Société

« 1jour1actu » ou l’art d’expliquer l’actualité aux enfants : une étape dans la formation de leur esprit critique

Leur dire ou les protéger… c’est le dilemme auquel sont confrontés tout parent à qui l’enfant pose une question d’actualité délicate. En effet, il est parfois difficile de trouver les mots pour expliquer la réalité du monde aux enfants ; on ne veut pas se tromper, ou parfois, on ne sait pas forcément répondre. 1Jour1actu est un site de presse quotidienne, mis en place à la fin des années 1990 par des journalistes spécialisés dans la presse jeunesse, qui se charge d’une double mission : répondre aux interrogations des enfants et les initier à de nouveaux savoirs. Le principe est simple : un thème, une image, une explication.

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Nike, la marque à plusieurs casquettes, à l’aise dans ses baskets.

Quel est le point commun entre Lewis Hamilton, Dassault, la reine d’Angleterre, Nike et Shakira ? Tous ont fait preuve d’une inventivité spectaculaire (ou ont payé quelqu’un pour le faire) dans un même but : payer moins de taxes.
C’est ce scandale que vous entendez depuis des semaines à la radio, à la télévision, que vous lisez dans le journal, qui fait inlassablement écrire les journalistes, et qui pourtant ne change absolument pas les mentalités de la population. Ces sociétés, qui extirpent des millions, voir des milliards d’euros grâce à un système appelé prudemment « évasion fiscale » par les autorités, n’ont en effet absolument rien à craindre pour leur image.
 
Drible, feinte et contrôle du ballon
Il y a quelques semaines, vous ne saviez pas que Nike n’était pas seulement doué pour fabriquer des baskets. En effet, la marque à plusieurs casquettes excelle aussi dans l’art de la tromperie légale. Pour faire simple, les fonds récoltés par la vente des produits Nike n’arrivent pas directement à Nike S.A.S, mais à deux sociétés. Pour les ventes qui passent par des revendeurs, la transaction se fait à la Nike European Operation Netherlands BV (NEON), et pour les ventes faites directement par la société à Nike Retail BV qui est une filiale. Puisque tous les revenus des ventes européennes arrivent aux Pays-Bas, la marque ne paye pas de taxes. De plus, dans le but de diminuer les profits faits par la société NEON, Nike se fait payer des royalties pour l’utilisation du logo, du nom, etc. Moins de profit = moins de taxes. Et en plus, ces royalties arrivent tout de même dans les caisses de Nike.
Et cela fait 10 ans que cela dure.
 

 
Tour de passe-passe en demi volée
Pourquoi un tel scandale ne rebute pas les gens ? Pourquoi acceptent-ils toujours de payer 100€ une paire de chaussures qui a couté tout au plus 25€ de fabrication ? Ok, il y a le prix psychologique, qui est le coût qu’un client est prêt à débourser pour un produit, ok, un prix élevé permet de donner de la valeur au produit, mais là, Nike va encore plus loin.
Dans les années 2000 la marque a réussi à relever la tête après les nombreux scandales l’accusant d’employer des enfants dans des conditions déplorables pour la fabrication de leurs produits. Même s’ils ont géré leur communication de crise, Nike y a laissé des plumes quant à leur image de marque. Sauf qu’aujourd’hui, on apprend qu’elle a carrément réussi à ne pas payer de taxes en Europe par des mécanismes aussi subtiles que perfides. Apparemment cela ne gêne personne. Les parents offriront quand même une paire de Jordan à leurs enfants à Noël. « C’est tout le paradoxe de cette affaire : le nom de la marque revient en boucle mais son image, elle, va rester intacte », nous dit Jean Michel Boissière à la tête de l’agence MC2 (Médias Coaching Communication) dans son du blog L’Entreprise et les médias de l’Express.
 
Quand la virgule marque des points
Alors forcément, Nike n’engage même pas de communication de crise. Il faut dire que sa marque a une telle image ancrée dans l’imaginaire des consommateurs qu’il en faudrait plus pour l’ébranler. Nike, c’est bien plus qu’une marque, c’est un état d’esprit, un manifeste à la vie, au dépassement de soi et à l’audace. Pas étonnant qu’avec des mots d’une telle portée les consommateurs achètent ses produits les yeux fermés. La marque ne se montre plus comme un simple modèle économique dans le seul but de faire du profit, mais comme un repère de valeurs et d’humanisme. Elle touche la population qui porte ce qui lui ressemble. Paradoxe, car on assiste de ce fait à un modèle complètement tourné vers l’individualisme, vers l’égoïsme d’un consommateur rationnel ne cherchant qu’à satisfaire ses propres besoins et intérêts. Qu’importe alors ce qui ne les regarde que de loin. Qu’importe si l’Etat ne touche pas les taxes qui lui sont dues, si une société qui fait déjà des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaire cherche toujours à gagner plus. Qu’importe si la société triche, du moment que l’égaux si précieux du consommateur est satisfait, si la marque lui donne ce dont il a besoin : de la reconnaissance par l’acte de consommation.
C’est radical, il faut faire face au mécanisme de désintéressement de la population pour des affaires qui ne les touchent pas directement et pour une problématique qui semble au premier abord complexe et bourrée de subtilités. Cela semble rebuter un public qui ne sait même pas s’il doit vraiment s’indigner pour un tour de passe-passe qui n’a au final rien d’illégal. Pas de quoi s’émouvoir comme devant une photo d’enfant débraillé assis par terre et cousant un ballon au swot doré.
Pas de bad-buzz donc, pas de crise et de prise de conscience. D’ailleurs, la nouvelle Air Max 2017 vient de sortir, de quoi (se) faire un joli cadeau de Noël.
 
Elsa Soletchnik
LinkedIn : Elsa Soletchnik
 
Sources :

BARUCH Jérémie. « Paradise Papers » : les montages fiscaux agressifs de Nike pour éviter l’impôt en Europe. Le Monde. 06/11/17. Consulté le 22/11/17.
LUCET Elise. « Paradise Papers » : au cœur d’un scandale mondial, Cash Investigation. 07/11/17. Consulté le 22/11/17.
Annabelle. Etique. Comment Nike a été forcé de changer ses pratiques. Consoglobe.com. 11/01/2013. Consulté le 26/11/17.
THUILLIER Tiphaine. Paradise Papers : pourquoi Nike n’a rien à craindre pour son image. L’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.
Jean-Michel BOISSIERE. « Paradise Papers » : des entreprises à l’abri du fisc… et du bad buzz. L’Entreprise et les médias, l’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.

 
Crédits photos :

Image de couverture : itep.org
Magasin nike : www.nbcnews.com

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They tried to make me go to rehab but I said no, no, no¹

Pour promouvoir le lancement du service à table chez McDonalds, la chaîne de fast food nous propose ce spot publicitaire qui fera plaisir aux fans des 80s (cover de Bonnie Tyler à l’appui). Ce dernier met en scène des technologies qui se lamentent d’avoir été délaissées par leurs usagers, joyeusement rassemblés autour d’un big mac. Le brave hamburger semble leur faire oublier l’existence de Snapchat, et du wifi gratuit à McDo. Surfant sur la tendance de la digital detox, la marque présente maintenant ses restaurants comme des lieux déconnectés, où les portables restent sagement dans les poches et les conversations vont bon train. Ces dernières années, les appels à la purification digitale sont de plus en plus nombreux, mais ont un succès assez faible et marginal, fonctionnant comme une mode face à laquelle la majeure partie de la population reste réticente.

