Politique

Erdogan ou la mort programmée du kémalisme

Les législatives du 2 novembre dernier en Turquie semblaient être jouées d’avance. Alors que, pour la première fois depuis 13 ans, l’AKP (parti islamiste modéré d’Erdogan) avait perdu sa majorité absolue, tout semblait indiquer une disgrâce de l’ancien président turc. Pourtant, déjouant tous les pronostics fatalistes, l’AKP obtint une immense victoire électorale, et retrouva sa place de premier parti politique dans le pays. Cela s’explique avant tout par la popularité sans précédent d’Erdogan, et sa maîtrise totale de son image.
Le triomphe d’Erdogan, renouveau religieux
L’actuel premier ministre bénéficie depuis son élection comme maire d’Istanbul d’une immense popularité.
L’année 1994 signe le début de la carrière politique de cet homme issu d’Anatolie, et qui n’était jusque-là reconnu que pour ses talents de footballeur professionnel. Cette année marque donc le début de sa gloire, à travers le poste de maire d’une des villes les plus puissantes du pays.
Pourtant, Erdogan se présente alors comme représentant d’un parti islamiste modéré, alors que sous la République, aucun parti religieux n’avait triomphé lors d’élections d’une telle ampleur. La raison de ce succès électoral ? La stratégie d’Erdogan, qui se présente comme un champion de la lutte contre la corruption qui gangrène toute la classe politique de la ville. Son respect profond de l’islam devient dès lors un outil de communication : un homme aussi vertueux que lui ne saurait pécher et par là trahir et décevoir ses électeurs. Sa foi devient un instrument politique.
Mais la victoire d’Erdogan et de sa religiosité assumée a également une signification bien plus profonde que cela. D’autre part, sa popularité n’a jamais été aussi haute que lorsqu’il a publiquement dénoncé l’Etat d’Israël, le qualifiant d’ «enfant gâté » en 2011 et prenant parti pour la cause palestinienne publiquement en 2013.
Un certain retour à la religion semble se produire en Turquie, et Erdogan en est le symbole. Il s’agit de l’émergence d’un islamisme conservateur au sein d’une république laïque, présentée comme un modèle de modernité au Moyen-Orient. Recep Tayyip Erdogan est celui qui vient, à travers les décennies, défier l’autorité du grand Atatürk, père de la République et artisan de la sécularisation de la société turque.
MusKemal, figure historique incontournable
Mustapha Kemal eut de nombreux noms, et parmi ceux-ci le plus célèbre est sans aucun doute celui d’Atatürk traditionnellement traduit comme « Père des Turcs ». Ce surnom, est synonyme dans l’imaginaire collectif turc d’un grand homme qui a su faire entrer la Turquie dans l’ère moderne, et a jeté les fondations de l’état turc actuel. Mustapha Kemal représente le mythe l’homme providentiel par excellence, figure politique dont le destin individuel a transformé l’histoire de son pays. Il est vu comme l’homme qui a su marquer l’histoire, et qui malgré toutes les controverses, continue de forcer l’admiration à travers les siècles.
Kemal est le symbole d’une Turquie nouvelle, délivrée du califat mais aussi et surtout d’un renouveau laïque que l’on présente souvent comme un phénomène inédit dans le monde musulman.
En effet, une fois arrivé au pouvoir, Kemal proclame la République et sépare la justice et l’enseignement de la religion islamique : le voile est notamment interdit dans les universités d’Etat en 2014
« Enfin, legs durables de Mustafa Kemal, l’existence même de la nation turque aujourd’hui, le fait qu’elle se place cette année à la dix-septième place mondiale en termes de puissance économique […] et la position internationale d’Ankara» conclut Adel Taamalli sur le blog collectif et indépendant tunisien Nawaat.
C’est dire l’importance de l’héritage du dirigeant, qui fondé à lui seul un courant politique, le kémalisme, dont beaucoup ont tenté de s’inspirer sans le même succès. Sa figure est particulièrement respectée en Turquie, où un immense mausolée a été construit pour lui rendre hommage. Mustapha Kemal est une figure révérée par les Turcs, comme le prouve la controverse autour de son biopic en 2008 de Can Dündar, qui était considéré comme insultant envers la mémoire de leader.

Ainsi, malgré sa popularité, l’image d’Erdogan est très différente de celle des hommes au pouvoir traditionnellement diffusée en Turquie.
Les médias au service du pouvoir
Rien que l’adjectif « sultan » que s’accordent à lui accoler à la fois Libération et Le Nouvel Observateur sont déjà un indice révélateur de la fracture profonde qui sépare le kémalisme de la politique de l’actuel Premier ministre turc.

S’il a souvent été reproché à Kemal un trop grand autoritarisme, il reste indéniablement aux yeux de tous le père de la démocratie turque. Au contraire, Erdogan semble renouer avec cette tendance à un pouvoir plus autoritaire, tout en remettant en cause certains principes les plus fondamentaux de la démocratie.
L’exemple le plus parlant est le contrôle qu’Erdogan entend exercer sur la presse nationale. C’est ainsi que suite à la relative défaite de l’AKP au début de l’année et à l’organisation de nouvelles élections en novembre, Erdogan a cherché à faire taire la presse d’opposition. Le 28 octobre à l’aube, la police turque intervient dans les locaux des chaînes Kanaltürk and Bugün TV à Istanbul pour interrompre toute transmission. « La situation des journalistes est la pire depuis les années 1980, période de coups d’État militaires » affirm Can Dündar, le rédacteur en chef du journal Cumhuriyet selon L’Humanité. Un des faits les plus marquants de cette censure officielle est l’interdiction qui a été faite à la presse de couvrir les attentats meurtriers d’Ankara du 10 novembre dernier.
La lutte contre la laïcité
Mais ce qui caractérise sans doute l’opposition farouche d’Erdogan au kémalisme est son combat contre la sécularisation de la société turque.
La carrière politique d’Erdogan commence par la défense des intérêts de la minorité musulmane en Anatolie, profondément croyante et ignorée jusque-là par le pouvoir en place. Il est même condamné quelques années plus tard à une peine de prison pour avoir lu en public un poème du nationaliste Ziya Gökalp incitant les croyants à combattre les infidèles. Mais il parvient à faire de cette traversée du désert une véritable force, puisqu’il fonde à sa sortie de prison l’AKP, qui devient immédiatement la première force politique du pays. L’image qu’Erdogan veut se construire et diffuser largement est celle d’un homme de foi suivant scrupuleusement les enseignement de l’islam.
C’est ainsi qu’alors que Mustapha Kemal avait interdit le port du voile dans les universités, Erdogan l’autorise à nouveau dès 2008. L’interdiction a également été levée pour toutes les fonctionnaires en 2012.
 

Deux frères ennemis
Erdogan s’impose comme le symbole d’une certaine lassitude du peuple turc envers le kémalisme jusque-là tout puissant. La multiplication du port du voile le prouve : quatre députées se sont présentées voilées à l’assemblée pour la première fois de son histoire en 2013, et près des deux tiers des turques le portent aujourd’hui.
De fait, Erdogan et Atatürk, par leur popularité et leur immense pouvoir politique, représentent les deux faces d’une même pièce, celle du mythe de l’homme providentiel. Chaque époque appelle son propre héros ; le rapprochement entre ces deux figures antagonistes est en réalité révélateur des courants d’opinion profonds qui traversent la société turque et fondent son identité.
Aussi, deux images antagonistes se dégagent de cette confrontation : si Kemal a laissé un héritage à la fois glorieux et lourd, puisqu’il n’est que très peu contesté, Erdogan est plus contrasté. Toutefois, cette image plus nuancée se développe hors de Turquie, car dans le pays, c’est-à-dire là où se trouve son électorat, Erdogan accorde un soin tout particulier à son image qu’il contrôle afin de servir ses ambitions politiques.
Myriam Mariotte
Sources :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mustafa_Kemal_Atat%C3%BCrk/134505
http://www.herodote.net/Moustafa_Kemal_1881_1938_-synthese-180.php

Mustafa Kemal, un grand homme de l’Histoire ?


