type de public, de communautés qui revendiquent leurs origines et leurs traditions. Les acteurs sont sélectionnés en fonction des publics visés et doivent y correspondre, que ce soit pour le secteur privé ou public (hôpitaux, supermarchés, écoles etc.). L’implicite de cette démarche étant que si l’on est noir, on connait les attentes de la communauté noire et on sera plus à même d’y répondre. L’objectif est bien sûr économique : maximiser les profits.
Dans le cinéma ainsi que dans les séries, on observe majoritairement que deux types de rôle majeur sont accordés aux acteurs et actrices noires. Tout d’abord les rôles où la couleur de peau noire est nécessaire, comme Chiwetel Ejiofor acteur principal de 12 Years a Slave, et puis les rôles secondaires auprès d’acteurs blancs, en tant que complice, comme Tyrese Gibson dans Fast and Furious. Dans l’industrie du cinéma prime en effet la rentabilité pour la majeure partie des films. L’acteur blanc est ainsi considéré comme plus bankable au détriment d’acteurs et d’actrices issus de minorités.
Ainsi, le cinéma, tout comme les médias, n’évitent pas cette stéréotypie inconsciente, même si de réels progrès sont à noter, notamment grâce à l’émancipation de la production de séries des grandes chaînes américaines (cf. Netflix). Nombre de contre exemples peuvent être trouvés. De même, la généralisation s’avère dangereuse sur ce type de sujet. Une réforme des structures de production culturelle – notamment cinématographique et médiatique – s’avère cependant nécessaire pour calmer les esprits et montrer que les médias peuvent être plus qu’un simple miroir de la société mais qu’ils peuvent également la faire avancer sur le terrain de l’égalité de tous, sans distinction de sexe ou de couleur de peau.

La question raciale dans les séries américaines (2014)

Julie Andréotti 
Sources :
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18649968.html
http://ecrannoir.fr/blog/blog/2016/01/23/oscarssowhite-face-a-la-polemique-les-oscars-se-reforment-en-profondeur/
http://www.dailyherald.com/article/20160122/entlife/160129647/
http://www.dailymail.co.uk/news/article-3415127/The-entire-country-racist-country-Danny-DeVito-Don-Cheadle-latest-celebrities-wade-Oscar-s-race-row.html
http://www.atlantico.fr/decryptage/oscars-trop-blancs-derriere-polemique-racisme-realite-pas-moins-inquietante-segregation-fait-modes-consommation-culturelle-aux-2556572.html/page/0/1
http://www.lexpress.fr/styles/vip/star-wars-carrie-fisher-en-colere-contre-les-critiques-sur-son-physique_1749757.html
http://www.lesinrocks.com/2014/12/05/series/question-raciale-les-series-us-politique-quota-permet-den-faire-moins-possible-11539654/

#iftheygunnedmedown, le hashtag qui dénonce la représentation des Noirs dans les médias aux Etats-Unis


Crédits photos :
http://images.huffingtonpost.com/2016-01-25-1453753889-3241573-oscars.jpg

#iftheygunnedmedown, le hashtag qui dénonce la représentation des Noirs dans les médias aux Etats-Unis