Société

Les eldorados contemporains : voyage en terre inconnue

À l’ère de l’abolition de la notion de distance, voyager est une activité facile. Grâce à Internet, réserver un billet d’avion ou un logement devient un jeu d’enfant. Mais qu’est-ce que voyager après tout ? Du simple séjour touristique à l’expatriation prolongée, tout un imaginaire du voyage se déploie, jusqu’à doter certains pays étrangers d’une aura particulière, en les hissant presque au rang d’eldorados. Certaines destinations semblent pourvues d’une réelle force d’attraction touristique, jusqu’à devenir le graal du voyageur.
Le voyage est mis en scène, non plus comme une simple activité touristique mais comme mode de vie, véritable catharsis du monde contemporain. Cette communication autour de destinations prétendument rêvées est incontestablement un appel à partir. Proposition de vie meilleure ou e-tourisme ?
 
Voyager avec les yeux
En tant qu’internautes, nous sommes sans arrêt sollicités par de nombreuses images. À l’heure de l’hypermédiatisation, le partage des photos de vacances est une pratique courante. Les réseaux sociaux sont l’écrin parfait pour cela : par exemple, Instagram, en tant que média de l’image, permet de raconter photographiquement une aventure vécue. S’instaure alors une sorte de storytelling du voyage : il s’agit de montrer l’ailleurs pour sortir de son quotidien, tout en magnifiant le lieu photographié et ainsi effectuer un voyage d’abord visuel. De nombreux bloggeurs partagent leurs périples sur les réseaux sociaux, devenus les guides touristiques 2.0.

Les réseaux sociaux sont alors les instigateurs d’invitation au voyage virtuel. Des sites web spécifiques au voyage font leur apparition, afin de partager un imaginaire commun. C’est le cas du site web « Topito Voyage », qui se présente sans prétention avec la formule « L’expertise de Topito pour parler aux voyageurs. Des listes pour sourire, découvrir, et tuer le temps dans le train (dans l’avion, ce n’est pas prudent) ». Le mouvement de scroll voulu par le principe de la liste permet de faire défiler toutes les destinations éventuelles et ainsi d’ouvrir le champ des possibles. Le site web nous fait voyager en 10 ou 20 points, et toujours avec humour. Topito Voyage n’a pas de vocation touristique mais adopte un autre ton pour parler à tous les férus de voyage.

Voir c’est bien, mais faire c’est mieux. Quand on est invité à voyager virtuellement, comment passer de l’image à la réalité ?
 
L’expatriation enchantée
La communication autour de destinations lointaines n’est pas seulement affaire de quelques photographies : c’est un appel au rêve, et parfois à l’exil. Les paysages présentés dans les photographies des agences de voyage, dans les guides touristiques, ou encore sur les réseaux sociaux, sont souvent idylliques. On nous glisse sous les yeux des paysages grandioses, épurés et souvent sans signe de présence humaine. Cette situation contraste grandement avec nos cadres de vie, urbanisés, désenchantés par la quotidienneté. Au centre du discours, la photographie parle d’elle-même et suscite un fort désir d’évasion.

Cette photo vous fait rêver ? Ce paysage vous dit quelque chose sans jamais y avoir mis les pieds ? C’est normal. Cette photographie reprend tous les codes de la destination idéale : éloignement géographique, pureté du paysage, couleurs resplendissantes, sans aucune trace de passage humain. En outre, certains pays ont la côte, et pour cause : leur situation souvent littorale en fait des lieux paradisiaques dans l’imaginaire commun et participe de notre représentation de l’exotisme. Considérées comme idylliques de par leur décor, certaines destinations prennent une dimension d’idéal dans l’inconscient collectif. Ainsi, cette idéalité visuelle façonne un imaginaire de l’expatriation positive et même bénéfique. L’expatriation apparaît alors comme enchantée, bénéfique pour le voyageur. Celui-ci est appelé à partir, et à vivre une expérience unique.
C’est ce sur quoi Airbnb s’appuie pour communiquer : en promettant une « expérience » singulière, le site web prône des valeurs de partage et de solidarité en dépouillant presque son discours de valeur marchande. Le voyageur n’est plus un consommateur ni un touriste mais un jeune explorateur de type « backpacker » en quête d’expériences de vie. Airbnb dépasse la notion de tourisme pour proposer des savoir-faire individualisés, petits morceaux de vie partagés généreusement.

