Publicité et marketing

Les bloqueurs de pubs, sauveurs en toc ?

L’une des choses qui nous insupporte le plus lorsque l’on navigue sur Internet, outre les temps de chargement et les bugs, c’est la pub. Omniprésente, sa surabondance et son trop récurrent manque de pertinence ont conduit à un ras-le-bol généralisé des internautes. Des concepteurs de logiciels ont alors décidé de s’engouffrer dans la mode du do not track pour y proposer leurs services.
Le plus connu, Ad Block, créé en 2006 par Wladimir Palant, suscite la polémique. Accusé par certains de violer la propriété intellectuelle des producteurs de contenus gratuits en ligne en leur coupant leur unique source de revenus, il est encensé par d’autres le voyant comme un service pro-consommateur et libertaire. Mais où est la vérité dans tout cela ? Les bloqueurs de pub sont-ils réellement pro-consommateurs ou ne s’agit-il que d’une imposture ? Pour le découvrir, il nous faut d’abord comprendre comment circulent les publicités sur Internet.
La pub sur Internet : marchés automatisés et ciblage
Auparavant, deux grands problèmes contrariaient les affaires des annonceurs sur Internet : les modalités du dispositif d’achat et de vente d’espace publicitaire, et le manque de ciblage des annonces.
Le dispositif d’achat et de vente d’espace publicitaire
Avant 2010, le marché de la publicité sur Internet est entièrement calqué sur le modèle simple et institué des médias traditionnels, composé de trois acteurs : des éditeurs (un site d’information par exemple) qui vendent de l’espace publicitaire, des annonceurs qui achètent ces espaces, et des agences (telles que Havas ou Publicis) servant d’intermédiaire entre les deux parties. Ce modèle est encore utilisé sur Internet, mais concerne surtout les échanges entre éditeurs et annonceurs qui se connaissent bien, qui ont l’habitude de traiter ensemble.
Il a en effet le défaut d’être assez mal adapté au fonctionnement d’Internet. Sur le web, tout va plus vite, et l’audience d’un site internet proposant des contenus gratuits a moins de valeur que celle d’un média matérialisé, car on s’attarde plus sur un magazine ou une émission TV que sur une page Internet. C’est donc le dispositif de l’échange entre éditeurs et annonceurs qui doit être modifié, selon deux critères : l’instantanéité de la transaction et la faiblesse des coûts.
C’est pour cela qu’à partir des années 2010 est arrivé l’achat programmatique, appelé de manière générique Ad Exchange. Les ad exchanges sont des plateformes de marchés automatisés où s’achètent et se vendent des espaces publicitaires en moins de 120 millisecondes par page et par internaute, sous la forme d’enchères en temps réel. Dans ce système on retrouve le triptyque éditeur/agence/annonceur, mais s’y ajoutent d’autres intermédiaires, chacun spécialisé dans un type de format de publicité précis (vidéo, display, native advertising ou autre) : d’un côté les SSP (Supply-Side Platform), qui vendent l’espace publicitaire des sites, et de l’autre les DSP (Demand-Side Platform), qui offrent une interface pour gérer les campagnes des annonceurs.
En moins de 120 millisecondes, cinq opérations sont réalisées sur ces plateformes : l’internaute arrive sur une page web, l’impression de publicité pour cet internaute est mise aux enchères, des acheteurs proposent une enchère, l’enchère la plus élevée gagne l’impression, et le gagnant sert sa publicité.
Le succès de ces Ad Exchanges est tel que la plupart des grandes sociétés informatiques ont développé leur propre plateforme : Microsoft avec App Nexus, Yahoo! avec Right Media, ou encore Orange avec Ad Market. La rapidité et la faiblesse des coûts sont au rendez-vous, mais reste à proposer des annonces pertinentes, c’est-à-dire en adéquation avec les goûts de l’internaute présent sur la page.

Le ciblage des annonces
C’est Google qui a trouvé la solution – et ce bien avant la création des ad exchanges – avec une fonctionnalité permettant aux annonceurs d’afficher des publicités correspondant aux mots-clés tapés par les utilisateurs dans leurs différentes recherches : Ad Words. Grâce à cela, un internaute aura l’agréable surprise, après avoir visité un site commercial, de voir des petits encarts lui présentant des articles consultés ou bien en étroit rapport avec ceux-ci s’afficher sur tous les autres sites sur lesquels il se rendra.
Ces deux phénomènes concomitants – le ciblage des publicités pour chaque internaute et leur diffusion ultra-rapide et surabondante – ont pourtant eu un effet que les annonceurs, pris dans leur appétit insatiable de ventes et de notoriété, n’ont pas vu venir : un ras-le-bol généralisé. Les consommateurs, las d’être envahis de publicités, ont commencé à se plaindre, et ont été entendus par des sociétés proposant de bloquer les publicités intrusives. Reste à savoir si ces services sont aussi désintéressés et efficaces qu’ils prétendent l’être.
Les bloqueurs de pub, une imposture ?
La mode du blocage de pub a certes démarré avec la création d’Ad Block en 2006, et sa pérennisation en entrant dans le groupe Eyeo en 2011, mais c’est en 2013 qu’elle atteint une ampleur jusqu’alors inégalée en France quand Free annonce le blocage automatique de toutes les publicités Google pour l’ensemble de ses clients, à l’occasion de la mise à jour de sa Freebox Revolution. D’autres ont alors suivi, comme Microsoft avec une fonctionnalité dans Internet Explorer 10, et Mozilla Firefox, avant de se rétracter.
Cela peut sembler assez paradoxal pour ces groupes de bloquer la publicité, mais ce blocage est en réalité plus stratégique qu’éthique. Le vrai objectif de Free en faisant cette annonce est double : obtenir un accord de trafic payant avec Google, et renforcer son image de marque proche de ses clients, soucieuse de leur « expérience de navigation ». Les bloqueurs de pub ne sont donc pas désintéressés, encore moins Ad Block.

Le logiciel, dont le slogan est « Surfez sans désagréments ! », se positionne du côté des consommateurs, dont il veut améliorer les conditions d’accès aux contenus sur le web. Pourtant son action n’est pas tout à fait morale. En supprimant les publicités dites « intrusives », il supprime l’unique source de revenus des éditeurs et des producteurs de contenus en ligne, ce qui est potentiellement illégal. En effet, cela peut être assimilé à de la violation de la propriété intellectuelle puisqu’on considère que sur une page web la publicité fait partie intégrante du contenu, tant parce qu’elle y a sa place, délimitée spatialement, que parce qu’étant une source de revenus, elle permet au contenu d’être édité. Mais Ad Block n’informe à aucun moment ses utilisateurs de ce problème.
Le logiciel se défend pourtant de mettre en péril le modèle économique d’Internet, fondé sur la gratuité de l’accès aux contenus en échange du visionnage de publicité. Il ne filtre en effet que les publicités dites « intrusives », et laisse passer celles qui appartiennent à sa « liste blanche ». Cette dernière est quelque peu controversée, car c’est elle qui permet à Ad Block de gagner de l’argent : les pubs whitelisted ne peuvent rester sur cette liste que moyennant finance.
En outre, les critères permettant à une publicité d’intégrer la « liste blanche » sont assez indulgents pour laisser passer une grande partie de la publicité. Ils sont basés sur trois éléments : la position sur la page (une publicité ne doit pas interrompre la lecture), le fait qu’on les distingue clairement du contenu naturel de la page, et la taille. On arrive ainsi parfois à des situations où le bloqueur de publicité devient une vraie passoire. Pour exemple, sur la page d’accueil du site ask.com, la pub whitelisted représente 30% de l’espace, et le contenu de l’article lui-même 13%, ce qui revient à 2,3 fois plus de publicité que de contenu.

Les ennemis d’Ad Block lui reprochent ainsi deux choses. D’une part, d’effectuer une sélection hypocrite et arbitraire des publicités intrusives, et d’autre part de menacer le modèle économique d’Internet sans proposer de solution alternative. C’est ainsi que deux Français ont pris l’initiative en 2014 de créer un logiciel permettant aux sites de contrer Ad Block ayant pour nom Secret Media.

La publicité sur Internet est un vrai problème. Omniprésente et intrusive, il est normal de vouloir la bloquer, ou du moins la réguler. Mais cela remet en question le fonctionnement économique du web en bloquant l’une des uniques sources de revenus des éditeurs de contenus. Les pureplayers sont plus directement menacés, car les médias disposant également de formats physiques ont d’autres sources de revenus publicitaires. Dans tous les cas, le blocage de la publicité crée un manque à gagner pour des groupes médiatiques traversant actuellement une crise, et pourrait devenir un frein à l’innovation et au développement de petites structures web. La publicité sur Internet deviendrait-elle de plus en plus une question éthique ? Ce qui est sûr, c’est que dans notre monde ultra-connecté, elle ne laisse pas indifférent.
Clément Mellouet
Sources :
– Andréa Fradin, Rue89, « On a pisté la publicité sur Internet » (30/03/15). http://rue89.nouvelobs.com/2015/03/30/a-piste-publicite-internet-258354
– Jérémie Bugard,, Le Monde, « A qui profite le blocage publicitaire sur Internet ? » (30/05/14). 
– Frédéric Montagnon, frenchweb.fr, « Adblock Plus : ce qu’ils prétendent faire et ce qu’ils font réellement » (31/03/15). 
Crédits images :
1- SouthPark
2- Rue89
3- castle33.com
4- frenchweb.fr
5- secretmedia.com

LOUIS VUITTON
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La célébrité : l'arme secrète des marques ?