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Donne ton RIB pour le meilleur des mondes

Polémique autour du réseau sélectif «Tinder-select » en 2016, et pourtant d’autres se tapissent dans l’ombre ! Qu’ont donc à offrir ces applications à leur clientèle fortunée ? Maintenir son prestige ou bien trouver l’âme-sœur ? L’épisode à succès de Black Mirror « Nosedive » aurait vu juste…
Entre le visible et l’invisible
Les sites de rencontres actuels s’inscrivent maintenant au sein d’une nouvelle polémique depuis la découverte de la face cachée de Tinder : Secret-Tinder. Site révélé par le Huffington Post en mars 2017 dans son article Select, la nouvelle version de Tinder destinée uniquement aux gens beaux et riches. Basé sur un système d’invitation et de parrainage, ce réseau demeure secret pour les utilisateurs lambdas, et ne sélectionne que des profils de « qualité », évalués par des critères esthétiques et de popularité sur les réseaux sociaux. Il existerait même un algorithme secret mesurant notre taux de désirabilité nommé Elo-Score.
Le problème n’est pas l’existence de ce réseau sélectif, mais le fait qu’il soit invisible, secret, dissimulé. La société actuelle souffrant déjà d’une stratification sociale à de multiples échelles, qui se traduit spatialement (au niveau de l’urbanisme, de l’aménagement de la ville ou bien de l’appropriation de certains lieux selon les classes sociales), on peut craindre une dématérialisation de ces frontières sociales, exacerbée par le déploiement de ce type de site de rencontres. Ces derniers, en plus de refléter une ségrégation sociale préexistante, tendraient-ils donc à la renforcer ?
Le parallèle avec le célèbre épisode de la saison 3 de Black Mirror « Nosedive » (Chute-libre) est indéniable. On y découvre une société qui se divise selon un système de notation virtuel allant de 1 à 5 et qui place les individus en haut ou en bas de l’échelle sociale selon leur note de popularité. Le plus flagrant dans cet épisode est l’aspect « dissimulé » et secret de l’élite sociale, qui constitue une communauté imperméable pour et grâce au réseau social. Le système de notation crée et institue alors de façon permanente les écarts de richesse entre individus, puisqu’il détermine le niveau d’emploi, l’accès au logement et aux espaces de loisirs que seule une classe « healfy » et populaire peut se permettre de fréquenter.

Puisque cet épisode présente une sélection invisible et dissimulée, les réseaux sociaux participeraient-ils à maintenir une frontière invisible entre les individus ? On peut penser au cas du réseau social The League, accusé d’élitisme par des internautes d’après l’article du site CNN tech de février 2016.
Sur la page d’accueil, la première photo-témoin qui apparaît est celle d’un jeune homme…

…Voici Conor S, le gendre idéal. Conor est beau, Conor est à la direction de Google, Conor fait du Kayak. Mais Conor ne vous verra que si vous êtes dans la League. L’application se télécharge à partir de l’espace « LinkedIn » répertoriant des offres d’emploi, de fait la sélection se fait par rapport à votre niveau d’études et à votre profession, en un mot selon votre place dans la hiérarchie.
Cette mise en scène d’une classe élitiste via un réseau social est également présentée dans l’épisode de Black Mirror, à travers le personnage de Naomi, cliché du lifestyle d’une classe privilégiée d’influenceurs sur les réseaux sociaux comme Instagram par exemple. Dans cet épisode, l’aspect amical et naïf de la plateforme interactive dissimule en réalité des enjeux de pouvoir et de domination. Le réseau The League propose à l’internaute des rencontres et des échanges qui cacheraient en réalité une conscience de classe qui se veut exclusive. L’article publié dans Elle sur l’application secrète Raya dénonce le mirage d’une plateforme de rencontres entre stars et personnalités de l’industrie culturelle. La fréquentation de ce site cache une volonté pour les utilisateurs de se constituer un réseau de célébrités, d’élargir leurs contacts professionnels.
Exigent internaute :

« Are you told your standards are too high ? Keep them that way . We’re not saying Tinder doesn’t have its uses (..) but why not spend your time a little more…intelligently ? » cf theleague.com #AreYouIn
Néanmoins, la réponse de la fondatrice de l’application The League, Amanda Bradford, publiée en octobre 2015, revendique la nécessité pour les utilisatrices de sélectionner leur partenaire via un site de rencontre exclusivement réservé à l’élite sociale pour que les « alpha woman » ne perdent pas leur temps avec des rencontres décevantes. Les 5 commandements de l’application mettent en lumière la capacité du site à protéger leurs utilisateurs face aux mauvaises rencontres et à la frustration :

No voyeurs
No random
No games
No fakes
No noises
No shame

(et un payement mensuel pour s’assurer du « sérieux » de la clientèle)
L’intérêt pour les utilisateurs serait simplement narcissique : fréquenter des personnes d’un milieu social élevé qui leur renverraient une image positive.
Cette volonté de s’éloigner de la « masse » modeste et médiocre s’illustre parfaitement dans la scène de confrontation entre Lacie et son frère :

Le plan oppose la volonté d’ascension de l’héroïne et son renoncement aux valeurs familiales, et  l’incrédulité et le mépris de son frère qui trouve ridicule ce goût pour la distinction bourgeoise. Le personnage de Lacie peut s’apparenter à la femme moderne « alpha » telle que le revendique la fondatrice de l’application qui énonce « yes we are selective », assumant la nécessité pour les femmes de jouer le jeu afin de trouver un partenaire idéal. Celui qui acceptera le partage des taches et les ambitions professionnelles de sa femme. La recherche d’un idéal de vie serait donc au cœur de ces applications hybrides. Nous promettre un réseau de connaissances correspondant à la haute image que nous nous faisons de nous-même…

Le choix d’un réseau social sélectif révèle en réalité une volonté de se protéger face à la trivialité des rencontres sur des plateformes virtuelles. Les principes du site The League reflètent parfaitement les angoisses contemporaines des clients. La peur d’être démasqué, ou humilié sur les réseaux sociaux par exemple. « No shame », indique que la fréquentation du site reste secrète dans le cadre du « respect de la vie privée », la plateforme n’ayant pas accès à nos réseaux sociaux ou à nos photos personnelles.
Aussi, « No noise » ou « No fakes » permet à l’internaute moderne et actif de ne pas perdre son temps via des faux profils, ou une rencontre révélant un manque d’affinités… La peur de perdre son temps reflète une catégorie de population active et économe de son temps, recherchant l’efficacité dans le travail ainsi que dans les relations. Pas le droit à l’erreur !
« No games » enfin édicte un principe faisant qu’un match est supprimé ’il n’y a pas de réponse de la part du « match », pour protéger son égo (« you’re only hurting yourself » assure avec bienveillance The League).
 