Expériences de vie narrées, témoignages, tout est réuni pour appeler le voyageur à s’expatrier pour son bien. Quand certains rêvent de tout plaquer et partir, d’autres le font réellement.
 
Pourquoi pas vous ?
Certaines destinations, comme la Nouvelle-Zélande, semblent idéales pour s’expatrier. La force d’attraction touristique de ce pays vient du fait qu’il semble éloigné des problèmes politiques et sociétaux contemporains que nous vivons aujourd’hui. L’émission 66 minutes s’est concentrée sur les expatriés français en Nouvelle-Zélande dans un reportage intitulé « Grand format : Auckland, Nouvelle-Zélande, le nouveau rêve français ». Par le biais de récits de reconversions réussies et de nouveaux départs féconds, le pays apparaît comme un renouveau pour les Français venus s’y installer.
Rien n’y semble difficile et tout y semble possible. À travers différents profils tels qu’une jeune fille d’une vingtaine d’années, un couple qui attend un enfant, une famille nombreuse, le reportage dévoile un programme de vie dont le slogan pourrait être « un nouveau pays pour une nouvelle vie ». Ces personnes lambda démontrent qu’au-delà de l’image d’eldorado de la Nouvelle-Zélande, une autre vie vous attend peut-être ailleurs.
L’imaginaire du voyage est prégnant sur Internet et les réseaux sociaux. Entre rêve et réalité, le voyage apparaît comme un moyen de se détacher de son quotidien désabusé et d’embrasser la diversité qu’offre le monde. Comme le dit le dicton « L’herbe est toujours plus verte ailleurs ».
 
Diane Nivoley
https://www.linkedin.com/in/diane-nivoley/
 
Sources :
http://www.6play.fr/66-minutes-p_825/grand-format-emission-du-09-avril-c_11674396
Crédits :
Compte Instagram de « travelmehappy »
Photographie de Promovacances
Topito Voyage
Airbnb

Société

Netflix présente : « Secrets de communication »

Protagoniste : La firme Netflix est un service de vidéo à la demande avec abonnement âgé de 20 ans. Elle comptait, aux dernières nouvelles, environ 900 000 clients en France, soit le premier SVOD dans l’hexagone et 93 millions d’abonnés dans le monde.
Synopsis : Tout sourit à Netflix qui connaît un succès mondial retentissant, notamment grâce à sa communication… Mais quel est son secret ?

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Netflix : une communication "made in USA"

Lancé le 15 septembre 2014 en France, Netflix débarquait dans le paysage de la VOD (vidéo à la demande) avec pour ambition de chambouler le paysage vidéoludique français. Deux ans et demi plus tard et de nombreuses campagnes promotionnelles déployées, Netflix a-t-il réussi son pari d’américaniser la consommation de SVOD en France?

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Burger King : Roi des Forêts

Ah Burger King ! Son fameux Whopper et ses coups de com géniaux ! Franchement, qui n’aime pas Burger King ? Qui ? Eh bien laissez-moi vous éclairer : les arbres ! En effet, Mighty Earth et plusieurs autres ONG ont accusé le géant du burger de participer fortement à la déforestation en Amérique du Sud, mettant en danger espèces et autochtones. Alors, pas si cool BK ?
Com c’est drôle

La firme au célèbre Whopper s’attire régulièrement la sympathie des consommateurs grâce à ses campagnes originales et bien pensées. Associée à l’agence Buzzman depuis 2014, elle ravie les amateurs de communication décalée et humoristique. Une com au poil à laquelle, jusqu’à alors, on ne reprochait rien. On pense notamment aux bâches lors de l’aménagement de leurs restaurants qui reprenaient les tweets d’internautes promettant de faire n’importe quoi si un restaurant ouvrait vers chez eux. Ou encore de leur petite gué-guerre avec McDonald’s au travers d’affiches et de spots. Dernier en date, le dentifrice au goût Whopper pour le premier avril : le buzz assuré. La chaîne de restaurants commettait alors un sans-faute. Mais…