L’utilisation d’une célébrité par les marques pour véhiculer l’image d’un produit ne date pas d’aujourd’hui. Cependant, l’explosion des réseaux sociaux crée de nouveaux enjeux. Les stars malgré leur besoin de protéger leur intimité n’ont pas su résister à l’appel de Facebook, Instagram et autre. Les marques et les marqueteurs l’ont bien compris en intégrant le fil conversationnel des stars sur les différentes plateformes pour se faire de la publicité.
De l’endorsement…

L’endorsement est un mot d’origine anglaise qui est issu du verbe to endorse (s’appuyer, approuver). Il désigne le partenariat entre une célébrité et une marque. Cette dernière décide d’utiliser l’image d’une célébrité pour véhiculer l’image d’un de leurs produits. Le cas le plus célèbre est la collaboration de longue date entre George Clooney et la marque de café Nespresso. Cela permet un transfert de notoriété entre la célébrité et le produit qu’il représente. Aujourd’hui, les célébrités apparaissent de plus en plus dans des publicités. En France, lors du premier semestre de 2015, 7,3% des publicités dans la presse font ainsi appel à des célébrités, surtout dans les secteurs de l’habillement, de la beauté et du luxe selon l’observatoire du Celebrity Marketing de Brands and Celebrities.
… au micro-endorsement
Le micro-endorsement est une pratique d’endorsement qui consiste à promouvoir l’image d’un produit en utilisant le compte personnel d’une célébrité comme un média. Cette promotion est faite de manière ponctuelle et ne correspond pas à un accord entre la star et la marque sur le moyen ou le long terme. Le micro-endorsement ne relève pas d’une logique publicitaire. Il a vocation à créer un territoire pour relayer des informations, événements entre la marque, une ou des célébrités et leurs fans. Cela permet de générer une conversation sur une marque entre une célébrité et sa communauté.
Avec l’explosion des réseaux sociaux, le micro-endorsement devient de plus en plus fréquent. Les marques vont se servir du fil conversationnel d’une célébrité, souvent sur Twitter ou Instagram pour promouvoir un de leurs produits. En effet, la star va « vanter » les bienfaits du produit auprès de ses followers sur ses différents comptes personnels. Ainsi, en 2013, Oprah Winfrey la célèbre animatrice et productrice américaine vante sur ses comptes Twitter et Instagram les mérites de la friteuse « Actrify » de la marque Seb, faisant 1,3 million de vues. L’animatrice précise toutefois ne pas avoir été payée par la marque.

Un autre exemple célèbre de micro-endorsement est le fameux selfie des Oscars. En effet, lors de la cérémonie de 2014, Ellen Degeneres, la maîtresse de cérémonie et animatrice américaine, décide de prendre un selfie avec d’autres personnalités connues telles que Meryl Streep, Angelina Jolie, Brad Pitt… Ce selfie pris par le Samsung Galaxy Note 3 a été partagé plus de 3 millions de fois sur les réseaux sociaux et a explosé le record du nombre de « retweets ». Le cliché prétendument spontané est en réalité un beau coup marketing de la part de Samsung. Ce dernier était le sponsor de l’événement et aurait déboursé 20 millions de dollars pour promouvoir ces produits sur le « red carpet ».

Une efficacité variable
On peut se poser des questions quant à la réelle efficacité des techniques d’endorsement et de micro-endorsement. La clé d’une bonne stratégie de micro-endorsement est l’ignorance du grand public. En effet, il ne faut pas que les followers des célébrités sachent qu’il y a un contrat – certes ponctuel mais un contrat quand même – entre la star et la marque. Le grand public ne doit pas se rendre compte que l’opinion positive – sincère ou pas – d’une star au sujet de tel ou tel produit est un coup marketing. Il ne faut pas briser la confiance du follower en la star sinon il ne considérera plus son avis. Un exemple récent est le lancement du dernier smartphone de Samsung, le « Samsung S6 Edge + » avec le concert de Mika à la piscine du Molitor. Samsung a demandé à une trentaine de célébrités de relayer l’événement avec le hashtag #NewEdgeNight permettant à leurs fans de voir le concert en live. Cependant, tout cela a été mal reçu par les fans qui n’ont pas compris que les stars qui relayaient l’événement n’y assistaient pas. Les internautes se sont sentis trahis et ont mal réagi en détournant et en s’amusant des messages postés par les célébrités.

Pour l’endorsement, c’est un peu différent. Le plus important est que l’image de la star ne soit pas en décalage avec celle du produit ou de la marque concernée. En effet, tout le monde se souvient de l’échec de la publicité LCL avec Gad Elmaleh. L’image de l’humoriste ne collant pas vraiment à celle de la marque.
Hawa Touré
Sources:
Catherine Heurtebise. « De l’endorsement au micro-endorsement » in Influencia, mis en ligne le 18/12/15. 
« Définition : Micro-endorsement » in Definitions-marketing, mis à jour le 19/12/15. 
« Endorsement (soutien) » in e-marketing.  
« Les célébrités, les marques et la publicité »
« Celebrity marketing », in Wikipédia. 
Carole Soussan. « Publicité et célébrités vont de mieux en mieux ensemble », in CBNEWS, mis en ligne le 20/10/15.  
Géraldine Russell. « Oscars : Samsung s’est payé un selfie à 20 millions de dollars », in LeFigaro, mis en ligne le 05/03/14. 
Crédits images : 
http://www.grazia.fr/people/interviews-et-decryptages/articles/celebrons-les-54-ans-de-george-clooney-en-gifs-759266
Instagram Poppy Delevingne
Instagram Oprah Winfrey
Twitter Ellen DeGeneres
Twitter Gonzague Dambricourt

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Ça se sent, ça se sent…: odorat et branding

« L’odorat, le mystérieux aide-mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde ». Dans Les Misérables, Victor Hugo soulignait déjà les facultés mémorielles de l’odorat, sens souvent délaissé, pourtant si déterminant dans notre manière d’appréhender et de se représenter notre société. Alors que notre vue est sans cesse sollicitée, saturée voire brouillée par un flot d’images en tout genre, entreprises, organisations, marques et collectifs misent sur un nouvel appât : notre nez.
À la découverte du marketing olfactif
Qui n’est jamais entré dans une boulangerie après avoir senti l’odeur de pain chaud et doré qui en émanait ? Quel citadin n’a jamais éprouvé une sensation de profond dégoût dans le métro puant à 9h du matin ? Notre odorat guide inconsciemment nos humeurs, nos affects, certains de nos actes : les professionnels du marketing olfactif l’ont bien compris. Depuis les années 1990, les marques ont développé une nouvelle manière de promouvoir leur univers ainsi que d’attirer et de fidéliser leurs clients. Elles utilisent une véritable signature olfactive, générant une odeur qui leur est propre et qui renforce l’identité singulière de leur enseigne. Nous avons tous à l’esprit l’exemple de la marque Abercrombie&Fitch, qui diffuse jusqu’à l’écœurement son propre parfum (Fierce n°8) dans chacune de ses boutiques. Le but étant principalement d’euphoriser le client et de stimuler l’achat étant donné que « les gens dépensent de l’argent quand ils se sentent bien », faisait remarquer Walt Disney.
La rationalité est alors laissée de côté pour faire place à la perception et à la subjectivité de l’être humain qui est interpellé de manière intrusive par le biais de ses sensations. Parce qu’il met l’accent sur le vécu des individus, le marketing olfactif joue sur le déclenchement d’un processus émotionnel à des fins commerciales. Dans le cadre de ces expériences, le consommateur, qui réclame une offre de plus en plus personnalisée, intègre des informations affectives et développe plus facilement de la sympathie pour la marque en question.
Cette stratégie de marketing sensoriel est souvent utilisée pour favoriser l’expérience client. De nombreuses marques y ont recours pour se classer dans la top liste des « originaux ». En 2014, par exemple, Burger King créait la surprise en mettant en place sa première opération de street marketing, alléchant les babines des passants. L’odeur du hamburger Whopper était diffusée dans un abribus de Madrid par nébulisation (diffusion d’un nuage sec, volatile et écologique).

Le marketing olfactif joue non seulement la carte de l’étonnement, mais aussi celle de l’interaction. L’individu n’est plus le simple spectateur de ce qui lui est donné à voir mais devient l’acteur même de la mise en situation du produit. Ce n’est pas uniquement son esprit mais bien son corps qui est intimement appelé à prendre part au processus communicationnel. En témoigne la création d’un guide touristique olfactif par la ville de York (Angleterre), qui recense les parfums emblématiques de la région. Chacun est invité à découvrir des senteurs de thé, de chocolat, de champs de lavande de rues ou encore de crottin de cheval en plongeant son nez dans le livret.