Il s’agit donc d’un monde édulcoré et rassurant qui s’offre au client, en le conformant dans un narcissisme qu’il projette sur ses relations sociales, miroir de sa valeur et de sa notoriété. Les matchs n’ont pas d’importance dans leur dimension quantitative, mais qualitative, qui s’inscrit dans la perspective d’une réussite sociale tant dans son couple que dans sa carrière. C’est pourquoi les clients de ces sites cachés n’ont pas le même mode de consommation que ceux des autres sites. La plateforme devient une projection de soi-même dans une recherche de la perfection, et sur un ton très sérieux. Rien à voir avec le registre de Tinder, qui à travers son logo « flamme » invite à l’impulsivité au « coup d’un soir », à la surprise, sans laisser beaucoup de place à un rapport de séduction à long terme.
Le logo de « Tinder secret » par exemple, est bleu, non plus orange, donc plus calme, plus raffiné. L’essai De la séduction de jean Baudrillard publié en 1980 oppose à ce sujet la séduction à une culture pornographique de masse, qui tend à faire disparaître la séduction, le mystère, le secret au profit du dévoilement et de la consommation. Il peut s’agir dans ce cas d’une recherche pour les clients de se distinguer face au consommateur passif et obsédé, en sélectionnant et donc en devenant au contraire actif des relations. On se démarque face à la caricature du matcheur compulsif qui s’inscrit dans la norme, et surtout on évite de le rencontrer !
La ségrégation ici n’est pas que sociologique, elle est également psychologique car on ne recherche pas seulement du plaisir, mais un mode de vie à la hauteur de nos ambitions, nous maintenant sur un piédestal.
La tension insoutenable à la fin de l’épisode de Black Mirror durant la scène du mariage évoque une phobie de la contamination de son cercle et de son prestige par un individu vulgaire, raté, qui n’est pas à la hauteur. L’expression de haine de Naomi lorsqu’elle commande à son ancienne amie de ne plus venir à son mariage, car cette dernière est déchue de son rang, évoque l’angoisse d’être soi-même touché par l’autre. Une colère qui va aller au dégoût lorsque son amie parvient à s’infiltrer lors de la cérémonie. Nous prenons alors la place du témoin et nous nous sentons nous aussi mal à l’aise, car nous savons que l’héroïne n’est pas à sa place, qu’elle salit (au sens propre) la présentation immaculée de la réunion entre élite.

C’est une sécurité financière et sentimentale qui est offerte au client, grâce à un système de sélection HighTech. Mais dans le cas de ces applications ou la sélection se fait par l’argent, la valeur du capital financier devient condition et loi d’une relation satisfaisante et équilibrée. Le « bad buzz » qu’a connu The League révèle la ridiculité d’un mode de pensée suffisant, qui assume et revendique sa supériorité.
Les « alpha-woman » n’ont pas vraiment la cote…
Margaux Vinel
Sources :

Nathalie Doré « The league , un Tinder pour célibataires amitieux » les Echos , article du 20/02/2016
Amanda Bradford « I’m not an Elitist , I’m just an Alpha female » LikedIn , article du 20/10/2015
Michelle Toglia « Dating the League will now let you buy someone a drink or flowers » . bustle.com du 9/02/2016
Présentation du site « The league » sur linkedin.com #AreYouIn
Julien Neuville « On a infiltré Raya , l’appli de rencontre des stars » . Elle , article du 27/08/2017
Fitz Tepper « Bumble introduce VIBee , A verification feature independant of your social status » Article de Techcrunch.com du 10/08/2015
Jordan Crook « Tinder select is a secret member only version of the app » Article de Techcrunch.com du 7/05/2017
Visionnage de l’épisode 1 de la saison 3 de black Mirror « NoseDive »
Jean Baudrillard , De la séduction ed Folio Gallimard publié en 1980

 
Crédits photos :
 

Photo Netflix ep1 s3 de black Mirror
Captures d’écran de mon Iphone de l’ép1 s3 de Balck Mirror
Photographie de mon iphone de la page d’acceuil de TheLeague « meet Intelligently »
Capture d’écran de la page d’accueil TheLeague

 
 
 
 

Société

Kevin Spacey face au tribunal médiatique

Depuis le 30 octobre dernier, dans le cadre de « l’affaire Weinstein », l’acteur de House of Cards, Kevin Spacey, est accusé de harcèlement et de nombreuses agressions sexuelles. Aujourd’hui, une série d’articles bousculent toujours les rubriques de l’ensemble des médias internationaux afin de déchoir l’acteur oscarisé de Hollywood. Dès les premières semaines qui ont suivi le début du scandale, l’acteur a tenté de réagir à travers un semblant de mea culpa – dans lequel il expliquait ne pas se souvenir de son comportement inapproprié à cause de l’alcool. Aujourd’hui, Kevin Spacey tente de nouveau de rendre des comptes au peuple en assainissant son image, au travers d’un séjour en cure de désintoxication sexuelle aux côtés de Harvey Weinstein. Au même moment, Hollywood, en pleine tempête médiatique, se désolidarise in extenso de l’acteur en cherchant à le faire disparaître le plus rapidement possible de ses archives. Ainsi, alors que la réaction de la justice se fera sûrement attendre encore un moment, l’opinion publique se donne le rôle d’une cyberpolice dont les règles semblent être fixées selon le degré d’indignation morale que suscite chaque affaire.
Justice et médias : les « associés-rivaux »
Si on parle souvent du rôle joué par les médias pour rendre les procès médiatiques, on parle beaucoup moins des médias comme d’une véritable instance judiciaire. Professeur en sciences politiques, Yves Poirmeur dans son ouvrage Justice et Médias (2012), analyse les dynamiques et rapports d’interdépendances entre les deux principaux acteurs de la démocratie qu’il qualifie d’« associés-rivaux ». Il explique comment dans nos démocraties, chaque instance régule les excès de l’autre. Les tribunaux sont ainsi souvent convoqués afin de juger les excès médiatiques : diffamation, discrimination, atteinte à la vie privée, etc. A l’inverse, dans le cadre de l’affaire Spacey, la presse se donne pour mission de rétablir la justice. Il s’agit de dénoncer, à travers le cas de l’interprète de Frank Underwood, comment la justice n’est pas au service des victimes, mais au service de ceux qui ont les moyens de se défendre. En France, selon le Parisien, 93% des plaintes de harcèlement sexuel sont classées sans suite, soit par manque de « preuves concrètes », soit parce que la justice fait planer sur la victime le spectre du doute et de la remise en question, voire de la culpabilité. Les médias, représentants présumés du « vrai peuple », se sentent donc investis de cette mission sacrée : rétablir la justice, là où l’instance judiciaire n’est qu’injustice.
Le 4ème pouvoir : tribunal du XXIème siècle
Si les médias ont toujours été pionniers dans la révélation de scandales, ils tendent de plus en plus à jouer le rôle de juge dans les affaires médiatiques. Lorsque les révélations sur Kevin Spacey éclatent en octobre dernier, la presse ne s’est pas contentée d’adopter la traditionnelle posture du lanceur d’alerte ou du crieur public ; elle a aussi eu un rôle axiologique en condamnant le comportement du prédateur. On voit donc comment par son devoir d’information, la presse a aussi lancé une forme de procédure judiciaire dans laquelle l’opinion publique serait l’autorité suprême. Concrètement, c’est par tout l’emballement populaire autour des #MeToo aux USA et #BalanceTonPorc en France des réseaux sociaux, que les révélations ont directement eu des répercussions concrètes sur l’image de l’artiste et celle de Hollywood. Par effet boule de neige, Kevin Spacey s’est vu ‘cancelled’ par toute l’industrie du cinéma, jusqu’à être effacé du prochain film de Ridley Scott alors que le tournage était déjà achevé. Et ce, sans aucune intervention de la justice. Le cas Spacey nous permet donc de démontrer que le 4ème pouvoir n’est pas mort mais plus fort que jamais depuis l’avènement des réseaux sociaux.

