OBAMA POLITIQUE PLEURER
Politique

Pleure si t'es un homme (politique)

D’aucuns s’amuseraient à constater que nos hommes politiques aiment la transparence… Pas celle qui les oblige à répondre du nombre de zéro sur leurs factures, évidemment, mais désormais la mode est à l’émotion ; on laisse voir, on laisse transparaître. Beaucoup de choses se bousculent sur le visage de nos représentants : l’anxiété, la colère, le soulagement – on se souvient du long soupir de Xavier Bertrand après sa victoire aux Régionales, par exemple. Mais surtout, en politique, on pleure.
Aux larmes citoyens !
Lorsque l’on sait comment les utiliser, les larmes peuvent être un redoutable outil de communication, et Barack Obama est le maître incontesté du maniement lacrymal. Le 5 janvier 2016, alors qu’il présente son plan de contrôle des armes à feu et évoque les trop nombreuses victimes de fusillades, il essuie une larme, puis une autre … « Every time I think about those kids, it gets me mad / A chaque fois que je pense à ces enfants, ça me met en colère », avoue-t-il avant d’enchaîner finalement sur la nécessité de construire une société plus sûre. L’instant est bref, le symbole est fort, les médias s’emballent. Les heures suivantes, on s’évertue à analyser ce comportement. Après tout, Obama n’en est pas à son premier coup d’essai. Lors de sa réélection ou pendant un concert d’Aretha Franklin, on a souvent vu le président américain avec les yeux humides. Alors s’agit-il cette fois d’une manipulation ou d’un véritable élan de chagrin ? Sincere or not sincere, that’s the question. Mais qu’il s’agisse d’une manœuvre politique ou d’un sentiment authentique, les pleurs d’Obama sont efficaces, au point que Donald Trump lui-même déclare sur Fox News croire en la sincérité du président.
Une vieille tradition
En France aussi on pleure, et depuis longtemps. Sous la Révolution, les députés essuyaient des larmes de ferveur lorsqu’ils prêtaient serment à la Constitution. Pendant la Restauration, elles étaient dotées d’une valeur curative, voire expiatoire face aux crimes de la Terreur. Cependant, dans la seconde moitié du XIXème siècle, elles deviennent une caractéristique spécifiquement féminine et il est ordonné aux hommes de pouvoir de savoir se maîtriser en public. Pleurer devient une affaire privée et seul le deuil autorise un peu plus d’épanchement.
Aujourd’hui, bien que ces occasions restent très ponctuelles, il n’est pas si rare de voir une personnalité verser quelques larmes. Mais il est de bon ton de les verser comme il se doit, sans se laisser submerger. Ainsi, les sanglots de Ségolène Royal lors de la défaite de la gauche aux élections législatives de 1993, pudiquement filmés en contre-jour, ont-ils fortement marqué les esprits ?

 
A larmes égales ?
Pour bien communiquer, il faut donc bien pleurer, mais pas seulement. Il faut savoir choisir sa cause. Les larmes sont à double tranchant et peuvent facilement susciter rires ou agacement plutôt qu’empathie. Les joues mouillées d’un Poutine ému après sa réélection a eu moins d’impact que la voix vacillante de Laurent Fabius pendant la COP21 lorsqu’il déclarait : « J’ai une pensée particulière, enfin, pour tous ceux, ministres, négociateurs, militants, qui auraient voulu être là, en cette circonstance probablement historique, mais qui ont agi et lutté sans pouvoir connaître ce jour ». L’émotion du ministre devient l’expression de son engagement pour une cause collective. De la même façon, le visage défait de François Hollande lors des attentats de janvier, ou sa voix cassée lors de ceux de novembre traduisaient d’une manière impressionnante les sentiments d’horreur et de stupeur qui s’étaient emparés des Français.
Girls don’t cry
Malgré tout, l’exercice n’est pas aisé pour tout le monde. Le fait de pleurer étant profondément féminisé, le journal Le Monde remarque que les femmes politiques « doivent constamment balayer les critiques sexistes qui font rapidement des larmes féminines un aveu de faiblesse ». Une femme essuyant ses larmes ne bousculera pas tant les esprits que s’il s’était agi de l’un de ses homologues masculins. Celle-ci étant moins soumise au diktat de la maîtrise de soi, ses pleurs seront perçus – visuellement autant que symboliquement – comme moins spectaculaires. Pourtant, comme le remarque Yann Barthes dans le Petit Journal, les femmes sont plus enclines à pleurer pour « des causes assez profondes et humaines ».
Pleurer donc, n’est pas si rare en politique. Mais il s’agit d’un acte de communication non-verbal strictement codifié. La transparence des émotions est finement élaborée et si les larmes peuvent être authentiques, la manière de les mettre en scène – sans effusion – nécessite sans doute quelque entraînement.
Marie Philippon 
Sources :
« Les larmes politiques », Le Petit Journal du 06/01/16 – http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-petit-journal/pid6515-le-petit-journal.html?vid=1348093
Fanny Arlandis, « Larmes politiques », Le Monde, 14/01/16 –  http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2016/01/14/larmes-politiques_4847620_823448.html
Emilie Laystary, « Duflot, Royal, Fillon : les larmes des hommes et femmes politiques », RTL, 17/07/2013 – http://www.rtl.fr/actu/politique/duflot-royal-fillon-les-larmes-des-hommes-et-femmes-politiques-7763204606
Crédit images :
Reuters
Nicolas Kamm / AFP