Le cas du parfum
S’il existe un secteur qui a su mettre à profit notre sens olfactif, c’est bien celui de la parfumerie. Tantôt accessible, tantôt hors de prix, le parfum est associé à un produit de luxe dans l’imaginaire collectif. Il renvoie le plus souvent à un idéal fascinant, que chaque consommateur est désireux d’approcher. Guerlain a su jouer sur cette ambivalence et cerner son client, tiraillé entre volonté d’affirmation de soi et désir de ressembler à cet autre qui n’existe pas.

Dans ce cas précis, le marketing olfactif est la condition même de l’existence du produit et se mêle jusqu’à notre peau. La diversité des flacons, des senteurs, des appellations pourrait nous faire croire qu’un des produits peut correspondre à notre identité et renvoyer aux autres le caractère unique de notre personnalité. Or, la seule odeur qui ne soit vraiment nous, c’est la nôtre.
Kalain, une entreprise normande, s’est emparée de ce constat afin de produire des parfums qui porteraient des odeurs corporelles uniques. L’idée est née du manque que la créatrice a éprouvé, suite au décès d’un être cher. Sur son site, la start-up propose des coffrets pour « combler une absence temporaire » ou bien « définitive ». La commercialisation de nos propres odeurs (le flacon est vendu à la modique somme de 560 euros) semble en dire long sur notre rapport au temps.
Nos sens sont alors quelque part instrumentalisés au profit d’actions communicationnelles et commerciales. Les marques ne vont-elles pas trop loin lorsqu’elles font de notre corps un nouvel outil marketing ? Gare à votre nez !
Émilie Beraud
LinkedIn
Sources :
France Culture, La Philosophie de l’odorat, 2010
Marketing Professionnel, Branding sensoriel, le nouvel atout des marques, 2009
Midis, Burger King diffuse l’odeur de son Whopper dans un abribus, 2015
http://www.visityork.org/first-smellyork.aspx
Huffington Post, Reconstituer l’odeur d’une personne décédée ou absente sous forme de parfum, le projet d’une entreprise normande, 2015
Crédits photo :
http://www.guerlain.com/fr/fr-fr
http://www.visityork.org/first-smellyork.aspx
http://www.midis.com/blog/burger-king-diffuse-odeur-de-son-whopper-dans-un-abribus
 

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Les singes: les meilleures égéries ?

En novembre dernier le groupe américain Coldplay révélait le clip de son dernier single « Adventure of a Lifetime ». Cette vidéo est issue d’une collaboration avec la marque Beats, qui promeut ici son dernier modèle d’enceintes. Le clip et la publicité représentent d’ailleurs la même séquence, une spécialité de la marque qui effectue régulièrement des partenariats de la sorte avec des artistes musicaux. Réalisé en motion capture, on peut y voir des singes danser sur le titre de Coldplay. Si ce choix de figurants a beaucoup fait réagir les internautes et les fans du groupe sur le web qui se sont amusés à démasquer derrière chaque singe un membre, il n’en demeure pas moins nouveau. En effet, nos confrères les primates sont bien loin de leurs premiers pas dans la pub.
Des primates mythiques
Dans les années 1990, la marque de lessive Omo introduit dans ses publicités des singes habillés de vêtements humains. Elle se démarque des autres vendeurs de lessive en mettant en scène des animaux, qui ne sont par ailleurs pas réputés pour être très propres, et invente également son propre langage : le « poldomoldave ». C’est du jamais vu et le succès est immédiat. Même sans comprendre la totalité des phrases prononcées par les singes, les récepteurs – quelque soit leur âge – saisissent le message. Car, avec cette publicité décalée, le but d’Omo est aussi de toucher un public plus large que les simples ménagères : elle amuse les plus grands comme les plus petits.
On joue ici sur l’humour et l’autodérision, on ne parle plus de l’efficacité du produit.
Sébastien Genty analyse pour Le Figaro : « Les concepteurs-réalisateurs de la saga des chimpanzés ont été les premiers à avoir créé un territoire et un langage induisant un attachement à la marque. »
Mais pourquoi des singes ? Car prononcé par des humains, le poldomoldave donnait un ton moqueur à la vue du public lors des tests, les publicitaires ont alors inséré les primates, qui rendent insolite une scène très ordinaire de la vie quotidienne.
Les singes d’Omo et leur poldomoldave deviennent mythiques et donnent à la marque une réelle identité. Mais en plus d’avoir fait rire des générations avec ses petits personnages, Omo a aussi grâce à eux rajeuni son image, gagné en notoriété et augmenté ses ventes de 25%.

Outre manche on peut citer deux exemples devenus légendaires : PG Tips et Cadbury.
Les chimpanzés de PG Tips ont placé leur marque au premier rang des vendeurs de thé en Grande Bretagne pendant plus de 30 ans. Même si derrière ces publicités se cachent des campagnes de communication de dizaines de millions de livres, les petits singes devenus Al et Monkey (un homme et une singe en peluche) en 2007 y sont pour beaucoup en ayant fait l’unanimité dans le cœur des consommateurs pendant plusieurs décennies.  
 

Pour Cadbury, son Gorille a aussi été le sauveur de la marque qui souffrait, avant le lancement de cette publicité en 2007, d’une importante perte de vitesse à cause d’un scandale de salmonelle. Avec ce singe plus vrai que nature, la marque joue la carte de l’entertainement sans aucune référence au produit. Le succès est immédiat : des centaines de milliers de personnes intriguées par l’agilité de l’animal, qui joue dans ce spot de la batterie au son de Phil Colins (« In the Air Tonight »), se ruent sur internet pour en percer les secrets se demandant même s’il s’agit d’un réel gorille.
Augmentation des ventes de 9% par rapport à l’année précédant le lancement, hausse de 20% d’opinions favorables quant à la marque, première place au « Gun Report 2008 » (un classement annuel des campagnes, des réseaux de communication et des agences les plus primés au monde)… Bref encore un singe qui fait le boulot.

Dans ces trois exemples les singes sont personnifiés en étant mis dans des situations humaines ou assimilés à des personnes réelles. Le singe étant l’animal qui se rapproche le plus de l’homme, il est donc facile de le faire passer pour une personne le temps d’un spot. Il est aussi un animal amusant, attendrissant et attachant tout comme insolent et malin, qui est donc susceptible de conquérir le public rapidement.
Mais il n’apparaît pas toujours ainsi à l’écran. Les publicitaires utilisent aussi de vrais animaux, comme lors d’une publicité Ikea lancée en 2015 où, au milieu de leur environnement naturel, des singes testent la fonctionnalité d’une cuisine. En s’amusant avec les meubles et les ustensiles, les petites bêtes incarnent le slogan employé par l’enseigne suédoise, « Redécouvrez les joies de la cuisine ».
Pour la publicité Peugeot 308 GTi, c’est le célèbre petit singe du film à succès Very Bad Trip qui est mis au centre d’une course poursuite tout au long de la réclame.
D’autres égéries animales
Mais les singes ne sont pas les seuls animaux utilisés dans les publicité, on connaît également les animaux sauvages aux formes humaines d’Orangina, ceux utilisés pour représenter des marques de céréales, les lapins Duracell ou bien la Vache qui rit.
Alors pourquoi utilise-t-on les animaux en publicité ? Pourquoi une marque peut-elle s’appuyer sur l’un d’eux pour en faire son image dans le temps comme la vache Milka ?
L’utilisation d’animaux est un basic, parfois même une valeur sûre pour assurer le succès ou la sympathie d’une annonce. Outre une raison économique, car l’emploi d’un animal coûte souvent moins cher qu’un figurant, il est parfois plus facile de faire passer un message avec un animal par exemple pour des messages délicats ou controversés qui seraient mal perçus venant d’une personne.
Aussi, le spectateur peut avoir une meilleure confiance en un animal, qui serait un être fidèle et honnête.
Selon le ton du message et de la publicité, les annonceurs qui souhaitent jouer la carte de l’émotionnel peuvent y arriver plus facilement avec un animal, par exemple des hommes s’occupant de bébés animaux pour le site adopteunmec.com en 2013, ou des histoires d’amitiés entre des animaux d’espèces différentes pour Samsung et Android en 2015.
Ce n’est donc pas un hasard si selon le classement des publicités les plus virales de 2015 réalisé par Unruly, les quatre premières vidéos arrivant en tête mettent en scène des animaux.

