Politique

L'IVG, un droit mis en danger

Le droit à l’interruption volontaire de grossesse existe en France depuis la loi Veil de 1975. Mais la montée en puissance de mouvements comme la Manif pour tous, les Survivants, ou encore de certaines associations catholiques nous indique qu’une partie du peuple français, et ce, quarante et un ans plus tard, n’est toujours pas prête à accepter ce que cette loi prône: le droit au choix.
Un malentendu originel
Désormais complètement légal (dans un délai de 12 semaines de grossesse), l’avortement est accessible à toutes les femmes en France. Dès lors, les « pro-life », qui n’ont toujours pas digéré cette loi, semblent s’être donnés pour objectif de sauver des vies en dissuadant par diverses techniques de manipulation des femmes d’avoir recours à l’IVG, notamment en les attirant insidieusement vers le choix de la grossesse.
L’angoisse principale des « anti-choix », comme on peut tout aussi bien les nommer, semble être que la femme qui avorte ne soit pas consciente de ce que ce geste représente, car ce dernier aurait été banalisé par sa légalisation. L’argument de « l’avortement de confort » est, entre autres, régulièrement repris dans les médias, alors même que les « pro choix » n’ont jamais nié le fait que l’avortement soit une épreuve difficile à traverser. En 1975 déjà, et devant les députés, Simone Veil revenait sur ce point en déclarant: « Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. (…) aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. »
Une façon très particulière de conseiller…
Les pro-life sont nombreux et organisés. Ils se sont emparés des moyens de communication modernes avec succès. IVG.net est le site le plus connu du genre. Ses méthodes relèvent de la désinformation et de la dissimulation: il s’agit d’apparaître sous la forme d’un site officiel et neutre, en se gardant bien de préciser ses influences, et tout en travaillant à ce que les femmes intègrent qu’en allant se faire avorter, elles sont en passe de commettre un crime.
Il s’agit tout d’abord de bien choisir son vocabulaire, ce qui consiste par exemple à parler d’enfant, plutôt que d’embryon. Le partenaire masculin sera évidemment immédiatement qualifié de père. C’est ensuite une rhétorique bien ficelée qui est déployée : s’attarder sur la taille du fœtus, sur le fait que son cœur bat déjà, ou encore sur le fait qu’à x semaines, les oreilles sont déjà formées (rendez-vous compte). IVG.net sait aussi très bien cibler ses victimes. En effet, comme les adolescentes enceintes peuvent être particulièrement tentées par l’IVG, le site s’attache à renseigner les jeunes filles à propos des différentes aides qui permettent d’élever un enfant: « Alors le RSA, je sais pas si vous vous imaginez mais c’est quand même une bonne petite somme qui vous arrive tous les mois et avec ça vous avez de quoi nourrir votre enfant ».
AfterBaiz.com ou encore testpositif.com sont des sites plus récents qui cherchent à « réinformer sur la sexualité ». Ils visent les jeunes avec leurs couleurs vives et un ton décomplexé. Notons que le fondateur d’AfterBaiz.com est le directeur artistique de la Manif pour tous. Quant aux Survivants, leur rhétorique fait de chacun de nous des « rescapés » puisqu’un enfant sur cinq ne voit pas le jour pour cause… d’IVG.
Enfin, la désinformation pro-life va jusqu’à la diffusion de fausses photos de bébés avortés. IVG.net se décline en chaîne YouTube (SOS ivg), use et abuse de la publicité sur les réseaux sociaux (page Facebook « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »), et propose également un numéro vert mis à la disposition des femmes se posant des questions sur l’interruption volontaire de grossesse. Quel que soit le média, des méthodes similaires sont employées, comme le prouve Guillaume Meurice lorsqu’il décide d’appeler ce numéro vert pour sa chronique sur France Inter.

Et du côté de la loi ?
Ce site s’adressant aux femmes sur le mode de l’intimidation et de la déresponsabilisation était jusqu’en janvier 2016 le premier référencé sur Google avec le mot clé « IVG ». C’est grâce à l’implication du webzine Madmoizelle, et à l’action de Najat Vallaud-Belkacem que le site a perdu sa première place : c’est désormais le site officiel du gouvernement qui apparaît en premier. Néanmoins, IVG.net reste dans le top 3 des recherches et repasse parfois momentanément en tête. La guerre du référencement n’est donc pas terminée.
Un délit d’entrave à l’IVG existe déjà depuis 2014. Ainsi, le fait de chercher à empêcher une femme d’accéder à un établissement médicalisé pour pratiquer une IVG ou s’informer est passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Afin d’aller plus loin et d’empêcher ces sites internet d’exister en tout légalité, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, a proposé d’instaurer un délit d’entrave « numérique » à l’IVG début 2016, visant directement les sites de propagande pro-vie. Après que le Sénat a écarté cette extension du délit d’entrave par un avis défavorable en commission, les citoyens se sont mobilisés et rassemblés autour d’une pétition en sa faveur. Le 28 novembre, alors que l’extension doit enfin être débattue au Parlement, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, demande officiellement à François Hollande de s’opposer à cette réforme, sans succès, car le texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 1er décembre avec le soutien de l’ensemble de la gauche et d’une majorité de centristes, et ce malgré l’opposition de la droite qui en appelait à la liberté d’expression. Le 7 décembre, c’est au tour du Sénat d’adopter la proposition, avec 176 voix pour et 123 contre. Il reste désormais à voir comment ce projet va se concrétiser et comment vont réagir les responsables des sites visés.

En 2016, l’IVG n’est pas encore un droit acquis
Vous l’aurez compris, l’IVG est un droit qui, même en France, a encore bien besoin d’être protégé et défendu contre la désinformation. La manipulation guette chaque femme rendue vulnérable par une grossesse non souhaitée. Elle est un mal pour un bien selon les anti-IVG. En effet, manipuler une femme, c’est bien peu de choses, face au sentiment du devoir accompli, face à toutes ces vies « sauvées ».
Est-ce accomplir quelque chose de « bien » que de dissuader une femme d’avorter, est-ce que l’embryon doit être sauvé à tout prix, au risque de gâcher la vie d’une femme qui n’a pas l’envie, la force ou bien les ressources nécessaires pour élever un enfant ? Quid des enfants rejetés, malaimés ?
Toutes ces questions ne semblent pas être au cœur des préoccupations des regroupements pro- vie, qui, bien loin de se mourir, sont de plus en plus visibles. Le combat pour le choix n’est pas terminé. Rappelons par exemple que François Fillon, vainqueur des primaires de la droite il y a quelques jours, estime que l’IVG n’est pas un droit fondamental. La vigilance reste de mise afin qu’à l’avenir le site officiel du gouvernement ou celui du planning familial ne deviennent pas des repères d’anti-choix.
Pour une information non-partisane et respectueuse: ivg.social-sante.gouv.fr ou planning-familial.org
Camille Frouin
Sources :
• RICHE Sophie, « La nouvelle stratégie des anti-IVG », madmoizelle.com, 29/06/2016, consulté le 26/11/2016
• BALLET Virginie, « IVG: le « délit d’entrave numérique » écarté par le Sénat », libération.fr, 29/09/2016, consulté le 26/11/2016
• CHAMBRAUD Cécile et DUPONT Gaëlle, « Le débat sur l’avortement se crispe », 29/11/2016, consulté le 29/11/2016
• ivg.net
• afterbaiz.com 
• testpositif.com
• Vidéo YouTube France Inter, 12/10/2016 « Avec les anti-IVG – Le Moment Meurice »
Crédits :
• Twitter @lessurviivants
• Facebook , capture d’écran « IVG: vous hésitez ? Venez en parler ! »

Politique

10 jours pour signer

FastNCurious prend position en soutien à Amnesty International 
10, 9, 8, 7, 6, 5, 4… il reste trois jours à Amnesty International France pour récolter un maximum de signatures dans le cadre de son rendez-vous annuel 10 jours pour signer, grande campagne de sensibilisation en faveur de ceux dont les droits sont bafoués (du 2 au 11 décembre). Bien plus qu’un appel à la tolérance et à la compréhension de la part des dignitaires et responsables politiques de chaque pays concerné, signer, c’est reconnaître la responsabilité de certains régimes vis-à-vis de leurs citoyens, les privant de leur droit le plus fondamental : la liberté de s’exprimer.
Signer, c’est dire non aux persécutions que journalistes, reporters, blogueurs, écrivains, photographes, musiciens, graffeurs, instituteurs, et l’ensemble de la société civile subissent au quotidien dans leur pays. Signer, c’est dire non aux arrestations pour contestation et critique d’un régime, c’est dire non à l’emprisonnement sans jugement, c’est dire non aux exactions commises à l’égard de minorités privées de droits.
Mais signer, c’est aussi dire oui. Dire oui à la démocratie. Dire oui aux bouffées d’air frais dans un monde où l’asphyxie est alarmante.
« Liberté, j’oublie ton nom »
Eric Chol, du Courrier International, en introduction d’un dossier en soutien à l’action menée par Amnesty International, écrit qu’ « entre l’essor des classes moyennes et la propagation de nouvelles techniques de communication, les dictateurs n’avaient qu’à bien se tenir. Un quart de siècle [après la victoire du libéralisme politique] la roue a tourné… sans faire progresser les libertés. Nous vivons une grande régression ». Le constat est probant : le désir de démocratie s’essouffle, les voix des peuples sont étouffées et des plumes trop libres sont censurées sans aucune justification.
C’est face à ce virage totalitaire tragique qui laisse un grand nombre de victimes en hausse derrière lui, que l’Organisation Internationale Non Gouvernementale (OING) Amnesty International se mobilise pour mettre en lumière dix situations inhumaines contre lesquelles il est de notre devoir de s’insurger.
Du lanceur d’alerte Edward Snowden sur les pratiques illégales des services de renseignements américains, à l’ex-journaliste turque Eren Keskin, opposante au régime d’Erdogan et défenseur des droits des kurdes, en passant par le photojournaliste égyptien Shawkan, le camerounais Fomusoh Ivo Feh ou encore la communauté homosexuelle maghrébine, les portraits des victimes de persécutions et de l’absence de protection juridique sont détaillés sur amnesty.fr.