MANUEL VALLS ON N'EST PAS COUCHES
Politique

Manuel Valls dans "On n'est pas couché" : le triomphe de l'infotainment

L’annonce a surpris et suscité de nombreuses réactions : Manuel Valls invité de Laurent Ruquier samedi 16 janvier dans « On n’est pas couché ». Le talk show à succès de France 2 (l’émission réunit régulièrement plus d’un million de téléspectateurs), a beaucoup fait parler ces derniers temps. On lui a notamment reproché ses thématiques identitaires et ses chroniqueurs peu sympathiques à l’égard des invités. Beaucoup d’entre eux, excédés, ont d’ailleurs déjà quitté le plateau en pleine émission. Mais que vient donc y faire le Premier ministre ?
Une pratique ancienne mais qui surprend toujours
L’infotainment définit un programme mêlant information et divertissement. C’est le cas de l’émission médiatique et politique de Laurent Ruquier. En effet, l’émission suit le modèle du talk show à l’américaine. Elle est le lieu de débats entre les invités et les chroniqueurs Yann Moix et Léa Salamé.
La présence de personnalités politiques dans des programmes tels que « On n’est pas couché » n’est pas nouvelle. On a déjà pu constater l’attrait des politiques pour ce type d’émissions moins formelles. On se souvient de Valérie Giscard d’Estaing jouant de l’accordéon pour séduire la miss météo du « Grand Journal », ou encore, de Ardisson demandant à Michel Rocard si « sucer c’est tromper » dans son émission «Tout le monde en parle ».
Si la pratique n’est pas nouvelle, elle étonne encore en France. Beaucoup ont en effet, été surpris d’apprendre que pour la première fois, un Premier ministre en fonction allait se prêter au jeu de l’infotainment. Si la pratique surprend encore l’hexagone, elle est parfois banale à l’étranger, notamment aux États-Unis. C’est pourquoi personne ne s’est vraiment étonné d’entendre Barack Obama parler sous-vêtements avec Jerry Seinfeld.
Le choix de l’infotainment
On cerne vite les raisons du succès de l’infotainment. Ce type de média permet en premier lieu de cibler un public particulier. Un public assez large, qui ne regarde pas forcément les émissions politiques. Pour le politique, il s’agit alors d’une occasion en or pour tenter d’améliorer son image.
Pour Manuel Valls, les enjeux sont multiples. La figure du Premier ministre est contestée dans l’opinion. Il a l’image d’un homme dur, souvent tendu et sur les nerfs. Dans « On n’est pas couché », Manuel Valls aura du temps. Il disposera d’un temps plus long et moins formel que celui du discours pour tenter de créer un lien avec le public.
Séduire par le biais de l’infotainment n’est pas chose facile. On pourrait dire à celui qui s’y prête que c’est à ses risques et périls. Il est vrai que beaucoup ont péri. Citons le cas tristement fameux de Nadine Morano, punie de régionales par son propre parti, après avoir affirmé que la France est un  « pays de race blanche » dans l’émission de Ruquier. Les risques de l’infotainment sont grands. Il faut prendre garde à ne pas se laisser déstabiliser et encore moins ridiculiser, notamment par les chroniqueurs féroces d’ « On est pas couché ».
Pour séduire, il faut trouver à Manuel Valls beaucoup de prudence, mais également, de l’humour et de l’aisance. Un faux pas dans une émission pouvant coûter cher.
Désacralisation de la politique
Certains politiques refusent de prendre part aux émissions d’infotainment. Ils estiment que le politique n’a pas sa place dans ce média. C’est par exemple le cas de Nicolas Sarkozy qui estime que le politique doit porter une « parole plus solennelle ». On peut comprendre cette position. D’autant plus, lorsque l’on connaît les risques que ce média entraîne et la liste des personnes qui s’y sont brûlées les ailes.
Toutefois, dans le contexte actuel de crise de la démocratie qu’évoque Pierre Rosanvallon dans son ouvrage La contre-démocratie, la désacralisation induite par l’infotainment est-elle forcément négative ? Certains voient dans l’infotainment une réponse à la volonté de renouveau du discours politique qu’ont les français. Auquel cas, désacralisation ne rimerait pas forcément avec dévalorisation. Au contraire, cela contribuerait à réduire la distance entre le politique et ses électeurs.
Nous sommes face à un dilemme, le dilemme de l’opinion. Les français veulent des politiques plus proches d’eux, plus à même de les comprendre, mais pas trop non plus. Un politique trop comme nous devient risible, il perd tout prestige, toute hauteur. On ne peut que constater à quel point la stratégie d’ « homme normal » de François Hollande n’a pas fonctionné.
Seul le temps montrera si la prestation de Manuel Valls a convaincu. Nous espérons en tous cas qu’il s’est préalablement prêté à un excellent média-training.
Yasmine Guitoune
Sources :
Perrine Mouterde. Manuel Valls à « On n’est pas couché » : quand les politiques font le pari de l’infotainment, 14/01/16. Consulté le 15/01/16.
Simon Auffret. « On n’est pas couché », passage obligé pour les politiques ?, 07/10/15. Consulté le 10/10/2015. http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/10/07/on-n-est-pas-couche-est-elle-vraiment-une-emission-polemique_4784242_4355770.html
Raphaëlle Bacqué. « On n’est pas couché », arène hétéroclite toujours plus orientée, 07/10/15. Consulté le 10/10/15. http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/10/07/le-fiel-du-samedi-soir_4784575_3236.html
Nicolas Berrod. Valls chez Ruquier : quand les politiques osent l’ « infotainment », le 15/01/16. Consulté le 15/01/16. http://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/021623270952-valls-chez-ruquier-quand-les-politiques-osent-linfotainment-1192850.php
Crédits images : 
Photo de une : France 2

Politique

DSK – 20 kilos

Nous sommes en mai 2011, la France et le monde sont secoués par une affaire qui aura des répercussions au sein des plus hautes institutions et auprès d’hommes politique haut placés : vous l’aurez deviné, c’est l’affaire DSK.
Les médias s’en saisissent à l’aide d’image de surveillance, d’images de “reconstitutions” (souvent floues, couleur sépia comme dans un épisode d’Enquêtes Impossibles sur NT1). Mais un média s’est fait connaître à ce moment-là pour avoir entièrement recrée la scène en animation, j’ai nommé le média taïwanais Next Media Animation.
Next Media Animation : le futur de l’info ?
La première fois que NMA s’est fait connaître à l’international, c’était effectivement avec l’affaire DSK en 2011. Malgré la gravité de l’affaire, la reconstitution réalisée par ce média est extrêmement comique. Le premier détail étonnant que nous pouvons relever a trait à la femme de chambre, censée représenter Nafissatou Diallo : son avatar a la peau blanche. Il est peu probable que NMA veuille faire preuve de racisme. Ils ont surement juste des avatars pré-établis qu’ils réutilisent pour chaque animation. Ou peut-être n’ont-ils pas considéré ce détail come important. Autre détail, DSK semble étrangement bien plus mince que d’ordinaire. C’est amusant mais cela montre encore une fois un manque flagrant de réalisme.

Mais ces animations révèlent quand même un fait nouveau : les reconstitutions de la sorte sont un nouveau média. D’ailleurs le nom “Next Media Animation” met en avant d’un point de vue sémiotique annonce l’aspect futuriste du studio par le mot “next”. NMA serait une nouvelle source d’information.
“C’est une autre culture”
Prenons un évènement, plus récent, aussi reconstitué par NMA : l’attentat évité de justesse dans le Thalys, le 21 août 2015. À en croire la vidéo, le tireur était torse nu, Mark Moogalian se serait pris (et aurait survécu à) une balle dans la tête et le tireur aurait fini ligoté comme une paupiette. En somme, l’animation simplifie et fausse considérablement les faits.
Les faits sont d’autant plus échenillés qu’ils sont accompagnés de textes colorés avec des effets “pop”, voire même cinématographiques à vocation de parodie de blockbuster. Par exemple, Spencer Stone, un des soldats ayant désarmé le terroriste est renommé en toute simplicité “GI Joe” avec un effet chromé.

Mais cette abondance de typographies ne nous est pas étrangère. Elle est en effet très fréquente dans tout type d’émissions de télévision au Japon, à Taïwan, en Chine ou encore en Corée du Sud. Ces pays ont une forte culture de l’image accompagnée d’idéogrammes colorés et animés. À l’inverse, les Européens prennent le parti de la sobriété. Nous pouvons prendre l’exemple de BFMTV dont le code couleur est relativement sobre et ne change pas : des lettres blanches sur une bannière bleue située en bas de l’écran. La culture occidentale sous-tend donc une autre sémiologie de l’information et de l’image. Mais dans le cas de NMA, il ne s’agit plus uniquement de sémiologie, il s’agit d’une toute nouvelle façon d’informer.
Divertir vs. Informer
Dans le cas de Next Media Animation, il s’agirait donc peut-être d’une nouvelle forme d’information, le studio taïwanais a passé des accords avec TomoNews, une chaîne Youtube qui se présente comme étant la chaîne réunissant “les nouvelles les plus divertissantes d’internet”. Ils accolent donc des micro-faits d’information avec des évènements qui changent la face du monde. De plus, l’idée de “nouvelle divertissante” semble peu adéquat, surtout quand cela traite de sujet très sensibles, tels les attentats de Paris, le 13 novembre.
TomoNews US relaie dorénavant toutes les vidéos d’informations de NMA et les attentats de Paris n’y échappent pas. Ils ont donc publié “Paris terror attacks : woman played dead over an hour survive Bataclan theater shootout” (Les attentats de paris : femme joue la morte plus d’une heure survivre fusillade du théâtre Bataclan). La reconstitution est plus que sortie et tout aussi erronée. Selon la reconstitution, deux des terroristes seraient arrivés par la scène : une information complètement fausse. Ensuite les images donnent une tournure presque mélodramatique à l’évènement. La musique, un morceau de piano digne de scènes de tromperies dans un soap opera, aspire la dernière once de réalisme.
L’horreur est mise à distance, voire supprimée, nous passons à une reconstitution 3D digne du jeu vidéo Desperate Housewives. Pourtant, la notion de “news” y est affichée. La frontière entre l’information et le divertissement est effacée : ils ont bel et bien la vocation d’informer. Néanmoins, il dénaturent l’information, notamment à cause de la scène de fin.