Capucine Olinger
Sources :
Le Figaro, 20 ans de spots TV: Omo singe la pub, 14/10/2007
Ionis Brand Culture, Cas n°46: Omo « les singes »
La libre, Un gorille au secours de Cadbury, 3/12/2007
Le Figaro, Pub:  » le gorille » de Cadbury emporte tous les suffrages, 12/11/2008
Planète GT, Peugeot 308 GTi: la pub qui va vous surprendre !, 15/12/2015
La Réclame, Des singes se déchaînent dans une cuisine IKEA en pleine jungle
Capital, Publicité: pourquoi les animaux font vendre, 10/04/2014
La Réclame, Musique de la pub Beats Pill 2015 
Crédits images :
Tuxboard.com
Dailymail.co.uk
The Guardian
Lareclame.fr

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Amnesty International, 50 ans de campagnes choc

Depuis plus de 50 ans, l’ONG Amnesty International dénonce les attaques à l’encontre des droits de l’homme dans le monde, et cherche à avertir le public  par le biais de campagnes de communication violentes et dérangeantes sur des sujets aussi variés que graves. Dans un contexte d’hypermédiatisation et d’hyper-information, le message en lui-même ne suffit plus malgré un message porteur de sens et doit s’accompagner d’une stratégie de communication parfois plus évènementielle. Comme chaque année, le 10 décembre, journée mondiale des droits de l’homme, l’ONG lance des campagnes pour inviter les citoyens du monde à réagir face aux libertés bafouées.
Un contexte et une démarche particulière
Afin de faire connaitre leurs actions, sensibiliser le public aux causes qu’elles défendent mais aussi récolter des fonds, les ONG doivent s’assurer une vaste couverture médiatique, on remarque cependant depuis plusieurs années différents facteurs qui viennent impacter leur communication : elles font face à une multiplicité des associations défendant des causes locales aussi diversifiées que complexes. Par ailleurs, les médias avec lesquels elles travaillent sont de plus en plus internationalisés et contribuent à une augmentation de la vitesse de diffusion et de réaction de l’audience de plus en plus fragmentée. Alors que quelques années auparavant, un spot de 20 à 30 secondes au moment des pics d’audience suffisait pour convaincre, aujourd’hui il leur faut se démarquer à travers des choix stratégiques et théoriques.
Amnesty International a décidé d’utiliser une stratégie de communication spécifique pour chaque pays : chacun des 80 bureaux relaie les informations transmises par le siège de l’organisation. Une politique globale est mise en place et diffusée au travers de moyens de communications modernes et novateurs.
Les choix stratégiques et créatifs
L’ONG s’illustre par son utilisation du « street marketing » une stratégie marketing qui utilise la rue et le paysage urbain pour surprendre les gens et ainsi bénéficier d’une meilleure diffusion dans l’opinion. L’exemple le plus emblématique fût la campagne « It happens when nobody is watching » en 2009, qui sensibilisait aux violences conjugales : un panneau d’affichage d’abribus équipé d’une caméra eye tracking* diffusait le visuel d’un homme battant sa femme. Dès lors qu’un regard se posait sur celui-ci la scène de violence s’arrêtait et laissait apparaître l’image d’un couple d’apparence paisible et serein. L’association donne ainsi un aspect événementiel à sa campagne en créant le buzz et en générant de nombreuses retombées presse. C’est cette étrangeté choquante et puissante qui créé l’impact auprès des médias qui vont alors démultiplier son importance en en parlant.

Malgré des campagnes similaires au fil des années, le shockvertising (stratégie de communication qui par le biais du choc vise à accroitre l’attention du destinataire et la mémorisation du message dans le but de provoquer une réaction) initialement destiné aux politiques et aux publics, est de plus en plus tourné vers les médias et la volonté non masquée de faire parler.
Les nouvelles technologies permettent de faire le buzz, et Amnesty International ne cesse de les utiliser pour réinventer sa communication et toujours être à l’avant-garde. Tous les supports sont bons à utiliser pour sensibiliser. Ainsi, en 2011 lors de son 50ème anniversaire, l’association lance une application nommée « Bulletproof » pour sensibiliser les utilisateurs d’iPhone à la défense des droits de l’homme, le but est d’arrêter les balles lancées par un peloton d’exécutions sur l’accusé – le joueur.  Conçue par l’agence La Chose, le but de la vente de cette application est de rappeler la cause principale de l’association : la lutte contre la peine de mort.
L’audace marketing de l’association semble porter ses fruits puisqu’à plusieurs reprises les publicités de l’ONG ont été récompensées par des prix, c’est le cas en 2011 avec la campagne « La peine de mort est destinée à disparaitre » récompensée du grand prix de la campagne citoyenne (ayant pour but de promouvoir les campagnes de communication dont la vocation est d’améliorer un comportement individuel ou collectif), et primée lors du grand prix de la publicité presse magazine. C’est de fait une des preuves de l’efficacité du shockvertising quand il mêle impact et justesse des propos.
Les lendemains
Amnesty International continue sur cette lancée, et se fait notamment remarquer en 2014, lorsque le siège belge dévoile sa campagne pour dénoncer la torture. Déclinée sous forme de triptyque  représentant Iggy Pop, Karl Lagerfeld et le Dalai Lama le visage tuméfié à la suite de torture proférant des propos chocs tels que « l’avenir du rock’n roll c’est Justin Bieber », « Un homme qui n’a pas de Rolex à 50 ans a raté sa vie » avait pour message principal de dire « torturez un homme, il vous racontera n’importe quoi ». Valérie Michaux, la directrice du bureau de la communication Belge s’est félicitée de ce buzz « La campagne a eu un succès fulgurant dans les médias et sur les réseaux sociaux. On a pu atteindre 2 millions de personnes et les médias du monde entier nous ont relayés. »**

Le public est sans cesse sollicité et pris à parti, c’est le cas dans une campagne contre les mariages forcés pour laquelle Amnesty International a utilisé et détourné les sites de rencontre tels que Tinder, l’association a créé son propre compte le 8 mars (la journée mondiale de la femme) et a posté des photos avec l’idée que certaines personnes n’ont pas toujours le choix, la liberté de choisir ou non son partenaire n’étant malheureusement pas un choix pour bon nombre de femmes dans certains pays. Cette sollicitation se retrouve plus récemment dans la campagne de décembre 2015 nommée « 10 jours pour signer » et qui vise à mobiliser l’opinion publique sur 10 situations emblématiques de violation des droits humains. Dans une vidéo traitant de la torture le public se retrouve à la place du spectateur qui détient entre ses mains le pouvoir de faire changer les choses et de stopper la séance de torture qui se passe face à lui.   

Cette stratégie de communication choc semble avoir porté ses fruits puisqu’elle permet de faire parler de l’ONG et ainsi de diffuser au plus grand nombre ses messages  et ses combats. Elle permet de diffuser un message cohérent face à des médias de plus en plus diversifiés. Ce choix du shockvertising n’est pas seulement utilisé par les ONG mais aussi par des grands groupes tels que Benetton dont les publicités sont souvent l’occasion de dénoncer des problèmes de société, telles que l’anorexie et les violences faites aux femmes. En cherchant à se démarquer et à créer du buzz Amnesty International semble avoir frôlé certaines limites. En effet la campagne contre la torture utilisant des photographies de personnages publics a provoqué une vague de contestations de la part de leurs agents, dans la mesure où les personnes représentées n’avaient pas été informées de l’utilisation de leur portrait dans une campagne de communication. Malgré les excuses d’Amnesty International, on peut se demander si son statut d’association agissant pour la bonne cause lui permet de repousser les limites tolérées dans le monde de la communication et par l’opinion publique.
Notes :
*: Technique utilisée pour repérer où se pose l’œil du consommateur lorsqu’il regarde un message publicitaire. Ainsi le message principal pourra être placé là où il convient. (définition de Linternaute)
**: Réaction suite à l’utilisation des images de célébrités et réponse de Valérie Michaux:
Le soir, Même sous la torture Iggy Pop veille à son image, 26/06/2014
Arianna Delehaye
 
Sources : 
Le Monde marketing, La nouvelle campagne de sensibilisation d’Amnesty International, 8/12/2015 
Ionisbrandculture.com, Étude de cas Amnesty International 
Crédits photos: 
Puretrend.com
itele.Fr
PMDstatic.com
Vimeo

Publicité et marketing

Publicité et marketing : la parole aux enfants

De la figure attendrissante du petit garçon et de Maurice son poisson rouge dans la publicité de Nestlé, à celle où le fiston vente la simplicité de la nouvelle voiture électrique de Renault, on ne compte plus les publicités dans lesquelles l’enfant joue un rôle central. Cependant, le statut d’enfant-acteur dans la publicité évolue avec son époque. Ces derniers temps, il semble qu’une légère tendance se dessine : les « publicités expérimentales ». En mettant en scène des témoignages d’enfants, elles soulèvent en creux des questions de société. Des questions sur lesquelles les enfants sembleraient avoir leur mot à vendre… euh, à dire.
Une expérience sociale à caractère scientifique
Interroger les enfants sur l’expérience qu’ils ont d’un produit, l’idée n’est pas révolutionnaire. Il suffit pour le constater d’aller voir du côté de la célèbre marque de petites briques de construction Lego, qui se définit comme un « prestataire d’expériences de jeu » (« provider of play experiences »). Mais en 2014, Lego bouleverse le statut de l’enfant dans la publicité en lançant une campagne d’un nouveau genre : « l’expérience créative ». Cette expérimentation joue sur la mystique de l’épanouissement par le jeu, en nous dévoilant l’envers du décor : par-delà la brique, l’expérience du jeu.