Le pouvoir de la société civile est grand, ne le sous-estimons pas. C’est ensemble que nous inverserons les tendances : la dictature du nombre au service du bien commun. C’est en substance le message d’Amnesty International, qui donne la possibilité à tout un chacun de rallier une cause par le biais d’une signature 2.0. Une fois le nombre de soutiens recommandé obtenu – qui semble varier en selon l’ordre de priorité que confère l’OING à chaque situation – des signaux d’alarme seront envoyés aux autorités dirigeantes des pays en question, par courrier ou via les réseaux sociaux, afin de les interpeller sur leurs pratiques.
Notre regard est une arme beaucoup plus puissante que ce que l’on croit
A cela, viennent s’ajouter un ensemble d’actions collectives organisées par les pouvoirs publics, les associations, les entreprises, visant à sensibiliser un public à petite échelle autour d’ateliers, et à récolter des signatures papier. Il est important d’apporter un soutien moral à ces personnes afin qu’elles continuent à se dresser contre le joug de l’oppresseur, à se battre pour défendre et faire valoir leurs droits. Nos droits, auxquels sera consacrée la journée du 10 décembre prochain.
Notre contribution est bien maigre, mais elle a le mérite d’exister.
On signe, et vous ?
Antoine Heuveline
 
Sources :

Courrier International
amnesty.fr

 
Crédits images :

Writeathon

 

Politique

Sondages d'opinion: entre influence et critique, au cœur de la communication politique.

Le premier tour de la droite et du centre, les présidentielles américaines ou encore le Brexit. Point commun de ces scrutins: le grand raté des sondages. Cette réminiscence de la critique des estimations d’opinion en 2016 fait écho à d’autres scrutins majeurs comme celui du 21 avril 2002, premier tour des présidentielles. Des questions sur le rôle et l’influence des sondages se posent, ainsi que sur leur place dans la sphère médiatique et la communication politique.

Sondages d’opinions: encadrés mais critiqués
Selon la loi du 25 avril 2016 le sondage d’opinion ou sondage politique est « quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon ». Des obligations méthodologiques légales encadrent leur réalisation et la diffusion dans les médias. Par exemple, aucun sondage d’opinion ne doit être diffusé la veille et le jour d’un scrutin.
Leur interdiction à l’approche d’un scrutin est bien la preuve de leur influence sur l’opinion des électeurs. Et si les grands échecs sondagiers parlent d’eux-mêmes, de nombreux intellectuels se sont penchés sur les sondages d’opinions et leurs limites. Preuve que cette critique n’est pas récente, Herbert Blumer (sociologue américain) est à l’origine de la première critique des sondages en 1947 lors d’une session de l’American Sociological Association. Plus récemment Daniel Gaixe (politiste français) s’interrogeait sur l’exactitude des résultats notamment en ce qui concerne la faible proportion des non-réponses, qui ne selon lui ne permette pas une retranscription exacte de l’opinion publique. Patrick Lehingue quant à lui dans son ouvrage Sondages, souriez vous êtes manipulés (2011, ed. Graffic – Bruno Leprince) met en avant les répercussions possibles des sondages sur le vote.
Sondages d’opinions: plus de quantitatif, moins de qualitatif
Les sondages politiques, dont l’objectif premier est d’informer les citoyens et de jauger l’opinion à un instant T, ont un rôle central dans la sphère médiatique. Ils sont présents sur toutes les chaînes d’informations, journaux, sites internet, réseaux sociaux, qui les utilisent comme preuve ou comme point de départ à leurs débats. Le nombre important d’instituts de sondages (Elabe, Harris interactive, Odoxa, Opinionway, Ifop, BVA, Kantar-Sofres…) est une réponse à la forte demande des médias et de la population. Les sites d’information en continu sont friands de nouveaux sondages en permanence, pour avoir une évolution « en direct » de l’opinion publique suite à un meeting, une interview, un tweet. Le succès des sondages politiques est contradictoire avec l’essence du vote, personnel. Si les citoyens s’intéressent tant aux sondages, leur vote peut être influencé par les intentions de votes de leurs compatriotes. Dans ce cas, le vote de conviction est affaibli au profit d’un vote de réaction.
Par exemple, des études ont montré que la sous-estimation des intentions de vote pour Jean- Marie Le Pen en 2002 ont finalement conduit à son succès. Pensant que ce dernier n’allait jamais « passer » au second tour, une partie de l’électorat aurait voté pour lui, plus par contestation que par réelle adhésion à son programme politique et ses valeurs.

Sondages d’opinions: un instrument au service de la communication politique
L’influence des sondages sur le vote des électeurs est alors utilisée par les personnels politiques qui les intègrent dans leur stratégie de communication, tantôt pour appuyer leurs propos, tantôt pour les critiquer. Ainsi le New York Times, le jour de l’élection américaine (le 08/11/2016) a mis en ligne un sondage, estimant Hillary Clinton en tête avec 45,9% des intentions de vote contre 42,8% pour Donald Trump afin d’appuyer les propos allant dans le sens d’une victoire sans conteste de la candidate Clinton. La majorité des médias confirment ce qui paraît être une évidence, peut être pour ne pas prendre de risque ou parce que les sondages s’imposent aux journalistes comme seul indicateur de la dynamique de campagne. L’objectivation des propos par les sondages permet donc à des estimations d’être perçues comme des informations fiables et incontestables. Cette ambivalence dans la communication politique marque alors le pouvoir que peuvent avoir ces estimations chiffrées dans la campagne et donc l’élection d’un candidat. La vive critique qui leur est faite ne semble pas pour autant présager leur disparition du paysage politique et médiatique puisque courtisés ou critiqués, les sondages d’opinions font la Une.
Dans une société toujours à la recherche ou à la poursuite de chiffres, les sondages sont souvent pris comme valeur absolue. Suite aux quelques grandes erreurs, la confiance de l’électorat en ces estimations est affaiblie, peut-être est-ce un mal pour un bien, une défiance vis à vis des sondages synonyme d’une reprise de pouvoir des citoyens vis à vis de leur réflexion politique…
Xuan NGUYEN MAZEL
LinkedIn
Sources:
Direction de l’Information Légale et Administrative. Vie Publique. Les sondages d’opinion. Mis à jour le 2 mai 2016, consulté le 22/11/2016.
Association les amis du monde diplomatique. Compte rendu du colloque critique des sondages. Novembre 2001, consulté le 22/11/2016.
Gouvernement.fr. Service d’Information du Gouvernement (SIG). Consulté le 22/11/2016.
The New York Times, Latest election polls 2016, Wilson Andrews, Josh Katz et Jugal Patel. Mis en ligne le 08/11/2016. Consulté le 03/12/2016.
Crédits photo:
Unes Le Point, Daily Mirror, New York Post
Philippe TASTET
Azam

Politique

Politique de l'enfant unique: de la propagande au marketing émotionnel

Le 1er janvier 2016, la fin de la politique de l’enfant unique a marqué un tournant dans l’histoire sociale de la Chine. Si cette politique a été vivement critiquée, elle n’en laisse pas moins place à une nouvelle forme de pression sociale que certaines citoyennes chinoises commencent à dénoncer. Dans sa rubrique Grand Reportage d’août 2016, le magazine Marie-Claire nous parle des « sheng-nu », les femmes qui restent, celles dont personne ne veut. Ces « sheng-nu » sont des femmes indépendantes de plus de 25 ans, dont la réussite professionnelle reste difficilement acceptée dans une Chine pourtant frappée par la modernité et les avancées économiques.
Dans cet article, Leta Hong Fincher, auteure du livre Leftover Woman, rend compte du phénomène : « La date de péremption est fixée à 25 ans, bien plus tôt qu’ailleurs. Et ce qui distingue réellement ce pays, c’est la propagande de l’État qui essaie de faire pression sur les actifs urbains afin qu’ils se marient, avec comme ultime objectif de faire des bébés « de qualité ».
La politique de l’enfant unique : la communication au service de la propagande
En 1979, le gouvernement chinois met en place la politique de l’enfant unique afin d’accélérer le développement du pays en évitant la surpopulation. Hormis les amendes exubérantes et les avortements tardifs autorisés par le gouvernement chinois pour les familles enfreignant la politique de l’enfant unique, un véritable système de propagande est mis en place. Des affiches de familles heureuses brandissant fièrement leur unique enfant sont placardées sur les murs. Des avantages considérables sont octroyés aux premiers nés, comme l’éducation gratuite et un système de santé peu couteux. Un vocabulaire de propagande se créé autour de ces enfants surnommés « les petits empereurs ». Le terme « d’enfants noirs » désignera les enfants nés de façon clandestine et n’ayant pas la possibilité d’exister au sein de la société (interdiction de s’inscrire à l’école, de travailler, de prendre les transports en commun…) Sur le plan social, le gouvernement lance en 1996, une campagne de sensibilisation à la contraception et envoie 8 millions de volontaires dans tout le pays afin de « prêcher la bonne parole ».