Tribunal médiatique ou populisme médiatique ?
Le 3 juillet, lors de son discours au Congrès de Versailles, Emmanuel Macron glissait la recommandation suivante :
« J’appelle à la retenue, à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol permanent de la présomption d’innocence, avec cette chasse à l’homme où parfois les réputations sont détruites. »
Il introduit alors malgré lui deux éléments de réflexion intéressants au sujet du tribunal médiatique : d’abord, sur son accusation à l’égard des médias, à constamment chercher le scandale ; mais aussi dans son analyse purement judiciaire du viol de la présomption d’innocence.
Il semble avant tout pertinent de rappeler l’intérêt des médias de masse à créer le scandale et à susciter l’indignation morale de l’opinion : faire du profit. C’est justement ce que théorise le philosophe Eric Deschavanne dans un article pour le journal en ligne Atlantico. Pour lui, la logique est simple : plus l’indignation est grande, plus il y a de buzz et plus il y a de bénéfice. C’est le « populisme médiatique ». Ainsi, tous les médias dits moralisateurs ne sont en ce sens, guidés que par un impératif de rentabilité, dont le scandale people est le principal carburant. L’affaire Kevin Spacey est donc une aubaine pour la presse internationale, puisqu’elle est l’exemple-type de ce qui marche le mieux : la mort médiatique d’un privilégié vivant dans l’aisance.

Une libération de la parole au détriment de la présomption d’innocence
De plus, pour le Président de la République, le dévoilement de scandales s’apparente à une chasse à l’homme qui violerait la présomption d’innocence. Il est clair que le rôle de tribunal médiatique endossé par l’opinion publique pose avant tout un problème éthique sur la privation du droit à la présomption d’innocence. Si les médias disent prendre des pincettes dans la divulgation d’informations au travers d’Unes de journaux comme « Kevin Spacey : présumé-agresseur » ou « Kevin Spacey accusé d’agressions sexuelles sur mineurs », ces expressions journalistiques sont en réalité tout à fait oxymoriques. En effet, une fois cette formule de précaution mentionnée, le reste de l’article s’attache à démontrer la véracité des accusations et incarne le catalyseur de vagues de tweets dénonçant le comportement de l’acteur, jugé de fait comme coupable.
Pourtant, si ce problème éthique sur la présomption d’innocence peut effectivement faire débat, il ne s’agit pas de tomber dans une réflexion réac’. Que la démarche entreprise par le 4ème pouvoir soit populiste ou non, n’oublions pas qu’elle permet avant tout une libération de la parole et qu’elle incarne une arme de taille dans la lutte contre les injustices et les abus permis par le système. En somme, le phénomène du tribunal médiatique ne peut être caricaturé comme une chasse aux sorcières ou apparenté à un simple lynchage médiatique de name and shaming. Il incarne au contraire la forme la plus pure d’une forme de démocratie selon laquelle la parole serait reconquise par les oubliés, au détriment des plus privilégiés mais au profit d’une communication sociale plus juste.
Thibault Grison
Sources :
Podcasts

Podcast, Le débat de midi sur France Inter, « Médias et justice : je t’aime, moi non plus ? », Dorothée Barba, 25 juillet 2017

Ouvrages

Yves Poirmeur, Justice et Médias, 2012, ed. L.G.D.J.

Sites web 

France Info, « Accusé d’agressions sexuelles, Kevin Spacey est définitivement écarté par Netflix de « House of Cards » », franceinfo avec AFP, novembre 2017
Elysée.fr, Discours du président de la république devant le parlement réuni en congrès, 3 juillet 2017
Atlantico, « Pourquoi il faut résister au populisme médiatique », Eric Deschavanne, Février 2017
Le temps, « «Fillongate» ou «tribunal médiatique»? Ces questions qui minent la droite française », Richard Werly, Janvier 2017

Crédits images :

Image 1 (photo de couverture) : Scoop Whoop, “16 Badass House Of Cards Quotes That You Can Use Everyday”, Mai 2015
Image 2 : Pascal Lachenaud pour l’AFP, Emmanuel Macron assailli par les journalistes, avril 2017
Image 3 : Photo-montage de captures de titres d’articles (Les Inrockuptibles, Konbini, Le Monde)