Le principe est simple : plusieurs enfants, entre 6 et 11 ans, sont interviewés chacun leur tour sur leur expérience des Lego. L’expérience consiste alors à démontrer aux mamans que le rapport des enfants aux Lego dépasse toute la profondeur de l’imaginaire créé par l’enfant autour de la brique.
Le cadre de l’expérience et la manière dont elle est filmée révèlent la volonté de dépeindre le caractère sérieux, expérimental et presque scientifique de l’expérience : fond neutre, atmosphère lumineuse, peu de mouvement, plans caméras alternés entre le visage et le corps … Par ces procédés, la marque cherche à prendre le spectateur à témoin et à le persuader de l’authenticité et de la conformité de l’expérience, comme le faisaient les scientifiques au XVIIème siècle. Le spectateur est incité à dépasser la matérialité du jeu pour le voir comme une expérience personnelle constructive, en combattant les a priori des mères – et seulement des mères – jusqu’alors « prisonnières de la brique ».
Quand la publicité fait de la télé-réalité
Plus récemment, le concept d’expérience dans la publicité a franchi une nouvelle étape. Alors que dans le cas de Lego, l’enfant révélait au spectateur les dessous de son expérience de jeu dans une démarche plutôt scientifique, on voit désormais défiler sur nos écrans des publicités dans lesquelles ce ne sont plus des pratiques qui sont en jeu, mais une certaine conception de la société, un point de vue sur des problématiques actuelles. C’est le choix de la publicité aux 10 millions de vues sur YouTube de la marque d’hygiène féminine Always. Dans une interview, Laureen Greenfield, réalisatrice du spot publicitaire « Like a girl », récompensé aux 67ème Emmy Award dans la catégorie « Oustanding Commercial », définit clairement son projet comme une « expérience sociale », une appellation qui fait écho au principe originel de la télé-réalité.

A la volonté de donner une dimension scientifique à l’expérience s’ajoute la prétention de la publicité à devenir un vecteur de prise de conscience et d’évolution sociétale. En dénonçant les représentations de la femme comme une figure de faiblesse et de fragilité, la marque fait le pari de mettre encore plus à distance le produit matériel afin de souligner davantage les valeurs véhiculées par la marque et son engagement social. Dans la continuité de cette publicité, la période de Noël a notamment vu les Magasins U s’emparer à leur tour de la délicate question du genre en utilisant le même principe d’expérience sociale qui met à bas les stéréotypes sociétaux.

L’imaginaire de l’enfant dans les « publicités expérimentales »
Les propos de Monique Dagnaud, ex-directrice du CSA et actuelle directrice de recherche émérite au CNRS, apparaissent de nos jours difficilement contestables : « la publicité s’adresse directement à l’enfant, en fait un héros avec un comportement d’adulte, souvent plus impertinent et astucieux que ses parents ». Les spots publicitaires mettant en place de telles « expériences sociales » redéfinissent le statut de l’enfant dans la publicité. L’enfant est « surprenant de créativité » et de transcendance avec Lego, il prend conscience des stéréotypes sociétaux et en révèle les enjeux à ses parents avec Always, il éveille les mentalités et est vecteur d’évolution sociale avec les Magasins U.
Dans ces « publicités expérimentales », l’enfant ne joue plus seulement à l’adulte : il affirme son individualité et affiche des positions claires. De telles stratégies publicitaires font ressurgir l’imaginaire quelque peu oublié de l’enfant comme figure d’une innocence ponctuée de vérité.
Ces publicités ont majoritairement fait parler d’elles sur le contenu. Et c’est aussi cela leur force : pour atteindre leurs objectifs d’audience, elles réussissent à faire oublier leur nature commerciale en s’immisçant dans les conversations quotidiennes de fond.
A l’image de la publicité d’Always qui matérialise par des cubes les « cadres instituants » (Emmanüel Souchier) de la société pour mieux les détruire, il convient de mettre au jour les « cadres instituants » de ces publicités, qui, sous couvert d’une cause sociale de leur temps, utilisent la fibre émotionnelle et réveillent l’imaginaire de l’enfant comme figure de vérité, au service d’un objectif purement marketing.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
⁃ Lego – http://www.lego.com/fr-fr/aboutus/responsibility
⁃ Emmanuël Souchier (2012). La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation Pour une poétique de « l’infra-ordinaire ». Communication & langages, 2012, pp 3-19 doi:10.4074/S0336150012002013
⁃ Emmy Awards – http://www.emmys.com/awards/nominees-winners/2015/outstanding-commercial
⁃ Interview Laureen Greenfield (« Like a girl ») – https://www.youtube.com/watch?v=u2wqxiq1nD8
⁃ CNRS – http://cems.ehess.fr/index.php?2639
Crédits images : 
– Capture d’écran de la vidéo LEGO – https://www.youtube.com/watch?v=pA_CZ7baFLw 

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Vous avez dit cliché ?
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Magazines de jouets : quand consumérisme rime avec sexisme

Début novembre, nous apprenions que l’enseigne espagnole Toy Planet décidait cette année de passer outre les stéréotypes de genres dans ses catalogues de jouets. Initiative progressiste ou simple « coup de com’ » à l’approche des fêtes de fin d’année ? Dans tous les cas, cette décision nous interpelle et nous amène à réfléchir sur la place du marketing genré dans les catalogues de jouets.
Une représentation en décalage avec la réalité
 
 
Ce n’est une surprise pour personne, mais Noël est la période la plus démonstrative du monde binaire et stéréotypé dans lequel baignent les magasins de jouets. Il n’y a qu’à tourner les pages de n’importe quel catalogue, c’est chaque année la même rengaine : une rubrique rose avec des jouets « pour filles », une autre bleue pour ceux des garçons. Outre les objets proposés – maquillage, dinettes, poupées pour les filles, jeux d’aventures, de logique ou super-héros pour les garçons – la différence se remarque aussi par les mises en scènes, les postures, et les symboles évoqués. Dans la partie masculine, les petits garçons auront plus tendance à être représentés en action, alors que les petites filles seront, en toute logique, passives. Mona Zegaï, sociologue ayant travaillé sur cette question, explique lors d’une interview au site Womenology un exemple de différenciation symbolique : « Le mot ‘eau’ par exemple renvoie au combat chez les garçons (pistolets à eau) ou à des milieux à maîtriser (aller sur l’eau, sous l’eau…) alors qu’elle renvoie surtout au travail domestique chez les filles (lave-linge…) ».
Cette segmentation marketing paraît bien loin des pratiques professionnelles observées dans la société selon la sociologue : « la population active comprend aujourd’hui à peu près autant d’hommes que de femmes, et pourtant dans les jouets, les femmes sont presque toujours représentées au foyer, elles n’ont pas souvent une activité professionnelle. » Les mises en scènes et les rôles sociaux montrés aux enfants dans ces magazines n’évolueraient donc pas du tout, contrairement à la réalité observée. Selon une étude de l’Insee, en France, le taux d’activité des femmes âgées de 25 à 49 ans était de 60% en 1975 contre 85% en 2012. Même si les inégalités, ces progrès méritent d’être soulignés.
Les représentations du genre en question
Si le phénomène est dénoncé depuis les années 1970, c’est en 1990 qu’il s’amplifie vraiment. Dans son étude pour le programme « Enfance & Cultures », Mona Zegaï cite les propos d’un cadre du groupe Ludendo (La Grande Récré) : « La petite fille elle voit sa maman en train de faire à manger, ça lui plaît, et donc il y a des jeux qui lui permettent de faire la cuisine, donc elle va vouloir une cuisine, elle va vouloir faire comme maman ! Les activités ménagères c’est pareil. » Les magazines de jouets contribuent donc, au même titre que les autres médias, à inculquer des repères binaires aux enfants et à leurs parents. Pourquoi continuer à poser ce regard biaisé d’adulte sur des produits destinés aux enfants ? Cela contribue-t-il à pérenniser les stéréotypes?

Quelles conséquences sur la construction chez l’enfant de son identité de genre? Dès sa naissance, l’enfant est influencé par son environnement social. Pour la chercheuse en psychologie Isabelle D. Chernay, qui a publié dans la revue Enfance un article sur la sexualisation du jouet par l’enfant, « les jeunes enfants décident si un jouet est destiné aux garçons ou aux filles en fonction de leurs convictions préexistantes sur les jouets qui sont aimés par les garçons et les filles. » Elle nuance cependant son propos par cette remarque : « En ce qui concerne leurs propres choix de jouets, les enfants ont tendance à raisonner en se basant sur la fonction du jouet et leurs propres aversions. » L’enfant en bas âge intègre donc les stéréotypes de genres des jouets qu’on lui propose, mais ne tiendra pas compte de cette binarité si le jouet lui plaît. Qu’en est-il de l’influence des stéréotypes véhiculée par les jouets sur les parents ? Un rapport du Sénat sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre filles et garçons datant de 2014 cite les propos de Michel Moggio, directeur général de la Fédération française des industries du Jouet et de la Puériculture (FJP) : « le premier critère d’achat reste toutefois pour les parents de ‘faire plaisir à l’enfant’ ». On peut également lire plus loin que l’importance accordée à des jouets non-sexistes serait relative au capital culturel des foyers : « Faire plaisir à l’enfant semble plus important dans les familles à ‘capital culturel’ modeste ».
La riposte : quand les marques de jouets pour enfants s’affranchissent des stéréotypes
Les anti-marketing genré existent bel et bien ! Leur volonté : limiter voire annuler les injonctions normatives dans leurs catalogues de jouets. En 2012, Toys’R’Us lance un magazine qui délaisse les codes de genres. L’exemple a été suivi la même année en France par les magasins U, suivi par d’autres enseignes comme Toy Planet. Ce sont ces initiatives qui inspireront le rapport du Sénat en 2014, qui se saisira de la question. Nous sommes certes loin d’une révolution, mais il s’agit d’un premier pas pour renverser la tendance. Comme l’on pouvait s’en douter, de nombreuses associations anti-gender et autres groupuscules réactionnaires ont fustigé ces évolutions, accusant les chaînes de magasins de bafouer les valeurs traditionnelles et appelant même au boycott.

