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Où ça des égéries seniors ?

« On assume de montrer les stigmates de la vieillesse, qui ne sont pas dénués de charme. En fait, l’excentricité est devenue la jeunesse de la vieillesse », tels sont les propos de Gianni Haver, sociologue de l’image à l’UNIL.
De plus en plus de marques utilisent des égéries seniors pour les représenter. Pourquoi le choix de cette esthétique, au-delà d’une aspiration globale pour le rétro : différenciation, nouvelle cible ? D’un point de vue marketing, comment faire rêver le consommateur en lui montrant ce qu’il redoute de devenir ?
L’évolution réside principalement dans le fait que les produits promus correspondent peu aux produits type destinés à ces cibles (soins, médicaments). Cela permet de cibler une tranche de la population souvent oubliée des publicités actuelles.

Plus marquée que dans les campagnes intergénérationnelles des clans Dolce & Gabbana ou Tommy Hilfiger, la tendance du mannequin senior permet aux marques de se différencier, de répondre à un besoin d’authenticité, de lien social, de valeurs ancestrales en écho avec l’expérience vécue et la transmission. L’âge devient davantage synonyme de sagesse et de relai entre plusieurs générations, que de vieillesse.
Des seniors inconnus aux mannequins vedettes
En 2014, American Apparel choisit comme égérie Jacky O’Shaughnessy, remarquée dans un restaurant. Cette dernière alimente la polémique via des postures provocantes relatives à l’esprit American Apparel, mais les clientes s’identifient au mannequin : « Je veux être Jacky quand je serai vieille (@KellyMarie) ».

Les ambassadrices présentées sont admirées pour leurs looks excentriques, fascinants. Elles incarnent des icônes inspirantes, opposées à l’image traditionnelle de la vieillesse. Dans cette optique, des agences de mannequins seniors, comme Masters lancée par l’Agence Contrebande, apparaissent.
La marque peut également choisir de s’associer à une artiste afin de faire fusionner leurs œuvres et éclipser l’aspect physique au profit de l’intellect. Céline a ainsi choisi l’écrivain Joan Didion (80 ans, The Last Thing He Wanted (1996), Democracy (1984), The Year of Magical Thinking (2005)). De même, les campagnes Saint Laurent affichent le visage de Joni Mitchell (71 ans, musicienne et peintre canadienne), et l’ancienne danseuse Jacqueline Murdoch (82 ans) pose pour Lanvin (2013).

Dans la même optique, les mannequins du défilé Jean-Paul Gaultier automne-hiver 2011-2012 portaient des chignons poudrés de gris. Deux ans plus tard, la marque mettait en scène une image de la diversité : des enfants, des albinos et des femmes aux chevelures blanches.
Advanced Style, le blog à l’origine de la nouvelle esthétique du senior
L’origine de cette tendance peut être liée à l’œuvre d’Ari Seth Cohen, créateur en 2009 du blog Advanced Style. Arrivé à New-York en 2008, il raconte « J’ai vu toutes ces dames incroyablement lookées dans la rue et j’ai instinctivement eu envie de les photographier, de les faire parler. »

« À des années lumières des jeunes mannequins qui changent de look au rythme des campagnes pour lesquelles elles travaillent, les femmes que je photographie cultivent leur style, et l’expriment de manière très créative. (…) Ces femmes sont magnifiques. (…) Le plus incroyable, c’est d’entendre des trentenaires se dire impatientes de vieillir quand elles regardent mon blog. »
S’en suit la publication en 2012 d’un livre de portraits, ainsi que d’un documentaire. L’image qui s’en dégage est celle de femmes décomplexées, suivant leurs envies en opposition aux dress-codes et diktats de la mode en vigueur.
On peut également citer le documentaire Fabulous Fashionistas concentré sur des « vieilles dames stylées » (2013) ou la marque MAC qui choisit en 2011 comme égérie Iris Apfel (90 ans), décrite comme « L’oiseau rare de la mode » ou « la nonagénaire la plus branchée de la planète ».

Une explication plus rationnelle : le vieillissement de la population
Au-delà de ces précurseurs, différents facteurs expliquent cette tendance. Elle répond à des critères démographiques non négligeables, à savoir un vieillissement de la population, une hausse de l’espérance de vie (3 mois par an) et de la qualité de la santé. Les marques souhaitent donc capter le pouvoir d’achat des baby-boomers, mais également celui des personnes s’identifiant à ces égéries, lassées du jeunisme.
En 2010, un quart de la population était âgé de 60 ans et plus (source : INSEE). 800 000 personnes fêtent leurs 50 ans chaque année. Les plus de 50 ans représentent une cible riche, disposant de 35 à 55% du pouvoir d’achat disponible. Ils représentent 48% des dépenses de consommation (source :TNS Sofres). Ce pouvoir d’achat se retrouve sous l’appellation « silver economy » (« domaine ou ancien et neuf sont associés dans une optique de simplification, de mieux-être au quotidien. »).
Il y a donc pour les marques un intérêt grandissant à s’adapter à cette évolution sociétale et démographique. Cette transition représente cependant un risque pour les marques : le risque de vieillir leur image, de perdre une partie de leur cible initiale en voulant l’élargir aux personnes âgées.
A long terme, quel avenir pour les mannequins seniors ?
Cette tendance initie un renversement des canons de beauté et une nouvelle définition des codes de la publicité. Cela favorise une évolution des critères de beauté traditionnels, en écho avec la campagne Dove, pour toutes les beautés (2005).

A long terme, quel avenir pour les mannequins seniors ?
Cette tendance initie un renversement des canons de beauté et une nouvelle définition des codes de la publicité. Cela favorise une évolution des critères de beauté traditionnels, en écho avec la campagne Dove, pour toutes les beautés (2005).
Il faut notamment souligner que les marques ont peu d’expérience dans le marketing des seniors, leurs cibles sont souvent vues comme plus jeunes et plus actives, en concordance avec le jeunisme ambiant. Le sujet demeure donc frileux pour de nombreuses entreprises.
Cela demeure paradoxal car cette utilisation de la vieillesse devient résolument moderne. Naturel et décomplexé, le senior fait vendre.
Si les seniors sont présents dans une campagne, on remarque que très rapidement les jeunes mannequins répondant aux canons de beauté traditionnels reprennent le dessus. Finalement, ce passage du jeune au senior sous les lumières n’est-il qu’éphémère ? Que penser de cette temporalité limitée, de cet instant de célébrité accordé à l’esthétique de la vieillesse ?
Clarisse de Petiville
Sources
mastersmodels.com
cleirppa.fr 1, 2, 3, 4
Crédits photos
shopwithelisabeth.com
vogue.it
style.com
advancedstyle.blogspot.fr
lifeofamodernhousewife.com
culturebox.francetvinfo.fr

Vittel baskets fastncurious
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Couch converter : quand Vittel met votre canapé à vos pieds

Un objectif affiché : faire bouger le consommateur
4h30. Il s’agit du temps moyen que les français auraient passé à traîner sur leur canapé chaque jour en 2014. C’est sur ce chiffre impressionnant que Vittel se base pour lancer une opération originale, déjà testée en juin 2014 et reconduite en 2015 : le Couch Converter Service. Le message principal est simple : il s’agit de lutter contre l’inactivité et d’inciter les consommateurs à faire du sport. Dans une vidéo humoristique disponible sur le site internet dédié, la marque explique vouloir s’attaquer à la source du problème, l’objet du mal, j’ai nommé : votre canapé.
Mais plutôt que de le mettre au rebut pour s’obliger à aller faire du footing ou de l’aquagym, comme dans la célèbre publicité du « Fauteuil », il s’agit cette fois de le transformer… en chaussures de sport. Oui, vous avez bien entendu. Il suffit pour cela d’envoyer un échantillon de tissu aux ingénieurs Vittel, qui se chargeront d’en faire une paire de running unique et directement livrée chez vous. 50 chanceux ont déjà pu bénéficier de l’offre en février 2015, qui sera renouvelée du 30 mars au 31 mai (vous pouvez d’ores et déjà commencer à découper vos coussins).
Si l’on excepte la question de savoir si vous avez vraiment envie d’ajouter les fleurs vintages de votre canapé à votre dressing, cette opération semble surfer sur plusieurs tendances très actuelles, et possède tous les ingrédients d’une campagne promotionnelle réussie : à la fois originale, drôle et étonnante, elle devrait parvenir à faire parler de la marque dans les mois qui viennent.