Cette image est pour le moins extravagante, la Mort tient une glace à la fraise et prend un selfie avec un obèse en chemise léopard, pendant qu’une sorte de géant vert tape la pose, allongé sur le logo de TomoNews.) De quoi retirer toute crédibilité aux faits que le média prétend reconstituer.
Colombe Courau
Sources :
Chaine Youtube TomoNews US
Crédits images :
Captures d’écrans de vidéos de Next Media Animation

Politique

Quand les éléments de langage se déchaînent

Fin 2014, le gouvernement lançait le Kit Repas Famille, un pense-bête expliquant les actions du gouvernement pour chaque sujet politique qui pourrait naître d’un repas en société. Les vignettes sont destinées à prouver que la politique gouvernementale fonctionne et à discréditer les phrases toutes faites. À défaut de vérifier les réalités qui se cachent derrière chaque thème, il est intéressant de voir que les acteurs politiques prennent au sérieux les « éléments de langage » qui émanent de la doxa. Qu’en est-il de ceux des politiques ? En quoi se distinguent-ils ?
De simples poli-tics de langage ?
A priori, l’élément de langage est une formule ou un message reproductible par chaque membre d’un gouvernement. La clarté est de rigueur. Il est un ressort de la communication politique qui fonctionne sur la continuité et la synchronisation. Quel que soit l’intervenant, grâce à l’élément de langage, c’est l’entité décisionnelle et le choix du groupe qui s’expriment à travers lui. De cette manière, les divergences pouvant exister au sein d’une famille politique sont masquées.
Si l’on s’en tient à la définition de Jacques Séguéla, les éléments de langage sont des « petites phrases préparées à l’avance par l’entourage d’un homme politique ou par les communicants pour servir soit de répartie, soit de point d’ancrage dans un débat. ». Bien évidemment, le publicitaire en écrivait pour François Mitterrand mais il n’était pas le seul à mettre la main à la pâte : Jacques Attali, Laurent Fabius et bien d’autres faisaient passer des petites notes avec leurs suggestions. Aujourd’hui, les choses se sont légèrement professionnalisées. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les méthodes du conseiller en communication du Président de La République, Gaspard Gantzer. Ses pratiques furent révélées par Un Temps de Président, un documentaire réalisé par Yves Jeuland.

Les téléspectateurs furent étonnés de voir Gaspard Gantzer dicter à une journaliste de TF1 les mots-clés de son reportage. Pour qualifier cette relation entre les journalistes et leur sources, Eugénie Saitta, spécialiste des sciences de la communication, parle d’une « rhétorique du cynisme » : les journalistes finissent par s’y faire ! Les communicants cherchent la saillie, l’homme politique tranche et les journalistes l’utilisent. Les politiques ont trouvé comment influencer les médias discrètement.
En politique, l’improvisation n’est pas conseillée. D’après Séguéla, lorsque les résultats tombent, le politique sait de quelle manière il doit réagir : il y a des éléments de langage pour une éventuelle victoire comme pour une éventuelle défaite. En plus de fournir du texte, les éléments de langage présentent le double avantage d’assurer une cohérence entre les prises de parole mais aussi d’augmenter l’efficacité et l’exposition d’une idée par la répétition. Entre une gauche divisée et des Républicains qui cherchent encore un ténor, l’élément de langage paraît être un outil parfait pour feindre l’unité. L’efficacité d’un argumentaire est plus forte si tout le monde martèle la même chose à l’unisson. Une idée répétée est aussi efficace qu’un slogan placardé.

N’y-a-t-il pas un risque de vulgariser les idées ? Le wording politique est aseptisé. Le consensus droite-gauche qui existe depuis la fracture des grands clivages idéologiques autour de l’économie de marché a brouillé le monde politique de ses marqueurs sémantiques. Ainsi, la formule « J’aime l’entreprise », employée par le Premier ministre, aurait pu être prononcée par un centriste comme par un Républicain. Au sein du gouvernement de Manuel Valls, on peut aussi observer des divergences qui sont réprimées : ceux qui ne suivent pas la ligne décidée se font taper sur les doigts. Pour s’en rendre compte, il suffit de se souvenir des remontrances faites à Christiane Taubira après qu’elles se soit prononcé contre la déchéance de la nationalité. Dès lors que les avis ne peuvent plus s’opposer librement, il y a peut-être une défaite de la pensée.
Entre stratégie et démagogie : comment atterrir sur le bandeau de BFMTV ?
Généralement, les médias n’hésitent pas à critiquer les éléments de langage. Pour le voir, il suffit de regarder les compilations qu’en fait Le Petit Journal. À croire qu’il est l’ennemi numéro 1 de la communication politique moderne !
Ce bashing est compréhensible. Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages : les gens prennent les éléments de langage pour ce qu’ils sont. Le disque semble rayé : on parle d’un discours fatigué qui émane d’une pensée énarchique qui s’est usée avec le temps. La doxa imagine que l’élément de langage est antinomique avec l’honnêteté.
Pourquoi peut-on être sûr que les politiques continueront à utiliser ce procédé ? Pour répondre, il faut d’abord revenir à la définition de l’élément de langage.
Selon le vice-président d’Havas, les années 80 ont constitué l’âge d’or de la publicité : tout le monde était séduit par le pouvoir du marketing et de la pub. Toutefois, selon Pierre Lefébure, maître de conférence en sciences politiques, les éléments de langage ne «[refont] surface [qu’]en 2008/2009 car il y a une volonté de la part de Nicolas Sarkozy et de ses équipes de rationaliser la communication et de maîtriser son environnement ». La seconde moitié des années 2000 est marquée par deux phénomènes qui changent radicalement les dispositifs d’information : l’émergence des chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. Il serait faux de penser que l’utilisation massive d’éléments de langage est purement choisie. Il faut aussi les penser en termes de contraintes. Il y a une responsabilité des médias dans la massification des éléments de langage car les fenêtres d’expression sont plus courtes.

Quand on obtient 30 secondes d’antenne à la télévision, les éléments de langage sont indispensables. Ce sont des estocades : soudains et rapides, ils ont une forme parfaite pour la rhétorique politicienne. Tout comme sur Twitter, il faut réduire le nombre de caractères pour pouvoir accéder aux très convoités bandeaux de BFMTV.
Selon les études de Damon Mayaffre, chercheur au CNRS, le vocabulaire présidentiel se serait déprécié au fil du temps en raison de ces nouvelles contraintes médiatiques. Aujourd’hui, les politiques sont dans la performance : ils utilisent à outrance les phrases verbales et le pronom personnel « je ».
L’élément de langage : diable ou diabolisé ?
Si les éléments de langage sont diabolisés c’est parce qu’ils sont attachés à une définition simplificatrice : on les associe spontanément « aux petites phrases » pré-élaborées que l’on voit sortir de la bouche des politiques à chaque zapping.