http://global.britannica.com/biography/Recep-Tayyip-Erdogan
http://www.liberation.fr/planete/2011/06/13/erdogan-le-nouveau-sultan-turc_742371
http://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-d-ankara-le-bilan-s-aggrave-a-97-morts-erdogan-critique-12-10-2015-5177731.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-gouvernement-turc-autorise-le-port-du-voile-dans-les-lycees-2014-09-24-1211236
http://www.courrierinternational.com/article/2014/11/25/les-dix-declarations-les-plus-ridicules-du-president-erdogan
http://www.france24.com/fr/20081110-le-biopic-atatuerk-provoque-controverse-turquie-cinema
http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201109/06/01-4431860-turquie-erdogan-accuse-israel-detre-un-enfant-gate.php
http://www.telerama.fr/medias/comment-erdogan-musele-les-medias-turcs-avant-les-legislatives,133490.php
http://www.humanite.fr/turquie-erdogan-veut-etouffer-la-liberte-de-la-presse-587808
Crédits photos:
Huffington Post
Blogspot
Ibtimes

Politique

L'union, par la communication

Alors que le bilan des attentats qui ont eu lieu vendredi soir s’alourdit d’heures en heures, l’équipe de FastNCurious tient à exprimer son soutien à tous ceux qui ont été affectés par ces évènements tragiques. Nous partageons le choc et l’effroi auquel vous faites face.
Nous adressons toutes nos condoléances aux victimes, qui, à Paris, Beyrouth ou ailleurs sont chaque jour plus nombreuses.
Les actes perpétrés hier soir sont ignobles. Ils touchent profondément la France et portent atteinte au vivre ensemble dans notre pays où la liberté est et restera une valeur essentielle qui motive chaque citoyen.
Le communiqué dans lequel le groupe Etat islamique revendique l’attentat qualifie le Président de la République française d’ « imbécile ». A travers son Président, c’est ici tous les citoyens français qui sont insultés par l’organisation Etat islamique. Entre un peuple motivé par les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité et un groupe d’extrémistes religieux répandant la mort sur leur passage au nom d’une religion qu’ils n’incarnent pas, nous ne préciserons pas qui pourrait être qualifié d’ « imbéciles ». Mais nous ne tomberons pas dans leur rhétorique, face à ces actes qui cherchent à nous diviser, restons unis.
Sur FastNCurious nous continuerons à dévoiler ce que cache la communication. L’exemple du groupe Etat islamique est révélateur, au-delà de ses attaques, l’organisation rejette la diversité, la pluralité de la société française et ce sous couvert de leur discours religieux. Ces actes visent à instiller la peur, à remettre en cause notre capacité à vivre ensemble. La lutte contre le terrorisme passe indéniablement par la compréhension des actes qui le motivent. L’impact de cette stratégie de la peur s’effondre dès lors qu’elle est dévoilée, et c’est à cela que nous allons travailler.
Nous n’avons pas peur. Et nous sommes unis.
L’équipe FastNCurious. 
Crédit image : Joann Sfar

Des paroles et des actes, Marine Lepen
Politique

De DPDA à Face à France: vers un renouveau du débat politique à la télévision

Marine Le Pen, la star. Marine Le Pen, la diva, « à qui on n’impose rien ». C’est en ces termes que la présidente du Front National a annulé à la dernière minute sa venue dans l’émission politique phare de France 2, Des Paroles et Des actes, obligeant la chaîne à supprimer l’émission de sa grille du soir. Cet épisode fait suite à une lettre envoyée par les présidents du PS et des Républicains au CSA, pour qui la visibilité accordée à la candidate dans la région Nord Pas de Calais-Picardie aux régionales est contraire à l’égalité politique Ces évènements remettent en question la légitimité du format de l’émission de France 2 face à de nouvelles formes mises en avant, jugées plus authentiques.
Une occasion manquée pour le FN
L’invitation de Marine Le Pen – une cinquième fois, un record pour l’émission – souligne l’incapacité du parti à mettre en avant médiatiquement des figures autres que celles de son leader. Cela ne peut que souligner, dans un parti où les mandats nationaux se font rares, l’échec de surexposition d’un Florian Philippot qui truste la part du lion médiatique de son parti et qui se voit critiqué par des ténors comme Louis Alliot, pour qui « c’est Marine qui décide »
La vraie question qui se pose pour le Front National, qui veut s’inscrire dans la logique des partis dits “de gouvernement” et s’institutionnaliser, c’est de se construire des personnalités plus visibles médiatiquement, qui peuvent être vues comme une alternative au leader, au risque de passer pour une entreprise familiale où, pour diriger, le bon patronyme est nécessaire.
La réalité du « système » ?
L’erreur la plus notoire vient sans doute de Jean Christophe Cambadélis et de Nicolas Sarkozy qui, soucieux de ne pas laisser une « tribune » de deux heures à Marine Le Pen, ont alerté le CSA , permettant ainsi à Marine Le Pen de dénoncer une fois de plus le fameux UMPS et de s’embourber dans sa stratégie du « seul contre tous » Elle met en avant une supposée collusion d’un système médiatico-politique – dont elle serait la victime. Les Républicains et le PS sont les meilleurs alliés de Marine Le Pen, qui se niche volontiers dans les draps de la démocratie et s’offusque dans un communiqué de presse de la volonté de l’émission d’organiser un débat « excluant d’ailleurs sans raison les autres candidats à cette élection ». Par leur erreur stratégique, les Républicains et le PS ne font que donner plus de force à l’argumentaire traditionnel du FN.
En annulant l’émission, France 2 ajoute de l’huile à la communication d’un FN qui s’affirme comme étant au centre de la vie politique française, en plaçant sa présidente dans une situation où elle peut se permettre de refuser une émission en prime time.
Une perte de crédibilité pour l’émission
Alors que France 2 avait réussi à s’imposer comme la chaîne des rendez-vous phares de la politique, avec ses émissions de débat comme Mots croisés et Des paroles et des actes (qui permettent d’interroger sur une volonté quasi-exhaustive des personnalités politiques), France 2 écorche son image de chaîne du service public en mettant clairement en avant une volonté d’audimat et un besoin de rentabilité, et donc une volonté de susciter de fortes audiences en invitant des personnalités médiatiques susceptibles de créer l’événement.
Comment la télévision – considérée comme le quatrième pouvoir – peut-elle répondre aux injonctions de présidents de partis politiques qui, conscients de la visibilité procurée par l’émission, se sont précipités pour fixer les modalités de son organisation ? Comment l’émission peut-elle continuer à prétendre être indépendante de la mêlée politique ?
Le face aux Français pour plus d’authenticité

Il semble que la formule en place depuis 2011 doit être repensée et actualisée, surtout dans le contexte d’élections régionales, que France 2 peine à couvrir. Est-ce pertinent d’inclure un débat avec seulement une partie des candidats à la présidence d’une région, dans une émission à portée nationale ?
L’imbroglio de Des paroles et des Actes souligne l’incapacité actuelle du service public français à assurer une bonne couverture médiatique des élections locales.
Bien que France télévisions déclare ne pas vouloir remettre en cause le format de l’émission de France 2, « seule émission du PAF sur une grande chaîne généraliste à une heure de grande écoute », jouissant d’un quasi-monopole sur le paysage audiovisuel français ; le retour de Face à France , sur NRJ 12 (une émission crée en 1987) remet au goût du jour une tendance qui s’inscrit dans les émissions politiques : celle d’un désir d’authenticité de la parole qu’une simple confrontation entre personnalités politiques ne pourrait remplir. L’objectif est clair : arracher le masque du pouvoir à ces hommes et à ces femmes pour les mettre face au quotidien. L’utilisation actuelle des réseaux sociaux dans ce type d’émissions à la manière de C dans l’air, avec sa séquence questions-réponses, s’inscrit dans cette lignée. Il faudrait ainsi voir la confrontation portée par les vrais français, ces gens lambdas qui sans détours sauront apporter un peu de spontanéité dans un débat, alors qu’ils en sont traditionnellement exclus, comme le souligne la visite récente de François Hollande chez Lucette.
Un rapport au parlement sur les orientations de la chaine paru en octobre prévoit la création d’une nouvelle chaine d’information, animée d’une volonté explicative qui se voudrait plus pédagogique. On pourrait penser à un nouveau format court en cohérence avec la ligne éditoriale de la chaîne, qui s’adapte au phénomène du buzz politique amplifié par les réseaux sociaux : le paysage audiovisuel français est peut-être en quête d’une émission politique de type débat accessible à l’ensemble des citoyens.
Jérémy Figlia 
Sources :

http://lelab.europe1.fr/louis-aliot-critique-lomnipresence-mediatique-de-florian-philippot-2540967
http://www.frontnational.com/2015/10/monsieur-pujadas-on-ne-mimpose-rien/
 