La tendance des « marques coach » : une aubaine pour Vittel
En lançant cette opération, Vittel s’appuie sur une tendance qui lui correspond parfaitement : celle des marques-coach. En effet, dans le marché concurrentiel de l’eau minérale, la firme a toujours défendu son image de marque dynamique, dont l’objectif est de pousser les consommateurs à être actifs, sportifs, bref, à se « reVitelliser ». Là où Evian promet la « jeunesse du corps », Volvic le naturel et le respect de l’environnement, et où Cristalline joue sur les prix, le bouchon rouge de Vittel affiche la couleur : elle est la marque énergique et pleine de peps qui va vous faire bouger.
Ce positionnement s’inscrit directement dans la mouvance des marques-coach, qui a pu se développer ces dernières années avec le basculement de la « marque de l’avoir » vers la « marque de l’être ». Comme le souligne l’agence Dagobert, les marques ne nous vendent désormais plus seulement un produit, mais avant tout du sens, une identité que le consommateur peut s’approprier. Voilà le terreau sur lequel se sont développées les marques-coach, qui proposent à leurs clients des objectifs de vie, de santé, et les aident à les réaliser. Nous pouvons penser ici au slogan de Garnier (« Prends soin de toi »), ou encore à Nike et son « Just do it », qui a notamment créé une application de running pour smartphone permettant de suivre sa progression, et d’atteindre plus facilement ses objectifs. En nous offrant d’éliminer le « couch potatoe » qui sommeille en chacun de nous, Vittel nous propose donc bien plus que de nous vendre des bouteilles d’eau : la marque devient notre mentor, et s’infiltre au cœur de notre intimité.

L’ultra-personnalisation : l’effacement des frontières entre identité individuelle et identité de marque
Et quoi de mieux pour motiver le consommateur que de lui proposer une opération inédite, aboutissant à un produit personnalisé et unique ? Comme Nutella, qui vous propose d’inscrire un message sur ses pots, Coca-Cola qui crée des canettes à votre nom ou encore M&M’s qui propose d’envoyer des cadeaux entièrement personnalisés, il s’agit pour Vittel de permettre au consommateur de se reconnaitre dans la marque. Personnaliser un produit, c’est s’engager, s’impliquer, et quelle meilleure manière de fidéliser un client que de l’intégrer dans le processus de conception ? En créant gratuitement des chaussures de sport uniques, Vittel s’assure de ne plus être uniquement dans vos verres, mais également à vos pieds, et dans votre esprit.
S’il semble bien sûr étonnant que des centaines de personnes se mettent à découper leur canapé simplement dans le but de recevoir des chaussures de sport (la rentabilité du processus a de quoi laisser perplexe), le but réel de l’opération est bien de créer du bruit et du commentaire autour de la marque. La plus grosse partie de l’opération étant lancée cette semaine, n’oubliez pas de jeter un œil aux pieds de vos amis dans les mois à venir : peut-être y reconnaîtrez-vous le bon vieux canapé sur lequel vous avez passé des heures à jouer à la console avec eux. Se ReVitelliser, c’est faire des choix.
Sarah Revelen
Sources 
couchconverter.com 
E-marketing.fr
Slideshare.fr
Crédits Images
golem13.fr
psfk.com
businesspme.com
 

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Le snobisme publicitaire

La marque de design haut de gamme AMPM a dévoilé en ce bon mois de mars sa nouvelle campagne print. Et c’est entre autres dans le métro parisien qu’on est resté perplexe face à ces visuels un tantinet élitistes : zoom sur le snobisme publicitaire.
Le but premier de la publicité : capter l’attention pour faire passer un message
La publicité ne cesse de se réinventer afin de capter notre regard fuyant les milliers de sollicitations quotidiennes. D’ailleurs, marques et agences sont conscientes du phénomène de publiphobie qui sévit dans nos sociétés contemporaines et tentent d’y remédier à coup de brand content et autres innovations.
De plus, une certaine logique de « campagne sur-mesure » privilégiant la stratégie de core targeting, c’est à dire centrée sur le cœur de cible, pousse les enseignes à cibler toujours plus leurs campagnes. Cette cible étant de préférence une population à fort pouvoir d’achat puisque les produits de design ne sont, entendons-nous bien, pas des plus abordables.
Cependant, si le message de cette campagne intrigue, il n’est pas des plus aisés à décoder. En effet, c’est un sentiment d’incompréhension qui envahit le récepteur durant la lecture de ce message. Ainsi, on saisit rapidement que cette campagne est destinée à une élite intellectuelle qui, apriori, ne constitue pas un segment de grande envergure.
Faut-il être « intello » pour acheter de l’ameublement design ?
Benjamin Marchal, directeur de création de l’agence Fred et Farid indiquait récemment dans une interview que cette campagne avait pour but de « montrer que la beauté et la modernité de la nouvelle collection se passent d’explications et sont donc accessibles au plus grand nombre » – ce qui se résumerait en somme à un exercice de démocratisation auprès de la fameuse catégorie des CSP+ constituée de cadres et personnes ayant une profession intellectuelle supérieure ou intermédiaire.
Pourtant, plus qu’un désir de populariser une marque telle qu’AMPM, c’est la recherche d’un certain entre soi qui saute aux yeux de prime abord. Le badaud est alors exclu au profit d’une micro communauté capable de saisir le clin d’œil lourdement appuyé par la marque. Car l’on peut aisément avoir un sens artistique et un portefeuille bien rempli sans pour autant savoir que l’académisme post-Bauhaus, évoqué sur l’affiche, fait référence à un mouvement artistique allemand. Ni que le Bauhaus est la référence en termes de modernité architecturale et de design.

 
Métamorphose de la figure féminine
AMPM tente donc de regrouper son cœur de cible en une communauté d’intellos stéréotypés. Mais ce n’est pas tout : elle file également la métaphore du meuble contemporain acteur d’une performance, en proposant une métamorphose de la femme en objet (voire de la femme en étagère). Et cette fois ci, on s’accorde sur le fait qu’il ne faut pas avoir un bac+5 pour comprendre cette délicate image. C’est effectivement dans une ambiance austère, qu’une femme se courbe sous le poids d’une planche de bois; le tout pour 399 euros ?
Finalement, cette campagne met également en lumière un autre enjeu : la façon dont les marques peuvent créer un dialogue privilégié avec leurs clients, et cela en proposant un contrat de communication sur le mode conversationnel. Patrick Charaudeau, grand théoricien des sciences de l’information et de la communication, énonçait que toute communication était comparable à un contrat mais régi par des règles implicites que les agents signaient inconsciemment. Aujourd’hui, les entreprises doivent de plus en plus intégrer les clients dans leurs contenus, prendre en compte leurs avis et opinions à l’instar des chaines de TV qui mettent en avant les commentaires Twitter de leurs émissions par exemple.
Cependant, l’exclusion et la proposition d’étagères humaines ne semblent pas être des options efficaces puisqu’en plus d’utiliser le mythe de l’intellectuel français du type « monsieur je sais tout », elles obligent le voyageur à sortir son smartphone de bon matin, les yeux encore mi-clos et pour lancer sur Google la recherche suivante : qu’est-ce que le dogme galiléen ?
Clara Duval
Sources :
lsa-conso.fr
arretsurimages.net
ladn.eu
cbnews.fr
Crédits photos :
ladn.eu
arretsurimages.net
 
 

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discover snapchat fastncurious
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Snapchat lance Discover (et sa monétisation ?)