Société

Guillaume Meurice : L'humour comme média

Fin août, l’équipe de Si tu écoutes, j’annule tout, émission quotidienne qui traite de l’actualité avec humour, feint de ne pas reconduire le programme pour l’année suivante. Le canular ne dure que quelques jours, jusqu’à l’annonce de leur nouvelle émission : Par Jupiter!, mais l’émoi provoqué chez les auditeurs de la chaîne est bien révélateur du succès rencontré.
Parmi les chroniqueurs de cette émission-phare diffusée sur France Inter, on compte Guillaume Meurice. Devenu une figure médiatique adorée par certains et détestée par d’autres, il est bien un des emblèmes de ce que l’on pourrait appeler l’information par l’humour, qui fleurit depuis quelques années. Essayons donc de comprendre les ressorts d’un tel phénomène.
Le « comique d’investigation »
Contrairement à ses acolytes, Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, Guillaume Meurice n’a pas de formation de journaliste. Son domaine, c’est le théâtre, l’humour, avant d’être celui de l’information.
Meurice, c’est tout d’abord un genre bien particulier : celui de la chronique, de quatre à cinq minutes, composée d’entretiens entrecoupés de commentaires. Le caractère quotidien de ces chroniques instaure une notion de rendez-vous avec ses auditeurs, rendez-vous qui peut même être différé grâce aux podcasts et à YouTube.
Les entretiens sont recueillis sur le principe du micro-trottoir et traitent d’un point d’actualité bien précis. Meurice arpente salons, marchés, magasins…pour interroger les Français sur des sujets aux titres aussi variés que « La haute couture connectée », « Raquel Garrido, l’insoumise aux impôts », ou encore « Hamon nous vivant ». Si les sujets choisis ne sont pas drôles en eux-mêmes, c’est la façon dont Guillaume Meurice décortique le raisonnement des gens interviewés qui fait rire. Il pousse leurs logiques jusqu’au bout en posant des questions souvent absurdes, qui amènent des réponses qui le sont d’autant plus. Ainsi, lorsqu’il demande, dans sa chronique du 11 octobre 2017, enregistrée sur le marché de Grenelle, dans le 15ème arrondissement de Paris, si faire des compliments à une femme deux fois par jour sur sa poitrine, c’est du harcèlement, il se voit répondre que non…
Est-ce méchant ? Non, selon lui : c’est caricatural. Le but n’est pas de ridiculiser les gens, qui ne sont pas nommés ni montrés lorsqu’ils ne sont pas des figures politiques, mais bien de mettre en évidence certains problèmes de notre société. Ses chroniques sont des enquêtes de terrain présentées à la manière d’un édito comique qui n’ont d’autre but que de nous interpeller.
Le phénomène Meurice
La force de Guillaume Meurice, c’est aussi une très grande présence sur internet. On lui compte 106 000 followers sur Twitter et plus 300 000 likes sur Facebook, mais aussi un site internet, qui contient sa biographie, ses chroniques, ses dates de spectacle. Toutes ses publications sont innervées d’une bonne dose d’humour. Même dans la rubrique « Biographie » de son site, on peut voir une photo de lui nourrisson, avec, en légende, « 14 juin 1981. Naissance. Date de victoire électorale de la gauche (à l’époque représentée par le Parti Socialiste) ». Comme si rien n’était sérieux : l’informatif est toujours drôle.
Mais cette forte présence sur la toile lui permet également de bénéficier d’une grande visibilité et d’entretenir un rapport assez particulier avec ses auditeurs. Car si, en commentaires de ses chroniques, on trouve des posts encourageants, reconnaissants et enthousiastes, on trouve également de nombreuses critiques négatives. Meurice raconte également recevoir de nombreux messages d’insultes en messages privés.
L’idée d’un homme avec lequel on puisse interagir, débattre, et donc finalement assez proche de nous participe grandement de la popularité du chroniqueur.

L’humour comme média
Guillaume Meurice déclare lui-même « Mon média, c’est l’humour, c’est mon moyen d’expression ». A la fin d’une chronique de ses chroniques, on a certes bien ri, mais l’on a également appris des choses. Il s’agit de déposer un filtre comique sur la réalité, pour la rendre plus supportable, en quelque sorte. C’est un autre regard que l’on pose sur l’actualité, qui n’a plus rien à voir avec les formats traditionnels de l’information.
Il nous fait rire de ce qui devrait nous faire « pleurer », ou en tous cas nous attrister, et donc, a priori, nous rebuter : la corruption des élus, le nationalisme, le sexisme…
Mais Guillaume Meurice, c’est aussi une vision, presque une philosophie de vie. Rire coûte que coûte. Même dans les moments les plus graves. Ainsi, on peut réécouter sa chronique « Reporter de guerre en terrasse », enregistrée le 16 novembre 2015, où il demande notamment à un « Jean Moulin de caféine », c’est à dire à un « résistant » qui continue de fréquenter les terrasses malgré les attentats, si, « se faire assassiner en terrasse », ce n’est pas finalement payer son café 2,60 euros…
 
Guillaume Meurice, on aime ou pas. Mais on ne peut nier l’importance de figures comme lui dans le champ médiatique français, totalement libres de leurs paroles, exprimant leurs opinions avec conviction tout en étant ouvertes au débat.
Juliette Jousset
Sources : 

Bruno Denaes, Invités politiques « coupés » et humour « sélectif » ?, Le rendez-vous du médiateur, 26/05/2017.
Rossana Di Vincenzo, Charlie Hebdo, Restos du coeur… Avec Guillaume Meurice, on peut rire de tout sur France Inter, 07/072015.
Biographie Guillaume Meurice
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Société

Le malaise des villes chinoises de contrefaçon

En 2000, la ville de Shanghai décide de faire construire des villes nouvelles dans sa lointaine banlieue pour se désengorger. Le projet de faire sortir une ville de terre est plutôt exaltant : quel urbaniste ne rêverait pas d’avoir ainsi les coudées franches pour donner libre cours à son imagination ? A Shanghai, c’est plus sur l’imitation pure et dure que sur la créativité qu’on a compté.

Copier les choses en grand.
Sur les neuf villes envisagées, quatre sont construites comme des parodies de villes européennes, des parcs d’attraction où les shanghaïen.nes sont censé.es vouloir emménager. Ainsi, Gaoqiao singe une ville hollandaise, avec ses maisons en brique rouges et son moulin à vent, quand Antig mime la ville allemande, style Bauhaus à l’appui. Pourquoi les urbanistes chinois n’en ont-ils pas profité pour innover ? Les contrefaçons chinoises, tristement célèbres pour les produits de luxe et les marques de renom, se mettent aussi à toucher les villes. La culture chinoise est millénaire, alors pourquoi subit- elle encore à ce point l’influence nord-européenne ?

Gaoqiao, province de Shanghai
L’imitation la plus éhontée revient cependant à la ville nouvelle de Songjiang, sobrement surnommée « Thames Town », référence discrète au charme londonien. A dix-neuf kilomètres au sud de la métropole, on peut déambuler dans des rues pavées entre des cabines téléphoniques rouges et des bâtiments victoriens.

 

Songjiang, province de Shanghai
La ville d’Hangzhou, à quelques deux-cent kilomètres au sud-ouest de Shanghai abrite elle aussi une enclave à l’européenne. Le quartier de Tianducheng, grand comme la ville de Bastia, imite si bien Paris que les photos qu’on en voit peuvent tromper l’œil peu attentif. La contrefaçon est éhontée, et semble parfaitement assumée. On a voulu faire de Paris un concentré de beaux points de vue, le rêve du touriste aux pieds fatigués.

Tianducheng, quartier d’Hangzhou
A l’instar des cabines téléphoniques rouges de « Thames Town », Tianducheng peut se targuer d’avoir copié les choses en grand, avec une Tour Eiffel de 108 mètres (soit un tiers de l’originale), des jardins à la française bordés d’immeubles haussmanniens et même une réplique grandeur nature de la fontaine des Quatre-Parties-du-Monde de l’avenue de l’Observatoire en face du jardin du Luxembourg.

Mauvaise cible et mauvaise pub 

Malgré l’audace dont ces projets ont fait preuve, le succès n’est pas au rendez-vous : ces villes sont très largement vides. En 2013, Tianducheng n’accueillait que 2000 des 10 000 habitants pour lesquels elle était construite. Les villes nouvelles qui ont poussé autour de Shanghai sont aussi presque désertes. En revanche, elles sont assidûment fréquentées par des touristes chinois qui viennent y confirmer (et renforcer) leurs idées reçues. Les jeunes mariés qui ne peuvent s’offrir un aller-retour Beijing-Paris peuvent toujours se prendre en photo dans les rues pittoresques de Tianducheng, vieilles d’une dizaine d’années.
Si ces villes mettent l’œil européen si mal à l’aise, c’est qu’elles parviennent à imiter l’aspect occidental sans savoir en capter l’âme, d’où une tenace impression de décor de cinéma, de trompe l’œil. Les Européens eux-mêmes finissent par en faire des destinations touristiques : la Thames Town de Shanghai cumule 89 avis sur Trip Advisor. Elle y est décrite comme une curiosité qui vaut le coup d’œil pour qui passe par Shanghai. Tianducheng attire aussi les Européens, tant la dimension « parc d’attraction » est nette, mais son éloignement de Shanghai fait qu’elle attire surtout les touristes chinois. Sur Trip Advisor à nouveau, la ville-nouvelle est comparée à un « Disneyland abandonné ».