Crédits photos : 
http://www.rtl.fr/actu/politique/marine-le-pen-sur-france-2-exigences-contradictoires-colere-et-grande-confusion-avant-l-emission-des-paroles-et-des-actes-7780210304 
http://www.non-stop-people.com/actu/tv/face-france-christophe-beaugrand-cloue-le-bec-christine-boutin-89922

bernie for president
Politique

Bernie Sanders, l'autre versant de l'American Dream

Nous avions déjà fait le portrait d’un autre candidat à la présidentielle américaine, celui de Donald Trump, qui se distingue par sa bouffonnerie et son étonnante visibilité médiatique. Aujourd’hui, nous vous présentons l’un des hommes politiques qui s’en distingue sans doute le plus nettement: le sympathique Bernie Sanders. À soixante-treize ans, le sénateur du Vermont rebat les cartes de la primaire du parti démocrate, et par extension celles de l’élection présidentielle. Candidat de plus en plus sérieux face à Hillary Clinton, sa popularité grandissante s’explique par un discours qui se veut aux antipodes de l’habituelle « langue de bois », et une attitude qui séduit par son authenticité. Sanders se revendique  « socialiste », un terme qui ne fait habituellement pas recette chez les Américains. Et pourtant ils sont nombreux à le soutenir, avec un pourcentage d’opinions favorables de près de 40% dans la population générale.
Good guy Bernie: un programme optimiste 

« Bernie », comme le surnomment affectueusement ses sympathisants, apparait presque comme un héros des temps modernes. Dés le début des années 1960, alors qu’il est âgé d’une vingtaine d’années, ce « good guy » milite activement contre la ségrégation des logements universitaires dans la ville de Chicago où il étudie. En 1981, il est élu maire de Burlington; en 1987, il est décrit par U.S News comme étant l’un des meilleurs maires des États-Unis.
Sanders devient ensuite sénateur du Vermont, où il est réélu à huit reprises consécutives. Antiguerre et pro-sécurité sociale, il reçoit tôt le soutien des jeunes. Aujourd’hui, sa campagne électorale s’oriente surtout autour de la classe moyenne avec un agenda progressiste qui propose, entre autres, de créer de nombreux emplois, d’augmenter le salaire moyen, de protéger l’environnement, de développer davantage le rôle de l’état par la rénovation du système éducatif et de la protection sociale…  Des problématiques relativement classiques, mais associées à une dénonciation de l’influence de l’argent en politique et d’un « gouvernement des milliardaires, par les milliardaires et pour les milliardaires ». La sphère financière est le coeur de cible ses attaques; Sanders oppose les « lucky few » aux « 99% », le gros de la population américaine qui ne jouit que marginalement des fruits de la croissance. La référence aux mouvements de Podemos ou de Syriza est évidente, Sanders leur a d’ailleurs rendu hommage à de nombreuses reprises notamment sur sa page officielle de sénateur : « La victoire de Syriza en Grèce nous prouve que, partout dans le monde, les gens n’accepteront plus une austérité subie par des familles au travail alors que les riches continuent à s’enrichir toujours plus ».
Une communication percutante 
La foule de partisans convaincus et enthousiastes que Bernie Sanders rassemble à chacun de ses meetings s’explique au moins en partie par l’efficacité de sa communication. Il cumule à la fois l’image d’un grand-père chaleureux, que l’âge a rendu sage et digne de confiance, et une énergie rafraichissante dans la défense de ses idéaux. Son statut d’ « indépendant » donne l’impression d’un homme détaché des querelles partisanes, au-dessus de cette « politique politicienne » qu’il méprise. Ces deux deniers mois, la visibilité de Sanders a augmenté de manière exponentielle, notamment sur les réseaux sociaux. Près de 2 millions de « j’aime » sur Facebook, plus de 800.000 followers sur Twitter… Ce succès est attendu dans une certaine mesure, quand on sait qu’une large partie de ses partisans est âgée de moins de 30 ans, et qu’elle est par conséquent plus encline à utiliser ces voies de communication. Avec un sens de la formule indéniable, comme la fameuse invitation : « Feel the Bern! », Bernie Sanders se distingue aussi par le respect qu’il porte à ses concurrents: « Jour après jour, on me demande de critiquer Hillary Clinton…(…) Je l’apprécie, et je la respecte » a-t-il affirmé à des journalistes lors d’un meeting dans l’Iowa en août dernier. Paradoxalement, cette douceur place H.Clinton dans une situation délicate; en critiquant Sanders trop agressivement, elle risquerait d’écorner sa propre image.
Une avancée progressive dans les sondages et dans les consciences

Bien qu’Hillary Clinton demeure favorite de la primaire du parti démocrate, la campagne de Bernie Sanders est en pleine expansion. Il est tout de même nécessaire de l’envisager avec lucidité: depuis 1852, seuls des candidats appartenant aux partis républicain et démocrate ont été élus à la présidence. Mais même si, selon toute vraisemblance, Bernie Sanders ne remporte pas cette élection, il aura laissé une marque durable dans la politique américaine en proposant une alternative courageuse à des jeunes qui rejettent massivement Donald Trump, et de manière générale un parti républicain largement porté par des idéaux et des représentations d’un autre temps. Sanders avait d’ailleurs le soutien de Barack Obama quand celui-ci n’était encore qu’un jeune sénateur démocrate prometteur. En mars 2006, celui qui deux ans plus tard allait devenir le président des Américains pour deux mandats consécutifs se rend au Vermont pour participer à la campagne sénatoriale de B. Sanders. Il y livre un discours passionné, qui rappelle ceux que Bernie prononce aujourd’hui: « Quand des gens ordinaires décident qu’ils veulent un avenir différent pour eux-même, pour leurs enfants et pour leurs petits enfants, et quand ils se rassemblent et construisent ensemble un projet à partir de rien, peu importe combien d’argent est dépensé ».
Finalement, qu’il s’agisse d’une stratégie de communication mûrement étudiée ou de sa bonhomie naturelle, Bernie Sanders arrive à convaincre. Tant et si bien qu’il pourrait surprendre en novembre 2016 !
https://www.youtube.com/watch?v=rtBVuye4fZQ
Mariem Diané 
Sources:   
http://feelthebern.org/who-is-bernie-sanders/ http://www.rollingstone.com/politics/news/the-case-for-bernie-sanders-20151103
http://elections.huffingtonpost.com/pollster/bernie-sanders-favorable-rating
http://www.huffingtonpost.com/entry/bernie-sanders-media_55dde96ae4b08cd3359e29a2 http://mic.com/articles/122011/watch-young-senator-barack-obama-campaign-for-berniesanders-in-2006  
Crédits Photos : 
http://berniesanders.com
http://mic.com/articles/122011/watch-young-senator-barack-obama-campaign-for-bernie-sanders-in-2006 