Fin janvier 2015, l’application des 15-25 ans de partage de photo et de vidéo Snapchat a annoncé le lancement d’un nouveau service : Discover. Cette nouveauté permet aux utilisateurs de « switcher » depuis leurs partages personnels vers des contenus interactifs d’actualité ou de divertissement fournis par d’importants médias tels que CNN, National Geographic ou encore Vice. Chaque page propose tous les jours une nouvelle offre interactive actualisée (photos, vidéos, textes etc.). La firme qui ne générait jusqu’alors aucun revenu et qui a été valorisée à plus de 10 milliards de dollars serait-elle entrain d’enclencher sa monétisation en créant à travers Discover des espaces publicitaires potentiellement très juteux ?
Snapchat comme outil marketing prometteur
« Ce que nous vendons à Coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Cette célèbre phrase de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, résume bien les enjeux rencontrés par les annonceurs et les médias. En effet, ce qui intéresse les marques dans leur stratégie médias, c’est de trouver les supports les plus adaptés à leur cible : toucher le plus possible les consommateurs potentiels et de la façon la plus efficace.
Une étude récente menée par la chaîne de télévision anglaise Sky News a montré que 18% des 16-24 ans seulement utilisaient des médias dits « mainstream » (comprendre « médias traditionnels » tels que la presse écrite, la télévision et la radio) pour s’informer de l’actualité. En effet, les réseaux sociaux sont devenus en quelques années la première source d’information de cette tranche d’âge tant sollicitée par les marques.
C’est pour s’adapter à de telles mutations que les entreprises de médias classiques se sont de plus en plus imposées sur la toile, principalement sur Facebook et Twitter. L’information délivrée prend la forme de ce que l’on pourrait appeler des « digest news » : il s’agit d’une information « prémâchée » dans le sens où leur contenu est succinct, synthétique et ne pousse pas l’internaute à l’interprétation ou à des questionnements. Le but in fine étant encore et toujours d’attirer les annonceurs, la publicité étant leur source de revenu principale.

Le format et le principe même de l’application Snapchat semble très attrayante en termes de publicité et de marketing. Les marques s’y intéressaient d’ailleurs de plus en plus en postant des vidéos ou des spots dans la rubrique « stories » de l’application. Cela leur permettait de toucher un public jeune (15-25 ans), très précieux et difficile à atteindre. Le principe de Snapchat repose sur le caractère éphémère des images et des vidéos qui disparaissent au bout de 3 à 10 secondes. Cela force l’utilisateur, potentiel consommateur, à délivrer de l’attention le temps de la visualisation : le caractère éphémère du contenu permet de focaliser efficacement l’attention de l’utilisateur.
Ce caractère éphémère se retrouve dans la nouvelle fonctionnalité de Snapchat, Discover. Les médias d’information présents proposent des contenus disponible pendant seulement 24 heures dans un format au sein duquel des insertions publicitaires semblent faciles. Bien que Snapchat ne s’en vente pas encore en ces termes, il y a de fortes chance que ce modèle économique ait été choisi pour amorcer la monétisation de l’application au petit fantôme déjà valorisée à 10 milliards de dollars.
Le risque d’une « ringardisation » et d’un détournement des utilisateurs
Snapchat est un réseau social et sa communauté risque de s’en détourner dans le sens où Discover n’a pas été conçu sur ce modèle. Parmi les avantages à s’informer à partir des réseaux sociaux, on trouve principalement le ciblage qui va être fait par les utilisateurs. En effet, les internautes peuvent choisir quels médias, quelles marques ils vont suivre selon leurs centres d’intérêts. Les données récoltées vont ensuite permettre une publicité ciblée de la part des annonceurs. L’offre s’adaptera aussi en fonction de ce que vous suivez, lisez, regardez. C’est le principe même de Facebook.
Or, Discover n’offre aucun ciblage. Le contenu est choisi par les partenaires financiers de l’application qui vont tenter de captiver une audience qui n’a pas choisi sur quoi elle allait « s’informer ». L’offre est la même pour tous les utilisateurs. Discover n’est pas « social » et l’équipe de Snapchat l’affirme « Discover n’est pas un média social. Les médias sociaux nous disent quoi lire à partir de ce qui est le populaire. Nous voyons les choses différemment. Nous comptons sur les rédactions et les artistes, pas sur les cliques et les partages, pour déterminer ce qui est important ». Il s’agit en quelque sorte d’un retour au modèle de la télévision des années 1950, où les téléspectateurs regardaient tous la même chaîne sans aucun choix possible.

Le business model de Discover semble avoir pour but de capter du « temps de cerveau disponible » et non pas d’informer les internautes sur l’actualité en choisissant et en traitant des faits marquants de l’actualité. Il n’y a rien de social là dedans car aucune interaction entre les utilisateurs à lieu : pas de partages, pas de likes…
Cette mutation d’un réseau à l’origine social en un média qui semble construit sur un modèle désuet dans un contexte où il est acquis que les internautes veulent choisir ce qu’ils voient, pourrait conduire à une « ringardisation » de Snapchat. D’autant que ses utilisateurs sont très jeunes, connectés et habitués aux pratiques des nouveaux médias.
Cependant, Snapchat n’est pas la première plateforme sociale à opérer une transition vers une fonction de publication de contenus et à capitaliser sur le storytelling. Les marques se servent par exemple, d’Instagram pour faire de la « native advertising » (publicité native). Il s’agit selon Charles Gros (expert des médias online) de la « descendante directe du publireportage sur supports journalistiques » qui propose « des contenus publicitaires littéralement intégrés au contenu des sites internet ».
Alice Rivoire
Crédits images :
adweek.com
theguardian.com
huffingtonpost.fr

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Quand Aoste prend les végétariens pour des jambons

Aoste, célèbre marque de jambon, a pris cette année la résolution de revenir sur les écrans pour nous faire part de sa nouvelle publicité. Mauvaise idée. Mettant en scène une famille végétarienne très stéréotypée pour vendre son jambon grandes tranches, la marque s’est totalement décrédibilisée en janvier dernier. Largement contesté sur le web, ce spot publicitaire permet à Aoste de décrocher le flop du mois.