Faites entrer l’accusé
Mais en mars dernier, dans la quasi indifférence générale, on apprenait qu’une ONG lançait une sérieuse alerte sur la politique de développement durable de Burger King. En effet, les filières de production de soja qui nourrissent le bétail à l’origine de leur fameux steak cuit à la flamme, participent à une déforestation systématique au Brésil et en Bolivie. Car la demande en soja, importée en Europe car fameuse pour l’élevage des bovins de nos contrées, ne cesse d’augmenter. Et pour satisfaire la demande, il faut de la place, ainsi les entreprises d’agro-alimentaire achètent d’immenses territoires de forêt vierge et les brûlent pour remplacer le tout par des champs de soja. L’ensemble avec l’aval des gouvernements. Ces entreprises vont d’ailleurs jusqu’à encourager les fermiers locaux à faire de même. Enfin, cela passe par des traders (opérateur de marché) et des marchés financiers. 50% de la végétation de Cerrado, la zone où opèrent les fournisseurs de Burger King, Bunge et Cargill (entreprises de négoces de matières premières), a disparu.

 

Mighty Earth souligne que grâce à ses recherches, les observations de terrain, la géolocalisation et les images satellites, les liens sont très clairs. Quid des pesticides répandus en avion sur de larges zones menaçant paresseux, jaguars et tapirs. Mais aussi les tribus habitants la forêt. Pratiques d’un autre siècle. En cause également, l’huile de palme utilisée dans leurs produits, responsable de déforestation massive en Indonésie.
Com des idiots
Burger King, détenu par le fonds d’investissement brésilien 3G Capital, a refusé d’arrêter d’acheter des matières premières produites sur des zones déforestées ou rasées. En clair : on ne change rien. Bunge, n’a pas jugé opportun de faire de déclaration. Qui en a quelque chose à faire après tout ? Seul Cargill a rappelé ses objectifs en termes de développement durable : fin de la déforestation pour 2030. Des dégâts peuvent encore être faits d’ici là ! Burger King fait donc l’autruche : son capital sympathie est énorme et sa communication tellement habile. En quoi quelques milliers d’hectares de forêt changeraient quelque chose ? Sur leur site internet, aucune mention de leur politique de développement durable, pas d’objectifs, rien. Burger King n’y prête donc pas la moindre attention, alors même que notre période est heureusement au développement durable et à la responsabilité sociétale. OSEF comme disent les jeunes.
McDonald’s, bien plus controversé que Burger King, possède pourtant une telle politique, des objectifs et tente de réduire son impact écologique. Je cite : « Nous nous engageons à sensibiliser le public à l’échelle mondiale, peut-être pouvez-vous participer à un effort significatif ? ». D’autres s’y sensibilisent également, à l’instar de KFC ou encore de Subway.

Subway par exemple n’utilise plus que de l’huile de palme certifiée et « souhaite se […] concentrer sur des initiatives durables concernant […] la traçabilité et la gestion de sa chaîne d’approvisionnement. ». À l’identique de Nutella qui, ancien gros déforestateur en Indonésie, a changé son fusil d’épaule en 2015 pour n’employer plus que de l’huile de palme certifiée. KFC, plus radical, l’a supprimé de sa chaîne de production afin de lutter contre la déforestation.
Oui, Burger King, c’est plutôt bon et c’est sympa, ça fait rire. Mais aujourd’hui chacun doit faire un effort et participer à créer un monde plus juste, plus sain. Une enseigne aussi importante que Burger King a donc un véritable devoir de transparence et de réponse : d’où proviennent vos matières premières ? Pourtant il semble que ce genre d’exactions soit tellement courant que personne n’en a plus rien à faire. Il est vrai que l’Amérique du Sud c’est très loin, mais tout de même. Cessons d’accorder notre confiance à des marques qui mettent en péril notre bien commun, ce sont des milliers d’hectares de forêt qui disparaissent, impactant forcément la vie de chacun, accélérant le réchauffement climatique. Voilà ce qui devrait faire le buzz.
Alexane DAVID
Sources :
• VALO Martine, « Burger King, « roi de la déforestation » », Le Monde. Posté le 07/03/17. Consulté le 03/04/17.
• McDonalds. Consulté le 03/04/17.
• Subway. Consulté le 05/4/17.
• Emmanuel Perrin, « Huile de palme : KFC s’engage à lutter contre la déforestation », Maxisciences Posté le 11/01/11. Consulté le 05/04/17.
• « Burger King achète des farines animales dans d’anciennes forêts tropicales », Pieuvre.ca. Posté le 02/03/17. Consulté le 03/04/17.
• Sabine Rabourdin, « Soja : de l’Amazonie à l’entrecôte », Zéro Déforestation Consulté le 05/04/17.
 