Les quelques initiatives progressistes des dernières années montrent bien que les marques de jouets, conscientes de leur poids idéologique sur les enfants et les parents, peuvent communiquer des valeurs plus égalitaires et ne pas céder à la catégorisation primaire et stéréotypée de la société. Néanmoins, selon Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales qui intervient dans le rapport du Sénat, ces évolutions n’ont pas donné de suites significatrices sur la durée et leur influence sur l’industrie du jouet a été quasi-nulle. A quand des jouets pour faire des petits garçons de bons futurs papas ?
Mathilde Duperyon
Linkedin
Sources :
Mona Zegaï. « Les catalogues de jouets proposent un monde bien plus inégalitaire que la réalité » in Womenology, mis en ligne le 27/01/14 – Disponible sur : http://www.womenology.fr/reflexions/les-catalogues-de-jouets-proposent-un-monde-bien-plus-inegalitaire-que-la-realite/
Trezego. « Stéréotypes et jouets pour enfants : la situation dans les catalogues de Noël » – Disponible sur : http://api.rue89.nouvelobs.com/sites/news/files/assets/document/2013/12/trezego_etudecataloguesnoel2013.pdf
Yvelines Nicolas. « Jouets pour filles, jouets pour garçons, pourquoi ? » in Adequations, mis en ligne le 06/12/15 – Disponible sur : http://www.adequations.org/spip.php?article1911
Rapport d’information du Sénat n°183 (11/12/14) – Disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r14-183/r14-1831.pdf
Pierres-Yves Cabannes. « Trois décennies d’évolution du marché » in INSEEC – Disponible sur : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/HISTO14_f_D5_travail.pdf
Claire Levenson. « La suppression des distinctions fille-garçon dans les magasins Target relance le débat sur le genre » in Slate, mis en ligne le 18/08/15 – Disponible sur : http://www.slate.fr/story/105639/jouets-genre-distinctions-fille-garcon-magasins-target
Cherney Isabelle D., Harper Hilary J., Winter Jordan A., « Nouveaux jouets : ce que les enfants identifient comme “ jouets de garçons ” et “ jouets de filles ”. », Enfance 3/2006 (Vol. 58) , p. 266-282 – URL : www.cairn.info/revue-enfance-2006-3-page-266.htm.
Crédits images : 
– http://www.twenga.fr/
– Wikipédia
– Toy Planet

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Du gratuit dans nos vies

La gratuité, à quel prix ? 
Gratuité, « qui est fait, donné ou dont on peut profiter sans contrepartie pécuniaire » (Trésor de la langue française)
La notion de gratuité est aujourd’hui complexe. Difficile d’imaginer quelque chose sans prix. Le donateur et le bénéficiaire font toujours plus qu’il n’y paraît et le gratuit n’est en fait que le premier geste d’une chaîne d’opérations. Les promesses de gratuité sont nombreuses mais bien souvent fausses. Le web ne devait-il pas être un espace gratuit et ouvert à tous où la propriété n’aurait pas sa place et où l’information serait partagée sans contrepartie ? Si nous n’avons pas l’impression de donner quoi que ce soit lorsque nous accédons à un site, la contrepartie est ailleurs puisque les données que nous fournissons gratuitement sont revendues aux annonceurs. La nature est également un domaine où la notion de gratuité se heurte à des enjeux politiques et économiques qui transforment l’environnement en un bien profitable, l’air canadien se vend même à prix d’or … Il est donc difficile de légitimer la place de la gratuité dans un contexte où les mécanismes de la logique marchande sont appliqués à l’ensemble des sphères de la société. Le principe même de gratuité pose des problèmes éthiques. Le geste peut être associé à une forme de charité, le travail non rémunéré à de l’exploitation. L’argent est devenu, en plus d’un système d’échange, un moyen d’affranchissement et de lutte pour l’égalité. Alors même que la notion de marché fait partie de notre quotidien, l’idée d’un service gratuit nous semble étrange et soulève des débats virulents sur la nature humaine et le fonctionnement de nos sociétés.
Si la notion de gratuité est si complexe, c’est parce qu’elle porte en son sein la reconnaissance et la construction d’un lien entre les individus. L’échange non monétaire accorde une place centrale à l’autre. L’individu trouve dans le comportement de don une récompense, et sait que l’action est efficace seulement si les autres se comportent de la même façon. C’est ce sur quoi se fonde l’économie collaborative.
Boutique sans argent, magasin pour rien
On voit fleurir depuis quelque temps différentes pratiques d’économie collaborative à l’image des incroyables comestibles, potagers urbains où les récoltes sont mises à la disposition gratuite de tous, les repairs café où des réparateurs bénévoles aident à réparer certains objets, ou encore les donneries qui permettent aux individus de donner ou de prendre des objets gratuitement.
L’idée de monter une Boutique sans argent à Paris est née suite à la découverte du Magasin pour rien de Mulhouse, premier freeshop (officiel) de France. Tous les freeshop reposent sur un même principe : l’absence totale de transaction monétaire (même de monnaie alternative) ou de troc (on n’échange pas un objet contre un autre). La règle : on donne, on reçoit, rien n’est attendu de vous, vous n’attendez rien des autres. Théoriquement. Car si ce système fonctionne, c’est bel et bien parce que l’homme, consciemment ou inconsciemment, ne peut rester indifférent au don et ressent le besoin de donner en retour. La générosité est contagieuse. Alors oui, au Zigua-Zigua, on insiste sur le fait que ce n’est pas un échange, qu’aucune contrepartie n’est attendue, que c’est un don pur. Mais voilà, pouvoir prendre gratuitement, ça pousse à donner. Si dans un monde où l’argent est roi le manque génère une compétition dans laquelle « moins il y en a pour toi, plus il y en a pour moi », dans l’économie du don, la transmission est primordiale : « tu es gagnant, je suis gagnant, plus pour toi, c’est plus pour moi ». Les gens savent donc que leur don reviendra à eux un jour, sous une autre forme.
« Ce n’est pas du troc, c’est du don. Si vous n’avez rien à donner, vous pouvez tout de même faire un petit tour et peut-être trouverez vous votre bonheur… Tous les objets sont les bienvenus (vête-ments, livres, petits appareils électriques, accessoires, etc.), vérifiez simplement qu’ils soient en bon état, propres et transportables à la main. » (La Boutique sans argent.)
Après avoir développé plusieurs « zones de gratuités » dans différents évènements comme Le Festival des Utopies Concrètes ou le Free Market de Paname, l’association la Boutique sans argent a posé ses bagages dans le 12e arrondissement de Paris, au Zigua-Zigua. Un lieu idéal pour mener à bien leur projet : sortir le quartier de ses logiques égocentriques et consuméristes, créer un lieu à part, rempli de générosité et de partage, lutter contre l’exclusion sociale et économique, et créer une réelle communauté. Ces projets à première vue utopiques ont fait leurs preuves puisque le plus vieux freeshop à été créé au Canada en 1978 et qu’ils n’ont cessé de se développer depuis.
La Boutique sans argent, le magasin pour rien, deux structures qui prônent la décroissance. Mais dans quel but ? Questionner les dérives du système capitaliste, s’émanciper d’un pouvoir capitalisé, récupérer une autonomie d’action, et peut-être, prouver que la place accordée à l’argent n’est que le résultat d’une vieille idéologie, que l’essence des être humains est ailleurs.