Comme vous l’avez remarqué dans ce spot s’apparentant à une campagne des années 1950, les végétariens sont donc des hippies sales qui cultivent du quinoa pour pouvoir acheter leurs vêtements chez Desigual. Bah oui, évidemment.
Quand les végétariens 2.0 s’indignent
Au-delà des nombreuses réactions que l’on a pu voir fleurir sur les réseaux sociaux, un article publié sur TerraEco a tiré son épingle du jeu, ne comptant pas moins de 9400 likes sur Facebook et 224 partages sur Twitter. Titré « Dis Aoste, tu voudrais pas foutre la paix aux végétariens ? », le coup de gueule de Claire Baudiffier, rédactrice du site web, a été relayé dans beaucoup d’articles, notamment sur le site Rue89 où il comptabilise à ce jour 267 commentaires. En voici un extrait :
« Et non, Aoste, je ne suis pas hippie, je ne suis pas malade, je ne suis pas carencée, je ne suis pas triste, je ne suis pas chiante, je ne suis pas en manque. Et surtout, Aoste, ingurgiter le moindre bout de ton jambon ne me ferait pas pleurer. Pas de joie en tout cas.
Et pourtant, Aoste, c’est à cause de toi, à cause de publicités d’un autre âge comme la tienne, que je dois tous les jours m’expliquer, me justifier, et raconter le pourquoi du comment. A midi, le soir, au restaurant, quand je rencontre de nouvelles personnes. Et j’en ai un peu marre, figure-toi. » Deux pétitions ont également été lancées dans le but de stopper la diffusion de cette publicité, rassemblant à elles deux plus de 4200 signatures.
Pourquoi tant d’indignation ?
Parce que nombreux sont ceux qui trouvent cette publicité caricaturale et réductrice. Dans le spot, le fils ainé déclare « en avoir marre de manger toujours la même chose : salade verte-céleri, céleri-salade verte… ». La stigmatisation et le concentré de clichés mis en scène par Aoste n’ont pas plu aux végétariens, qui représentent aujourd’hui 2 à 3% de la population française. Cela peut ne pas vous paraître énorme, et pourtant quand les végétariens sont indignés, ils réussissent à se faire entendre. Ce que les végétariens ont le moins apprécié, c’est le fait qu’Aoste sous entende que la privation de viande est une décision imposée aux enfants par leurs parents, et que cela va presque jusqu’à les rendre malades, tant la variété de ce qui compose leur menu laisse à désirer. Or, comme nous pouvons le lire dans un article du Citizen Post, pour les végétariens « cela relève d’un choix personnel, autant que pourrait l’être le choix d’un style vestimentaire, d’une destination touristique ou même d’une idéologie politique ou d’une pratique religieuse ». A vous de vous faire votre propre avis.
Une marque qui dérange
Quoi qu’il en soit, ce qui dérange le plus ceux qui se sont révoltés contre ce spot publicitaire, c’est qu’Aoste se moque non seulement des végétariens, mais passe sous silence un bon nombre de détails concernant son propre cas. En 2011, le mensuel Politis dévoile en effet dans son article « Arnaque au « Made in France » agricole et gastronomique », que le jambon Aoste « n’est que le sous produit d’une multinationale américaine. Ses filiales ramassent des carcasses de porcs dans tous les pays du monde (et en Bretagne) mais le résultat n’a rien à voir avec la charcuterie de la ville italienne d’Aoste dont elle n’a plus le droit de se réclamer après de nombreux procès et surtout l’intervention (en 2008) de la Commission européenne qui a mis fin à cette tromperie organisée par Cochonou et Justin Bridou ». Dans le même article, on apprend que la marque « a sauvé son appellation trompeuse en installant ses usines dans la commune d’Aoste qui se trouve en Isère ; et vend ses produits sous le nom de « Jambon Aoste ».» Vous l’aurez bien compris, Aoste – qui semble avoir pas mal de choses à se reprocher – se moque des végétariens pour véhiculer des informations erronées sur un mode de consommation alternatif qui se veut plus respectueux des animaux et de l’environnement. Ironie du sort. Le problème, c’est que la marque, en réalisant cette publicité, a du se dire qu’il n’était pas grave de choquer une communauté qui ne consomme pas ses produits. Ce qu’Aoste ignorait surement à ce moment là, c’est que ce petit bad buzz aurait pu réveiller quelques uns de ses consommateurs éclairés. Il est un peu trop tôt pour voir l’impact de ce flop communicationnel sur les ventes de la marque de jambon, mais en ce qui me concerne j’ai jeté la tranche qu’il restait dans mon frigo après avoir lu ces horreurs, et je ne dois surement pas être la seule.
Quoi qu’il en soit, la marque s’est finalement sentie obligée de réagir et de bafouiller quelques excuses banales sur Twitter, sous le poids de ces nombreuses plaintes.

Et la liberté d’expression dans tout ça ?
Cette indignation du « web végétarien » vous semble peut-être un peu abusée. D’accord, le spot est réducteur et provocant, mais ça reste de l’humour après tout. Et pour une publicité sortie au mois de janvier, on est vite amenés à faire le parallèle avec les manifestations « Charlie Hebdo », et à se demander où sont passés les millions de personnes qui défendaient ce jour là le droit de rire de tout : des musulmans, des chrétiens, des juifs, des vieux, des ados, des gros et des maigres, mangeurs de viande ou non. Le site du magazine féminin Biba a publié un article à propos de ce bad buzz, et l’a adouci en rappelant « qu’exagérer la réalité, c’est un peu le principe de l’humour ». En effet, les végétariens rouspètent lorsque l’on se moque d’eux, mais il est rare d’entendre des geeks, des Jean-Eudes ou des gothiques s’offusquer parce que l’on joue sur des clichés les concernant. Comme le rappelle le même article, « Quand dans une pub il y a un nerd, il a des lunettes moches, les cheveux gras et mange des pizzas. Alors qu’il existe des nerds beaux qui se font opérer de la myopie et qui s’alimentent parfaitement, parce qu’ils sont végétariens ». Blague à part, il est intéressant de nuancer l’indignation des végétariens face à cet humour, bien qu’il puisse paraître assez cynique de la part d’une marque qui se moque de personnes qui ne lui ont rien demandé, sachant qu’elle a de lourdes choses à se reprocher. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’Aoste fait une publicité de mauvais goût. En effet, la marque avait fait, en 2013, le lien entre l’occupation française et la charcuterie, ce qui avait déjà indigné pas mal de français :

La diffusion du spot tv étant terminée, cette affaire va surement finir par s’apaiser. Mettons la faute sur un publicitaire en mal d’inspiration, qui aurait mieux fait d’imiter Fleury Michon et sa méthode de transparence sur la production de son jambon. A croire qu’Aoste souhaite encore jouer sur la confusion de son nom… Mais ne perdons pas espoir, cette petite crise sera peut-être l’occasion pour la marque de ré-aligner son positionnement et son discours, pour répondre aux attentes de ses consommateurs et arrêter d’agacer ceux qui ne sont pas concernés.
Voila une histoire qui fait surement sourire Cabu de là-haut, qui luttait à coup de crayons pour défendre le végétarisme, l’écologie et le respect des animaux.

Louise Bédouet
@: Louise Bédouet
Sources :
mrmondialisation.org
communication-agroalimentaire.com
bibamagazine.fr
rue89.nouvelobs.com
leplus.nouvelobs.com
citizenpost.fr
vegactu.com
www.politis.fr
Crédits photos :
pbs.twimg.com
img.over-blog-kiwi.com
mrmondialisation.org

la vérité sur les filles fastncurious
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Twingo et la vérité sur les filles : un féminisme raté

Le 11 février dernier, Renault, via l’agence Marcel (qui nous avait déjà fait aimer les fruits et légumes moches l’année passée), a lancé son opération « La vérité sur les filles » pour promouvoir sa nouvelle Twingo. Au programme : tweets et selfies contre sweat-shirts et totebags.
En effet, la campagne se présente comme une véritable chasse aux clichés et est caractérisée par un refus de la « femme parfaite ». Très interactive, l’initiative repose sur plusieurs piliers : tout d’abord trois spots diffusés à la télévision et sur internet et portés notamment par Bérengère Krief (comédienne et humoriste que vous avez connu dans Bref) et Nora Hamzawi (humoriste, chroniqueuse du Grand Journal sur Canal + et d’On va tous y passer sur France Inter). Intitulées « les bonnes résolutions », « le texto » et « les contes de fées », ces vidéos veulent revendiquer avec humour le droit des femmes à l’imperfection.
 

 
L’opération est aussi portée par d’influentes bloggeuses mode parmi lesquelles Kenza (larevuedekenza.fr), Deedee (Deedeeparis.fr) et Coline (etpourquoipascoline.fr) qui ont, à l’instar de Bérengère Krief et Nora Hamzawi, chacune créé un slogan chargé de véhiculer une idée forte sur les femmes ; parmi ces propositions humoristiques, on trouve des formules telles que: « Je mange du gluten », « Je crois au prince charmant et aux licornes », « Je ne suis pas chiante, je suis cérébrale », « J’adore les enfants (quand ils dorment) », « Je suis un cordon bleu du surgelé », ou encore « Femme jusqu’au bout de mes sneakers ».

Ces slogans seront ensuite déclinés sur différents supports, en sweat-shirts, T-shirts et totebags qui seront échangés gratuitement contre des selfies dans une boutique éphémère entre le 27 février et le 8 mars à Paris, puis dans toute la France à partir du 20 mars grâce à un « roadshow ». Les internautes peuvent aussi tenter de gagner leur sweat personnalisé en tweetant leurs propres vérités et en utilisant le hashtag #lavéritésurlesfilles.