Crédit photos :
• Image 1 : Buzzman
• Image 2 : Buzzman
• Image 3 : Mighty Earth
• Image 4 : McDonald’s
• PHOTO DE COUVERTURE : Capture d’écran du compte Twitter de Sum of Us

Société

L’environnement pris dans tous les sens

À en croire les réactions sur les réseaux sociaux, cette nouvelle a provoqué hilarité, enthousiasme, choc, interrogation… Quoi qu’il en soit, la récente mobilisation de Pornhub pour la préservation des pandas suscite une certaine curiosité. Ce moyen marginal extrêmement osé pour sensibiliser les citoyens à la préservation des animaux en voie d’extinction rompt totalement avec les dispositifs classiques d’appel au don ou des campagnes « choc » des ONG. Néanmoins, nous allons voir que l’émergence de formes alternatives de mobilisation pour la planète n’en est pas à ses balbutiements.

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La social food ou comment fabriquer du bonheur au travail

Digitalisation, ubérisation… À l’heure de l’économie de partage et du co-working, des outils de networking et de réseautage remettent au goût du jour le partage d’un bon repas pour favoriser les rencontres et l’épanouissement, notamment professionnel. Le food devient aujourd’hui un prétexte à la rencontre et tisse du lien social. En effet, les acteurs du digital s’emparent d’un moment de la quotidienneté des individus pour en faire une condition du bien-être de chacun. Comment l’entreprise peut-elle renforcer sa puissance d’interface sociale au cœur du système sociétal ? La réponse est dans l’assiette !

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Passer outre les clichés sur l'Outre-Mer