Make America great again
Politique

The Trump show

Magnat de l’immobilier, star et producteur d’une émission de téléréalité et aujourd’hui, candidat républicain à la présidentielle, Donald Trump est plus qu’un simple homme d’affaires. C’est un phénomène médiatique et politique.
A quatorze mois des élections, les sondages le donnent largement gagnant pour la primaire Républicaine. Trump écrase ses adversaires avec au moins 30% d’opinions favorables. Des chiffres surprenants face au comportement médiatique du candidat, avant tout connu pour ses propos misogynes et racistes. Pourquoi ce qui devrait lui porter préjudice lui donne-t-il un statut de favori au sein de cette primaire républicaine?
Un discours populiste à la rhétorique bien huilée
Son discours d’annonce, prononcé symboliquement dans la Trump Tower, abordait les principaux thèmes de sa campagne. Des thèmes articulés autour d’un nationalisme assumé qui pointe notamment du doigt la Chine comme un danger économique et diplomatique pour les Etats-Unis (« There are no jobs, because China has our jobs »). Un discours démagogique comme première arme pour toucher le cœur des électeurs.
Sa conclusion est éloquente : les Etats-Unis ont besoin d’un leader, d’un homme providentiel. Et cet homme n’est autre que lui-même. Le discours est percutant, les phrases courtes, imaginées comme des slogans dont on retient l’essentiel : Donald Trump « is going to make the America Great again ». Le schéma est simple : « eux », les politiciens, le gouvernement, les médias, ne sont pas capables de rendre aux Etats-Unis leur statut de leader mondial. « Eux », les pays étrangers, les immigrés illégaux « nous » mettent en danger. Ce sont « eux » contre « nous », le vrai peuple. Mais « moi », Donald Trump, je peux assumer ce rôle et c’est pourquoi je me présente. La rhétorique est efficace, en témoignent les sondages mais aussi son omniprésence dans les médias.

Une stratégie du scandale et du buzz médiatique
Cette rhétorique est couplée à une autre stratégie de communication : celle de faire le buzz. En effet, dès le lancement de sa campagne, Donald Trump a su créer la polémique. Sa déclaration sur les immigrés mexicains, les taxant de « violeurs », a été diffusée en continu sur les chaînes de télévision américaines, octroyant une place de choix à sa campagne sur la scène médiatique et dans les esprits des électeurs. Parallèlement, soulignant une fois de plus le paradoxe de sa montée dans les sondages, elle a également provoqué (à dessein) l’indignation de toute une communauté ainsi que des autres candidats républicains.
Sa popularité dans les sondages surfe également sur sa notoriété de star de la télé réalité. Cette identification des deux personnages créés – le showman et l’homme politique – repose sur la similitude de sa campagne avec un grand spectacle dans lequel le personnage de Donald Trump se met en scène dans le costume d’un homme politique. Il exerce une fascination liée à une attirance naturelle du spectateur pour tout ce qui est spectaculaire, divertissant, choquant. Un statut de vedette des médias que Barack Obama résume en ces termes « He knows how to get attention. He is the classic reality TV character ».
Enfin, comme l’explique le journaliste Howard Fineman dans le Huffington Post, son succès reflète un désenchantement politique. Il utilise une lassitude générale des hommes politiques classiques et surtout une érosion de la confiance populaire en la capacité de ces hommes à améliorer leur situation matérielle pour mettre en avant sa différence : c’est un homme d’affaires. Les Américains ne veulent plus d’un homme politique, ils veulent un gestionnaire efficace.

Le scandale permet donc d’attirer l’attention : l’électeur est plus attentif dès lors qu’un discours provoque en lui une réaction guidée par l’affect. Ainsi, sa campagne est avant tout articulée autour d’un constat qu’il fait du monde contemporain : les Etats-Unis vont mal, socialement, économiquement, et sur le plan militaire. Il instille ainsi la peur, celle de l’étranger, de la concurrence, de la destruction du système américain dans la conscience américaine : les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient.
Un buzz dont l’efficacité est mesurable dans les sondages mais aussi sur les médias sociaux.
L’homme se finance seul : une image du rêve américain, celle du « self-made-man », et un argument pour revêtir ce costume d’homme qui dit la vérité, qui dit non au politiquement correct parce qu’il n’est pas manipulé par les différents lobbies. Pas de campagne de publicité à la télévision ou sur YouTube donc. Un compte facebook, un compte Twitter et un site internet. Mais près de quatre millions de likes sur Facebook et 4.38 millions de followers sur Twitter. A titre de comparaison, Hillary Clinton totalise « seulement » 1.5 millions de likes sur Facebook et Ben Carson, « seulement » 719 000 followers sur Twitter. Donald Trump n’est pas seulement un invité régulier des médias : il est une star sur internet. Donald Trump est en effet le nom le plus recherché sur Google parmi tous les candidats à la présidentielle. Sa personnalité outrancière exerce une véritable fascination sur les électeurs américains, qui le retrouvent sur les réseaux sociaux pour suivre ses clashs par tweets interposés et ses commentaires de l’actualité. Une fascination entretenue mutuellement par les médias et par le public, par le biais des sondages d’une part et de la couverture de l’actualité de l’autre.
How many trumps has he now ? (« Combien d’atouts a-t-il encore ? »)
Le personnage de Donald Trump ne s’est pas construit politiquement, sur un programme ou des idées fortes, mais sur des icônes, un slogan et sa personnalité. Son comportement heurte les fidélités partisanes : par ses propos insultants et haineux, mais aussi par sa vantardise omniprésente (« I beat China all the time »). Il entraîne une inertie du débat politique et neutralise ses adversaires. Il est ainsi perçu comme un danger par ses adversaires républicains : il est l’homme à abattre.
Cependant, sa stratégie ne tient qu’à un fil : l’attention que lui portent les médias et le public. Sera-t-elle toujours récompensée dans les sondages dans les 14 mois de campagne restants ?
 
Julie Andréotti 
Sources : 
https://www.donaldjtrump.com/
http://time.com/3923128/donald-trump-announcement-speech/
https://en.wikipedia.org/wiki/Nationwide_opinion_polling_for_the_Republican_Party_2016_presidential_primaries

Donald Trump Is The World’s Greatest Troll


http://www.huffingtonpost.fr/2015/07/27/donald-trump-sondages-election-presidentielle-americaine-2016_n_7881178.html
http://www.rollingstone.com/politics/news/obama-on-trump-i-dont-think-hell-end-up-being-president-20151012
 
Crédits photos : 
Daily News 
 
 

Bannière Obama lol fastncurious
Politique

LOL et politique : un cocktail gagnant ?

Obama monsieur tout le monde ?
Si vous espérez secrètement atteindre votre record de « likes » à chaque photo postée sur Facebook, Barack Obama est quant à lui plutôt fort à ce jeu. Le président américain a en effet enflammé les Internet le 12 février dernier avec sa vidéo Things everybody does but doesn’t talk about, soit Les choses que tout le monde fait mais dont personne ne parle. Comme le titre l’indique, nous plongeons alors dans le quotidien d’un Barack Obama perfectionnant son charisme devant un miroir, dessinant sa femme ou encore prenant un selfie. Accompagné d’un membre de son cabinet, le président joue la carte de l’humour et n’hésite pas à rire de lui-même, notamment lorsqu’il échoue à cette tache si difficile que nous avons tous expérimentée qui consiste à tremper un cookie dans un verre de lait. Le président ne s’arrête pas là et après avoir demandé s’il pouvait vivre sa vie lorsqu’il se fait surprendre en plein match de basket imaginaire, il conclut par un « YOLO man ! », autrement dit, on ne vit qu’une fois.

//

Post by BuzzFeed Video.