Une campagne féministe… ou un flop total ?
Le problème, c’est que malgré cette volonté de faire une campagne drôle, interactive et dénonçant les préjugés sur les femmes, on se retrouve rapidement avec un sentiment de gêne… Finalement, les filles représentées dans cette campagne ne s’inquiètent toujours que de leurs régimes, de leur « horloge biologique », de leurs amours ou de leurs vêtements. Au lieu de se défaire de ces clichés, elles se positionnent en négatif par rapport à eux, alors qu’elles pourraient montrer ce qu’elles sont vraiment (fortes, drôles, travailleuses, sympa, fêtardes…). Individuellement, les spots et les goodies sont assez bien ficelés, mais la campagne dans l’ensemble dérive rapidement vers un sexisme latent dénoncé par de nombreux internautes…
D’autant plus que Renault n’en est pas à son coup d’essai dans le thème « campagne sexiste ». En juillet 2014, la marque avait dévoilé sur son compte Belgo-luxembourgeois une vidéo d’assez mauvais goût en proposant aux femmes l’option « Désolée-de-m’être-garée-là » pour avoir l’air « d’une fille sympa même quand vous êtes mal garée » :

Le fait est que cette nouvelle campagne attire un certain nombre de commentaires plus ou moins acceptables via le hashtag #lavéritésurlesfilles : du ridicule à la misogynie, les propositions des twittos rendent plus perplexes qu’elles ne font rire.
On fait des caca papillons #LaVeriteSurLesFilles
— Clara (@Clara_Kck) 19 Février 2015
 

#laveritesurlesfilles c’est que qu’il vaut mieux ne pas chercher à comprendre le plus souvent — Megaconnard (@megaconnard) 12 Février 2015

Mais surtout, c’est une campagne qui veut donner LA vérité sur les femmes… Comme si elle était unique et universellement acceptable. Renault véhicule ainsi l’idée qu’il suffit d’avoir un manuel, une sorte de guide type pour comprendre toutes les femmes, sans distinction de personnalité, de caractère ou de sensibilité… Et que toutes les femmes entrent dans une seule et même catégorie. D’où de nombreuses protestations sur Twitter qui dénoncent purement et simplement cette campagne, ou qui l’utilisent pour pointer du doigt de véritables inégalités homme-femme en changeant totalement la portée du hashtag :
Genre les filles sont un sous groupe homogène du genre humain. Super, quoi. #LaVeriteSurLesFilles #Sexisme
— VeniVidiVoyage (@VeniVidiVoyage) 12 Février 2015

“@Larmurerie: #LaVeriteSurLesFilles c’est qu’en France 121 femmes ont été tuées sous les coups de leur conjoint en 2013” 1 femme / 3 jours — MarieShani Pinkfear (@MarieShani) 12 Février 2015

En somme, une campagne ambitieuse qui aurait pu être très innovante et originale (les goodies, le pop-up store, l’interactivité et la lutte contre les clichés) mais qui tombe dans les travers qu’elle était censée dénoncer… Dommage.
Léa Lecocq
 
Sources:
laveritesurlesfilles.fr
larevuedekenza.fr
etpourquoipascoline.fr
deedeeparis.com
leplus.nouvelobs.com
marieclaire.fr
leplus.nouvelobs.com
madame.lefigaro.fr
Crédits images
img.e-marketing.fr
misszaza.com
Tumblr.com 1, 2,3

Marc Dorcel fastncurious
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#SansLesMains : la création publicitaire au coeur du porno

Tandis que le porno dans la publicité fait couler beaucoup d’encre et déclenche de nombreuses critiques, la publicité du porno se révèle de plus en plus créative. Dernièrement, la campagne #SansLesMains de Marc Dorcel a fait le tour du web en raison de son inventivité.
Les yeux doux d’Anna Polina

Dans la vidéo de présentation, Anna Polina présente le dispositif mis en place sur une semaine pour faire la promotion de Xillimité, le site de VOD du géant français de la production de films pornographiques. Le visage de l’égérie de Marc Dorcel est déjà connu auprès du grand public en raison de ses multiples interventions en tant qu’actrice dans des reportages diffusés sur de grandes chaînes comme D8 ou encore dans des articles divers (sur le Bonbon, le Plus du Nouvel Obs). Anna Polina est la porte-parole présentable du milieu du X, la fille que l’on pourrait ramener à un déjeuner en famille.
Avec #SansLesMains, Marc Dorcel honore une nouvelle ère : celle de la visibilité du porno dans la sphère publique. Imaginé par l’agence Marcel du groupe Publicis, le principe est aussi simple que bonjour : maintenir les touches A, S, P et L du clavier enfoncées pour avoir un accès illimité à tout le catalogue de la marque, constitué d’un millier de films HD.
On retrouve alors le mythe de la viralité d’Internet dans son plus beau costume : le trafic sur Xillimité est multiplié par 27 et le nombre d’abonnés est 50 fois supérieur à la moyenne. Le #SansLesMains reste durant 7 heures en trending topic sur la twittosphère française, le tout sans achat d’espace publicitaire. En étant un des hashtags les plus cités, la campagne fait alors développer aux internautes des stratégies de contournement plus ou moins farfelues : des astuces techniques, informatiques ou encore le visionnage à quatre mains avec son/sa partenaire. Cela participe donc à la création d’une véritable communauté, avec des consommateurs impliqués dans la marque. Cette belle visibilité sur les réseaux sociaux couplée à la valorisation des contenus marquent alors une opération réussie pour le producteur.

Une stratégie qui fait ses preuves
En capitalisant sur la frustration, #SansLesMains joue non seulement sur la connivence, mais aussi sur le terrain de l’hédonisme. Accompagnée du sulfureux regard d’Anna Polina, la stratégie en dit long : nous savons ce que vous faites de nos contenus, c’est pourquoi le marketing ne repose pas sur la valorisation de la qualité des produits mais sur l’usage qui en est fait. En opposition aux publicités racoleuses et à peine françaises que l’on trouve incessamment lors de nos promenades virtuelles (sait-on jamais si vous cherchez un plan avec votre voisine MILF imaginaire), la création publicitaire des plus grosses boîtes cherche à monter en qualitatif.

Pour cela, un des leaders mondiaux du milieu a même fait appel à ses consommateurs. Il y a un an, Pornhub lançait son concours ouvert à tous pour trouver un nouveau directeur artistique : il fallait un visuel publicitaire sans nudité ni contenu NSFW pour communiquer dans les grands médias. Autrement dit, une campagne Pornhub G-rated : au contenu approprié pour tout public, sans violence, drogues ni sexualité, etc. La culture porn étant truffée de références, de codes et de métalangage, qui mieux que le consommateur lui-même pouvait être son vecteur ? Cette campagne participative porta ses fruits puisque les nombreuses participations firent le tour d’Internet en raison de leur caractère cocasse.

 
Les publicités de l’industrie porno : vecteur ou conséquence de la mainstreamisation ?
 
Alors que les critiques fusent depuis des dizaines d’années sur l’hypersexualisation des publicités, notamment pour les marques de vêtements (American Apparel en figure de proue), les boîtes porno cherchent alors à prendre le contre-pied en allant vers une perspective de désexualisation de leur communication. Dans cette idée, Pornhub a même participé à la journée nationale de l’arbre aux Etats Unis en proposant de planter un arbre à chaque centaine de vidéos vue (15 000 arbres ont été ainsi plantés).
 
Traditionnellement, le porno est un sujet tabou alors qu’en réalité, plus de 35 millions d’individus atterrissent sur Pornhub quotidiennement. Sur l’IFOP, « La grande enquête Marc Dorcel / IFOP 2009 » intitulée Sexe, Média et Société, une étude riche sur les pratiques de la population française, montre statistiquement une démocratisation de la consommation des contenus pornographiques. En raison de la facilitation technique que procure le web, l’accès à des contenus pornographiques gratuits est de plus en plus ouvert, créant ainsi de nouvelles cibles. Ainsi, visionner du contenu pornographique est devenu une partie intégrante des activités digitales des individus en âge d’avoir une sexualité. Par conséquent, les marques essaient de se réapproprier la culture digitale mais sont souvent vues aux yeux des consommateurs comme étant invasives. Reposant sur l’invitation et la complicité, la campagne de Marc Dorcel en France et la communication de Pornhub firent beaucoup d’échos grâce aux relais spontanés des consommateurs.
 