Ces objets urbains étranges ont complètement raté leur pari : au lieu d’être des quartiers résidentiels huppés, ils sont devenus des destinations touristiques en vogue.
On assiste alors à Tienducheng ou Thames Town à une récupération pure et dure par les Chinois des codes urbains à l’européenne. Pourtant, l’idée n’est pas de vivre comme des Parisiens, mais bien au contraire de s’émoustiller de l’exotisme de leur style de vie.
     
Tianducheng, quartier d’Hangzhou

Villes sans âmes au charme étrange

Toute l’âme d’un village autrichien ou d’une rue parisienne vient de son épaisseur historique, de la mentalité des villageois, du mode de vie des Parisiens. Les immeubles haussmanniens fidèlement imités sont des coquilles vides, aussi loin des habitudes françaises que des coutumes chinoises, ce qui peut expliquer pourquoi ces villes-nouvelles restent vides. Dépouillées de la vie qui anime leurs grandes sœurs et modèles, ces villes ne sont même pas l’ombre de celles qu’elles imitent. Les Chinois ne sont pas plus dupes que ne le sont les Européens face à ces projets de promoteurs immobiliers qui voulaient tirer profit de l’attrait qu’exerce notre vieille Europe sur l’imaginaire est-asiatique.
L’erreur centrale vient peut-être d’une mauvaise compréhension des aspirations chinoises, qui ne voudraient profiter de ces villes nouvelles que pour leur exotisme.
Elles sont donc des échecs assez cuisants pour les promoteurs chinois, puisqu’elles ne sont souvent consommées que comme des objets touristiques. Les Chinois viennent y confirmer leurs idées reçues, les Européens viennent s’ébahir des copies de leurs villes. Et les plus in d’entre tous viennent y tourner des clips. C’est ce même exotisme que viennent y chercher les touristes européens : ces copies de villes ressemblent si bien aux leurs qu’elles n’en ont l’air que plus fausses.

     

Capture d’écran du clip réalisé par Romain Gavras à Tienducheng pour Jamie xx
Mais comment expliquer cet étrange malaise dont nous sommes saisis face à ces villes sorties de terre ? C’est qu’elles semblent flotter, sans être attachées nulle part par de vraies racines. Pourquoi les Shanghaien.nes n’ont pas voulu créer des villes selon leurs propres modèles culturels ? Le soft- power de notre vieille Europe est-il encore tellement fort qu’il parvient à influencer si profondément la première puissance économique mondiale ? Les contrefaçons chinoises ne s’en tiennent plus aux sacs à main de luxe, mais cette constatation ne prête pas à sourire. Pourquoi le leader de l’économie mondiale ne donne-t-il pas libre cours à ses propres idées ? Le peuple chinois donne pour sa part une réponse nette, en boudant ces villes-nouvelles qui semblent au mieux être vues comme des curiosités, au pire comme des non-lieux glaçants. Notre soft-power nord-européen ne serait donc pas si fort que ça : il importe des fantasmes et de marques de luxe, certes. Mais les Shangaïen.nes ne lui font appel à lui que pour l’exotisme qu’il apporte. Si nos immeubles haussmanniens sont contrefaits, notre mode de vie parisien n’est pas imitable. Fort heureusement, personne ne souhaite l’imiter.

Réplique de la fontaine des Quatre-Parties-du-Monde à Tienducheng, quartier d’Hangzhou

Sources :
COURTIN Sébastien, « En Chine, des villages sont des copies de villes européennes. », gentside.com, publié le 5 juin 2012, consulté le 19 novembre 2017.
CLEMENT Pierre, « Chine / Entretien : Les nouvelles trames de l’espace chinois : campagnes, villes et métropolisation », publié le 11 octobre 2013, consulté le 19 novembre 2017.
PELLETIER Benjamin, « Quand les Chinois copient les villes européennes », publié le 22 mai 2012, consulté le 17 novembre 2017.

 Crédits images :

Photo 1 : via Business Insider
Photo 2 : gestion-des-risques-interculturels.com
Photo 3 : voyage-chine.com
Photo 4 : Le Figaro, « Paris et ses façades haussmanniennes téléportées en Chine »

Société

La coiffure des femmes noires : Don’t worry be nappy ?

Depuis plusieurs années maintenant la coiffure nappy devient de plus en plus populaire chez les femmes noires. Le mot signifie en anglais «crépu ». Une légende veut qu’il soit la contraction de natural happy. Vraie ou fausse, elle montre en tout cas que cette tendance invite à s’émanciper des normes et être plus heureuse en assumant ses cheveux naturels.
 
Derrière une simple mode capillaire, il y a une histoire difficile.  Liée étroitement au racisme, elle a participée à discréditer le cheveu crépu dans l’esprit de générations de femmes noires habituées à se défriser. Les afros et d’autres coiffures au naturel sont portées par un nombre croissant de stars, et popularisées par des blogs et des chaînes youtube. Aujourd’hui le nappy attire de nouvelles adeptes dont les motivations vont de la quête de soi à la revendication politique.
Retour sur les enjeux sociétaux de cette tendance au naturel, et les aspects économiques d’un marché cosmétique florissant.
 
L’influence douloureuse des canons de beauté blancs
Dans les pays occidentaux comme dans de nombreux pays africains et caribéens, la majorité des femmes noires choisissent de défriser leur coiffure. C’est une tradition qui se perpétue de mères en filles. Pour cela elles utilisent des produits nocifs à base de soude. Ils endommagent le cuir chevelu et entraînent des pertes de cheveux. Derrière cette douleur physique que ces femmes endurent, il existe l’influence des proches, mais surtout les canons de beauté véhiculés par les sociétés occidentales.
Le cinéma et la publicité définissent de manière ordinaire des canons de beauté qui sont à l’origine des caractéristiques blanches, comme le cheveu lisse. Comme l’énonce la sociologue Juliette Smeralda, l’intériorisation se fait dès le plus jeune âge, notamment à travers les poupées Barbie, qui même noires, ont des cheveux et des traits caucasiens. Des jeunes filles en viennent à lisser leurs cheveux pour construire leur estime de soi et trouver une place dans la société. Leur différence physique et capillaire leur apparaît comme un défaut à corriger.