Petites boutiques, grandes ambitions
Le projet de la Boutique sans argent s’inscrit plus précisément dans l’économie du don, dont le principe est de nouer des liens sociaux d’autant plus forts qu’ils sont construits sur le don désintéressé. Faire naître une importante reconnaissance vis à vis du donneur, qui va conduire la personne qui a reçu quelque chose à faire un don à son tour.
Dans A circle of gifts, Charles Eisenstein montre que la communauté est impossible dans une société monétisée, parce que la communauté est tissée de dons. Aujourd’hui, plus besoin d’un voisin maçon à qui demander service, puisqu’on a de l’argent pour payer un maçon. Nous n’avons plus besoin des personnes qui nous entourent, mais du savoir faire d’un tiers. Nous devenons donc rem-plaçables. Le Zigua-Zigua, en prenant en compte cette réflexion, va structurer son approche selon le modèle du « cercle de dons ». La boutique sans argent va mettre en place un programme de partage des savoirs et savoirs faire de chacun, et va, dans le même temps, favoriser la création d’une communauté plus forte. Cette communauté serait donc une solution à la fragilisation des liens sociaux. Nous devenons interdépendants à une échelle locale, et non plus dépendants d’inconnus ou d’institutions.
La volonté de recréer du lien social n’est pas la seule préoccupation de ces structures qui sont également impliquées dans la protection de l’environnement. Elles voient dans l’économie du don un moyen de réduire la production de déchet et de ralentir la croissance économique. En réduisant la croissance économique, on réduit les dégradations environnementales, et on protège les biens qu’il reste.
Ces structures veulent montrer qu’il est possible de développer un nouveau type de civilisation, où l’humain serait au coeur. Ces économies alternatives améliorent pour le moment à l’échelle d’un quartier la vie des habitants, s’impliquent pour la défense de l’environnement et remettent en question nos modes de fonctionnement. Trois principes : gratuité, réemploi, solidarité.
Victoire Coquet
Sources: 
Charles Eisenstein, préface au Moneyless Manifesto
Charles Eisenstein, A Circle Of Gifts
http://laboutiquesansargent.org
http://www.mcm-web.org
Crédits images :
http://laboutiquesansargent.org

BRANDALISM COP21 TOTAL
Publicité et marketing

Brandalism : l'exposition événement !

 
Les jours précédant la COP 21, les rues de Paris ont été le théâtre d’un étrange phénomène. À la surprise générale des passants, des prints hors normes ont remplacé les affiches publicitaires dans les cadres symboliques et d’autorité que représentent les espaces publicitaires JCDecaux. Pour le groupe industriel JCDecaux et les sponsors de la COP 21, ça fait tâche.
« Artivistes »
Cette opération haute en couleur a été menée par le mouvement britannique Brandalism, contraction de « brand » (osons la traduction : « marque » en anglais) et « vandalisme ». Derrière ce nom percutant, un collectif constitué de 80 artistes engagés, tels que les français Alex One, Arnaud Liard, Millo and ZAD mais aussi Paul Insect (le collaborateur de Banksy), Neta Harari etc. Ensemble, ils avaient déjà mené des campagnes de « publicité subversive », notamment en Angleterre, et participé à des projets tels que Dismaland, l’exposition de Bansky qui donne à voir une version lugubre de Disneyland.
Le poids des mots, le choc des photos
Les « œuvres d’art » qui ont remplacé les publicités de Paris sont toutes pour le moins percutantes, ironiques, voire amères. En général, elles revisitent les codes de nos imaginaires collectifs, les déconstruisent pour nous jeter au visage une vérité qui n’est pas toujours bonne à entendre. L’innocente Alice, loin du pays des merveilles, est esseulée dans un fond blanc, reliée à une bouteille de gaz toxique. L’affiche factice de Total clame : « Notre philosophie, vous n’avez pas besoin de savoir ». Et la contrefaçon Volkswagen racole avec le slogan « Roulez plus propre. Du moins en apparence ». Brandalism se joue des publicités et souligne avec finesse le scandale du concessionnaire, comme l’argument marquant l’impossibilité de confiance que nous pouvons placer dans ces multinationales, pourtant partenaires de la COP 21. Ce genre de slogans inhabituels provoque l’incompréhension, donc l’intérêt. Il s’agissait pour Brandalism de donner des noms, de dénoncer en parodiant, pour avoir l’attention du public. Pari gagné ?

Des multinationales aux chefs d’états : les coupables pointés du doigt
Dans leur communiqué de presse, Brandalism dénonce « la mainmise des négociations sur le climat par les multinationales » durant la COP 21. Ainsi, cette campagne incarne leur indignation contre le positionnement contradictoire d’entreprises, à la fois grands pollueurs et sponsors de la COP. En pointant du doigt le « greenwashing » des multinationales qui continuent à exercer leur modèle économique destructeur, c’est à tout un système qu’ils s’attaquent.
 

Un refus de la pub et du consumérisme « insoutenable »
La publicité, note dissonante d’optimisme et d’hypocrisie sur une partition médiatique alarmiste, a de quoi irriter nos oreilles. En effet, même quand les médias annoncent des mauvaises nouvelles, la publicité est toujours là, positive, poussant à la consommation malgré la réalité … Comme le collectif l’évoque sur son site, les retombées des attentats de novembre ont conduit à l’interdiction pour le peuple de manifester, de s’unir physiquement pour réfléchir ensemble. Mais rien n’a stoppé l’encouragement à la consommation de masse, et ce sans se poser de questions. De ce fait, cette « campagne massive de détournement publicitaire », vise à recréer de l’union dans l’action, et à bousculer notre inertie face aux publicités consuméristes. Cette campagne artistique pose la question de « l’infra-ordinarité » de l’omniprésence visuelle des messages commerciaux, qui ont la presque exclusivité sur le paysage urbain.
Ce pastiche potache qui révèle au grand jour l’ironie de la communication dit aussi la difficulté pour le consommateur de ne pas se laisser berner. En adoptant le même type de discours affirmatif sans nuance, c’est à nous plus qu’aux grands pollueurs, que Brandalism s’adresse, en nous priant habilement de ne pas tout avaler. Et c’est l’autre tension que cristallise cette campagne artistique : la différence fondamentale entre l’art et la publicité. Ce week-end, ils étaient dans les mêmes cadres …
Un message clair
Dans cette campagne de « piratage créatif », seuls les activistes restent mystérieux. Dans une vidéo publiée sur leur site, ils dévoilent leur stratégie d’action, montrant les affiches roulées et se donnant à voir déguisés en agents d’affichage de la compagnie JCDecaux. Autant de transparence sur leur façon de procéder qu’ils en attendent de la part des chefs d’états et des multinationales. Cette campagne hautement maitrisée est révélatrice de la volonté de transparence vers laquelle tend le groupe. Dans le communiqué, nous pouvons lire au sujet des multinationales : « elles font comme si elles faisaient partie de la solution alors qu’elles font partie du problème ». Cette tournure de phrase illustre la posture de Brandalism qui se veut rectificateur de la vérité. Ils s’imposent comme des lanceurs d’alerte, voire des adjuvants : « Il est plus important que jamais de dénoncer leurs mensonges et de mettre en lumière les enjeux de pouvoir derrière les négociations [NDLR de la conférence de Paris] ». Leur utilisation de la modalité épistémique (le discours qui pose le vrai et le faux) ne fait qu’attiser la paranoïa actuellement présente dans notre société. En effet, les « on ne nous dit pas tout », ou « on nous ment » sont des remarques plus que récurrentes de nos jours. En adoptant cette posture sans nuance qui flatte les sceptiques, nous resterons sur notre faim en termes de propositions sociétales, et de pistes de réflexions. Mais est-ce vraiment le rôle de l’art que de donner des réponses ?
Le mouvement Brandalism soulève violemment mais pacifiquement des questions épineuses, loin de la communication édulcorée de la COP 21. Autant d’affiches et d’acteurs que de questions qui méritent une réflexion poussée sur des problématiques de fond. Mais cette bataille des images et des messages n’aura eu qu’un temps, la « JCdéco » a regagné la ville.
Julia Lasry
Sources :
Brandalism.org.uk
La revue des images d’Helene Delye, sur France Culture
Next Libération
Big Brother, blog du Monde

Des fausses publicités pour dénoncer les « mensonges » des sponsors de la #COP21

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Publicité et marketing

Le marketing immersif: plongez dans vos séries préférées !

La série TV est un phénomène qui a explosé au XXIème siècle, le support ne cesse d’évoluer et chaque année plusieurs centaines de nouvelles séries font leur apparition dans le champ médiatique. Pour le lancement de séries TV inédites ou de nouvelles saisons, les sociétés de production (HBO, Netflix, AMC, Showtime,… pour ne citer qu’elles rivalisent d’ingéniosité en offrant des campagnes de communication toujours plus insolites. L’engouement sans cesse démultiplié et renouvelé pour les séries TV, leurs succès – le cosplay, les COMI-CON (conventions de pop culture) et autres festivals en témoignent — suscitent d’intenses attentes au sein du public. Et les campagnes de communication jouent fortement sur les attentes des fans en proposant de rendre réel l’univers fictif de leur série préférée, ceci grâce à la publicité. Chaque série à succès a un univers très marqué, les équipes de production travaillent à ce que tous les détails fassent sens et renvoient à une entité fictive, un univers créé de toutes pièces, que les spectateurs peuvent s’approprier. La série ne se limite donc pas seulement à son contenu scénarisé, elle renvoie également à un ensemble de signes distinctifs qui l’identifient clairement. Grâce à son univers, elle devient une marque. La figure de Walter White (bouc, chapeau, lunettes), érigée en égérie de la très appréciée Breaking Bad, est révélatrice d’une sémiotique nouvelle de la série, où la construction des personnages et de l’espace fictif conduit à produire une identité forte. Les vêtements colorés, décalés et dépareillés des nerds de The Big Bang Theory  (notamment les boucles de ceinture d’Howard Wolowitz !) créent un visuel caractéristique de la série et facilement identifiable.