Par conséquent, le film X n’est plus exclusivement masculin. De nouvelles niches de consommation apparaissent, dont les femmes. La création publicitaire doit alors s’adapter à ces nouveaux publics émergents. La frontière devient poreuse entre le porno obscur et caché comme l’imaginaire l’envisageait jusqu’ici, et la réalité de la consommation. La pornographie fait alors son coming out pour vivre au grand jour en tant que produit de « consommation courante ».
 
 

Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources
Le brief pour le concours de Pornhub
Les visuels finalistes pour le concours Pornhub
L’enquête IFOP
Les chiffres sur les retombées de #SansLesMains
Sources photo
Marc Dorcel
Marc Dorcel – xillimite.com
pornhubcampaign.tumblr.com

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nipster hipster nazi fastncurious hitler
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"Nipsters" ou le relooking néo-nazi

“Nipster”. Le néologisme est lâché en janvier dernier par le quotidien allemand TAZ pour qualifier la tendance qui fait irruption chez les jeunes néo-nazis. “Nipster” pour “nazi” et “hipster”, pas évident tant l’association peut surprendre !
Jusque là marginal, le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur : boots militaires, crânes rasés, treillis et tatouages vindicatifs ont été mis au placard au profit de tote bags à message, baskets à lacets, pantalons serrés et casquettes/bonnets. On reconnaît sans peine l’attirail de la figure urbaine, ô combien plébiscitée, du hipster.

La photographie d’un rassemblement néo-nazi reprise par le quotidien TAZ, à l’origine du terme “nipster”
Pour faire face à l’interdiction des symboles manifestes du néo-nazisme et à la récurrence des arrestations policières mais aussi pour mobiliser de jeunes recrues et se forger une image plus soignée et moins radicale, les groupes néo-nazis (allemands principalement) se sont décidés à récupérer cette culture urbaine moderne. Oubliée la panoplie de skinhead, jugée – avec beaucoup de lucidité – assez peu discrète et rassurante.
Depuis, les journalistes raillent la tendance au travers de jeux de mots douteux tels que “Fachism Week” ou “Yolocaust”. C’est le magazine Rolling Stones qui produit en juin dernier un premier papier complet, sous le titre révélateur de “Heil Hipster” pour décortiquer le renouveau cosmétique de l’extrême droite allemande, ses enjeux et ses échos.

Détournements des internautes et journalistes face à ce mouvement.
A gauche : montage anonyme.
A droite :  extraits de la webcomic “Hipster Hitler” de JC et AKP
Fashion faux pas ou non, là n’est pas la question : le plus important reste de savoir quel effet ce rebranding a sur la diffusion de l’idéologie et son intégration par les publics.
Nouveau look pour une nouvelle vie ?
« Il faudrait enfin changer de priorités et s’adresser à un plus large public. Les marches funèbres et les cérémonies en mémoire de nos héros ne nous font pas gagner de nouveaux sympathisants, tout au plus quelques nostalgiques.” Voilà ce que pointait dans un récent rapport le portail web d’extrême droite Altermedia.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Puisque le révolutionnaire doit être dans le peuple comme un poisson dans l’eau, ainsi que le rappelait Mao, certains partisans de l’extrême-droite se sont convaincus qu’être plus proches dans le paraître du citoyen moyen faciliterait l’expansion de leur idéologie. Et le look “hipster”, c’est l’espoir d’une image « cool » et rassurante, aux antipodes de celle du peu engageant skinhead. Cette incarnation stylistique d’une rébellion soft est plus encline à mobiliser de nouvelles classes sociales telles que la petite-bourgeoisie ou la classe-moyenne supérieure. Le criminologue Nils Schuhmacher l’assure : “Ainsi, une plus grande portée de l’influence est atteinte ».
Patrick Schroeder, un néo-nazi allemand et trentenaire, est la figure de proue de cette vague “nipster”. Parfois qualifié par l’étrange oxymore de “gentil néo-nazi” dans la presse, il est connu comme le porte-parole du mouvement et aime à rappeler sa volonté de donner “un visage plus amical et plus branché” à la jeunesse d’extrême-droite. .
Cette mutation esthétique n’est pas sans laisser certains perplexes et d’autres complètement sceptiques quant à l’efficacité de cette stratégie. Ainsi, l’expert Nils Schuhmacher juge discutable la portée bénéfique de ce relooking qui occasionnerait une perte d’identité claire pour les anciens partisans. Selon lui, si “le skinhead comme figure hégémonique de la jeunesse de droite a abdiqué”, l’avenir du “nipster” en tant que successeur est encore incertain.
Politologues et spécialistes en conviennent de rappeler aux plus naïfs que “à bien des égards, le contenu n’a pas changé. Seul l’emballage change radicalement » (Thomas Pfeiffer, en charge des questions d’extrême droite à l’Université de Bochum). Et à la politologue allemande Birgit Jagush de renchérir : “l’idéologie de ces jeunes gens est contre les musulmans, antisémite et raciste ».
A la conquête du web
Cette récupération des codes hipsters ne se limite pas au style vestimentaire et chez les “nipsters”, l’amalgame est roi! La défense de la cause animale, l’intérêt pour la préservation de l’environnement ou encore le goût pour la cuisine végétarienne sont autant de points d’entrée pour apporter leur idéologie dans de nouveaux cercles. Les outils du parfait petit hipster – ou du jeune urbain plus généralement – sont réinvestis pour diffuser les discours : blogs, selfies, tumblrs, tweets, hastags…rien n’est laissé au hasard.
Les réseaux sociaux deviennent alors des armes redoutables puisqu’ils donnent de la visibilité à des contenus qui ne sont pas ce qu’ils paraissent au premier abord : sous le couvert de pop-culture anodine, on retrouve un invariable fond idéologique extrémiste. L’édulcoration de la forme des productions médiatiques, qui va de pair avec celle du look, facilite la confusion et le mélange des genres : en apparaissant moins radicales de visu, elles sont mieux véhiculées et davantage diffusées.
Patrick Schroeder présente ainsi, chaque semaine, une émission YouTube de deux heures sur sa chaîne FSN TV. Sous des apparences de show mainstream, le fond n’en demeure pas moins bassement raciste. Entre une discussion sur une série télé et la diffusion d’un morceau de rock néo-nazi, le jeune homme clame ses revendications extrémistes à coup de « si le Troisième Reich était si terrible, il aurait été renversé » ou “Obama est le président nègre de l’Amérique ». Ces apparitions médiatiques, qui donnent une image moins violente du mouvement (sur la forme, bien entendu) que d’autres manifestations, ont permis à Patrick Schroeder de devenir une figure appréciée de l’extrême droite.

On retrouve également plusieurs tumblr neo-nazis – à l’image de Kindstattgross – qui proposent un savant mélange d’images doctrinales : photographies historiques, illustrations street modernes et saynètes instagramées à grand coup de filtre artistique. Et puisque ces images ne délivrent pas forcément leur message idéologique directement, soudain règne la confusion. Le danger de ces contenus esthétisés et détachés de tout (con)texte est qu’ils risquent d’être malencontreusement récupérés par des personnes qui n’en perçoivent pas la portée “cachée”. Certains messages restent toutefois limpides : on retrouve sans peine des contenus fascisants et racistes – « Mixing the races? no more white faces », “I love being white”…

Capture d’une vidéo de cusiniers néo-nazis végétariens. Le slogan pour la défense de la cause animale
« Kein mensch ist illegal » (Tout le monde a le droit d’exister) est inscrit sur leur tee-shirt au dessus du visage d’Hitler.
Vous avez dit ironique ?
Le paroxysme du mélange des genres et le summum de la confusion est atteint avec Balaclava Kueche, une chaîne de cuisine végétarienne. On y retrouve deux jeunes neo-nazis, cagoules et tee-shirts à l’effigie du Führer fièrement arborés, en train de donner leurs astuces cuisine et de soutenir les messages d’extrême-droite. La cohérence dans tout ça ? On la cherche encore.
On peut également noter le Harlem-shake, rattaché au mouvement, qui culmine à plus de 100 000 vues sur Youtube et prône, entres autres messages provocateurs, le sexe non-protégé avec des nazis. On peut aussi signaler l’arrivée et l’expansion du hastag #nipster sur Instagram et sur Twitter.
Simone Rafael, la rédactrice en chef du portail internet Netz Gegen Nazis (réseau contre les nazi donc), juge cette évolution esthétique et médiatique très habile car elle permettrait d’attirer l’attention du public de façon subtile et douce. Plus de soft power pour une idéologie plus ravageuse, en somme.
Si l’on observe indéniablement (et heureusement) un manque de cohérence et d’organisation au sein de ce nouveau mouvement, il s’agit de rester prudent face à la réalité du besoin d’identification des jeunes, à l’amalgame gargantuesque causé par internet et les réseaux sociaux et à la récupération inopinée de discours pour ne pas donner de nouvelles voix à une idéologie qui n’a de changé que la forme.
Pour s’épargner une chute consensuelle à base de “rappelons que l’habit ne fait pas le moine”, nous reprendrons l’expression très juste de Felix Dumont : si le loup a cessé de se déguiser en agneau, c’est qu’“aujourd’hui, il se déguise en mouton.”
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :

liberation.fr
thisisego.com
lalibre.be
slate.fr
rollingstone.com
Crédits images
nipsterwear.com
hipsterhitler.com
lalibre.be

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Tous les coups sont-ils vraiment permis ?