Dans cette définition, on ne parle que de la partie visible des éléments de langage. On ne parle pas des argumentaires. Autrement dit, on n’essaye pas d’extraire la démonstration étayée qui se cache derrière et qui vise à soutenir ou à contredire un projet. Aujourd’hui, aller au combat sans communication est une faute professionnelle car c’est laisser son adversaire partir avec un avantage.
Mais il ne faut jamais abuser des bonnes choses ! Les éléments de langage seraient très utiles si on n’en créait pas en quantité industrielle. Dans un premier temps, ils font passer une idée complexe par un message simple : le travail d’un conseiller se résume à dégrossir la matière brute pour en créer une à la portée de l’opinion publique. Frank Louvrier, ancien conseiller de l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, rappelle que « Quand vous êtes Ministre, vous ne connaissez pas tous les sujets. Si vous allez à une émission matinale d’une radio, on risque de vous interroger sur un sujet compliqué, qui n’est pas forcément votre domaine de compétence, et il faut pourtant répondre ».
Pour la majorité précédente, les éléments de langage étaient surnommés « le prompteur », aujourd’hui on les regroupe sous l’intitulé « l’essentiel ». Ce dernier rappelle qu’un élément de langage peut permettre d’échapper à une situation de crise en évitant de lourds dommages.
À ce niveau de responsabilité, tous les professionnels semblent d’accord pour dire qu’une improvisation est impossible. L’improvisation est un fantasme car il est impossible de priver le débat d’un cadre de pensée rappelé sans cesse par les éléments de langage. D’ailleurs, les politologues reprochent souvent au Président de se laisser guider par les communicants alors qu’il serait doué pour l’improvisation.
On confond souvent « éléments de langage », « formules », « petites phrases » et « argumentaires » : il n’y pas de définition fixe car il n’y pas une unique manière de créer des éléments de langage. Ces formulations font sens pour des acteurs du champ politique et du champ médiatique mais aussi pour ceux qui se trouvent à leurs intersections. Les communicants produisent des énoncés en anticipant leurs conditions de circulation médiatique et leurs conditions de réception. Ce sont pour ainsi dire des ingénieurs du symbole. Ils manient les signes comme des maîtres. Ces données nous permettent de mettre en relief la place prépondérante prise par la communication au sein du monde politique et du monde médiatique. On en viendrait presque à croire qu’ils contrôlent les foules.
Ameziane Bouzid
Sources :
« Le Langage politique malade de ses mots », Frédéric Vallois, Le Huffington post, 20/11/2014 : http://www.huffingtonpost.fr/frederic-vallois/langage-politique-malade-de-ses-mots_b_6190388.html
« Les Dix éléments de langage que vous entendrez ce soir », Le Service politique, Libération, 22/03/2015 : http://www.liberation.fr/france/2015/03/22/les-dix-elements-de-langage-que-vous-entendrez-ce-soir_1226056
« Les « petites phrases » Et « éléments de langage » : des catégories en tension ou l’impossible contrôle de la parole par les spécialistes de la communication », Dossier: Les « Petites Phrases » en Politique , Caroline Ollivier-Yaniv, 01/06/2011 : http://www.necplus.eu/action/displayAbstract?fromPage=online 
« Éléments de langage pour soirée électorale : mode d’emploi », Jacques Séguéla, Atlantico, 16/10/2011 : http://www.atlantico.fr/decryptage/elements-langage-primaire-ps-holland-aubry-mode-emploi-203608.html
« « Un temps de président » : la communication politique dans le collimateur », 08/10 /2015, France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=yP9TfAWTVeA
« Doc Hollande : dictée d’éléments de langage (F3) », Arretsurimage.net, 29/09/2015 : http://www.arretsurimages.net/breves/2015-09-29/Doc-Hollande-dictee-d-elements-de-langage-F3-id19305
Crédits images :
– Le Monde, L’actu en patates, Martin Vidberg
– Ray Clid
– Kit Repas Famille : www.gouvernement.fr
– Chaunu

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Politique

=3 : l'apprentissage de la démocratie 2.0

Les origines
Youtube naît en 2005 et avec lui la deuxième génération d’Internet : celui des réseaux sociaux, des memes, des lolcats. Le site est d’abord empli de vidéos courtes d’animaux, de chutes plus ou moins drôles dignes de Vidéo Gag, bref de vidéos qui se distinguent par leur aspect brut, sans aucun montage.   
Pourtant, dès l’automne, deux individus décident brusquement d’utiliser la plateforme pour se mettre en scène et de diffuser leur talent d’humoristes, ou plutôt d’entertainers. C’est ainsi que naît la chaîne SMOSH, création de Ian Hecox et Andrew Padilla qui connaît un succès fulgurant : ce sont les premiers youtubeurs. Ils lancent un phénomène qui marque durablement notre utilisation d’Internet, une forme de stand-up renouvelé grâce à la liberté totale de format dont ils bénéficient.
Un concept novateur
En 2009, un inconnu, héritier de SMOSH, crée sa chaîne et publie sa première vidéo, avec en guise de vignette, un dessin fait sur Paint et comme titre « Kick his a$$ » (« botte-lui le cul »). Il s’agit de Ray William Johnson qui crée là un nouveau concept : le commentaire de vidéos issues d’Internet. Cette formule connaît un énorme succès et en fait une des chaînes les plus regardées et suivies au monde ; plus particulièrement, son concept novateur va être repris et décliné par des milliers de youtubeurs, comme Mathieu Sommet ou Antoine Daniel en France.

Le roi est mort, vive le roi
Après cinq années de gloire, Ray William Johnson provoque en 2014 un coup de tonnerre sur Youtube en annonçant son départ : il ne présentera plus le désormais célébrissime show « Equals Three ».

La raison invoquée ? Ray pense avoir fait le tour de son personnage et veut passer à quelque chose de nouveau. Toutefois il ne souhaite pas abandonner un projet qui est toujours très populaire et annonce donc être à la recherche d’un nouveau présentateur. L’épisode récolte plus de 10 millions de vues et des milliers de commentaires éplorés sur le départ de Ray. Le nombre impressionnant d’articles et de vidéos consacrés à son départ montre que =3 était devenu un incontournable de la pop culture. Le Daily Dot va jusqu’à affirmer: « It’s the end of an Internet era.” (“C’est la fin d’une époque sur Internet”).

La relève
C’est finalement plus de quatre mois plus tard qu’Equals Three revient, avec comme nouveau présentateur le jeune inconnu Robby Motz, dans un épisode en partenariat avec Jenna Marbles, youtubeuse américaine renommée.

Si le début fut difficile pour Robby, largement critiqué et considéré comme un présentateur de niveau inférieur à Ray, finalement le jeune homme parvient à s’imposer et à trouver son rythme. De plus en plus populaire, son départ au terme de son contrat d’un an au sein du studio Equals Three provoquera à nouveau tristesse et nostalgie chez les amateurs du show.

La pomme de la discorde
Ray William Johnson avait prévu que tous les humoristes faisant part du Equals Three Studios feraient au moins une saison de =3. Robby devait donc laisser sa place.
Ray publie alors une vidéo qui est probablement la plus grande erreur de communication de sa carrière puisqu’elle nourrira un fort ressentiment de sa communauté envers le créateur du show.

Dans « Who’s gonna host Equals Three ? » Ray laisse entendre qu’au lieu de passer par des fastidieuses auditions comme il a dû le faire pour recruter Robby Motz, cette fois il va laisser le choix à ses abonnés qui pourront choisir entre tous les humoristes qui font un sketch dans la vidéo. Les deux noms les plus récurrents dans les commentaires sont alors soit Jules (la jeune femme blonde) soit Carlos (le jeune homme brun en veste orange).
En fait, ces mots exacts sont : « Je vais laisser les acteurs de Booze Lightyear  [une autre production des studios] jouer, et vous pourrez voir qui vous aimez ». Seulement, les internautes se sont enthousiasmés et ont cru qu’ils auraient leur mot à dire. Ainsi, Ray William Johnson aurait pour la première fois sur Youtube laissé les viewers faire un choix décisif pour le contenu de la chaîne.
 

La vidéo suivante « And the New Host is… », très attendue, paraît le 28 juillet et déçoit énormément les abonnés. En effet, le nouveau présentateur n’est autre que Kaja Martin, une des créatrices du studio, qui avait été très peu plébiscitée dans l’épisode précédent.
Ray W. Johnson avait choisi la présentatrice d’avance, sans tenir compte des avis des abonnés qui étaient à ses yeux purement consultatifs. Ceux-ci ne lui pardonneront pas de leur avoir laissé croire qu’ils pouvaient être partie prenante dans la création du studio. L’énorme déception est visible à travers les votes, qui pour la première fois dans l’histoire de la chaîne sont très majoritairement négatifs.