Street et Beach marketing: le marketing immersif sort la tête de l’eau
Cette logique de marque a poussé les productions à mystifier l’identité de leurs séries en lançant de grandes opérations de street marketing, où la fiction devient réelle le temps d’un happening ou d’une campagne de pub. L’univers de la série est parachuté dans l’espace public, impliquant une immersion jouissive et inattendue du fan.
Ainsi, en se baladant sur les plages anglaises du Dorset, les promeneurs pouvaient, à l’occasion de la sortie de la troisième saison de Game of Thrones, se retrouver nez à nez avec un crâne de dragon de trois mètres de haut.  

D’autres campagnes sont d’autant plus surprenantes qu’elles intègrent le spectateur à leur mise en scène, elles exposent un contenu, mais font aussi participer l’audience. Netflix, pour le lancement de la série Sense8 où tous les personnages sont psychiquement connectés, a par exemple collecté les données cérébrales de huit volontaires et les a converties en ondes musicales, créant une toute nouvelle symphonie.
Ces multiples campagnes reproduisent en temps réel les attentes qu’un fan peut avoir derrière son écran, deux exemples sont ici significatifs :
– Envie d’une frayeur sans danger ? En partenariat avec l’agence Relevent, AMC avait, pour le retour de la saison 4 de The Walking Dead, imaginé un stunt (un outil publicitaire créatif qui interpelle le consommateur quand il ne s’y attend pas) horrifique où les New Yorkais se faisaient surprendre de bon matin par des bras de zombies jaillissant d’une bouche de métro. Cette campagne accompagne l’effervescence autour de la Zombie Mania, sur laquelle surfe  The Walking Dead. Le phénomène urbain, véritable happening artistique, des Zombie Walks où des individus se retrouvent, maquillés et déguisés en zombies, pour marcher dans la rue, illustre le déplacement fantasmé de la fiction jusqu’à l’espace public et réel, et il est ici utilisé de façon inattendue par des annonceurs.

– Qui n’a jamais rêvé de se retrouver dans le passé ? Véritable machine à remonter le temps, HBO avait imaginé en 2010 pour la promotion de la saison 1 de Boardwalk Empire  (produite par Mark Wahlberg et dirigée par Martin Scorcese) une campagne aux allures rétro, en s’associant à une marque de whisky, et un hôtel-casino décoré pour l’occasion. La série se déroule pendant la Prohibition, à Atlantic City aux Etats-Unis : gangsters, dollars, et alcool sont donc au rendez-vous. Pour la saison 2, c’est avec la ville de New York qu’HBO s’était associée en remplaçant les actuels wagons de métro par des vieux modèles tout droit sortis des années 1920, à l’intérieur confortable et désuet.

Ces campagnes imaginatives invitent à plonger dans l’atmosphère d’une série. Loin de votre lit ou de votre canapé, l’univers de la série envahit votre rue et se confond avec la réalité. Déplacé du point de vente, le marketing immersif propose une expérience de vie qui mêle la fiction au quotidien du spectateur. L’espace public est alors gagné par la fiction, et renouvelle l’intérêt des fans. Le désir romantique de se voir totalement absorbé dans une fiction, voire confondu avec, est ici pleinement réalisé, jouant avec le plaisir de l’immersion.
Les limites du marketing immersif: la noyade d’Amazon
Cependant, cette immersion fantasmée semble avoir des limites éthiques. L’échec de la récente campagne de communication menée par Amazon pour sa série The Man in the High Castle, révèle que le désir d’immersion n’est pas toujours approprié…

Cette nouvelle série, adaptation du roman choral de Philip K. Dick Le Maître du haut château, est une Uchronie où les forces de l’Axe (Allemagne nazie, Japon) ont gagné la deuxième guerre mondiale et se sont partagés les Etats-Unis. Elle malmène l’Histoire en mettant en scène le quotidien de cette autre Amérique, totalitaire, où les systèmes de pensée et de valeurs occidentaux ont été totalement renversés.
La série invite à questionner, à travers la logique du “et si…?”, les définitions de liberté, d’Etat et d’obéissance dans un monde de terreur où tout est à repenser. Pour le scénariste Frank Spotnitz, l’enjeu de la série se résume à « Comment rester humain face à l’inhumain ? ».
Dans une démarche promotionnelle, et avec l’accord de la Metropolitan Transportation Authority (responsable du réseau new yorkais), Amazon a donc recouvert du drapeau impérial japonais et d’un drapeau américain fictif, où figurent l’aigle nazi et la croix de fer, les sièges d’une ligne de métro. Cette campagne s’inscrit dans la continuité de la publicité immersive en invitant les usagers à se projeter dans cet univers parallèle. Seulement, en essayant de maximiser l’effet de surprise, et en décontextualisant cette mise en scène, cette campagne s’est retournée contre son créateur. Amazon s’est vu interpellé à de nombreuses reprises sur les réseaux sociaux. Les usagers se sont indignés face à cette esthétique nazie qui leur était imposée, sans qu’il leur soit demandé leur avis. Certaines associations juives ont également appelé au boycott de la campagne, notamment la célèbre « Anti-Defamation League », association juive luttant contre l’antisémitisme mais contestée pour son lobbying pro-sioniste (elle a, par exemple, été condamnée dans les années 1990 pour espionnage, et a été reconnue coupable d’avoir collecté des informations sur les opposants au mouvement sioniste ?). Amazon a finalement demandé à la MTA de retirer sa campagne seulement quelques jours après l’avoir lancée. Pourtant, si le lynchage médiatique et effectif de cette campagne de communication paraît unanime et évident (le maire de New York Bill de Blasio lui-même a accordé son soutien aux opposants de la campagne), il révèle aussi l’ambiguïté du marketing immersif, qui peut faire du tort à l’image de marque. Certains brandissent l’argument selon lequel Amazon a, grâce au scandale, fait parler de sa série, à juste titre. Cependant, plusieurs internautes ont également exprimé leur dégoût à l’égard de la production, la considérant comme immorale, déplorant une utilisation commerciale du célèbre roman de Philip K. Dick et appelant au boycott de la série.  

 

La série, qui a par ailleurs reçue de bonnes critiques, se voit donc prise à son propre piège, celui d’une fiction dans laquelle l’immersion ne saurait se faire qu’à travers un écran. La population refuse de revivre une sombre période de l’Histoire du XXème siècle, qui, bien que savamment détournée, ne paraît pas  encore assez lointaine. On sait, par exemple, que New York, même si elle n’a jamais vécu d’occupation nazie, accueille une forte diaspora juive (Israël y recense deux millions de juifs). Elle questionne, au fond, le désir d’oubli des traumatismes de l’Histoire ; celui là en particulier. La série, et surtout sa campagne de communication, se retrouve prise dans une logique entre nécessité de mémoire et désir d’oubli. Ainsi la fiction doit rester fiction, et elle ne saurait pénétrer l’espace réel : devenir trop réelle. L’immersion marketing obéit donc aux lois, parfois sévères, du politiquement correct, et bien que voulant éthiquement questionner la place que nous aurions pu occuper dans cette alternative historique (qui ne s’est jamais demandé s’il aurait été résistant ?), cette campagne produit des effets trop forts.
L’immersion interroge également le pouvoir du symbole, car si la campagne est dérangeante, c’est bien plus en raison de l’aigle impérial et de la croix de fer, icônes nazies, que du drapeau japonais. Un pouvoir du symbole qui suppose une responsabilité éthique dans l’espace public. L’immersion est mise en échec par une réalité qui, même absolument détournée par la fiction, doit rester le choix de chacun de voir ou de ne pas voir.
Dans une Amérique qui imagine des campagnes de plus en plus insolites, poussant à une immersion absolue de l’audience, et où le premier amendement de la constitution autorise quiconque à porter la croix gammée, il est tout de même des sujets avec lequel on ne peut pas jouer. Si la campagne se voulait dérangeante et décalée, elle n’en échappe pas moins à ses créateurs en étant donnée à un public qui veut choisir d’y être ou de ne pas y être, de l’investir ou non. Le marketing immersif révèle ainsi, par ses audaces et ses limites, que la publicité est de plus en plus faite par et pour le consommateur, dont on ne saurait négliger le pouvoir de décision.
Emma Brierre
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Sources:
Deadline, Amazon has no regrets as « the Man on the High Castle » Ad campaign pulled from NYC subway, 24 novembre 2015
Ina global, l’expérience immersive du deep media, 12 août 2015
Télérama, La série « The Man in the High Castle » sonde les valeurs occidentales, 1 décembre 2015
Journal du geek, Amazon retire les pubs de « The Man in the High Castle » du métro de New York, 26 novembre 2015
Gothamist, Should the MTA allow these Nazi insignias on subway cars ?, 23 novembre 2015
Crédits photos: 
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Blindbox via AP Images 
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