 
Une réponse bio pour s’affirmer individuellement
Le nappy est une réaction à ces aspects néfastes pour les femmes noires, et en premier lieu au danger sanitaire. Sa popularité récente coïncide depuis les années 2000 avec celle du bio dans le monde des cosmétiques. Le bannissement des produits chimiques est leur dénominateur commun. De plus, des femmes nappy sont à l’origine du mouvement « no poo » qui invite à boycotter shampooings et autres produits capillaires nocifs.
Parallèlement le nappy répond au mal-être des filles et femmes noires face aux canons de beauté blancs. La devise natural happy invite à l’émancipation, à l’acceptation et au respect de soi. Portant leurs cheveux en afros, en tresses ou en dreadlocks, les adeptes renoncent aux codes des femmes blanches pour affirmer leur différence, et s’accepter ainsi.
 
Une histoire du racisme
Le nappy n’est pas nouveau. Il est l’héritier du mouvement Black is Beautiful, né aux États-Unis dans les années 60, porté par les Black Panthers et d’autres groupes contestant l’hégémonie des codes blancs dans la société. Les dreadlocks du reggae et l’afro du disco ont prolongé le mouvement au début des années 70, avant que les tensions sociales ne l’éteignent médiatiquement, et que le défrisage reprenne ses droits. Héritage d’une société américaine où l’esclavagisme a marqué durablement les mentalités. Les femmes noires étaient alors forcées par les propriétaires blancs à s’aplatir les cheveux, porter des perruques ou à se défriser. Malgré l’abolition de l’esclavage, le défrisage a perduré, restant un moyen d’intégration et d’ascension sociales.
Depuis, la norme mono-culturelle du cheveu lisse a tant pris le pas que les cheveux crépus suscitent une certaine curiosité. Celle-ci touche parfois à l’incivilité. Aux États-Unis, des femmes noires se font toucher les cheveux à leur insu par des mains curieuses. Le documentaire You Can Touch My Hair, d’Antonia Opiah rapporte divers témoignages sur cette fascination, et la manière dont ces femmes la ressentent.

 
Une appropriation politique parfois extrême
Le nappy est devenu un outil de contestation politique, signifiant l’opposition au mono-culturalisme blanc. Les femmes noires, qui le portent comme Angela Davis dans les années 60, font de leur afro un message politique : « Je n’obéirai pas à vos codes » signifient-elles.
Comme tout mouvement politique, le nappy a son versant extrême, qui s’empare de la cause dans un activisme identitaire, et jette l’opprobre sur les femmes noires qui ne s’y conforment pas. Le défrisage est pour ces chantres du nappy un acte de déloyauté. Une position radicale qui suscite de vifs débats. La manière de se coiffer doit-elle refléter les opinions politiques d’une personne ? N’est-ce pas une liberté individuelle à disposer de son corps que les nappex (nappy extrémistes) renieraient ? Voilà aussi les enjeux qui travaillent ce mouvement.
 
La médiatisation au service de la transmission d’un savoir-faire
Politique ou personnel, le nappy est un mouvement en vogue qui a gagné en médiatisation. Le mouvement a ses figures de proue comme l’actrice Lupita Nyong’o ou Solange Knowles, chanteuse et sœur de Beyoncé. Depuis quelques années des internautes créent également des blogs ou des chaînes youtube pour enseigner les techniques de coiffures afro, nombreuses, comme le big chop (retour du cheveu défrisé au crépu naturel) ou le twist out (coiffure permettant de boucler son afro).
Il s’agit d’un savoir-faire que des décennies de défrisage ont effacé des mémoires familiales. Les tutoriels youtube et les salons consacrés offrent une chance de transmettre et de raviver cet art de la coiffure chez les femmes et les jeunes filles noires.

 
Le nappy soutenu par un marché fructueux
En faisant ainsi bouger les mentalités, le nappy bouscule le marché des cosmétiques. Les produits spécifiques aux cheveux crépus gagnent en demande, alors que les défrisants, jadis hégémoniques, perdent du poids. L’offre s’étoffe : emboitant le pas de petites entreprises spécialisées, les géants du secteur, comme DOP ou Garnier, vont vers cette nouvelle manne et développent leurs gammes de produits ethniques.
Suivi par le monde du cosmétique, le nappy gagne en arguments pour convaincre les femmes noires. Un succès qui n’a pas fini de prendre du volume.
Hubert Boët
 
Sources :
« Nappy hair : la revanche des femmes noires » par Lee Sandra Marie-Louise, Madame Figaro, rubrique Beauté, Cheveux, le 25 juillet 2014,
Documentaire You Can Touch My Hair d’Antonia Opiah (2013)
« Crépues et fières de l’être » par Frédéric Joignot, lemonde.fr, le 05 février 2015, rubrique Société
« Les femmes noires savent que le défrisage est dangereux, mais la pression est trop forte », M le mag, femmes à part, par Aurore Merchin, le 24 mai 2017
Crédits photos :
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Image 4. Capture d’une vidéo youtube de « Beautiful Naturelle »
Image 5. ELle, Lupita Nyong’o

Société

365 jours pour consommer

Il y a tout juste une semaine, vous choisissiez vos déguisements les plus terrifiants pour impressionner vos amis à l’occasion d’Halloween. Dès le lendemain, les citrouilles au placard, il est temps de s’atteler à la fête la plus rentable de l’année, à savoir Noël.
Dès la fin du mois d’octobre, les décorations de rue les plus précoces avaient fait leur apparition, les pâtés de foie ajoutaient à leurs emballages des petites étoiles dorées, et les instagrammeuses les plus impatientes commençaient leurs premiers tutos spécial table de fête en papier mâché. La croissance n’attend pas, et elle a fait de la naissance de l’enfant le plus populaire et le plus controversé de l’humanité la meilleure excuse pour consommer. Car il est un temps pour tout, mais surtout pour faire du profit.
Le moment est venu pour plonger dans ce calendrier des 365 dépenses, à l’aide de Guy Debord qui nous annonce la finalité actuelle de la consommation (attention spoil) : c’est le spectacle, car « ce qui apparaît est bon, et ce qui est bon apparaît ».
De la division du calendrier solaire
Comment en sommes-nous arrivés là ? Voyage à travers les calendriers de l’histoire… Nous partons à la rencontre d’Ovide qui rapporte, dans Les Fastes, que l’invention du calendrier romain serait celle de Romulus, fondateur de Rome. Il compte à l’origine dix mois et commençait en mars ; chaque mois étant dédié à un dieu ou une déesse.
A chaque nouvelle passation politique, le calendrier romain connaît bon nombre de réformes et de modifications. Et ce jusqu’au calendrier institué par l’empereur Jules César qui établit en 46 avant Jésus Christ l’année à 365 jours, y ajoutant un jour intercalaire tous les quatre ans pour former l’actuelle année bissextile. Ce calendrier julien perdure jusqu’à la fin du XVIème siècle, laissant la place au calendrier grégorien : calendrier solaire institué par le Pape Grégoire XIII.
Aux fêtes religieuses romaines se substituent alors celles chrétiennes qui rythment encore l’année aujourd’hui. Mais désormais, ce sont ces fêtes religieuses chrétiennes qui s’ajustent peu à peu à notre agenda capitaliste.
Il est donc temps d’ouvrir les yeux sur la division de notre année par événements forts en émotion et en rentrées d’argent. L’encouragement à la consommation, généralement vu d’un œil soupçonneux par le grand public, sait alors parfaitement se fondre dans l’euphorie ambiante, de sorte que les consommateurs impulsifs que nous sommes n’y voient que du feu… et des paillettes, celles des fameuses « fêtes de fin d’année ».
Une année au rythme de votre carte de crédit
Six grandes périodes se détachent alors de notre calendrier grégorien, ponctuant l’année en ajoutant au quotidien ordinaire un brin d’extraordinaire.
Durant tout le mois de septembre, c’est la période de la rentrée des classes, mais l’achat des fournitures ne pouvait certainement pas se limiter à celui des stylos Bic quatre couleurs et des nouveaux cahiers format 21×29,7.