L’incompréhension domine dans les commentaires, les internautes se plaignant que leur choix n’ait pas été pris en compte :

Seulement, beaucoup affirment que comme Robby à ses débuts, Kaja doit faire face à une vague de rejet qui par la suite s’éteindra.
 
Un âpre combat
Et Kaja reprend cet argument à de nombreuses reprises dans ses vidéos suivantes, affirmant ne pas s’inquiéter outre mesure des commentaires négatifs qu’elle reçoit. Pourtant, loin de disparaître, le mécontentement grandit : si les vidéos qui suivent obtiennent une majorité de votes positifs, ce n’est que de justesse. D’ailleurs, la seule vidéo véritablement plébiscitée est celle dans laquelle elle annonce son départ en tant que présentatrice du show.
Le nombre d’abonnés baisse également, tout comme le nombre de vues. Un épisode de Ray atteignait jusqu’aux 10 millions de vues, ceux de Kaja ne parviennent jamais au million. Quant aux commentaires, ils sont en très grande majorité négatifs.
Un tournant s’opère dès mi-septembre 2015, quand le nombre de dislikes redevient plus élevé et que les abonnés expriment de plus en plus leur lassitude envers Kaja. Une certaine mode apparaît, celle de commenter à chaque vidéo de Kaja « Came, disliked, left ».

 
 
Malgré ce constat préoccupant pour le show, de manière inexplicable, Ray William Johnson s’obstine à maintenir son amie en place. Les viewers s’étonnent de plus en plus du silence assourdissant du créateur de la chaîne, au moment où l’impopularité du show devient criante : aucune vidéo n’a un ratio de votes positif depuis le 15 septembre. Les internautes montrent leur incompréhension (pour ceux qui persistent à regarder les vidéos du studio) à travers les commentaires.

 
Le nombre de vues ne cesse de s’effondrer et les abonnés perdent clairement patience :

 
La pérennité de ces critiques est  exceptionnelle : alors que tout « bad buzz » finit en général au bout d’un certain temps par s’éteindre sur Youtube, le phénomène persiste depuis des mois sur la chaîne, c’est-à-dire une éternité sur Internet.
L’happy ending de Noël
La situation devenait intenable : d’abord pour les fans qui ne comprenaient pas que leur avis soit à ce point ignoré, mais aussi pour le studio, qui ne peut pas continuer à exister si le nombre de vues et d’abonnés s’effondrent sans cesse. Finalement, après cinq mois de présentation et malgré une manifeste répugnance à mettre ainsi fin au contrat de Kaja Martin, celle-ci annonce son départ.

La vidéo, intitulée « Big Announcement », amène plus de vues que d’habitude et pour la première fois depuis des mois est largement plébiscitée.

Enfin, le nouveau présentateur prend place : ce n’est autre que Carlos, l’humoriste le plus apprécié lors de la vidéo du vote. Deux semaines avant Noël, il présente pour la première fois =3.

Et c’est un véritable succès ! Le nombre de dislikes est très faible alors que les commentaires félicitent unanimement le nouveau présentateur. Seulement, =3 a du mal à se remettre du ravage causé par Kaja Martin : les vues, si elles sont un peu plus nombreuses, n’atteignent toujours pas le million. Carlos a réussi à enrayer les critiques et probablement la disparition programmée du show, mais il reste encore beaucoup à faire pour que =3 retrouve son lustre d’antan.
Le sort d’Equals Three montre les ravages que peut faire une erreur de communication ; si Ray n’avait pas laissé croire qu’un choix était possible, peut-être que Kaja Martin aurait été accueillie bien plus favorablement. Toutefois, la persistance des critiques montre qu’elle n’était réellement pas de taille à présenter le show, et Ray a commis alors une deuxième erreur. En s’enfonçant dans un silence obstiné qui lui permettait d’ignorer le problème, il a suscité incompréhension et colère chez ses fans dont beaucoup ont préféré arrêter de suivre le show. Or une émission ne vit que grâce à son public et ne peut donc se permettre de l’ignorer. Toutefois, l’histoire d’Equals Three montre que Youtube reste un média démocratique où les spectateurs parviennent, de gré ou de force, à se faire entendre.
 
Myriam Mariotte
Source
https://en.wikipedia.org/wiki/YouTube
https://www.youtube.com/channel/UCGt7X90Au6BV8rf49BiM6D
https://www.youtube.com/watch?v=ygufbVxFvcw
 

Politique

Il était une fois Internet, les hommes et la démocratie

Une fameuse utopie, où, le légendaire Internet va révolutionner notre société afin d’y introduire un épanouissement total de la démocratie. Son avènement promettait un rêve fou : le pouvoir au peuple. Lol.
Bon, c’est vrai, Internet a changé la donne.
Il nous a permis de démocratiser notre société, l’exemple le plus pertinent étant la possibilité de répondre. En contradiction avec la théorie d’une parole – médiatique – sans réponse – de la part des masses que Baudrillard présente dans son ouvrage, Pour une critique de l’économie politique du signe, la société actuelle grâce à Internet et aux réseaux sociaux, est une société d’échanges d’informations.
A cet égard, le web est un outil démocratique, donnant à chacun un nouveau champ d’expression plus libre.

Au delà de ce droit de réponse, un des exemples phare qui affirme cette démocratisation que véhicule Internet est Wikipédia. Cette encyclopédie ouverte à tous, aussi bien dans la rédaction du contenu que dans la lecture de celui-ci, est symbolique de cette révolution : le savoir pour tous.
Il est indéniable qu’Internet engendre un changement de paradigme : d’un one to many à ce que l’on pourrait qualifier d’un « many to many. » Pourtant, cette révolution culmine davantage vers un glissement des forces en présence et une redistribution des pouvoirs allant à l’encontre du sens traditionnel de la démocratie : le pouvoir au peuple. « Le pouvoir relatif des internautes »  est exposé ici.
L’émergence d’une nouvelle classe. 
On parle bien souvent de la dimension participative d’Internet, permettant aux internautes d’intégrer une communauté, de donner son avis, de s’exprimer. A cet égard, La société met en exergue une soi-disant démocratisation du pouvoir, alors qu’en réalité, il n’y a qu’un transfert de ce pouvoir entre des groupes qui étaient déjà plus ou moins dominants.
Cyrille Frank, journaliste, formateur et consultant, explique dans son blog médiaculture.fr, qu’Internet engendre non pas un partage démocratique du pouvoir, mais plutôt l’avènement d’une « nouvelle classe de dominants ». Adieu, donc, l’utopie d’un pouvoir également distribué entre tous.
Historiquement, l’apparition de nouveaux déséquilibres sociaux est une conséquence inhérente à un changement de paradigme. Par exemple, la bourgeoisie supplanta l’aristocratie après la Révolution Française. L’apparition d’une nouvelle classe après une grande rupture est commun dans l’Histoire.
Dès lors, même si Internet comporte une vertu émancipatrice pour les internautes, il est important de souligner le fait que cela ne concerne pas tout le monde.