Si ces images humanisent sans aucun doute le président, leur finalité est évidemment toute autre : attirer l’intention de l’internaute américain sur l’assurance santé dont Barack Obama est à l’initiative. Aussi connue sous le nom « Obamacare », cette réforme vise à permettre aux citoyens les plus pauvres de bénéficier d’une couverture santé. Au cours de la vidéo, il rappelle ainsi l’échéance du 15 février pour s’y inscrire en même temps qu’il s’entraîne devant son miroir. A la fin, les visiteurs sont invités à cliquer sur le lien renvoyant sur le site healthcare.gov. Face à cette vidéo inédite, les réactions des internautes ne se sont pas faites attendre et la majorité d’entre eux saluent cette initiative du président :
« Cette vidéo est un moyen amusant de faire savoir au grand public que la date limite pour choisir une assurance maladie est le 15 février ! »
« Il n’y aura jamais aucun président aussi cool que lui ! »
«  Je ne suis pas fan d’Obama ou de sa politique mais j’ai apprécié cette vidéo. C’est agréable de voir un côté différent de lui. »
Plutôt doué ce Barack.
La mise en scène de la quotidienneté présidentielle
Si cette vidéo nous permet d’apprécier les talents artistiques et sportifs de Barack Obama, cette humanisation n’est pas innocente mais au service d’une stratégie bien bâtie. L’humanisation de la figure présidentielle n’est en effet pas quelque chose d’habituel, la finalité d’un président n’étant pas d’ordinaire de paraître cool ou sympa auprès de ses citoyens. La mise en scène du quotidien joue donc un rôle important qui consiste à rapprocher le président de sa nation, la quotidienneté étant inhérente à chacun de nous. Notons que le selfie est ancré depuis quelques temps maintenant comme une vraie pratique de la quotidienneté. Véritable acte de monstration de soi, le selfie vient ici servir l’extimité de la figure présidentielle dans l’espace public sous une forme totalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués : un président cool avec qui on ferait bien une partie de basket. Rappelons que notre cher Barack n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’il avait participé à un entretien totalement décalé l’année dernière avec le comédien Zach Galifianakis dans Between Two Ferns pour Funny or Die. Des photos d’enfance avaient également été dévoilées lors du « Throwback Thursday » il y a quelques semaines.

BuzzFeed : un choix de média évident ?
Derrière cette stratégie de communication bien rodée adoptée par le président, le choix du média  n’est lui non plus pas innocent et relève d’une vraie réflexion préalable à l’impact de la vidéo. En effet, le pureplayer d’origine américaine Buzzfeed naît à New York en 2006 et rencontre un franc succès dans son pays natal. Avec un total de 150 millions de lecteurs mensuels, la recette de sa viralité repose sur un mélange d’informations légères, de chats, de contenus sérieux et encore de chats. Face à l’engouement et à l’utilisation massive des internautes américains de ce site, le choix de ce support médiatique comme vecteur de la vidéo paraît alors justifié.

Notons que si ce modèle fonctionne très bien aux États-Unis, son adaptation française rencontre quant à elle plus de difficultés à s’implanter dans les pratiques médiatiques des internautes. Si les Américains sont en effet très friands d’articles sur les animaux mignons, l’état d’esprit des Français ne s’inscrit pas du tout dans cette même dynamique. Les Français partagent en effet davantage de contenus d’actualités plutôt sérieux avec une dimension politique. Ce clivage est assez éclairant sur l’importance du culturel et le rapport différent qu’entretiennent France et États-Unis face à ce type de site. On peut ainsi raisonnablement émettre l’idée que le modèle de la vidéo Things everybody does but doesn’t talk about serait difficilement transposable en France : on n’imagine pas vraiment François Hollande dans une telle vidéo pour communiquer sur ses réformes.

Si aucune donnée n’est disponible pour apprécier l’impact de cette vidéo sur le nombre d’inscrits à l’assurance santé, retenons que cette dernière est toutefois rapidement devenue virale et a dépassé en seulement deux semaines les 50 millions de vues et les 500.000 partages sur le compte Facebook de BuzzFeed. Une chose est sûre : les talents en dessin du président ne sont plus à démontrer.
Pauline Flamant
@_Magnetique
Sources :
leplus.nouvelobs.com
lefigaro.fr
Crédits photos :
BuzzFeed

erdogan liberté de la presse
Politique

Turquie – la liberté de presse, oui mais…

Turquie – la liberté de presse, oui mais…
Mercredi 14 janvier, les rescapés de Charlie Hebdo, l’hebdomadaire satirique français victime d’une attaque meurtrière dans sa salle de rédaction le 7 janvier, publiaient le premier numéro de l’après-attentat. Ce même jour, le quotidien turc Cumhuriyet publiait dans ses pages un carnet spécial de quatre pages, reprenant un condensé de l’édition de Charlie. Après coup, la Turquie apparaît comme le seul pays musulman à avoir publié les dessins de Charlie Hebdo, en particulier la caricature du Prophète, mais les choses ne sont pas si roses.
Charlie Hebdo : après le soutien, la censure
Connu pour son ton indépendant et très critique vis-à-vis du gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan, le journal Cumhuriyet a vu les forces de l’ordre faire irruption dans les locaux de l’imprimerie, dans la nuit du 13 au 14 janvier, afin de contrôler la parution du lendemain. Se contentant de vérifier la Une et le supplément consacré à Charlie Hebdo, les policiers n’ont pas vu la caricature du Prophète représentant Mahomet la larme à l’œil, portant une pancarte « Je suis Charlie », que la rédaction avait pris soin de ne pas publier en Une ni dans le supplément, et ainsi n’ont pas saisi la parution. Pour trouver la caricature, qui s’est glissée en petit format, mais tout de même par deux fois dans le journal, il fallait aller à la page 5 et à la page 12. En l’absence d’informations complémentaires sur le déroulement du contrôle, nous pouvons supposer que les forces de l’ordre n’ont pas été autorisées à ouvrir le journal pour en contrôler les pages.

Dès le lendemain les représailles ne se sont pas fait attendre. Sur Facebook, une organisation appelée « Jeunesse musulmane » s’est insurgée et a appelé ses membres à organiser des descentes dans les bureaux du journal. Du côté des politiques, la condamnation a également fusé. Le premier ministre Ahmet Davutoğlu que l’on avait vu dans les rues de Paris auprès des autres chefs d’État lors de la Marche Républicaine du 11 janvier, a affirmé le jeudi 15 « Nous ne pouvons pas accepter les insultes faîtes au prophète » et « La publication de cette caricature est une grave provocation. […] La liberté de presse ne signifie pas la liberté d’insulter. », avant de s’envoler pour Bruxelles.