Le besoin de se renouveler et de prendre, comme tous les ans, de bonnes résolutions pour cette nouvelle année scolaire permet de justifier la nouvelle décoration de sa salle de séjour, mais aussi de refaire sa garde-robe, s’inscrire à la gym suédoise, à des cours du soir aux Beaux Arts, acheter un nouveau forfait téléphone, et un forfait annuel pour les visites du Centre Pompidou… C’est le « fétichisme de la marchandise » que Karl Marx développe dans son œuvre majeure Le Capital : l’égarement que produit ce « rapport aux choses » fait oublier les « rapports aux hommes ».
Alors déjà octobre est passé, et les derniers jours du mois annoncent Halloween et ses réjouissances horrifiantes. Cependant, cette fête qui se positionne comme institution au États-Unis n’a jamais vraiment réussi à prendre en Occident. C’est pourquoi dès le 1er novembre, les temps sont déjà aux préparatifs de Noël…

Période de faste par excellence, c’est la période de l’année où les ménages consomment le plus : 560€ de dépenses générales par foyer et un total de 67 milliards d’euros de dépenses pour les français en 2016. Les « fêtes de fin d’année » deviennent alors le seul rendez- vous fixe des familles, officiel car accepté socialement comme tel. C’est le moment où l’on est heureux de se retrouver tous ensemble, de partager des moments forts en émotions et en retrouvailles enjouées. L’homme contemporain a trouvé de quoi se sentir ré-ancré dans un héritage familial, dans des rituels et des traditions. Pour se sentir aimé, pour favoriser cette appartenance à une descendance, pour oublier le temps d’une coupe de champagne cet individualisme contemporain propre à nos vies quotidiennes. Pour ce faire, rien de mieux que l’échange rituel de cadeaux, le partage de fastes repas… Une vie de famille en papier glacé, parfaite pour les photos souvenirs.
Et pour ne rien perdre de ce dynamisme économique unique dans l’année, Noël – qui se prépare à présent plus de deux mois à l’avance – s’ensuit sans trêve de la fête du Nouvel An, de l’Épiphanie, puis de la Chandeleur. La période creuse qui s’ensuit ne sera pas longue : Pâques et ses rayons interminables de chocolats dans les supermarchés ne se font pas prier. Et sans se faire attendre plus, les beaux jours s’installent et dénudent leurs frêles épaules, s’accompagnant de la sortie de la garde-robe d’été, des ponts de mai, des premiers sorbets, premières lunettes de soleil et premiers plongeons dans les piscines pour les plus chanceux. Cela ne cessera d’emplir la sphère publique pendant le farniente coûteux des « grandes vacances ».

Ces bouées en forme de flamand rose sont sans nul doute le point d’orgue de la consommation ostentatoire – postulat posé par Thorstein Veblen dans sa Théorie de la classe de loisir en 1898. L’auteur fait une analyse « positionnelle » de la consommation : l’objectif des « possédants » étant avant tout de signaler leur statut, leur position dans la société.
La société du spectacle
C’est le réseau social – spécialement Instagram – qui se place finalement en parfait enjoliveur de sa propre vie, pourtant inexorablement marquée par la routine, dont les couleurs sont parfois ternies par l’habitude et la répétition. Alors, tout un chacun s’applique, grâce à des angles travaillés et des filtres en tous genres, à gommer les coins cassants de sa réalité. On met de l’extra dans l’ordinaire et l’on fait de sa vie quotidienne un feu d’artifice permanent, dans un environnement ouaté et rose poudré. Les drames sont chassés de l’univers lissé et aseptisé qu’est celui de la consommation comme synonyme de bonheur ! Et les fameuses blogueuses et leurs milliers de followers l’ont bien compris ; ces « influenceuses » mode, lifestyle, diy, décoration, voyages et tutti quanti ne se lassent pas d’exposer leur vie dans ce qu’elle a de plus intime sur toutes les plateformes à grande visibilité.
Ainsi, la consommation impulsive dans une société déracinée et sans espérance se meut en exutoire existentiel, et chaque moment du quotidien devient un instant à représenter, à célébrer, à mettre en spectacle. C’est Guy Debord, fustigeant la société du spectacle dans son livre éponyme qui déclare : « Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. »
Tout au long de cette année, les consommateurs que nous sommes s’acharnent à acheter des promesses, celles d’une vie normale, sans accrocs, sans risques, sans drames comme dirait Fauve ; les promesses de l’aube, l’aube d’une vie à 365 jours et autant d’énergie dépensée à la rêver.
Astrid Villemain
Twitter : @AstridVillemain
Sources : 

Guy Debord. La Société du Spectacle. Gallimard. 1992
Notices sur les Fastes d’ovidé, Bibliotheca Classico Selecta, 05/11/2004, consulté le 11/11/2017.
Le calendrier romain, Légion VIII Augusta,  consulté le 8/11/2017.
Karl Marx. Le Capital. Critique de l’économie politique. Flammarion. 1867
Thorstein Veblen. Théorie de la classe de loisir. Gallimard. 1898
Source AFP, Noël : les Français vont dépenser (un peu) plus, Les Echos, 07/11/2016, consulté le 11 novembre 2017.

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 Photo de couverture : Sous la coupole des Galeries Lafayettes – Reuters Photo 1 : Compte instagram @petitbateau
Photo 2 : Philippe Huguen pour l’AFP
Photo 3 : Compte instagram @lesjolieschoses.paris

Société

L’ère 3.0 de l’opposition Nord/Sud ? Quand les régions rient de leurs différences

Qui n’a jamais entendu parler du débat pain au chocolat/chocolatine -l’ordre d’apparition de ces termes est purement arbitraire-? Ou encore des poncifs italiens de la mamma napolitaine et du businessman Milanese ?
Des tensions linguistiques aux moqueries amères, en passant par l’auto-dérision, les particularités géographiques et culturelles sont au coeur de nos préoccupations. Sûrement parce-qu’elles touchent aux racines et aux identités, les réseaux sociaux et la publicité s’en sont emparés.
Cet article n’a pas prétention à faire l’analyse politique des particularismes -et revendications- régionalistes, mais il s’intéresse à l’engouement autour des stéréotypes régionaux Nord/Sud. Aussi, l’on se limitera aux cas évocateurs de la France et de l’Italie.