Cette nouvelle classe établit son pouvoir grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies. Ces acteurs parviennent à s’adapter au temps technologique, afin d’en vivre. Plus concrètement, Cyrille Frank désigne cette nouvelle classe par : « les jeunes journalistes 2.0, communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… ».
L’information est un levier de domination majeur dans la société actuelle : il est assez évident que ceux qui savent la manier seront puissants. 
Une illusion de pouvoir ? 
Par le biais de ce droit de réponse et de participer, les internautes ont également un pouvoir, une influence sur Internet. Cependant, sommes-nous influencés ou sommes-nous totalement libres de cette parole ?
On pourrait croire qu’il n’y a pas d’obstacle à notre liberté d’expression, et pourtant, il s’avère que nous sommes toujours influencés.
Prenons par exemple le système de réponse aux médias web, tel que le commentaire sur les articles ou bien sur les réseaux sociaux. On s’aperçoit que cette influence, ce pouvoir qui nous a été donné est en réalité réutilisé par les médias web dans leur propre intérêt. « Voici le pouvoir essentiel de la forme – en ce qu’elle est l’essence même de l’information. » explique Emmanuel Souchier, dans La mémoire de l’oubli. C’est en partie cette forme codifiée qui limite notre pouvoir, et qui permet aux médias web cette réappropriation. Prenons l’exemple de Twitter et ses fameux 140 caractères, qui influent malgré nous sur le contenu de l’information que nous transmettons. En effet, qu’est-ce que donner son avis en 140 caractères ? Notre influence est donc limitée à une forme qui est déterminée par les médias eux-mêmes.

Le Community Manager, acteur de cette « nouvelle classe dominante » dont parle Cyrille Frank, peut définir sa mission par trois verbes : fédérer autour d’un intérêt commun, animer en fournissant des informations aux internautes qui sont susceptibles de les intéresser, et modérer en régulant les conversations pour que les débats restent de qualité. Autrement dit, c’est lui qui va être face à nos réactions, à notre réponse. Les trois verbes qui définissent sa mission, prouvent que notre parole est influencée par l’action du Community manager. On nous amène subtilement d’un point A à un point B, de manière inconsciente. Il y a un mécanisme derrière le système du commentaire qui n’est pas synonyme de totale liberté et donc de vrai pouvoir.
D’autre part, d’un point de vue sociologique, notre choix est déterminé par plusieurs facteurs. Cette liberté d’expression pour tous, engendre un réel problème de visibilité. Certes, nous avons davantage la possibilité de nous exprimer, mais paradoxalement notre avis est dilué dans cet océan – nouveau – d’informations. Par conséquent partager son opinion via un commentaire relève également d’un relatif narcissisme. Il y a une volonté de sortir de la masse, d’être LE commentaire, et d’avoir raison. Cette problématique est d’autant plus réelle avec la possibilité de liker les commentaires. L’acte de réponse n’est donc pas totalement désintéressé, au contraire. Il se place comme fait social, c’est à dire comme une action qui n’est pas entièrement libre puisque partiellement déterminée. Par conséquent, la possibilité de réponse qui est donnée par les médias web est à double tranchant. Elle révèle à la fois la possibilité de participer, ce qui relève de la dimension démocratique du web, mais aussi une volonté d’attirer les internautes sur leur plateforme grâce au besoin des individus d’exister parmi les autres.
On peut parler de ré-appropriation d’un pouvoir des internautes par les médias web, et c’est cette récupération qui démontre dans le même temps la limite de ce pouvoir, que l’on a tendance à surestimer. 
Clémence Midière
LinkedIn
@clemmidw
 
Sources :
La démocratie électronique est-elle une illusion ? Par Hubert Guillaud sur Homo Numericus
Nouveaux médias : une nouvelle classe de dominants par Cyrille Franck sur Mediaculture
Qui a le pouvoir sur Internet ? Par Clément Mellouet sur FastNCurious
Crédits images:
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Lefigaro.fr
Computer Ethics
Emarketing.fr

miss irak
Politique

Miss Irak: ISIS, gloire et beauté

Les élections de Miss et autres concours de beauté ont été au coeur de l’actualité people de ce mois de décembre. Iris Mittenaere, couronnée Miss France le 19 décembre dernier, sèche encore ses larmes de joie; Miss Univers 2015 a eu un large retentissement médiatique, dû au moins en partie à l’énorme fail de l’animateur Steve Harvey, qui ne sait plus très bien où se mettre depuis. En revanche, l’élection de Miss Irak a davantage fait couler d’encre chez les spécialistes du Moyen-Orient que dans la presse à sensation.
C’est peut-être parce qu’elle impressionne peu ici, en Occident, où l’on est habitués à ces cérémonies terriblement kitsch, pleines de paillettes et de sourires forcés. Peut-être parce qu’on s’en fiche, au fond, de l’élection d’une pouliche dans un pays lointain. Mais l’histoire a montré que l’Irak n’est pas n’importe quel pays lointain. L’Irak, c’est la guerre contre Daesh, l’instabilité sociale chronique, les violences quotidiennes faites aux femmes. La tenue de Miss Irak 2015 n’est donc pas anodine. Et pour cause, pour la première fois depuis plus de quarante ans, l’Irak s’autorise cette fantaisie, ce spectacle qu’on veut présenter comme une bouffée d’air frais, la preuve que « la vie continue ». Une belle jeune femme de vingt ans du nom de Shaymaa Qassim Abdelrahman a été élue à Bagdad, choisie pour renvoyer au monde l’image d’une Irak moderne et dynamique. La Miss s’est déclarée « très heureuse de voir que l’Irak va de l’avant, grâce à dieu » (AFP). Message d’espoir ? Simple diversion ? On s’interroge.
Un message clair: Life goes on

Les élections de Miss diffusent rarement une image très positive de la femme, et comme le dit Faisal Al Yafai dans les colonnes du quotidien The National, « pas besoin d’être féministe pour détester les concours de beauté ». D’autant plus qu’on y célèbre la beauté féminine à l’occidentale, loin de déclencher un quelconque phénomène d’identification chez les Irakiens. Mais au-delà de ces considérations que l’on pourrait avoir dans bon nombre de pays du monde, il y a quand même la volonté – louable – de faire respirer un peu la population, de la faire rêver de tapis rouges et de reconnaissance internationale. Entre deux attentats-suicides, les Irakiens ont pu se plonger dans les grands yeux verts de Shaymaa Qassim et oublier un instant les morts et la violence. Certes, pas de défilé en maillots de bain. Évidemment, même toutes habillées, les candidates ont fait l’objet de nombreuses attaques; en ne portant pas le voile lors du concours, et voulant promouvoir l’image de femmes indépendantes et épanouies, elles ont régulièrement reçu des menaces de mort. Plus de 150 de ces candidates se sont retirées de la course, craignant pour leur vie. Donneurs de leçons, conservateurs et extrémistes religieux qui peuplent aussi le pays rejettent catégoriquement cette initiative de la femme moderne, trop occidentalisée, trop souriante peut-être.
Une élection-diversion au milieu du chaos

Si depuis 1972 aucune véritable élection de Miss Irak n’a eu lieu, c’est parce que le pays est plongé dans un chaos qui n’en finit pas de durer. L’invasion par les États-Unis en 2003, sous le fallacieux prétexte d’un maintien de la paix dans la région, a eu de lourdes conséquences sur le développement économique. L’Irak traverse depuis de nombreuses années une période désastreuse sur le plan humanitaire, qui empêche une élévation du niveau de vie moyen et perturbe la paix sociale. L’insurrection djihadiste, qui est finalement la conséquence de cette crise
prolongée, est une source supplémentaire de difficultés et monte sournoisement les irakiens les uns contre les autres. Il est évident que l’élection de Miss Irak n’a pas grand chose à voir avec ces problématiques géopolitiques. Mais il se trouve qu’elles ne sont pas sans lien avec le recul significatif des droits des femmes dans le pays ces quinze dernière années. La constitution post-2003 fait complètement abstraction des efforts de protection de la femme qui avaient existé jusqu’à lors, sous un statut juridique établi lors de la fondation de la République de 1958. Les protections légales contre le mariage précoce et le divorce arbitraire ont été complètement édulcorées et n’ont qu’une valeur à peine symbolique. Le congé maternité n’existe plus; sans parler d’un taux d’emploi des femmes désespérément bas.
Il a donc fallu à Shaymaa Qassim Abdelrahman un courage indéniable pour mener à bien sa candidature, et pour finalement parvenir à la victoire en ignorant les menaces de mort et d’enlèvement de Daesh. C’est d’ailleurs ce courage qui pourrait faire parler d’un signe de progrès, d’espoir, d’une bonne nouvelle en somme. Il est toutefois nécessaire de souligner que l’Irak devra actionner un long processus de mise en perspective de l’image de la femme pour espérer un jour que l’élection d’une Miss devienne aussi peu significative en Irak qu’en France.
Mariem Diané
Sources:
Courrier International, Moyen-Orient: Miss Irak est de retour et ce n’est pas une bonne nouvelle
The National, Why the Miss Irak beauty pageant offers merely a sham of stability
L’Express, Miss Irak: le pays a élu sa première reine de beauté depuis 45 ans
Clarionproject.org, ISIS Warns Iraqi Beauty Queen: Join Us or We Kidnap You
Crédits photos:
Reuters/Ahmed Saad Photo