Dès le début des années 2000, le ratio hommes/femmes se creuse et le gouvernement, craignant une “crise des célibataires”, change de positionnement. Il lance une campagne afin d’éviter l’avortement sélectif, les familles préférant avoir un garçon plutôt qu’une fille pour des raisons financières. Les délégués du planning familial, autrefois véritables agents de contrôle prônant la restriction des naissances, sont envoyés dans les campagnes afin de sensibiliser et rassurer les habitants sur la naissance d’une fille et ses conséquences. Effectivement, après la naissance d’une fille, les couples auront le droit d’avoir également un garçon, et toucheront des indemnités. Cette campagne, nommée « Appréciez les filles », consiste aussi à apprendre dès l’école aux jeunes enfants le « respect des filles » par des slogans et des cours dédiés, comme le montre ce reportage.
Vidéo de l’ina
Suite à ces nouvelles mesures et à cette campagne, les mentalités commencent à changer… C’est à partir de 2007 que les populations rurales osent manifester et demandent l’instauration de mesures d’assouplissement du contrôle des naissances. À la suite de ces événements, plusieurs démographes critiquent la politique de l’enfant unique. Celle-ci étant actuellement la raison d’un trop grand vieillissement de la population, elle représentait un risque grave pour l’économie du pays. Le 29 octobre 2015, à la suite d’un vote du Parti unique, tous les couples sont finalement autorisés à avoir deux enfants. Cet espoir de baby boom, nécessaire à la pérennité économique du pays, semble créer de façon inconsciente une nouvelle forme de pression sociale… celle d’avoir deux enfants.
Un retournement de situation, une aubaine pour les annonceurs
Toujours dans son dossier d’août 2016, sur le sujet des « sheng nu », Marie-Claire donne la parole à la sociologue Leta Hong Fincher qui précise que la fin de la politique de l’enfant unique, marquant une avancée sociale forte, ne va pas forcément de pair avec l’amélioration de la condition des femmes en Chine. « Cela n’empêchera pas la détermination du gouvernement à pousser les femmes actives à se marier et à procréer. En réalité, elles pourraient même subir une nouvelle pression, celle d’avoir deux enfants. » Ce retournement de situation fait place à un dispositif de communication instauré par l’État, que certaines entreprises vont reprendre à leur frais, soutenant ou dénonçant ces nouvelles normes sociales. Le gouvernement chinois a fait du 11 novembre la « journée officielle des célibataires » et organise des événements favorisant la rencontre amoureuse dans tout le pays, à l’image du Real Love Works Festival de Singapour. Plusieurs marques, notamment les sites de ventes en ligne, se servent du 11 novembre comme prétexte pour proposer des réductions et réaliser un chiffre d’affaires phénoménal.

Un véritable marché se déploie afin de venir en aide aux célibataires. L’une des principales tendances est celle du speed dating. Des sociétés spécialisées en ont fait leur gagne pain. A Shanghai, le parc du Peuple fonctionne d’une façon semblable à celle qu’aurait une application de rencontre grandeur nature. Cet espace a été mis au service des parents cherchant le conjoint idéal pour leur progéniture. Des petites annonces présentant des hommes et des femmes célibataires sont attachées un peu partout dans le parc, indiquant leur métier, leur situation financière, la possession ou non d’une voiture, leurs goûts, la classe socioprofessionnelle de leur famille… C’est sur ce lieu, qui peut sembler si étrange, que l’entreprise de cosmétique SK-II a lancé l’une de ses campagnes publicitaires de la série #ChangeDestiny. La campagne intitulée Mariage Market Takeover joue principalement sur l’émotion, les liens familiaux, l’empowerment féminin. Sur ce dernier point, on pourrait croire qu’elle s’est inspirée de la campagne d’Always, « Like a Girl ».

vidéo publicitaire chaine SK II
Dans ces spots publicitaires, la communication n’est plus axée sur le produit mais bien sur les valeurs de la marque. À aucun moment le produit n’apparait, seul le logo de la marque est présent. SK-II a fait le pari de cette nouvelle tendance en publicité, celle des marques mettant l’accent sur un insight consommateur social fort. Elle leur donne la parole. Le rapport est inversé. Ce n’est pas à nous, en tant que marque, de vous imposer d’être attentifs à notre message, mais à nous de vous comprendre, vous écouter, et nous adapter à vos besoins. Au niveau du scénario, ces publicités sont très accrocheuses car elles nous emmènent dans une histoire et nous font partager les sentiments de leurs protagonistes. Dans un contexte social aussi délicat que celui qui règne en Chine actuellement, ce positionnement publicitaire a plus que jamais sa place et sa pertinence.
Cependant, plus qu’un simple moyen de s’attirer les faveurs des consommateurs, les marques se placent désormais en tant qu’acteurs sociaux vecteurs de changement. Leur visibilité leur donnant la possibilité d’avoir un réel impact sur la société et de faire évoluer les mentalités.
Ici, le mal-être des « sheng-nu » est dénoncé d’une façon qui aura sans doute invité à la réflexion les personnes les stigmatisant de manière systématique. À l’heure où la communication, et particulièrement la publicité, peuvent être synonymes de mensonge et de manipulation dans les esprits, une réconciliation serait-elle possible ? Si l’on reconnait à la campagne Marriage Market Takeover la constitution d’un contre pouvoir face à des institutions gouvernementales fortes exerçant sur la vie des citoyennes une pression illégitime, la publicité trouve une utilité nouvelle. Une utilité qui pourrait redorer son image auprès des consommateurs.
Alice Rolland
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Sources :
• Marie-Claire : Par Katie Breen et Klaudia Lech Chine : Qui veut épouser ma fille ? Date de publication : 06/08/2016
• Blogspot : La politique de l’enfant unique en Chine 
 Laurène Reversat, Alix Trolliet et Léa Chauvot mercredi 21 janvier 2015
• Francetvinfo : Chine : trente ans de politique de l’enfant unique vus par les médias francophones Estelle Walton
 Mis à jour le 31/10/2015 | 07:10, publié le 31/10/2015 | 07:10
• Archives Ina
• Libération : Alibaba, vecteur puissant de la fièvre acheteuse en Chine par Raphaël Balenieri, correspondant à Pékin — 11 novembre 2016 à 16:46
Crédits :
georgiapoliticalreview.com
gizmodo.com
dailymail.co.uk