Le petit écran est, comme tous les lieux de représentation, régulièrement accusé de véhiculer des stéréotypes. Des clichés de tout types (de la femme bimbo aux jeunes en passant par la banlieue) sont confortés par le « quatrième pouvoir » qu’est la télévision en rendant visible un imaginaire collectif stéréotypé. Cependant, combattre les clichés plutôt que d’y contribuer peut être un choix de ligne éditoriale. C’est en tout cas le pari que se sont lancés Sébastien Folin et toute son équipe avec l’émission C’est pas le bout du monde diffusée sur France O depuis le 7 mars 2017, et qui a pour ambition de lutter contre les clichés sur les DOM-TOM.
L’émission, C’est pas le bout du monde
Il y a comme un air de déjà vu pour le téléspectateur qui a allumé son poste de télévision le 7 mars au soir. En effet, le plateau de C’est pas le bout du monde ressemble à ceux des grands talk-shows avec sa table en triangle faite de bois et de verre, autour de laquelle on retrouve le présentateur entouré de son équipe et de ses invités. Le logo de l’émission rappelle également ceux des talk-shows de Canal+ avec un effet graphique et le rappel des initiales. Ainsi le média fait appel au familier pour déconstruire les images communes.
Programmée jusqu’en juillet à raison d’une émission par mois, C’est pas le bout du Monde entend mettre en valeur la diversité et la richesse des cultures de l’Outre-mer en allant au-delà des idées préconçues. Pour ce faire, Sébastien Folin a à ses côtés trois experts qui ont trois regards différents sur la diversité culturelle qu’offre l’Outre-Mer. On retrouve Elliot Chemlekh pour l’humour, Erika Govinda Rajen pour le sérieux et l’expertise journalistique et Fabrice d’Almeida pour le regard de l’historien.
Il s’agit de découvrir des lieux et des traditions inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, d’en savoir plus sur des chanteurs ultramarins ou encore d’aller dans les coulisses des musées des DOM-TOM, pour que les métropolitains comme les ultra-marins en sachent plus sur les diversités et les richesses des territoires d’Outre-mer.
Les invités sont choisis pour donner l’image la plus sincère possible de l’Outre-Mer. Pour la première émission, c’est Rachid Badouri qui fut invité. L’humoriste québécois aime à souligner les différences culturelles entre le Québec et la France, celles entre le Maroc, pays dont est originaire son père, et le Québec. Bref, Rachid Badouri était l’invité idéal pour aborder les différences culturelles dans le cadre détendu du talk-show puisque son approche humoristique des différences culturelles appliquée à l’Outre-Mer donne d’emblée le ton de l’émission de Sébastien Folin.
Les stéréotypes sur les DOM-TOM ont toujours le vent en poupe
L’Outre-Mer semble être l’oubliée des médias français. Lors des dernières élections régionales, aucun média n’avait diffusé les résultats des DOM-TOM. Le directeur du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) s’était emporté face à cet oubli et avait déclaré: « Nous en avons assez que L’Outre-mer compte pour du beurre » et avait ajouté « Ce mépris régulier constitue à la fois un déni de démocratie et une forme de racisme par omission ». A la suite de quoi, le CRAN avait saisi le CSA qui doit garantir le traitement médiatique des outremers au même titre que les territoires de l’hexagone lors de résultats d’élections. L’association « OriZon Réunion » s’en est quant à elle remise à l’Etat en lui demandant de communiquer davantage sur ces territoires. L’objectif est que les ultramarins soient des membres de la République reconnus à part entière, différents mais pas indifférenciés en tant que citoyens français et donc qu’ils soient comptabilisés dans les calculs et les statistiques électorales comme toutes les autres régions et collectivités.
Cette absence dans les médias ne se résume pas aux résultats électoraux. En effet, en 2011, Claudy Siar, délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, avait déjà dénoncé les « injustices concrètes » dont étaient victimes les territoires et départements d’outre-mer. A commencer par l’absence de bulletins météo dédiés à ces territoires.

En outre, lorsque les médias font référence à l’Outre-mer, ils mettent en avant les images collectives que l’on se fait de ces territoires. Zouk, plage et cocotiers viennent tout de suite à l’esprit quand on parle des DOM-TOM. Les cadres paradisiaques des clips de Francky Vincent ou de la Compagnie créole diffusés sur le petit écran dans les années 80 et des séries françaises comme Meurtres au paradis font désormais partie de l’imaginaire collectif, et ont construit l’image que les téléspectateurs se font de ces lieux et participent à conforter les clichés associés aux DOM-TOM.
Branle-bas de combat chez France Ô
L’ambition première de France Ô était de répondre à ce déficit de traitement médiatique des DOM TOM dans les médias français. Il s’agissait de créer une chaîne de télévision qui puisse offrir aux Français d’outre-mer vivant en métropole une fenêtre sur leurs régions. Cependant, la chaine d’information peine à trouver une ligne éditoriale clairement définie. France Ô est tiraillée entre ses racines ultramarines et l’injonction qui lui est faite de s’adresser à toute la diversité française. Ces difficultés se traduisent par des audiences très faibles (le 25 octobre 2014, la chaîne a même réalisé 0% de part d’audience). En ce sens, c’est un échec pour France Télévision qui tente d’accorder davantage de visibilité à l’Outre-mer mais qui n’est pas suivi par l’audimat dans sa démarche d’ouverture, ce qui a amené le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à se poser la question du maintien de la chaîne au sein du groupe public. Finalement, France O fut maintenue au sein de France Télévision avec pour mission de concentrer sa programmation sur l’ultramarin dès la rentrée 2016 et depuis les audiences redécollent. Un jour en outre-mer, ou encore Génération What ? Outre-mer sont des émissions aux lignes éditoriales plus proches du terrain ultramarin. Ainsi, elles ont participé à la hausse de part d’audience ainsi qu’à rendre France O plus visible médiatiquement.