Election de la première Miss Irak depuis 40 ans


Camp de civils en fuite des combattants djihadistes: © Gerard GUITTOT/REA

Politique

Hollande, geek malgré lui

Hollande et les réseaux sociaux : je t’aime … Moi non plus
En janvier, l’Elysée inaugurera le compte Snapchat du président de la République. Peu friand des réseaux sociaux, préférant selon ses dires de 2013 la « conversation directe » avec les Français, François Hollande y a pourtant progressivement accru sa visibilité au fil de son quinquennat. Très utilisé pendant la campagne présidentielle, son compte Twitter @fhollande a été laissé à l’abandon plusieurs mois avant que le président en personne ne le réactive le 1er janvier 2014. Des critiques dénonçant un président au silence anachronique ont commencé à se faire entendre, le contraignant à retisser sa Toile. Sans surprise, il jouit d’un nombre spectaculaire de followers qui relayent en masse chacun de ses courts messages. Son équipe a annoncé début octobre son arrivée sur un réseau social plus ludique, facile d’accès, intuitif et surtout plus jeune : Instagram. Il est alimenté très régulièrement et constitue une sorte de carnet de bord. Un roman photo qui offre à n’importe quel utilisateur l’opportunité de consulter l’agenda du Président. Mais il contribue aussi à donner l’image d’un François Hollande proche de ses concitoyens, quasiment accessible. On le voit ainsi profondément affecté alors qu’il réconforte une personne touchée par le tragique accident d’autocar de Puisseguin : cette publication et la légende qui l’accompagne témoignent que le président est dans l’affect, qu’il partage la douleur de ses concitoyens, et qu’il est un homme avant tout. Au même titre que biens des utilisateurs d’Instagram, il se met en scène et donne à voir ses moins faits et gestes, ce qui tend à l’humaniser.

#Hyperprésident ?
De là à dire que cette présence sur les réseaux sociaux contribue à désacraliser sa fonction, il n’y a qu’un pas – qu’on ne franchira pas. Car justement, cette surabondance des publications peut avoir un effet de réassurance. Au lendemain des attentats de Paris, les équipes du président ont publié une image du conseil de défense qui se tenait à l’Elysée. Les visages sont fermés, les traits sont tirés, et chacun a le nez plongé dans ses feuilles ou le regard tourné vers le président. L’instant est solennel, et le sérieux, le studieux et le sobre qui émanent de cette photo renvoient l’image d’un président bien entouré et conseillé, qui s’active vraiment en coulisses – mais peut-on encore parler de coulisses ? – à l’heure où ses concitoyens sont plongés dans l’angoisse et le deuil. Il y a une dimension paternaliste à tout cela,probablement savamment orchestrée par les conseillers en communication du Président. Ce compte permet de montrer un Francois Hollande dynamique qui multiplie les déplacements et les rendez-vous diplomatiques en France comme à l’étranger, en conseil des ministres comme auprès des dirigeants allemands, russes ou italiens. Le pouvoir des images s’exerce là à l’extrême : chaque prise de vue représente un enjeu différent du quinquennat. L’omniprésence du Président sur ces photographies est une manière comme une autre de faire comprendre qu’il est sur tous les fronts.

Séduire la jeunesse
Voici venue l’heure de Snapchat. Dans l’équipe du Président, on insiste sur le côté novateur de la chose : il s’agit d’informer autrement, de donner un regard plus singulier, se devine surtout en filigrane une opération de séduction à l’adresse des jeunes. Les 18-34 ans constituent 71% des utilisateurs du réseau social. A cet âge où les opinions politiques se forgent, la construction d’une figure politique accessible et en phase avec son époque peut avoir un impact considérable sur les jeunes électeurs. Le vote des jeunes étant crucial pour l’échéance de 2017, on comprend que le Président et ses conseillers cherchent à diversifier les supports – quitte à surprendre. En effet, le recours par les politiques à ce réseau était jusqu’alors circonscrit aux États Unis. Il s’opère donc une certaine américanisation de la vie politique française, avec des hommes d’Etat érigés au statut de vedette, mettant leur personne et leurs proches en scène en permanence. D’autant que le principe de Snapchat étant d’auto détruire les photographies diffusées. Cela laisserait penser qu’il en est ainsi car les photos sont légères, humoristiques voir compromettantes – en témoigne les filtres que Snapchat a récemment incorporé à ses fonctionnalités. Quel est donc le sens de cette démarche quand on est le Président de la République ? C’est surtout la fonction « Story » qui intéresse ses conseillers en communication. Les photos sont rendues universelles et donc visibles par tous pendant 24 heures. Elles permettent donc une immersion des utilisateurs dans l’antichambre du pouvoir. En dévoilant les coulisses des campagnes, les candidats veulent sans doute montrer qu’ils mènent des campagnes participatives, dont le militant est une partie intégrante et non un simple adjuvant à l’élection. Toujours est-il que l’ex-président fantôme des réseaux sociaux est en passe de devenir un aficionado du petit fantôme sautillant de Snapchat.

Erwana Le Guen
Sources :
– Huffington Post, « Twitter / Facebook, Hollande renoue avec les réseaux sociaux »
– Quora, « How can Snapchat influence the 2016 US election? »
– L’Obs, « François Hollande débarque sur Snapchat en janvier, on vous explique pourquoi »
Crédits photo :
Le Lab d’Europe1
Instagram @fhollande
Instagram @fhollande
Slate.fr