M6 : « la petite chaîne qui monte ou la grande qui descend » ?
M6 va mal. Sans être catastrophiques, les audiences de la chaîne sont en berne et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les stratégies de programmation manquent cruellement d’originalité pour sortir la 6 de ce marasme. Le nouveau directeur général des programmes, Frédéric de Vincelles, annonce d’emblée la couleur : « je ne viens pas faire une révolution » bien qu’il continue à développer et « chercher des idées nouvelles ». Dernière trouvaille en date : Tous les couples sont permis qui débarque en access-prime time et reprend la case qu’occupait le deuxième épisode des Reines du Shopping à 18h40. Le but est d’élire le couple le plus emblématique, le plus parfait, celui qui « est fait pour être ensemble ». Des candidates-juges aidées de leurs petits amis se donnent en spectacle et s’offrent aux notes de leurs concurrentes. Mais on ne peut parler de couple sans que des sujets comme la sexualité et les fantasmes ne soient abordés. Quid de la tonalité familiale de la chaîne et de l’horaire en question ? M6 s’engouffre dans le sillon de la TNT (de Vincelles est l’ancien directeur général de W9) et le premier casting de l’émission emprunte à la fois aux Ch’tis, à Tellement vrai ou encore à Confessions intimes. Tous les candidats viennent de Lille et de sa région et l’éventail des couples proposés se décline de l’exhib, à la majorette en passant par les kékés sportifs.

Un concept d’émission loin d’être novateur
Tous les couples sont permis se développe selon un format de candidat-juge connu de tous, recyclé à n’en plus pouvoir, à en dégouter le téléspectateur. Afin d’établir les vainqueurs, 5 critères, pour le moins surprenants, rentrent en compte pour le jugement final :

la première impression : quel couple est le mieux assorti physiquement
le secret du bonheur à deux
la déclaration d’amour (effectuée par l’homme)
le défi (rester complice face à une épreuve du quotidien)
le quizz (qui se connaît le mieux).

Voilà donc des passages obligés pour décréter la solidité d’un couple ou la sincérité des sentiments… Nous pouvons dresser des parallèles avec une émission phare de la chaîne qui a récemment été supprimée de la grille : Un dîner presque parfait. Mais, non content de reprendre des concepts déjà éprouvés, M6 pille son concurrent direct : TF1. Ainsi, à la manière de 4 mariages pour une lune de miel ou encore de Bienvenue au camping : les candidats ne sont plus uniquement acteurs et juges du programme, ils deviennent spectateurs et sont confrontés à la violence des remarques de leurs concurrents, gage d’un cocktail explosif. Le téléspectateur, lové dans son canapé, se délecte des réactions des couples et des réponses formulées à chaud suite aux insultes proférées et attend avec impatience les retrouvailles de fin de semaine, signes de règlements de compte. Mais rien ne se passe. Le nouveau programme de M6 qui prend donc place à une heure hautement concurrentielle où les enjeux liés aux revenus publicitaires sont conséquents ne convainc pas, pire ne surprend pas. Les candidats sont trop lisses, sans aspérité, archétypiques : on observe se mouvoir des quadras autonomes, des jeunes beaux autoproclamés Barbie et Ken, des retraités lubriques hyperactifs et un jeune couple fusionnel. Rien de bien moderne dans tout cela. M6 la chaîne jeune se la joue conformiste. Il n’y a qu’à voir l’image dépeinte de la femme pour s’en convaincre : mesquine, médisante, adepte de la méchanceté gratuite. Triste tableau. Mesdames, vous n’en sortez pas grandies. Le concept de l’émission a pourtant tout pour être subversif et politique à l’heure où l’on débat, dans notre société, de la place accordée à la cellule familiale, de ce qu’est un couple, de ce qu’est le mariage. Malheureusement, toute réflexion, tout regard critique semblent absents de ce divertissement.
Aller toujours plus loin dans l’intimité : le mythe de la transparence
Le voyeurisme est à son paroxysme avec cette émission. Ce n’est plus seulement leur cuisine ou leur dressing que les candidats ouvrent bien volontiers, mais leur chambre et par conséquent leur intimité. Ce lieu, inaccessible à l’accoutumée, du secret et du désir voit son verrou sauter. La lumière est faite sur tout, absolument tout : les photos de vacances sur une plage naturiste, les lieux les plus insolites où s’est déroulé « un câlin »… Tout est déballé sur la place publique : sentiments, confessions, déclarations d’amour. D’ailleurs, certains candidats, honteux au moment de se visionner, prient pour que les images défilent plus vite. C’est qu’il y a un paradoxe majeur dans Tous les couples sont permis : pourquoi vouloir mettre en lumière ce qui prend sa pleine puissance dans l’obscurité ? Cette volonté omnisciente n’annihile-t-elle pas ce qui fait la beauté intrinsèque du sentiment amoureux ? Le désir ne naît-il pas plutôt de ce qui est caché laissant ainsi pleinement s’exprimer l’imagination et l’entraperçu n’a-t-il pas un pouvoir évocateur bien supérieur à ce qui est entièrement donné à voir ? Une autre contradiction importante réside dans la mise en scène de la relation amoureuse des candidats. Ils jouent un rôle et poussent le curseur à son maximum quitte à devenir caricaturaux. Ce spectacle télévisuel ne fait pas dans la demi-mesure : on rejoue les déclarations d’amour (on reproche même au couple de sexagénaires sa théâtralité : mais de qui se moque-t-on ?) et les candidats ne délaissent jamais le registre de l’ostentation. Seules les apparences et les faux-semblants comptent. Il convient de donner à voir, de laisser entendre qu’on est heureux pour gagner le suffrage. Le paraître signe sa victoire définitive sur l’être… Quel comble pour une émission qui se propose d’élire le plus beau couple, n’est-ce pas plutôt le moment où l’on est le plus soi qui prime ?

Francis Métivier dans l’Obs note la fusion des deux derniers échelons de la pyramide de Maslow : le besoin de reconnaissance et celui d’épanouissement afin de parvenir à une reconnaissance publique. La conviction que l’on est bien avec son conjoint ne nous appartient plus uniquement, le regard des autres et leur consentement deviennent primordiaux car la décision finale leur revient. La sphère du privé se dissout dans celle du public : cela s’opère face à la caméra, dans l’ouverture la plus totale de son espace personnel. « Vivons heureux, vivons cachés » … L’adage a du plomb dans l’aile. L’émission s’achève avec la même conclusion pour tous les couples : « nous c’est nous et on est unique », « nous on a notre histoire, les autres ne peuvent pas comprendre ». Alors à quoi bon ? C’est sans doute pour cela que les téléspectateurs ne sont, pour l’instant, pas au rendez-vous. L’émission réunit environ 500 000 personnes de moins que les reines du shopping et sa charismatique Cristina.
Jules Pouriel
Sources :

leplus.nouvelobs.com
television.telerama.fr
effeuillage-la-revue.fr
Crédits images :
 
ozap.com
programme-tv.net
 
 

the take application
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The Take : nouveau visage du placement de produit ?