Politique

WIKILEAKS – de la libre information à la défaite de Clinton

Le 8 novembre 2016, Hillary Clinton est battue par Donald Trump dans la course à la présidentielle. Par Donald Trump seulement ? Et si l’organisation non gouvernementale créée par Julian Assange en 2006, Wikileaks, était finalement le troisième homme de l’élection américaine, renversant la table et offrant la victoire à Trump ? Retour sur des rapports de forces communicationnelles digne d’une pièce shakespearienne.
Récapitulatif de l’affaire
Hillary Clinton arrive au Département d’État américain en 2009. Après l’attaque du Consulat américain à Benghazi (Libye) en 2012, Clinton prendra l’entière responsabilité du manque de sécurité et devra fournir 30 000 e-mails à une commission du Congrès qui mènera une enquête en 2014. On découvre alors qu’elle a utilisé son adresse privée, plutôt que l’adresse administrative. Chose interdite par la loi fédérale, posant des problèmes de sécurité intérieure. En 2015, Wikileaks rend l’affaire publique. Et ce n’est qu’un début.
Durant la campagne présidentielle de 2016, Wikileaks va publier des documents compromettant la candidate démocrate. Ainsi, en juillet, l’organisation révèle que Clinton a bénéficié du soutien du Comité National Démocrate, connaissant à l’avance les questions des débats pour l’investiture face à Bernie Sanders. De mars à octobre, Wikileaks a également sorti des échanges de mails entre Clinton et John Podesta, son directeur de campagne révélant son positionnement en faveur du libre-échange. Des discours prononcés à Wall Street et payés par Goldman Sachs ont été publiés au même moment. Dernier point d’orgue : alors qu’en juillet dernier, le FBI décidait de ne pas poursuivre la candidate malgré son « extrême négligence », le 28 octobre James Comey (directeur du FBI) rappelle qu’il y a suspicion envers la démocrate. Tout ceci a énormément déstabilisé la campagne d’Hillary Clinton.
Le décor est posé, nous pouvons rentrer dans le vif du sujet.
Une mauvaise stratégie de défense de Clinton
Au court de la campagne l’équipe de Clinton a essayé de transformer son image libérale pour conserver le vote des soutiens de Bernie Sanders, bien plus à « gauche » qu’elle. Mais face aux révélations de Wikileaks sur son lien avec le milieu financier, Clinton n’a pas su se défendre. Pire, pour l’affaire de la messagerie privée, elle a expliqué que c’était autorisé. Mauvais choix.
Clinton n’a pas su jouer la carte de la transparence. D’où le fait que les électeurs, déçus, considèrent qu’elle est malhonnête.
Du pain béni pour la communication électorale de Trump.
Car rien ne pouvait arriver de mieux pour le républicain. Trump a basé sa campagne sur l’anti- establishment, sur l’anti-système. Et l’affaire des E-mails d’Hillary Clinton a nourri cette rhétorique permettant de récupérer le vote des pro-Sanders dans une logique populiste. Mais ce qu’il faut voir également, c’est que Trump n’a pas été touché par des fuites telles que celles des E-mails de Clinton (hormis ses propos sexistes mais qui ont eu peu d’impact au vu du résultat de l’élection). Bien que lui aussi fasse parti de ce système politique et médiatique – héritier, pur produit de la télé-réalité et qui en plus ne paye pas d’impôts depuis 18 ans – , on ne lui a pas demandé de faire preuve d’un tel degré de transparence. Deux poids, deux mesures, ce qui est assez étonnant aux Etats-Unis. Malgré ses mensonges sur l’immigration et sur la politique, le candidat républicain reste authentique pour ses supporters.

Comprendre la communication de Wikileaks
Dans cette campagne, Wikileaks a adopté une stratégie digne des grands médias du début du XXème siècle : la publication en feuilleton. Ce choix de diffusion a permis à cet éditeur tout à la fois d’être au cœur chaque semaine des questions politiques, mais aussi de faciliter la lecture et l’analyse de ces documents. Un choix très stratégique et efficace. Efficace puisque Wikileaks dénonce ce « maccarthysme démocrates », qui représente une menace pour la liberté d’information puisque 95 % des journaux ont soutenu Clinton durant cette campagne.
 Une question nous taraude encore : pourquoi Wikileaks a-t-il fait ça ? Simple vengeance contre Hillary Clinton ? La même Hillary Clinton qui mena la contre-attaque pour discréditer Assange et protéger le gouvernement américain après la fuite en 2010 de 250 000 câbles militaire sur l’opération en Irak. Et qualifiant au passage cette fuite d’ « attaque contre la communauté internationale ».
Un soutien de Trump ? Difficile à croire quand Wikileaks explique que le candidat représente tout ce que combat l’ONG – et de rappeler au passage qu’ils n’ont reçu aucun document visant le républicain. Un lien avec Poutine, alors que Wikileaks a bénéficié de l’aide des hackers de Fancy Bears (lié aux services secrets russes) pour « l’affaire des E-mails de Podesta » ? Et si c’était simplement un idéal que poursuivait la plate-forme ? Dans un édito publié le 8 novembre, jour de l’élection, Assange s’est défendu d’être une marionnette, voulant laisser le peuple voter avec le maximum d’information sur les candidats. Fustigeant les anciens médias comme le New-York Times, qui avait publié une enquête sur la surveillance généralisée de l’administration Bush après la réélection de ce dernier, Wikileaks prône ainsi un nouveau modèle d’ « open journalism » libéré des Gatekeepers, et où la figure du lanceur d’alerte devient centrale.

Quelles leçons tirer de cette campagne ? Premièrement que nous sommes peut-être entrés dans une période qualifiée par les observateurs de « post vérité ». Peu importe ce qu’on dit tant qu’on le dit en faisant le plus de bruit possible. Il faut reconstruire notre système médiatique qui ne suscite plus que la défiance malgré le travail de fact-checkers des grands journaux d’information comme le New York Times ou le Washington Post pour remettre la vérité dans le débat démocratique. Certes central, ce travail de vérification des faits a été finalement inutile face à un complotisme beaucoup plus séduisant (et qui joue lui aussi sur l’analyse des faits). Frédéric Lordon critique ainsi le « journalisme post-politique », un journalisme où il n’y a qu’une seule vérité et où aucune alternative n’est possible, empêchant un réel débat démocratique. Ce journalisme semble donc se couper du public. Tout ceci alimente la défiance face à ce qu’on nomme la « sphère politico- médiatique », nouvel élément de langage du populisme.
Charles Fery
Sources :
– Juliette Mickiewicz, Comprendre l’affaire des emails d’Hillary Clinton en quatre points, Le Figaro, publié le 28/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Simon Petit, Pourquoi Wikileaks s’acharne contre Hillary Clinton, Le Temps, publié le 19/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Damien Leloup, Présidentielle américaine : Wikileaks mène campagne pour Donald Trump, Le Monde, publié le 19/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Julian Assange, Assange Statement on the US Election, Wikileaks, publié le 08/11/2016, consulté le 14/11/2016.
– The Podesta E-mails, Wikileaks, consulté le 14/10/2016.
-Frédéric Lordon, Politique post-vérité, ou journalisme post-politique, Le monde diplomatique, publié le 22/11/2016, consulté le 23/11/2016.
Crédits photos :

– Kim LaCapria
– Dessin de Fair.
Mots clefs :
 #transparence
 #premier amendement #liberté d’information #anti-système #anti-establishment #Maccarthysme démocrate #Gatekeepers #fact-checking

Politique

Jean-Luc Mélenchon à la conquête de YouTube : la construction d'une nouvelle image médiatique

On connaît l’aversion quasi légendaire de Mélenchon pour les journalistes. Il semble que dans les médias traditionnels, le candidat de la France Insoumise ne convainc pas : souvent trop virulent et trop énervé, il n’a pas la figure de l’homme présidentiable habituel. Son discours manque d’éléments de rassemblement et le registre de la dénonciation est usé jusqu’à la corde. Aussi, l’utilisation de YouTube présentait tous les avantages pour Jean-Luc Mélenchon, et devait lui permettre de renouveler son image en évitant son habituel et tant de fois reproché manque de contrôle face aux questions incisives des journalistes; seul face à la caméra, l’homme peut maîtriser ses dires et ses émotions. On ne peut pas non plus négliger la conquête potentielle d’un nouvel électorat plus jeune, très présent sur ce média.