Condamnation également de la part du vice-premier ministre Yalçın Akdoğan « Ceux qui méprisent les valeurs sacrées des musulmans en publiant des dessins représentant prétendument notre prophète sont clairement coupables de provocation. » Ainsi que du maire d’Ankara, Melih Gökçek, pour qui Cumhuriyet dépeint « les musulmans comme agresseurs à échelle mondiale ». Lui-même affirme que les attentats de Paris sont le fait du Mossad, comme s’il était incapable de reconnaitre qu’il puisse exister une branche de croyants qui interprètent l’Islam de manière intégriste et l’utilisent de manière condamnable. Le gendarme des médias RTÜK, pour Radyo ve Televizyon Üst Kurulu, Haut Conseil de la radio et de la télévision, mais aussi bien de tous les organes de presse, a appelé la Justice à se saisir de cette affaire. Et elle lui a donné raison : « Les mots, écrits, dessins et publications qui dénigrent les valeurs religieuses et le prophète sont une insulte pour les croyants. » Résultat, les adresses URL de tous les sites Internet qui ont publié la Une du Charlie Hebdo du 14 janvier furent bloquées : Birgun.net, Internethaber.com, Thelira.com et T24.com. L’accès à ces sites est devenu impossible pour toute connexion Internet basée en Turquie.
La censure des médias, dans les us et coutumes turcs
De telles mesures ont amené d’autres médias, qui n’étaient pourtant pas menacés directement, à s’autocensurer. Ce fut le cas du quotidien Milliyet qui a retiré de son site, le même mercredi 14 janvier, un édito sur l’Islam. La journaliste Mehves Evin y écrivait entre autres : « Les musulmans conservateurs doivent sortir de leur mentalité du 13ème, ils doivent faire leur autocritique, entamer une réforme, afin de faire entrer l’islam dans le XXIème siècle. »
Toutefois, de telles pratiques ne sont ni nouvelles ni spécifiques aux attentats de Charlie Hebdo. Elles s’inscrivent plutôt dans une tradition de censure des médias de la part du gouvernement Erdoğan. Les médias turcs ont régulièrement des « interdictions de couverture » de la part du gouvernement. Comme le démontre l’épisode des manifestations de la place Taksim, pour la défense du parc Gezi, dont FastNCurious vous parlait ici.
Au mois de décembre dernier, une vague d’arrestations s’est abattue sur une trentaine de journalistes, dont Ekrem Dumanli, rédacteur en chef du quotidien national Zaman et Fetullah Gulen le président de la chaîne de télévision « Samanyolu TV », avec comme accusation de « former un gang pour attenter à la souveraineté de l’État ». Le RTUK a également pour fâcheuse habitude de menacer de poursuites judiciaires les médias numériques transnationaux tels que Facebook, Twitter et Youtube, pour la diffusion de contenus qui ne lui plaisent pas. En novembre dernier par exemple, Twitter a été bloqué sur le réseau national pendant deux semaines et Youtube pendant deux mois, pour propagation de contenus accusant le gouvernement Erdoğan et ses proches, en particulier son fils, de corruption. Selon un rapport rendu disponible par Facebook, le gouvernement turc, lui, a fait 1 893 demandes de retrait de contenus aux cours du premier semestre de 2014. Et le rapport de Twitter sur le même sujet, tombé il ce mardi 10 février, a démontré que la Turquie est en deuxième position dans le top des demandes de retrait, juste après les Etats-Unis.
Pour en revenir à Cumhuriyet, le journal a vu sept de ses journalistes se faire assassiner en l’espace de cinq ans, entre 1990 et 1995, par des islamistes radicaux. Mais de toutes manières, il n’y a pas à s’inquiéter puisque, comme le dit le président Erdoğan, la presse turque est la plus libre du monde. Sinon, le journal The Yon Gazetsi paper remplace l’actualité de ses colonnes par des recettes de cuisines. Sur le site Milliyet News, Ferit Tunc affirme que le journal continuera sa protestation jusqu’à ce qu’il y ait une vraie liberté de presse. Mais c’est la parole d’un journaliste contre celle d’un président.
Marie Mougin
@mellemgn
Sources :
Turkey Threatens to Block Social Media Over Released Documents – NYTimes.com
BBC News – Turkey: Local newspapers front page recipe protest
En Turquie, médias et Internet à nouveau censurés
ÉTATS-UNIS • Facebook « est Charlie » mais censure des images du Prophète | Courrier international
Turquie : censure, autocensure et pressions après la publication de la caricature de Mahomet
En Turquie Internet de nouveau censuré : Une pierre deux coups | KEDISTAN
Charlie Hebdo: la censure à l’oeuvre en Turquie | Fédération européenne des journalistes
Crédits images :
Reporters without borders – Freedom of Tweets Erdogan
Rt.com
Zamanfrance.fr
Nouvelhay.com
 

newsweek parité FNC
Politique

Une parité intellectuelle siliconée

Le 28 janvier 2015, Newsweek consacrait sa Une à la Silicon Valley et à son rapport aux femmes, « What Silicon Valley thinks of women ». La couverture a fait parler d’elle dans les médias en raison de l’ironie qu’elle met en scène avec une représentation de la femme objet. Or, si certains médias ont très vite salué la ridiculisation mise à l’œuvre par Edel Rodriguez, le dessinateur, d’autres y ont vu une caricature sexiste servant la misogynie pourtant dénoncée dans le papier.
Ces réactions contrastées mettent en exergue l’ambivalence de la représentation de la femme dans l’imaginaire social, mais aussi, sa représentation selon et parmi les élites.
Le site Women 2.0 fait état de menaces des fraternités reçues à l’encontre d’un de ses rédacteurs Vivek Wadhwa qui s’attache activement à défendre la place des femmes dans les plus hautes sphères hiérarchiques de la société.
Cette misogynie qui se traduit par le mépris des « cerveaux » de la Silicon Valley, par du harcèlement et parfois par des contrats rompus est souvent justifiée ou en tous cas expliquée par l’isolement du profil des employés de la Silicon Valley. C’est de fait le portrait du geek ou d’un individu n’ayant d’autres contacts avec la gent féminine que dans l’espace de leur foyer où leur autorité n’est pas contestée. Ces justifications qui dressent des portraits type de l’homme qui peuple la Silicon Valley n’auraient-elles pas pourtant tendance à accentuer cette barrière entre l’homme à la pointe de l’innovation capitaliste et de la femme ?
L’imaginaire d’une élite masculine

Certes, plus que le problème de l’égalité paritaire dans les faits, la caricature d’Edel Rodriguez amène à penser la représentation des femmes parmi l’élite et plus précisément dans ce cas, au sein de la Silicon Valley.
La Silicon Valley est elle-même une allégorie des entreprises les plus innovantes basées dans le bassin californien. De ce fait, elle est tantôt fantasmée pour sa création technologique produite par des cerveaux venus du monde entier, tantôt abhorrée pour le capitalisme qu’elle symbolise ainsi que pour les secrets qu’elle abrite.
Ce fantasme s’illustre notamment à travers le succès international de la série The Big Bang Theory. Or c’est bien à travers ces représentations fictionnelles qu’est véhiculé le portrait du génie actuel. Le personnage de Sheldon figure ainsi une intelligence exceptionnelle détachée de toute émotion ainsi que de tout respect envers la gent féminine. Si Sheldon parvient à trouver en la personne d’Amy Farrah Fowler son alter égo féminin, celle-ci demeure attachée à des émotions que n’éprouve pas Sheldon telles que des pulsions sexuelles. En définitive, le personnage de Sheldon flirte avec l’irrationnel et l’émotionnel dès lors qu’Amy Farrah Fowler prend une part grandissante dans son quotidien. C’est donc l’image du scientifique rationnel qui transcende l’humain qui est opposée à celle de la femme ramenant constamment au pathos. Par là même, le travail d’intégration des femmes dans l’élite n’est pas que pratique, il est également fictionnel puisqu’il n’est pas efficient dans les consciences et dans l’image culturelle de la femme.
Une réalité contaminée par la représentation misogyne
Si la Silicon Valley est aujourd’hui le premier lieu qui convoque l’idée d’élite dans l’imaginaire collectif, la presse écrite incarne également le lieu d’une élite intellectuelle au regard de la doxa. En ce sens, la Une de Newsweek n’est pas anodine puisqu’elle transmet une image presque banalisée du rapport entre hommes et femmes au travail. De ce fait, cette Une se fait porteuse d’un sens, celui de l’imaginaire collectif façonné en grande partie par la presse et les médias en général qui établissent le lien entre le démos (le peuple) et le cratos (le pouvoir).
C’est pourquoi les représentants des médias sont aussi les ambassadeurs du progrès social en ce qui concerne l’égalité, la parité puisque ce sont les premiers à notifier les discordances de nos démocraties. Toutefois, la presse qui incarnerait au mieux une élite libérale au sens le plus large du terme, est aussi un média très masculin où la valeur intellectuelle de la femme n’est pas affirmée dans la représentation hiérarchique des rédactions. Ce sont ainsi les exemples de Jill Abramson au New York Times ou encore de Natalie Nougayrède au journal Le Monde. Si ces deux femmes sont parvenues au poste prestigieux de rédactrice en chef dans les faits, leur autorité et leur légitimité ont vite été contestées au cœur même de leur rédaction, ce qui souligne en creux une incapacité de la part de certains intellectuels à reconnaître la supériorité hiérarchique d’une femme par sa culture, sa compétence.
Par là même, plus qu’une réalité factuelle il s’agit bien d’une perception de l’image de la femme, de sorte qu’une femme se verra moins questionnée sur son expertise que sur ses émotions en raison d’une représentation culturelle de la psyché féminine.
Les remèdes sont-ils politiques ?
Depuis la présidence de M. Hollande, l’intégration d’une égalité homme-femme dans la politique a été mise en valeur de sorte que les mesures pour la parité ont été poussées et peut-être poussives.
Certes, il s’agissait par exemple de proposer des listes parfaitement paritaires pour les élections municipales où le nombre de candidats est souvent insuffisant dans certaines communes. Si ces mesures étendues à d’autres sphères comme au gouvernement avec un équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes parmi les ministres, part d’une bonne volonté, le résultat sur la représentation des femmes peut être plus contestable.
De fait, ces mesures indiquent une incapacité à parvenir à une égalité fondée sur le mérite et questionnent la légitimité de toute discrimination dite « positive ». S’il est nécessaire d’imposer un changement pour qu’il ait lieu, ne serait-il pas plus à propos de démontrer par le mérite que la valeur intellectuelle d’une femme est égale à celle d’un homme ? En conséquence, les premiers acteurs de cette démonstration ne pourraient être que les médias ainsi que les génies de la Silicon Valley. A quand une Sheldon au féminin ?
Marie Vaissette
Sources
­Newsweek.com
Courrierinternational.com
Women2.com
Huffigtonpost.com
Allocine.fr
Lemonde.fr
Lemonde.fr