Les lunettes portées par Scarlett Johansson dans Lucy vous ont fait de l’œil ? Nul besoin d’écumer les boutiques de produits dérivés à la recherche d’imitations cheap qui vous coûteraient deux points de vision. L’application pour smartphone The Take permet de les scanner dans le film et de vous les procurer, changeant le produit culturel en la plus pointue des boutiques. De quoi souffler sur les braises du débat autour du placement de produit au cinéma et dans les séries.

The Take, pour s’habiller comme dans les films américains
Lancée il y a quelques mois, l’application The Take permet d’acquérir des vêtements, des accessoires ou même l’adresse d’un restaurant repérés dans un film (profil blockbuster américain uniquement). Le principe est simple : grâce à la reconnaissance sonore, l’appli identifie le film qu’est en train de regarder l’utilisateur avant de lui proposer une sélection de modèles portés par les acteurs dans les scènes principales. Avec un hyperlien direct, le spectateur-shoppeur est ensuite conduit vers une plateforme de vente où il trouvera le produit identique ou, lorsque l’appli n’a pas réussi à le trouver, un produit similaire qui fera parfaitement illusion. Une sorte de Shazam vestimentaire, en somme. Voilà de quoi réjouir les fans et désoler les puristes réticents au placement de produit.

De l’efficacité du placement de produit : du cinéma au ciné-marque
Le placement de produit est profondément lié à l’histoire du cinéma, puisqu’il est déjà utilisé par les frères Lumière, puis industrialisé après le formidable succès des bonbons Reese’s Pieces, à la suite de E.T. : The Extraterrestrial de Steven Spielberg. Aujourd’hui, le placement de produit est de plus en plus plébiscité par les marques. En effet, il afficherait un ROI (retour sur investissement) moyen quatre fois supérieur à un spot publicitaire, ce qui se traduit par un gain de notoriété et une envie de se renseigner sur le produit bien supérieure. Comment expliquer le succès de cette publicité clandestine ?
Notre époque est à la saturation publicitaire : la plupart des publicités se confrontent à l’hostilité des spectateurs. Pour beaucoup, la pub, c’est la pause, le moment d’aller se chercher un café ou de zapper, pour ne peut-être jamais revenir, au grand damne des annonceurs. C’est en partie la raison pour laquelle la frontière entre la publicité et le film ou la série – jingle, écran noir ou encore petit garçon de Médiavision surfant gaiment sur son ticket de cinéma – tend à s’amincir et à devenir poreuse. Même au sein de cette distinction initiale, les genres se brouillent, quand certains films ressemblent à de gigantesques publicités et que les marques n’hésitent plus à réaliser de véritables courts métrages artistiques, comme La légende de Shalimar – Le film de Guerlain. Ainsi, les différentes strates du programme audiovisuel s’homogénéisent.
C’est ce double phénomène qui est conceptualisé par Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety et Karine Berthelot-Guiet sous le nom de « publicitarisation » et « dépublicitarisation ».

Valérie Patrin-Leclère, définit la publicitarisation comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. »

La notion de « dépublicitarisation », développée par Caroline De Montety renvoie quant à elle à l’action des marques qui développent des dispositifs médiatiques et culturels dans lesquels l’aspect promotionnel est relayé au second plan.
Alors que nous sommes agacés par l’intrusion de la publicité sur nos écrans, et donc sur notre défensive vis-à-vis des marques, nous adoptons une attitude tout à fait bienveillante devant notre programme. Autrement dit, c’est le moment idéal pour une marque de se soumettre à notre regard énamouré.
  Un des multiples placements de produit dans Plus belle la vie.
Et le spectateur est étonnement tolérant ! Une enquête menée par Publicis révèle par exemple que 96% des spectateurs estiment que le placement de produit ne nuit pas à la liberté de création ni à la qualité de l’œuvre et 85% reconnaissent qu’il facilite la mémorisation de la marque.
La relation complexe entre les marques et le cinéma
Le cinéma et les marques entretiennent une relation amour-haine due à leur dépendance réciproque. Le cinéma a bien souvent besoin d’un financement externe : la liberté de création est permise par un investissement des marques, qui influencent également le processus de commercialisation du film, c’est-à-dire sa promotion.
Evidemment, la réussite du placement de produit dépend de l’équilibre entre les intérêts divergents de l’annonceur et du réalisateur. L’annonceur recherche la centralité et la visibilité, tandis que l’auteur du film qui accepte le placement a généralement intérêt à ce que le produit se remarque le moins possible, au contraire, se fonde dans le décor pour ne pas dénaturer le projet artistique initial. Et pour le spectateur, rien n’est plus irritant que d’être ramené à la réalité par un gros plan sur la montre Omega de James Bond au beau milieu d’une scène d’action. Nous voilà embarqués dans une furieuse chasse aux marques pour le restant de la séance, comme s’il s’agissait de « trouver l’intrus ».
Le placement de produit le plus efficace est celui qui s’insère pertinemment dans la fiction, qu’il soit là par simple réalisme (une voiture au logo flouté retient d’avantage l’attention qu’autre chose) ou qu’il serve l’histoire. Une marque est souvent un signe à part entière dans la construction d’un personnage. Elle en dit long sur son origine sociale ou ses revenus, sur son attachement ou son rejet de la mode, facilite l’ancrage de l’action dans un cadre spatio-temporel précis et permet aux spectateurs de se reconnaître en ces personnages. Là, la marque devient désirable car elle ne détonne pas outrageusement. C’est le spectateur qui va entreprendre la démarche de se renseigner sur le produit. C’est là qu’intervient The Take, qui pourrait instaurer une forme de placement de produit alternative et moins indigeste.
L’achat par smartphone, un marché à saisir
Nombre de marques et de producteurs ont décelé le potentiel d’une telle application. Initialement annoncée pour début 2015, l’application Shazam Fashion propose ainsi d’indiquer la provenance des vêtements et accessoires que portent les présentateurs télé et d’accompagner l’achat du spectateur. Ce qui est intéressant, c’est que Shazam Fashion ne fonctionne pas par reconnaissance visuelle du vêtement mais grâce à un système de partenariats avec les producteurs de télévisions américains. Il y a plusieurs années déjà, Andrew Fisher, le PDG de Shazam déclarait dans les pages du Guardian avoir « engagé des partenariats avec plus de 160 émissions de télévision ».
Ce n’est évidemment pas l’amour du 7ème art ou quelque philanthropie qui incite à la création de ces applications mais le marché prometteur de l’achat depuis les smartphones, en nette hausse. Selon une étude, 70% des consommateurs américains ont ainsi effectué un achat depuis leur téléphone portable dans les six derniers mois, contre 59% en 2013. Si les chiffres sont moins impressionnants en France, la tendance est néanmoins identique. C’est ainsi qu’on observe des applis de mode « sourcing » se développer sous diverses formes.
Asap54, par exemple, propose à ses utilisateurs de retrouver l’origine d’un vêtement vu sur un passant à partir d’une simple photo. Une fois la correspondance trouvée, elle redirige l’utilisateur vers le site marchand en question. Et si son système de scan ne parvient pas à trouver de correspondance exacte, plusieurs équivalents proposés. On peut aussi penser à BrandsOnAir et son système de partenariats avec les marques, ou encore à WhereToGet et sa communauté de passionnés qui mènent l’enquête pour trouver la provenance des vêtements photographiés. Cette dernière entretient également un rapport étroit avec les marques, que rien n’empêche d’être des membres à part entière et donc d’encourager les internautes à acheter leurs produits à travers un tracking des recherches et un système de pistage du profil des internautes.

Ces applications de fashion sourcing font du monde une vaste boutique, de chaque passant un ambassadeur d’une marque et de tous les instants une occasion de consommer. C’est d’ailleurs sur cette tendance que Comptoir des cotonniers avait surfé lors de sa campagne Cette page est une boutique.
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
www.e-marketing.fr
konbini.com
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Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation
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