Une pluralité de formats
Comme dans une anthologie médiatique, l’internaute peut retrouver sur la chaîne « Jean-Luc Mélenchon » de grandes catégories, plus classiques, telles que « Discours et meetings » ou « Emissions et passages média ». Mais des formats plus innovants dans le champ médiatico-politique se distinguent, comme la Revue de Presse, support d’une nouvelle communication politique pour Mélenchon.
Pari réussi ou fiasco communicationnel ?
Les chiffres parlent en faveur du premier schéma : dans la Revue de Presse n°3, on peut entendre Mélenchon parler de sa chaîne comme étant la « première chaîne [YouTube] politique de France », avec près de 51 000 abonnés. De plus, il ajoute qu’un pic d’abonnés coïncide avec chaque publication de revue de presse, révélant le succès du format choisi.
Alors qu’en est-il? Comment Mélenchon réconcilie-t-il la supposée objectivité inhérente à une revue de presse et la partialité propre aux discours politiques?
Dans une vidéo d’environ 20 minutes, le fondateur du Parti de Gauche revient sur les faits marquants de la semaine – qu’ils touchent à la France ou à l’international – et saisit l’occasion pour présenter les grandes convictions de son programme.
La création d’une nouvelle rhétorique politique
Ce qui saute aux yeux lorsque l’on compare l’homme de YouTube à l’homme des plateaux télé, c’est l’élargissement du panel émotif du candidat. On ne saurait deviner si c’est dû à l’absence de journalistes ou de spectateurs directs, mais le « Youtubeur » de l’extrême gauche parvient enfin à mobiliser le registre du pathos, si important en politique.
La subjectivité est alors davantage mise en scène : Mélenchon laisse entrevoir de nouveaux sentiments, comme la sollicitude et l’empathie pour les Français, à l’inverse de la colère et du registre de la trahison politique qui régissent les discours mélenchonnistes dans les médias traditionnels. Les faits divers les plus tristes (‘une nouvelle que je juge terrible’, ‘un événement bouleversant’…) sont autant d’occasions pour Mélenchon de montrer une nouvelle facette de sa personnalité – plus calme et sereine – en contradiction avec l’image que pouvaient véhiculer ses anciennes prises de parole médiatiques, plus houleuses.
YouTube : un média démocratique ou son contraire ?
La forme aussi est symbolique : Mélenchon se lance à la conquête d’un média sans médiateur, un média où l’homme politique est en prise directe avec ses électeurs. L’homme qui dénonce souvent «le prisme calamiteux des médias officiels » jouit alors d’un espace où nul journaliste ne déforme ses propos ni ne le pousse dans ses retranchements.
C’est que YouTube représente une occasion rare pour les politiques aujourd’hui : selon l’utilisation qu’on en fait, le média peut être réduit à un simple canal qui ne permet qu’une communication unidirectionnelle. Le viewer de YouTube n’a pas la possibilité d’intervenir directement, là où le présentateur télé ou le chroniqueur radio se font les relais de la contradiction. Sur YouTube, la parole de l’homme politique résonne seule. Il n’y a aucun contrepoint, aucun débat véritablement institutionnalisé. S’il existe bien une section « commentaires », ceux-ci ne peuvent être exprimés qu’après la publication de la vidéo et il n’existe donc pas de véritable dialogue.
Chassez le naturel, il revient au galop
Il ne faut pas pour autant oblitérer complètement le pouvoir de contradiction qu’ont les commentaires YouTube. A eux-seuls, ils arrivent à révéler l’attitude défensive d’un Mélenchon pourtant en quête d’une nouvelle image médiatique.
En dépit de l’objectif premier de la revue de presse, à mi chemin entre la pédagogie et la persuasion, l’homme ne peut s’empêcher de revenir sur les quelques commentaires belliqueux que suscitent ses prises de parole, et retombe malheureusement dans ses travers habituels : virulence du discours qui accuse et moralise («Les gens qui ont l’habitude de ridiculiser tout ce qu’ils voient […] ont ricané et n’ont rien écouté au fond de l’affaire.», «Les mesquins, les méchants qui attendent pour pouvoir déverser la bile.»), apostrophes alarmistes («Alors vous n’avez pas compris que si vous ne changez pas l’alimentation […] nous sommes tous condamnés à tout détruire autour de nous ?», «Vous avez compris ça, les gens ? »)..En retombant dans ses mauvais penchants communicationnels, Mélenchon échoue à    mobiliser le registre du rassemblement, à diffuser un message fédérateur, si essentiel à la rhétorique du présidentiable.
Bilan mitigé de l’initiative : Mélenchon face à l’imaginaire français du présidentiable
Finalement, le véritable échec de cette nouvelle campagne politique 2.0 réside dans le fait que jusqu’ici, elle peine à conquérir de nouveaux électeurs. Les 50 000 abonnés de Mélenchon ne suffisent pas à lui offrir une visibilité suffisante sur YouTube. Il suffit de jeter un œil aux commentaires où le hashtag #JLM2017 règne, pour comprendre que son public est un public de convaincus, de militants. YouTube serait-il alors inadapté vis-à-vis de cet objectif de conquête électorale?
Entre conquête d’un électorat plus jeune et connecté, et création d’une nouvelle rhétorique politique, Mélenchon s’est approprié les codes de YouTube avec une certaine facilité : l’absence de médiateur lui réussit relativement bien, tandis que l’éviction du journaliste confère à l’homme politique une transparence et une franchise face à ses électeurs.
Néanmoins, si l’appel au pathos se fait plus présent dans le discours de Jean-Luc Mélenchon, son ancien pilier communicationnel demeure, malgré son apparente fragilité. Certes, les apostrophes fréquentes aux auditeurs forment une composante fondamentale de son identité communicationnelle puisqu’elles participent à la création d’une rhétorique de la participation et de la responsabilité citoyennes. Mais la convocation permanente du registre virulent et alarmiste ne semble pas judicieuse à l’heure des présidentielles, éloignant une partie des électeurs en quête d’un homme plus fédérateur et paisible.
Une constante se dégage néanmoins : le choix du canal médiatique dans la construction de sa communication politique en révèle long sur le candidat. Là, où Alain Juppé favorise encore le mail pour une communication plus ciblée et trahit ainsi son manque d’innovation dans le champ communicationnel, Mélenchon se distingue de plus en plus comme le candidat du numérique et de la jeunesse. Or, en privilégiant ce média pour échapper à la contradiction qui le dessert parfois, il prend peut-être le risque de diminuer sa visibilité auprès d’un électorat plus classique, habitué des plateaux télé et des émissions radio.
A croire que nos hommes politiques ne peuvent être présents sur tous les fronts médiatiques.
Hélène Gombert
Sources :

Chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon
MELENCHON Jean-Luc, « La revue de la semaine #1 : pauvreté, Hayange, démocratie, Alstom, Juppé et retraites. » mise en ligne 08/10/2016 https://www.youtube.com/watch?v=ynfJBfJKzFw

Crédits :

Jean-Luc Mélenchon à la fête de l’Humanité en 2011. Photographie d’Olivier Coret pour french- politics.com
AURENT HAZGUI pour FRENCH-POLITICS.COM
Photographie de Nicolas Krief

 
 

Politique

Déclarons la guerre au vulgaire !

Le langage vulgaire, jusqu’alors plutôt mobilisé dans le cadre de conversations informelles et par des citoyens « lambda », tend aujourd’hui à se généraliser dans les hautes sphères de la société. Rappelons qu’à travers l’expression « langage vulgaire » j’entends un langage peu châtié. En effet, personnalités médiatiques mais également hommes politiques s’autorisent de plus en plus de familiarités voire de grossièretés assumées.
Le point d’amorce de cette tendance peut sans doute être attribué au mythique « Casse toi pov’ con ! » prononcé par Nicolas Sarkozy au Salon de l’Agriculture en 2008, alors qu’il exerçait la plus haute fonction de l’Etat. Si à l’époque, cette apostrophe avait suscité un tollé médiatique, pas sûr que l’on s’émeuve autant du manque de correction dans les discours publics d’aujourd’hui.
Des (mauvais) leaders d’opinion
Rappelons qu’en termes d’image et d’exposition médiatique, les hommes politiques ont une certaine responsabilité vis-à-vis du grand public. Sans tomber dans une caricature du schéma élite/plèbe, il faut garder à l’esprit que leur parole influence le reste de la population et véhicule, voire constitue un certain modèle. Ces personnalités sont porteuses d’un discours légitime (ou du moins censé l’être) destiné à être diffusé publiquement, et donc à être écouté par un grand nombre de la population. En cela, toutes les figures médiatiques doivent jouer un rôle exemplaire par leur rhétorique.
Pourtant, des expressions sèches et désinvoltes telles que « ça va pas la tête » ou « c’est n’importe quoi » sont devenues monnaie courante au sein l’espace public, il semble même qu’on assiste à une normalisation de la pure et simple grossièreté. Dernièrement, c’est Alain Rousset, président socialiste de la Nouvelle-Aquitaine, qui a fait parler de lui en scandant « Celui qui s’exprime là-dessus depuis cinq ans, devrait la fermer ». Ces propos au sujet de la courbe du chômage et de la croissance, ont retenu l’attention des médias parce qu’on les supposait adressés à François Hollande. Rousset dira ensuite qu’il songeait au Ministre de l’Economie, Michel Sapin – comme si l’identité du destinataire modifiait quoi que ce soit au caractère déplacé d’un tel discours.
La vulgarité langagière revêt également des formes plus insidieuses ; on songe aux remarques méprisantes d’hommes politiques envers certaines franges de la population (souvent les mêmes), comme ce fut le cas d’Emmanuel Macron en mai 2016 à l’encontre des grévistes qui le prenaient à parti. L’ex ministre de l’Economie n’a pas su garder son sang-froid et s’est permis de répondre : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt : la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Une injonction qui révèle sans délicatesse un certain mépris de classe…
Enfin, n’oublions pas le déchaînement sémantique à coups d’insultes et de sifflements qu’ont respectivement subis Cécile Duflot et Pamela Anderson lors de leur passage à l’Assemblée Nationale en juillet 2012 et en janvier 2016. Un laps de temps de plus de trois ans qui suffit à illustrer une forme de décadence qui se diffuse au sein de toutes les strates de la société. Le tweet de Frederic Nihous, membre du parti Chasse, Pêche, Nature et Traditions (CPNT) à l’égard de Pamela Anderson suffit à décrire la situation : « Une dinde gavée au silicone parade à l’assemblée contre le gavage des oies… Quelle farce ! Qui en sera le dindon ? ».
Quand l’exception devient la norme
Le manque de correction n’est pas un fait entièrement nouveau, si ce n’est qu’il se diffuse désormais dans toutes les couches de la société à grande vitesse. En mai 1991, Edith Cresson, alors Première Ministre de Mitterrand, proférait en ces termes : « La Bourse ? J’en ai rien à cirer ! ». Il ne s’agissait encore que d’un cas isolé. Aujourd’hui, la tendance générale à la dérision et à la peoplisation est vectrice d’une normalisation de ce type de langage, et pire encore, d’une acceptation tacite de la vulgarité et des insultes comme outils de communication.
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. D’abord, il s’agit d’une forme de démagogie de la part de certaines élites politiques, le registre familier est utilisé dans le but de plaire au peuple. Il s’agit de se fondre dans la masse, de se mettre à leur niveau, un moyen de susciter l’identification, des plus condescendants finalement. Plus largement, on peut associer la recrudescence du langage familier au déclin des idéologies et à la perte de substance du débat politique. On assiste aujourd’hui à un véritable abaissement du débat public, dans lequel les idées et les propositions, si elles ne sont pas inexistantes, sonnent creux. Il est vrai qu’à force de chercher à formuler différemment des propositions similaires, mais surtout moins innovantes les unes que les autres, les mots vous manquent.
Alain Juppé, dont on connaît l’attachement aux lettres et à la culture, nous a même gratifiés d’un « Je les emmerde » en réponse à une observation de Franz-Olivier Giesbert, à l’intention de ceux qui le jugent trop « conventionnel », dans un documentaire diffusé sur France 3 en octobre 2016. Alors qui peut affirmer que ce n’est pas le début de la fin ?
Déborah MALKA
LinkedIn
Sources :