Politique

La peur par la communication: la méthode Daesh

Le terrorisme est un ensemble d’actes de violence qu’une organisation politique exécute à l’encontre d’une société, afin de la désorganiser et de créer un climat d’insécurité, de sorte qu’une prise de pouvoir soit possible. Le mot trouve ses racines étymologiques dans la France révolutionnaire du XVIIIè siècle. Il désignait alors la doctrine partagée par les partisans du régime de la Terreur. C’est donc dès l’origine un mot à connotation politique. Aujourd’hui, le terrorisme désigne des groupes politiquement formés et organisés tels que le groupe Etat Islamique et AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), qui s’appuient sur une interprétation fondamentaliste du Coran, militant pour un Islam qu’ils considèrent comme pur, originel. Un prétexte pour mener le Jihad de l’épée, c’est-à-dire une lutte armée contre les infidèles, l’Occident, au nom d’une entité religieuse unique. Les méthodes du terrorisme au XXIème siècle utilisent aujourd’hui les mêmes recettes discursives qu’autrefois : instiller la peur, par les mots et les actes plutôt que de combattre frontalement ses cibles. Cette peur est instrumentalisée dans le but de soumettre les opposants et de faire adhérer à l’idéologie de potentielles recrues.
L’instrumentalisation de la peur par le discours politique
Selon Manuel Castells, dans Communication et Pouvoir, le discours et la violence sont deux instruments du pouvoir, utilisés pour asseoir une domination. Le discours permet de construire du sens, donc des valeurs, des intérêts, une idéologie à suivre. La violence est légitimée – du moins rationalisée par le discours produit. A l’inverse, le discours trouve un poids et un écho supplémentaire dans un appel à la violence. Le terrorisme passe ainsi par la communication et par les actes de violence afin d’introduire un rapport de domination vis-à-vis des populations ciblées, ce qui leur donne l’ascendant dans la relation.
De plus, la cognition politique, soit le traitement des informations, est façonnée par les émotions. Les émotions fortes – et en politique tout particulièrement l’enthousiasme et la peur – renforcent notre attention. Ainsi, l’utilisation de la peur par les terroristes procède d’une tactique politique, poussée à son extrême par une communication menaçante et terrorisante et par des actes de terrorisme.
Dans quel but ?
La peur, oui, mais pour quoi faire ? Le but du terrorisme est, premièrement, la conquête physique de territoires sur lesquels étendre sa domination et, deuxièmement, la conquête des esprits et des cœurs. L’un ne va pas sans l’autre puisqu’il faut convaincre de nouveaux combattants qui aideront sur le terrain. Ces deux objectifs sont d’ailleurs mentionnés dans le discours du 4 juillet 2014 d’Abu Bakr Al-Baghdadi, le leader du groupe Etat Islamique. Adressé à tous les musulmans du monde, ce discours les incitait à rejoindre le « nouveau califat » et à faire allégeance au groupe.
Le but d’une communication axée sur la peur est de soumettre les populations visées, de susciter leur peur, pour paralyser mais aussi de diffuser leur idéologie et de recruter. Le terrorisme est donc très dépendant de la communication. Ce qui compte en effet, n’est pas tant l’acte terroriste en lui-même, que la diffusion et la médiatisation de la terreur. Comme au théâtre, la présence du spectateur est essentielle pour propager l’histoire. C’est par ce biais que les groupes terroristes vont marquer les esprits et créer la paralysie, liée à la peur de la mort, nécessaire pour anéantir toute réflexion, toute révolte.
Une guerre psychologique
La réussite du groupe Etat Islamique à convertir au-delà de leur zone d’influence tient en partie à leur utilisation de tous les moyens de communication actuels. Ils sont présents sur tous les supports : Internet, télévision, print, grâce à leurs propres canaux d’information et aux réseaux sociaux. Certaines agences de communication islamistes radicales comme As-Sahab ou Al-Boraq, créées par Al-Quaïda diffusent leurs messages. Le groupe Etat Islamique édite et diffuse plusieurs magazines dont Dabiq ou Dar Al-Islam, littéralement « domaine de la soumission à Dieu », écrit en français.
La propagande djihadiste passe avant tout par les images : les photos glorifiant les combattants et les vidéos mettant en scène des exécutions sommaires. Cette théâtralisation est particulièrement flagrante avec la vidéo mise en ligne en juillet de la mise à mort publique de soldats syriens au sein de l’amphithéâtre de la ville antique de Palmyre.

Les médias font partie intégrante de la stratégie du groupe Etat Islamique pour propager la peur dans nos sociétés, pourtant géographiquement éloignées de son territoire. Cette stratégie s’appuie sur notre fascination pour les images et le jeu du sensationnalisme chez les médias pour monopoliser l’attention et créer la sidération. Les actes terroristes trouvent ainsi un écho dans les médias, qui font résonner sur le long terme la portée de leur action.
Quand la terreur descend dans nos rues
Enfin, la terreur ne passe pas uniquement par les discours. Les groupes terroristes la font descendre dans nos rues. Les attentats touchent directement les populations et servent de rappel au discours jusque-là prononcé et mis en scène. Ils jouent sur l’effet de proximité. Les attentats sont des prises de conscience directes que la terreur n’est pas seulement formalisée, elle est aussi appliquée.
Les attentats s’appuient avant tout sur la symbolique pour marquer les esprits. Le lieu des attaques est choisi rationnellement par leurs auteurs : Charlie Hebdo à cause de ses portraits du prophète et Eagle of Death Metal, groupe qualifié de sataniste, véhiculant des valeurs négatives. Le symbolique ajoute une dimension supplémentaire à l’acte en lui-même, qui marque davantage les esprits. On retrouve également ce symbolisme dans les discours d’accompagnement : la manipulation des mythes arabes, des références religieuses (le Coran) et de références historiques (le retour au Califat, âge d’or de la civilisation arabo-musulmane). Les noms autoproclamés des terroristes et des membres des organisations sont également d’une grande importance. Par exemple, le chef suprême du Califat, a pris le nom d’Al-Baghdadi. Il s’agit d’un titre accordé à l’élève qui a suivi un cursus d’études religieuses à l’Université de Bagdad, un titre qui lui donne sa légitimité. Enfin, la couleur
funeste du noir choisie pour leur tenue et leur drapeau de ralliement fait également partie de la stratégie de communication de propagation de la peur, associée à l’obscurité qui effraie.

Ainsi, la stratégie de communication des groupes terroristes tels que Etat Islamique se résume en quelques mots : diffuser la peur au-delà des zones d’influences directes (Irak et Syrie) afin de recruter de nouveaux membres et paralyser les sociétés occidentales. Cette stratégie n’est pas seulement abstraite puisqu’elle passe également par des actes terroristes. Non seulement ces groupes terroristes veulent que l’Occident les craigne, mais ils souhaitent également désagréger nos sociétés en propageant la peur de l’autre et notamment celle des migrants en provenance des zones de conflits, des musulmans et des personnes d’origine arabe. Cette peur-là fait donc partie de leur stratégie : y céder signifie céder à leur idéologie.
Julie Andréotti
Sources :
Les Inrocks, Pourquoi la lutte contre Daesh doit d’abord passer par les mots, 26/11/2015 
Aleteia, Le Grand entretien (1/3): Alexandre Del Valle: « Daesh veut provoquer un syndrome de Stockholm généralisé en Occident, 2/12/2015
RT France, Daesh: une exécution massive à Palmyre, 5/07/2015
Télérama, la vidéo: arme de communication massive de l’État Islamique, 2/12/2015
Le Figaro, l’Etat Islamique a une identité de marque très travaillée, 18/02/2015 
L’obs, Daesh, la propagande de la terreur, 7/03/2015
Le Monde, Au procès du cyberjihadiste Al-Normandy: « pour moi, ce n’était que des textes », 6/03/2014
Huffington Post, Daesh: la terreur par l’image, 17/02/2015
Mediapart, Les rouages de la communication terroriste: comment comprendre les enjeux de la terreur, 25/11/2015
Youtube, France 24, Quels sont les principaux messages du discours du chef de l’EI Al- Baghdadi ? 
Crédits photos: 
Le Figaro 
Le megazoom 
 

ELECTIONS REGIONALES FN
Politique

"Quoi, tu t’appelles Gégé tu votes pas FN" : pour en finir avec le cliché du bolos agriculteur et raciste

Le 13 décembre dernier, une brise de soulagement soufflait sur la France. « Zéro », comme zéro région remportée par le Front National malgré une victoire dans un climat anxiogène lors du premier tour. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, l’entre-deux tours était submergé d’articles et de farces sur ces « idiots » qui avaient osé voter FN. De l’étude démontrant que moins on est instruit, plus on a tendance à voter FN à la cartographie des tournages de Confessions Intimes comparée à celle du vote frontiste, tout était bon pour faire comprendre que seuls des paysans ignares vivant reclus avaient pu faire un choix aussi irrationnel.
Pourtant, se laisser aller à ce genre de raccourcis peut être dangereux : d’une part, cette association tend à devenir de moins en moins vraie et d’autre part, elle constitue du pain béni pour le FN, qui en joue dans sa communication.