Politique

Quand le monde se lève pour Charlie

L’onde de choc
Au lendemain des attaques perpétrées contre Charlie Hebdo, journal hebdomadaire satirique, la France est en état de choc. « Le 11 septembre français » titre Le Monde, ou encore « La liberté assassinée » pour Le Figaro.  « Horreur », « carnage », « boucherie » reviennent constamment dans la presse. Mais si la France est la première touchée par cet attentat, c’est un hommage unanime que les rédactions du monde entier ont tenu à rendre aux victimes de l’attentat et à la liberté d’expression.
C’est ainsi que douze journaux Québécois ont publié en Une la caricature de Mahomet de Cabu, publiée pour la première fois le 8 février 2006. Nombreux sont les journaux qui firent le choix de publier plusieurs des caricatures ayant créé la polémique, rendant ainsi hommage à leurs auteurs. Le New Yorker rend pour sa part un hommage symbolique à Charlie en publiant sa Une sous forme de dessin, mettant en scène une Tour Eiffel flottant dans un nuage rouge de sang et dont le sommet se transforme en crayon. Une belle façon de laisser entendre que le crayon qui se dresse ici fièrement vers le ciel triomphera toujours sur la barbarie.
Le crayon, outil de travail du dessinateur de presse, apparaît d’ailleurs dans de nombreuses Unes telles que celles du journal norvégien Bergens Tidende ou du journal belge DeMorgen. Souvent présenté comme l’unique arme du dessinateur, le crayon devient un véritable symbole de dénonciation du rapport de force inégal qui s’est instauré ce jour là entre journalistes et terroristes.

Bon nombre de quotidiens ont également réagi en titrant leurs Unes en français. C’est notamment le cas du journal danois Information qui titre sa Une « Nous sommes tous Charlie Hebdo », du Berliner Morgenpost allemand qui titre un sobre mais parlant « Je suis Charlie » ou encore The Sun qui titre un puissant « Je suis 4 million ».
Au total, ce sont plus de 70 Unes de presse mondiales qui seront publiées à la suite de ces attaques.

Le soutien face à l’horreur
Nombreux sont également les journaux qui, au-delà de leurs Unes, ont tenu à apporter leur soutien dans leurs pages. Le site Algérie Focus exprime ainsi sa consternation et sa solidarité envers Charb, Cabu, Tignous ou encore Wolinski et souligne qu’ils sont « morts de rire », avant de rappeler que les journalistes de Charlie Hebdo n’ont jamais hésité à heurter ou à fâcher pour s’exprimer librement.  Le quotidien algérien El Watan invite lui à ne pas céder à l’amalgame et à la stigmatisation des communautés musulmanes. Le magazine marocain Tel Quel publie quant à lui l’interview réalisée en 2012 avec Charb dans lequel le caricaturiste affirmait préférer « mourir debout que de vivre à genoux ». Du côté de l’Asie, un chroniqueur du South China Morning Post affirme que les discours racistes ou incitant à la haine doivent être condamnés.
Suite aux tragiques événements, une marche républicaine est organisée le dimanche suivant les attentats. Elle devient la manifestation la plus importante depuis la libération de la capitale à la fin de l’occupation nazie, et le quotidien russe Moskovski Komsomolets rappelle que c’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la France moderne qu’un président de la République participe à une manifestation. De son côté, l’Allemagne indique dans son quotidien économique Handelsblatt qu’en manifestant par millions, les Français « ont écrit l’Histoire ». On retiendra également cette image très forte d’Angela Merkel, les yeux fermés et penchée sur l’épaule de François Hollande dans un instant de compassion profonde « qui montre ce que l’Allemagne ressent quand la France pleure ».
Au-delà des réactions de la presse, le soutien envers la France s’est également manifesté au travers des nombreux rassemblements qui se sont déroulés à travers le monde, accompagnés parfois du chant de la Marseillaise à San Francisco et Madrid notamment.

La plume plus forte que l’arme
Au-delà du soutien manifeste des populations du monde, c’est toute la profession des dessinateurs de presse qui est en deuil. Parce que ces hommages se passent de mots, nous vous laissons observer vous-même l’étendue du soutien des dessinateurs du monde :

La censure face à la peur ?
A la suite des attentats perpétrés contre Charlie Hebdo, le journaliste Simon Jenkins écrit dans The Guardian « C’est le moment pour que les éditeurs et rédacteurs en chef de publications grand public à travers le monde honorent les journalistes assassinés de Charlie Hebdo en refusant de s’autocensurer ». Cependant, force est de constater que plusieurs organes de presse anglo-saxons ont fait le choix de ne pas diffuser les caricatures de Mahomet.  Le Telegraph ainsi que le New York Daily News ont ainsi décidé de flouter le dessin. Ces décisions ont suscité de vives réactions chez les internautes qui décrivent comme « lâches » ces organes de presse. Le Telegraph et le New York Daily News ne sont pas des cas isolés, puisque même le New York Times et le Wall Street Journal se sont abstenus de publier les caricatures en préférant des images dénuées de toute référence religieuse. Du côté de la télévision, CNN ainsi que toutes les grandes chaînes américaines ont également refusé de diffuser les caricatures. Paradoxalement, certains de ces journaux anglo-saxons qui se refusaient à diffuser les caricatures jugées trop controversées ont opéré le choix éditorial de mettre en image l’acte terroriste en Une, tels que le Courier Mail, le Daily Telegraph ou encore le Herald Sun.
« Ils ont tiré, mais qui a armé les tireurs ? »
Si la majeure partie des journalistes apporte soutien et hommages à tous ceux touchés par ces attaques, la Russie s’est montrée quant à elle beaucoup plus critique à l’encontre de la France. Un parti pris adopté par le site d’actualités Vzgliad qui considère que la France fait preuve de laxisme, en précisant que les « français ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes ». Le rassemblement républicain du 11 janvier est également moqué, qualifié d’élan « naïf » et « pathétique ». Le journaliste Mikhaïl Boudaraguine précise que « le président français est coupable d’avoir donné naissance à l’Etat islamique et il en porte la responsabilité ». Un point de vue délicat à assumer en cette période de deuil et d’hommages.
L’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo dans leurs locaux provoque ainsi une véritable onde de choc dans le monde entier. Entre indignation, hommages et tristesse, le monde est bouleversé et la presse ne manque pas de consacrer de nombreuses pages à ces événements tragiques à l’origine d’un véritable écho médiatique mondial.
Pauline Flamant
Sources :
Courrier International, n°1263 du 15 au 21 janvier 2015
Lefigaro.fr
Vanityfair.fr
Divertissonsnous.com
Lemonde.fr
tempsreel.nouvelobs.com
Courrierinternational.com
Crédits images :
The New Yorker
DeMorgen
Bergens Tidende
Information
Berliner Morgenpost
The Sun
Thibault Camus/AP/SIPA
Reuters Fabrizio Bensch
AP Photo DPA Stephanie Pilick
AFP Peter Macdiarmid
AFP Photo Peter Parks
AFP Photo Marco Bertorello
AFP Photo Armend Nimani
AFP Photo Daniel Mihailescu
AP Photo Leo Correa
Ernesto Benavides
AFP Photo Don Emmert
Afp Photo Marc Braibant
Liniers
Ruben
 

Politique

StopDjihadisme : analyse d'une vidéo controversée

« Comme le prévoit la loi antiterrorisme votée récemment, la priorité, c’est de travailler sur Internet, c’est là qu’une partie de la radicalisation se forme » indiquait Manuel Valls, au lendemain des attentats de Paris. La réplique ne s’est pas fait attendre. Mercredi 29 janvier, le gouvernement a donc mis en ligne un clip vidéo visant à lutter contre l’embrigadement djihadiste sur Internet. Ce clip s’inscrit au sein d’un site spécifique, intitulé www.stop-djihadisme.gouv.fr. La vidéo, qui comptabilisait déjà plus de 150000 vues dans les heures suivant sa diffusion, n’en finit pas de faire parler d’elle : interdite aux moins de douze ans, violente tant physiquement que verbalement… D’aucuns dénoncent déjà son manque d’efficacité. Faut-il y voir un échec communicationnel du gouvernement, ou au contraire un objet de contre-propagande réussie ?