C’est pas le bout du monde vient donc compléter cette grille de programmes en ajoutant au combat pour la visibilité de l’outre-mer celui de la lutte contre les clichés que les médias font circuler à son propos et arrivera sûrement à convaincre les autres médias d’intégrer l’Outre-Mer à leur contenu.
Judith Grandcoing
Twitter
Sources:
Fabien Piliu, La métropole s’intéresse-t-elle enfin à l’Outre-Mer? La Tribune, le 12.12.2016, consulté le 16.03.2017
Les invités de Mediapart, L’absence de l’Outre-Mer, un déni d’identité? Mediapart le 21.09.2011, consulté le 17.03.2017
AFP, Le CSA saisi sur l’absence des Outre-mer dans les médias, L’expansion, le 14.12.2015, consulté le 16.03.2017
Anne Sogno, C’est pas le bout du monde, Sebastien Folin contre les clichés, Nouvel Obs, le 07.03.2017, consulté le 16.03.2017
Sebastien Folin, Haro sur les clichés de l’Outre-Mer, l’Instant M, le 06.03.2017, consulté le 06.03.2017
Crédits images:
. Pleine vie, Sebastien Folin nous parle de l’Outre-Mer pour sa nouvelle émission c’est pas le bout du monde, le 05/03/2017
. Telecaps, Anais Baydemir présente la météo sur France 2 le 29/08/2013
. L’observatoire Caledo, Génération What ? le 20/11/2016

Société

Le Grand Journal : histoire d’une renaissance impossible

Le 3 mars 2017, Le Grand Journal présenté par Victor Robert, faisait des adieux doux-amers à son public avec la formule lapidaire « Fin de l’histoire, début de l’autre ». Depuis, tout n’est plus que silence, ou plutôt rediffusions de « best-of » comme preuve que l’émission a jadis brillé. Créée en 2004, elle était devenue dès ses débuts, un rendez-vous phare sur Canal+ en réunissant savamment des figures mythiques, réalisant le cocktail détonnant qu’était l’esprit Canal.
Le Grand Journal a trouvé sa place dans le paysage audiovisuel français et s’est forgé un nom dans l’histoire de la télévision. Pourtant, l’émission a dû s’arrêter précipitamment, faute d’audience. Son déclin progressif est révélateur du mal qui ronge Canal+. Focus sur l’histoire du Grand Journal, qui — tel le Titanic — a sombré après une période glorieuse.
Retour sur l’âge d’or du Grand Journal
Le Grand Journal a été créé par Michel Denisot avec Renaud Van Kim et Laurent Bon, en reprenant la recette miracle de Nulle Part Ailleurs. Présentateur de 2004 à 2013, Michel Denisot a su donner une identité au Grand Journal. Étant son premier et emblématique présentateur, il était le visage de l’émission et est devenu représentatif du programme. Une relation particulière, complice et bienveillante, s’est tissée entre Denisot et ses téléspectateurs, qui ont été fidèles à l’émission pendant de longues années.
Le Grand Journal était alors qualifié de rendez-vous incontournable du petit écran, rassemblant les personnalités politiques et les célébrités sur le ton impertinent de l’esprit Canal. Michel Denisot incarnait alors l’âge d’or de Canal+ en totalisant en moyenne 2 millions de téléspectateurs pendant la période faste du Grand Journal, de 2004 à 2012.
Cet attachement à une figure télévisuelle explique la difficulté pour Antoine de Caunes, digne successeur de Michel Denisot, de reprendre les rennes de l’émission. La signature laissée par l’ancien présentateur était trop patente : l’émission perd des téléspectateurs, déçus de voir leur programme gangrené par un nouvel animateur. Le Grand Journal ne se remettra jamais tout à fait du départ du commandant du navire LGJ.