LEGOUTE Delphine, « Alain Rousset conseil à son ami François Hollande de… la fermer », Marianne, mis en ligne le 01/11/2016, consulté le 6/11/2016
BLAVIGNAT Yohan, « Emmanuel Macron : le meilleur moyen de se payer un costume c’est de travailler »,    Le    Figaro,    mis    en    ligne    le    25/05/2016,    consulté    le    6/11/2016
PECNARD Jules, « Venue défendre les oies à l’Assemblée, Pamela Anderson provoque la cohue », Le Figaro, mis en ligne le 19/01/2016, consulté le 6/11/2016.
« Alain Juppé emmerde ceux qui le trouvent très conventionnel », France Info, mis en ligne le 03/10/2016, consulté le 6/11/2016

Crédits :

afp.com – Georges Gobet

 

Politique

BLACK ALBUMS MATTER, l'album comme format de protestation.

« Like books and black lives, albums still matter » a dit Prince lors de la 57ème cérémonie des Grammy Awards en Février 2015. Cela faisait alors plus d’un an et demi que le mouvement Black Lives Matter prenait forme et position dans les rues comme dans la musique. Prince rendait hommage non seulement à la communauté noire mais aussi au format album, que certains pensaient voir s’éteindre plus tôt que prévu. En effet, l’album ne correspond plus à l’idéal économique qu’il produisait à l’époque des 33 tours, mais il est peut-être en passe aujourd’hui d’être le support de manifestation des mouvements sociaux aux Etats-Unis, pour la cause noire.

Depuis le début du des années 2000, on questionne le format album : est-il le meilleur format d’écoute à l’ère du numérique? Plusieurs enquêtes ont été publiées à ce propos, notamment Les Inrocks et Rue89 qui posaient en 2009 la question suivante : L’album serait-il en train de doucement se dissoudre dans un univers de buzz et de single ? Loin de nous l’idée de produire ici un article échafaudant les théories économiques prédisant la mort prochaine du format long, mais plutôt de comprendre en quoi le regain d’intérêt vers celui-ci est peut-être significatif d’un engagement dans l’art. L’album, objet musical faisant ‘œuvre artistique’, capable de rejoindre l’artiste et son époque, serait en train de retrouver des couleurs grâce aux prises de position des artistes blacks aux Etats-Unis.
La musique engagée dans l’histoire
Les liens entre musique et engagement pour la cause noire ne sont plus à démontrer, tellement la culture a été la première ambassadrice pour combattre le racisme et la ségrégation. Du free jazz de l’Art Ensemble de Chicago, qui proposait avec l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians) l’idée d’une « Great Black Music » déconstruisant les formes du jazz pour le jouer, l’improviser et améliorer sa condition….au gospel des chants d’esclaves, et sa fonction sociale d’union, de rassemblement pour lutter et croire en une meilleure réalité. Billie Holiday, Curtis Mayfield, Nina Simone ou encore James Brown ont été les figures d’une soul qui réactualise les valeurs de liberté et de fierté exprimées par les premiers défenseurs de la condition noire dans une Amérique post-esclavagiste.

A chaque décennie d’injustices, la musique noire est un refuge : le hip-hop pour exprimer la violence et les difficultés de la vie urbaine, la house comme un moyen pour les minorités noires et gays de libérer leur corps dans des clubs où elles sont enfin acceptées. Aujourd’hui aussi, dans la désillusion des années Obama et la violence raciale qui ne s’est pas éteinte, les artistes comme Beyoncé, D’Angelo, Kendrick Lamar ou encore Blood Orange prennent position. Leurs œuvres prennent le parti de la longueur, de l’expression d’une parole réfléchie sur le racisme d’aujourd’hui et dévoilent un discours de plus de cinquante minutes, à l’ère du numérique et du fichier mp3…

L’album comme média d’engagement
Ces albums, avec peu de promotion en amont, paraissent souvent sans lead single, et certains artistes, comme par exemple Blood Orange, choisissent de sortir l’album avant la date officielle pour créer un effet de surprise. Cela relève aussi d’une volonté de préserver l’unité de l’album et de produire un effet de sincérité : pas d’intermédiaire entre l’expression de l’artiste et la réception du public. Une phrase accompagne la promotion de l’album de Blood Orange dans tous les médias : « This album is for everyone told they’re not BLACK enough, Too BLACK, Too QUEER, not QUEER the right way, the underappreciated. ». En s’adressant à un groupe de personnes en particulier, les minorités, les laissés pour compte, Dev Hynes s’adresse à tout le monde et renvoie une image de communauté forte et fière, dans le son soul et R&B, comme dans l’esthétique visuelle.

Ces œuvres artistiques cherchent aussi à démontrer que l’album mainstream n’est pas l’œuvre d’algorithmes pour trouver le tube, pas de recettes toutes faites suivant un plan commercial préétabli avec seulement quelques ghostproducers tapis dans l’ombre. À l’image de l’album de Black Messiah de D’Angelo ou de Solange A Seat At The Table, dont la durée de composition est respectivement de 12 ans et 7 ans, le temps de la conception témoigne de la réflexion approfondie sur ce que c’est qu’être noir au XXIème siècle. L’album est devenu un média à part entière, une plateforme à multiples voix dont la structure a évolué. Saint Héron de Solange par exemple, regroupe plusieurs grands artistes tels que Raphael Saadiq, Pharell Williams, Dr. Dre, James Blake ou encore George Clinton pour laisser apparaître la subjectivité de chacun.
L’interlude

À l’image du dernier album d’Alicia Keys, sorti il y a deux semaines, ou de Velvet Rope de Janet  Jackson vingt ans plus tôt, Blood Orange, Solange et Kendrick Lamar utilisent l’interlude pour marquer une pause, laisser s’exprimer un discours parlé sur un fond sonore, ou un sample en référence à un morceau cher à l’artiste… L’interlude est exploité dans ces albums pour faire passer de façon explicite le message engagé. Il donne au disque une cohérence sonore et une continuité de sens qui rappelle à l’auditeur l’histoire qui lui est racontée dans le creux de l’oreille.

Dans A Seat At The Table, Solange insère pas moins de sept interludes dans lesquels ses proches parlent de leur expérience du racisme et de leur appartenance à la communauté noire aux Etats-Unis. Ce type de structure, presque cinématographique, qui place des « scènes » au milieu d’une longue pièce musicale, donne aux disques une dimension contemporaine et vise à marquer l’histoire et croire en un monde meilleur. À une époque où le modèle du fragment (le mp3) et donc de la playlist prime, ces artistes ne cherchent pas à communiquer leur message avec un assemblage de bons morceaux et de singles, mais bien à proposer une œuvre entière cohérente.
Une nouvelle structure, donc un changement dans la réception pour l’auditeur.
Depuis quelques temps, le constat est fait de l’absence d’un nouveau genre dominant après l’avènement de la musique électronique dans les années 90. Plus de révolution dans la musique, mais les genres se mêlent, les contenus ont de moins en moins d’étiquettes. C’est le cas de Kendrick Lamar qui cherche dans son album à mêler cinquante ans d’histoire de black music en un seul album, ou de Solange qui mêle des beats parfois presque industriels, avec des guitares indie rock accompagnées de voix soul… Cette hybridation sur le fond s’accompagne d’une recherche d’évolution sur la forme.