#Stopdjihadisme : Ils te disent… par gouvernementFR
Le poids des mots, le choc des images
Le principe de la vidéo est simple : dénoncer l’écart entre le fantasme des discours djihadistes et la réalité. « Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause », disent-ils. Réponse du gouvernement : « En réalité, tu découvriras l’enfer et mourras seul, loin de chez toi ». « Viens fonder une famille avec l’un de nos héros », disent-ils encore. Réponse du gouvernement : « Tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur ». La vidéo frappe ainsi par sa violence verbale. Mais celle-ci ne serait rien sans la violence des images : le triomphe des djihadistes de Daesh défilant lors de la prise de Raqqa laisse soudainement place à des scènes de crucifixion. Le tout sur fond d’une musique lancinante. Le clip s’achève sur ces mots : « Les discours d’embrigadement djihadistes font chaque jours de nouvelles victimes. #StopDjihadisme ».
Cette vidéo n’est pas sans faire penser aux films de propagande cyber-djihadiste d’Omar Omsen, cyber-recruteur qui aurait permis plusieurs dizaines de départs de candidats au djihad vers l’Irak et la Syrie. Elle en reprend tous les codes : effets spéciaux, montages vidéos, extraits de jeux vidéo, fond de musique hypnotique. C’est donc à un exercice de contre-propagande, utilisant les codes de la communication cyber-djihadiste, que se livre le gouvernement français. Cette vidéo, au lendemain de sa diffusion, fait déjà l’objet de critiques. Comme pour tout objet de communication, il convient donc d’en analyser la cible et les objectifs, afin de conclure à leur éventuelle inadéquation.
http://fastncurious.fr/letrangere/letat-islamique-fusils-tweets.html/

Une efficacité limitée ?
A qui cette vidéo est-elle destinée ? A qui parle-t-on ? L’emploi de la deuxième personne du singulier dans cette vidéo est à cet égard révélateur : « Tu mourras seul », « Sacrifie-toi », « Tu découvriras », etc. Le tutoiement rappelle lui-aussi un procédé largement utilisé par Omar Omsen et les cyberdjihadistes. Comme le rappelle Raphaël Liogier, sociologue à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, auteur notamment de Le Mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, l’emploi du « tu » montre que le gouvernement a bien compris comment s’adresser aux jeunes tentés par le djihad. Car c’est bien des jeunes dont il s’agit ici. Le support médiatique utilisé, à savoir une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, renforce cette idée. Christian Gravel, directeur du Service Internet du Gouvernement, explique ainsi : « Nous allons diffuser largement cette vidéo sur les réseaux sociaux, afin de toucher au maximum les jeunes sensibles à ces thèses et à ces sirènes. Nous espérons que cela va provoquer chez eux un choc ». Même analyse chez Dounia Bouzar, anthropologue directrice du Centre de prévention des dérives sectaires, qui voit dans ce type de support le « meilleur moyen de toucher les jeunes ».
Pour autant, quelle efficacité cette campagne peut-elle avoir ? « La jeunesse n’est qu’un mot », rappelait Pierre Bourdieu dans Questions de sociologie. Cibler les jeunes, n’est-ce pas trop vague ? Nombreuses sont les interrogations concernant les jeunes déjà radicalisés. Représenter la violence de l’Etat Islamique n’aurait qu’un effet limité, voire contre-productif : pour les gens endoctrinés, cette violence est légitime. D’autre part, les récents événements ont montré les ravages des thèses conspirationnistes. Comme le souligne David Thomson, auteur de Les Français djihadistes et journaliste à RFI, « pour ces jeunes, souvent adeptes de la théorie du complot, tout ce qui vient du gouvernement est frappé du sceau du mensonge ou de la manipulation ».
http://fastncurious.fr/jakadi/une-petite-histoire-du-conspirationnisme.html/
Eric Dénécé, du Centre Français d’Etudes sur le Renseignement, achève de détruire le clip gouvernemental : ce n’est pas avec « cette gentille documentation » que l’on va « récupérer des gens qui ont un penchant pour le djihad » (Source RMC).
Si, d’autre part, le choix du support vidéo est le plus à même de toucher les jeunes, quelle est la réalité de la radicalisation sur Internet ? Rappelons à cet égard que parmi les auteurs des principaux attentats ayant touché la France et la Belgique depuis deux ans, aucun ne semble s’être radicalisé sur Internet. Qu’il s’agisse de Mohammed Merah, de Mehdi Nemmouche, d’Amedy Coulibaly ou des frères Kouachi, tous se sont radicalisés en prison et non en regardant des vidéos d’Omar Omsen…
Guerre médiatique et ambiguïté gouvernementale
Si l’efficacité de cette vidéo semble être remise en question, il s’agit de la replacer dans un cadre plus large qui est celui de la lutte contre le cyber-djihadisme. L’analyse de cette vidéo, au sein de ce dispositif englobant différents aspects – lutte contre la radicalisation, surveillance de certains sites, « Responsabilisation des acteurs du Web » annoncée le 20 janvier par Bernard Cazeneuve, numéro vert anti-djihad… – apparaît révélatrice de certaines ambiguïtés. Ce discours de lutte contre le cyber-djihad n’est-il pas lui-même qu’une posture communicationnelle ? Les sites djihadistes constituent une mine d’informations précieuses pour les autorités policières. David Thomson énonce ainsi « les autorités ont-elles vraiment envie de supprimer ce qui reste la première source de renseignements sur l’activité de l’Etat islamique? » Selon le juge antiterroriste Marc Trévidic, 80% des affaires terroristes sont réglées grâce à des preuves trouvées sur Internet…
Entre inefficacité supposée et ambiguité gouvernementale, quelle est alors la fonction de cette vidéo ? Si l’on reprend la typologie énoncée par Robert K. Merton, on peut voir dans ce clip la coexistence d’une « fonction manifeste » et d’une « fonction latente ». Nous l’avons vu, cette vidéo s’inscrit manifestement dans le combat controversé de la lutte anti-djihad. Les critiques pleuvant sur elle s’attachent à remettre en question cette fonction manifeste. Mais il s’agit de prendre un peu de recul : la cible de la vidéo n’est peut-être pas seulement les jeunes, mais aussi et surtout les cyber-djihadistes eux-mêmes. On peut y voir un geste à destination de ces cyber-recruteurs. Cette première réponse médiatique du gouvernement est une réplique communicationnelle adressée aux djihadistes.

Le nombre de hashtags « StopDjihadisme » sur les réseaux sociaux, au même titre que les bombes de la coalition lancées sur l’Irak et la Syrie, fait partie de la lutte globale contre les djihadistes. Internet est devenu un champ de bataille. Et si cette vidéo ne permettra peut-être pas de dissuader les candidats au djihad de partir, elle a au moins le mérite d’envoyer un signal fort aux terroristes : le djihad n’a pas le monopole de la communication.
Alexis Chol
Sources :  
rmc.bfmtv.com
www.stop-djihadisme.gouv.fr
abonnes.lemonde.fr/pixels
www.egaliteetreconciliation.fr
lefigaro.fr (1) et (2)
20minutes.fr
ouest-france.fr
news.vice.com
slate.fr
Crédits photos :
atlantico.fr
tuxboard.com
gouvernement.fr