On ne pense plus le format album comme à l’époque du 33 tours avec ses deux faces, mais plutôt comme un long morceau à l’image des mixtapes de rap. Le modèle de l’album n’est plus physique mais numérique et le changement sur la forme influe sur le fond : il n’y a pas une face A joyeuse et une face B triste, mais des styles et des genres qui s’entremêlent, pour créer une évolution avec des hauts et des bas jusqu’à la conclusion finale. Le projet d’album se prolonge aussi par la proposition d’albums photos numériques et de démos de morceaux téléchargeables qui prolongent l’expérience de récit. La génération de l’iPod et de Spotify redécouvre grâce à ces albums l’expérience du récit en longueur. À l’image des livres, des articles longs (comme celui-ci), peu à peu délaissés par les jeunes générations, Solange D’Angelo, Blood Orange et beaucoup d’autres invitent à se replonger dans l’écoute, la compréhension et la patience pour saisir le message.

L’idée n’est pas de dire ici, que cette forme d’album serait révolutionnaire, mais plutôt de montrer qu’elle amorce une proposition de format différente, propice à dénoncer, s’indigner, s’émouvoir pour une cause personnelle, ou sociale. Le disque, de par sa longueur, est une matrice nécessaire pour laisser s’exprimer un discours. Tous ces albums coïncident en l’espace de deux ans avec une ère du temps qui oublierait peut-être de s’attarder. Ils se rejoignent aussi dans une façon d’être composés, puis distribués.

A l’heure où l’on parle de la difficulté de la musique à trouver des ressorts économiques, l’engagement politique ou social du contenu est peut-être ce qui lui redonnera de la vigueur.
Quoi qu’il en soit, dans une Amérique où Trump est élu Président des États-Unis, A Seat At The Table de Solange, un album concept invoquant le respect et la fierté d’être noir, parvient à se hisser numéro 1 des ventes au classement Billboard. De quoi redonner confiance dans le format album ?

César Wogue
Twitter

Sources :

Marc-Aurèle Baly et Adrien Durand, Solange et son nombril, ou comment faire de la pop politisée en 2016, 07.11.2016, consulté le 13/11/2016
Daphne A Brooks, How #BlackLivesMatter started a musical revolution, 13.03.16 , consulté le 13/11/2016
Corey Smith-West,The Sounds of Black Lives Matter, 17.10.16, consulté le 12/11/2016
Justin Charity, Disco Politics, 29.06.16, consulté le 13/11/2016
Britney Cooper, America’s “Prince” problem: How Black people — and art — became “devalued”  21.04.16, consulté le 15/11/2016
Taylor Gordon, Artists, Musicians Are Using Their Work and Creativity to Show That Black Art Matters, Too, 14.02.15, consulté le 14/11/16
Kate Groetzinger, Concept albums by Beyonce, Frank Ocean, and Solange are changing the way millennials listen to music, 18.10.15, consulté le 14/11/16
Elian Jougla, Freedom songs et back music, la révolte noire, 04.12 , consulté le 14/11/16
Salamishah Tillet, The Return of the Protest Song, 20.01.15, consulté le 12/11/16
Ashley Elizabeth, ‘A Seat at the Table’ is a Perfect Album for the Black Lives Matter Generation
Hua Hsu, BLOOD ORANGE AND THE SOUND OF IDENTITY 4.07.16, consulté le 15/11/16
Alexandre Pierrepont, Le spectre culturel et politique des couleurs musicales : la « Great Black Music » selon les membres de l’AACM, 8.11.16, consulté le 16/11/16
Alex Franck, Blood Orange’s Freetown Sound Is The Album For Fraught Times, 1.07.16
Arnaud Robert, D’Angelo, ne plus attendre le messie, 17.12.14, consulté le 14/11/16

Crédits photos :

Grammy Awards
Exposure America
Deana Lawson

Politique

Le combat des Amérindiens : touche pas à mon dialecte !

À l’heure où notre monde s’uniformise, le langage n’est malheureusement pas épargné. Si comme l’évoque le philosophe roumain E. M. Cioran « on n’habite pas un pays, on habite une langue », alors celle-ci est au cœur de l’identité culturelle de chacun. Triste constat pour les Amérindiens qui depuis des années, voient considérablement diminuer le nombre de locuteurs de leurs langues autochtones.
En 1992, le physicien américano-canadien Krauss, estimait que 90% des langues amérindiennes ne survivraient pas au XXIe siècle. Pour des peuples aux richesses linguistiques traditionnellement essentielles, il semble légitime de parler de catastrophe culturelle face à un tel phénomène. Malgré les démarches tâtonnantes de certains États d’Amérique latine et centrale, aujourd’hui l’alerte est lancée : S.O.S dialectes en voie de disparation ! Comment les préserver ?
Uniformisation rime avec disparition
Remontons un siècle et demi en arrière, lorsque les colons américains achevaient leur conquête territoriale en cloîtrant l’ensemble des tribus indiennes dans des réserves, lorsque la politique d’assimilation battait son plein, lorsque l’on imposait aux autochtones de renier leurs valeurs, leur spiritualité et bien sûr… leurs langues originelles. C’est à ce moment-là que l’uniformisation des langues a commencé.
« Un bon Indien est un Indien mort » : cette règle d’or, énoncée par le général américain Philip Sheridan, enclencha les politiques d’acculturation et d’assimilation. Ainsi, les jeunes de chaque tribu étaient emmenés dans des pensionnats où on leur interdisait de parler leur dialecte maternel, où on leur inculquait une éducation et une religion chrétienne, et où on effaçait toute trace culturelle de leur appartenance au peuple amérindien.

Il y eut bien sûr des conséquences immédiates, mais c’est aujourd’hui que l’on peut réellement parler de communautés linguistiques en voie de disparition. Le schéma est simple mais fatal : diffusés avant tout oralement, les dialectes ne restent gravés que dans la mémoire de ceux qui les parlent ; la plupart étant exclus du système éducatif, seule la transmission intergénérationnelle peut encore les faire perdurer. Celle-ci, ne tenant qu’à un fil, est fragilisée par l’évolution des formes linguistiques actuelles, qui tendent à se simplifier et à se rassembler autour d’une langue prédominante. En somme, quand le langage se limite à une fonction d’« utilité », la tradition, la diversité et l’ethnicité ne sont plus les mots d’ordre.
Les dialectes amérindiens : la Communication avec un grand C
Bien plus qu’un simple moyen de communication, un dialecte construit l’identité d’un peuple, et c’est tout particulièrement vrai chez les Amérindiens. Fondée sur le respect de la terre ancestrale, la spiritualité de la nature et son apport à l’homme, cette identité s’exprime par une communication atypique où prédominent la gestuelle, l’oralité, les symboles… En cela, chaque mot possède une empreinte sémiologique et historique considérable dont dépend la culture amérindienne. Or, de nombreux dialectes amérindiens ont déjà disparu, et avec eux l’identité et l’histoire d’un peuple.
 

Loin des textos, tweets et chats, les formes du langage des Autochtones se différencient nettement des moyens de communication qui prévalent dans nos sociétés actuelles. Les valeurs traditionnelles au cœur de l’identité de ces peuples, s’opposent à une communication de plus en plus désincarnée et indirecte. Dès lors, la fin de ces dialectes est-elle la conséquence inéluctable de l’évolution des formes du langage ? Ne sommes-nous pas en train de perdre l’essence même de la communication ?
La solution pour sauver ces langues menacées serait alors d’unir deux champs intrinsèquement opposés : allier tradition, diversité et portée culturelle des dialectes, aux moyens de communication modernes et universalisés. Des armes douteuses et fragiles, un combat qu’il est décidément difficile de mener à bien.
Les derniers mots des condamnés ?
Ne fermons cependant pas les yeux sur les démarches engagées par certains États latino-américains visant à revitaliser les langues autochtones des tribus encore majoritairement présentes (comptant encore aujourd’hui des dizaines de millions d’Indiens) sur ces territoires. Prévues dans le cadre du droit démotique (qui implique la prise en compte des minorités, des communautés linguistiques et religieuses dans l’ordre juridique), de nouvelles législations voient le jour ; comme par exemple celle de l’aménagement linguistique dont l’objectif est soit de reconnaître les divers dialectes comme des langues officielles, soit de réglementer leur pratique par la création d’académies dédiées.
Cependant, un manque de volonté à double facette ralentit le processus. D’une part, l’enseignement public n’est pas encore prêt à s’investir juridiquement et économiquement parlant. Hésitante et superficielle, cette politique de revitalisation des langues autochtones qui impose un enseignement bilingue obligatoire, n’est pas systématiquement respectée. Pourtant, des études sociolinguistiques mises en place, notamment par le Groupe de travail des Nations-Unies sur les populations autochtones, montrent que ce sont les enfants ne recevant pas un enseignement dans leur langue maternelle, qui connaissent les résultats scolaires les plus faibles.
D’autre part, tel que le montre Fernand de Varennes dans son article Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, un réel manque d’implication des populations autochtones elles-mêmes se fait sentir. En effet, certains Amérindiens ne voient pas d’utilité à la pratique de leur dialecte, puisque c’est la langue dominante qui est associée à l’insertion professionnelle et sociale.
Dès lors, la question se pose : à quoi bon se battre si les Amérindiens eux-mêmes ne croient plus en l’importance de leurs traditions ? Le mouvement doit provenir des membres de ces communautés pour que le combat ne s’essouffle pas de lui-même.
Byron Shorty, un Navajo qui ne donne pas sa langue au chat
Créateur du site « Navajo Wotd », Byron Shorty, originaire de Winslow en Arizona et proche d’une branche gouvernementale de la nation Navajo, est un jeune issu de la réserve. Empreint de l’histoire de son peuple, il semble proposer une alternative intéressante à la question de la revitalisation des langues autochtones. Un espoir, un tremplin, une innovation ? Son concept est simple, original et attrayant : il poste tous les jours sur son site un mot en Navajo, dont il donne la traduction, la définition et la prononciation.
L’universalité d’Internet permet alors une redécouverte ludique de la tradition Navajo et en assure la perpétuation. C’est d’ailleurs le but premier de Byron Shorty : « Ce qu’il y a de mauvais dans les techniques d’apprentissage du Navajo aujourd’hui, c’est que ça n’excite pas les gens. Ils le vivent comme une gigantesque obligation, mais ça ne leur apporte pas une grande satisfaction. En utilisant les nouveaux médias et quelques éléments de design, je me disais, pourquoi ne pas commencer avec le truc le plus basique ? Un mot. »

Un début certes, mais un début innovant, original et prometteur. En prônant les valeurs traditionnelles de son peuple, Byron Shorty souligne discrètement mais fermement, l’importance majeure de la préservation des langues et de leur diversité ainsi que l’ampleur du danger culturel encouru. Si la bataille n’est pas encore perdue, on est loin d’entendre s’élever le cri de la victoire.
Madeline Dixneuf
Sources:

Sens public, La revitalisation des langues amérindiennes en Amérique Latine, Sabine Lavorel – Publication : 2 mars 2015 – Consultation : 6 novembre 2016
L’Obs, avec rue 89, L’Homme qui fait vivre le Navajo sur internet, Kim McCabe –  Publication : 10 juillet 2015 – Consultation : 2 novembre 2016
Atlas des langues en danger dans le monde, projet UNESCO – Publication : 2011 – Consultation : 6 novembre 2016
Le temps, Navajos les guerriers des mots, Xavier Filliez – Publication : 5 juillet 2016 – Consultation : 6 novembre 2016
Les langues amérindiennes : états des lieux, Colette Grinevald, Lyon2 SDL & CNRS – Publication : 4 juillet 2005 – Consultation : 13 novembre 2016
Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, Fernand de Varennes – Publication : 17 février 2012 – Consultation : 13 novembre 2016

Crédits photos :

Brulé War-Party. © Taschen, Edward Curtis
Little goguette, carnet de voyage pour famille intrépide
Blog, le langage des signes des indiens des plaines, WICASA SIOTANTKA
Portrait de Byron Shorty

Politique

Y a-t-il un comique pour sauver l'élection ?

En 1995, les humoristes de l’émission satirique Les Guignols de l’info ont grandement participé à la victoire de Jacques Chirac aux élections présidentielles. En effet, il était présenté comme un homme bon vivant, au comportement supposé proche de celui du Français moyen, ce qui lui assurait un important capital de sympathie. Cette intrusion de la sphère comique dans les élections se retrouve également aux Etats-Unis, et prend des formes à la fois plus hybrides et plus prononcées.
Dès lors, de quelle manière les hommes et les femmes politiques tentent-ils de contrôler l’incontrôlable représentation humoristique dont ils sont l’objet ? Et joue-t-elle en faveur du candidat sur les plans politique et médiatique ?
« Dans l’autre, on trouve toujours un peu de soi »

Aux Etats-Unis, certaines émissions humoristiques se veulent être le reflet de la société dans son ensemble. Dans le cadre des élections présidentielles, ce rôle miroir prend encore plus d’importance, comme on a pu le voir avec Saturday Night Live par exemple. Cette émission, créée en 1975 par le producteur Lorne Michaels et diffusée sur NBC, est devenue célèbre pour ses nombreuses imitations satiriques, notamment celles de personnalités politiques. La ressemblance avec les humoristes témoigne de la qualité de l’émission : il aura fallu plusieurs mois pour trouver Tina Fey, l’humoriste incarnant Sarah Palin.

Saturday Night Live accueille chaque semaine une célébrité qui prend le rôle du présentateur et c’est sur ce point précis qu’elle a fait parler d’elle il y a peu. Le 7 novembre 2015, c’est Donald Trump qui a été choisi pour présenter l’émission. Il ne s’agissait pas de tourner au ridicule le comportement ou le caractère du personnage, mais de lui offrir ce que certains ont pu analyser comme une sorte de tribune lui permettant d’accroître sa popularité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce type d’exposition peut être contrôlé par l’équipe de campagne : il y aurait une sorte d’« exception humoristique » qui pourrait placer le candidat en position de force par rapport aux satiristes.
« Comme un cheveu sur la soupe de l’élection »
C’est Donald Trump qui cristallise les tensions dans cette campagne 2016 et qui s’est retrouvé au cœur d’une autre polémique en septembre dernier. Il a été reçu par Jimmy Fallon pour une interview dans son émission Tonight Show with Jimmy Fallon. Il ne s’agissait pas de l’interroger sur son programme politique mais de donner l’impression d’une discussion conviviale : l’image la plus commentée sur Internet a été celle de Jimmy Fallon ébouriffant les cheveux de Donald Trump. Les accusations se sont multipliées : certains se sont demandés quelle était la légitimité de l’humoriste pour interroger un candidat à la présidentielle, surtout si cela ne visait pas à soulever des points intéressants de son programme.

On s’éloigne par conséquent de l’infotainment que l’on connaît en France, et dont Yann Barthès est le chef de file. Jimmy Fallon et David Letterman qui le précéda, sont des humoristes, ils n’ont jamais prétendu être des intervieweurs politiques ou même des animateurs, mais ce n’est pas pour autant que leurs émissions n’ont pas une incidence sur les téléspectateurs et sur leurs votes. Ainsi en 2008, John McCain avait annulé à la dernière minute son passage au Late Show with David Letterman, lui préférant une émission politique reconnue, celle de Katie Couric. Vexé, David Letterman avait alors déclaré que le chemin vers la Maison Blanche passait obligatoirement par son plateau, et que John McCain s’en mordrait les doigts pour l’avoir manqué. La défaite du candidat républicain quelques mois plus tard a semblé confirmer ses propos.
« Il faut cultiver notre jardin »
Dès lors, il faudrait considérer l’humour (mis en scène, et non pas seulement glissé dans un discours) comme une stratégie de la communication, visant à toucher un public plus large et peut-être même plus jeune. La première tentative avait été faite par Barack Obama, alors qu’il avait déjà été élu Président mais qu’il souhaitait faire la promotion d’Obamacare : il avait été reçu par l’humoriste Zach Galifianakis dans une parodie de Late show, intitulée Between Two Ferns with Zach Galifianakis et diffusée uniquement sur Internet, sur la plate-forme Funny or Die qui a depuis ouvertement affiché son soutien au Parti Démocrate.
Ainsi le 22 septembre 2016, le même programme a reçu Hillary Clinton et ce, à la demande de l’équipe de campagne de la candidate, en la soumettant à des questions pour le moins ironiques et dérisoires telles que « Avez-vous déjà pensé à être plus raciste ? ». L’objectif était de donner une image plus sympathique et détendue de la candidate, car c’est sur ce point que se concentrent beaucoup les critiques du Parti Républicain.

Finalement, cet investissement n’a qu’un seul but : séduire l’électeur par le ludique s’éloignant ainsi du purement politique. La personnalité du candidat ne s’exprime plus uniquement à travers les points forts de son programme, mais se découvre également à travers les émissions humoristiques auxquelles il participe. Ces interventions restent contrôlées par les équipes de campagne, ce qui fait que le comique reste au service de la communication du candidat sans réellement pouvoir changer la perception que l’on a de la campagne, et ce même si elles peuvent apparaître comme des prises de risques et parfois même comme des actes subversifs.
Justine Ferry
Sources :
– Fey, Tina. Bossypants. Little, Brown and Company, 2011. 0-316-05686-3
– wikipedia; Saturday Night Live (consulté le 30/10/16)
– Carter, Bill (mis en ligne le 24/09/08 / consulté le 30/10/16)
– Hughes, William (mis en ligne le 29/10/16 / consulté le 29/10/16)
– Memoli, Michael A. (mis en ligne le 22/09/16 / consulté le 29/10/16)
– Saraiya, Sonia (mis en ligne le 16/09/16 / consulté le 30/10/16)