Un vivier de talents
Au sein du Grand Journal, de nombreuses figures montantes du PAF se sont succédées. Des talents souvent jeunes, impertinents, à l’image du Grand Journal de l’époque. De cette manière, des figures comme Yann Barthès, Omar & Fred et les miss météo telles que Charlotte Le Bon, Louise Bourgoin ou encore Doria Tillier ont marqué Le Grand Journal et ont participé à son succès. Véritable mère porteuse d’enfants prodiges, l’émission les a fait connaître au grand public avant qu’ils abandonnent le nid afin de vivre leur propre histoire. Ces talents ont pris leur envol et ont tracé leur route vers leur propre émission, le cinéma, l’humour…
Par exemple, Le Petit Journal de Yann Barthès est passé de rubrique dépendante du Grand Journal à une émission à part entière, détachée du vaisseau mère. Les talents made in Grand Journal se sont progressivement désolidarisés pour briller ailleurs, laissant le programme orphelin de ces figures qui le portaient pourtant au quotidien. La vacuité engendrée par ces départs n’a fait qu’exacerber l’essoufflement du Grand Journal.
Un naufrage progressif
Depuis le départ de Michel Denisot, Le Grand Journal s’est révélé être une machine fatiguée. Audiences en berne, concurrence accrue, tout semblait réuni pour achever l’émission culte de Canal+. L’année 2016 est marquée par l’arrivée de Victor Robert et d’audiences plus que critiques : l’émission a rassemblé cette année en moyenne 100 000 téléspectateurs, alors que le chiffre montait jusqu’à deux millions pendant la période Denisot. Dans un mouvement fatal, les audiences diminuent tandis que la concurrence est en hausse et devient de plus en plus rude.
L’arrivée sur TMC de Yann Barthès, pourtant pur produit du Grand Journal, a fragilisé l’émission, d’autant plus que Cyril Hanouna est un concurrent redoutable avec Touche pas à mon poste. Les concurrents sont de taille, alors qu’ils étaient inexistants lors des débuts de l’émission. Auparavant passage immanquable pour les personnalités, l’émission s’est noyée dans l’océan de la concurrence. Le Grand Journal est passé de l’unique émission à regarder pendant cet horaire à une émission parmi tant d’autres.

Pour couronner le tout, les chroniqueurs perdent de leur mordant. L’émission bat de l’aile et s’enlise dans la médiocrité. Les nombreuses polémiques de cette année n’ont pas arrangé le futur sort réservé au programme. La miss météo Ornella Fleury, en a fait les frais : dès le 9 septembre 2016, la jeune femme essuie un revers face à Jonah Hill. Vexé par les propos de la miss météo, l’acteur annule toutes ses interviews françaises, et les réactions sont sévères pour la miss météo, notamment sur les réseaux sociaux.

Le déclin de l’émission est révélateur du malaise de Canal+. La reprise de la chaine par Vincent Bolloré mine une par une les émissions mythiques de Canal+. D’abord le départ de Yann Barthès, puis l’arrêt du Grand Journal : la fin de la célèbre ligne éditoriale de Canal+ a sonné. Au Grand Journal de l’âge d’or ne répond plus Le Grand Journal 2016 à la sauce Victor Robert : Le Grand Journal est mort.
Du 3 au 17 mars, l’émission est restée à l’antenne avec des rediffusions. Pour les autres programmes comme Le Journal du Cinéma, Le Gros Journal, Le Petit Journal, Catherine et Liliane et Les Guignols, il s’agit désormais non plus de vivre, mais de survivre. Alors, quel sera le prochain à signer son arrêt de mort ?
Diane Nivoley
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Sources :
• Florent Barracco, « Clap de fin pour « Le Grand Journal » de Canal+ », Le Point, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Chloé Woitier, « Canal + met fin au Grand Journal », Le Figaro, mis en ligne le 13/02/2017, consulté le 12/03/2017
• Nicolas Richaud, « Pourquoi le « Grand Journal » finit avec 10 fois moins d’audience que Yann Barthès », Les Échos, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Jérémie Maire, « De Barthès à Charlotte Le Bon : ils ont débuté au « Grand journal », Télérama, mis en ligne le 03/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Daniel Psenny, « Le Grand Journal, fin d’une époque », Le Monde, mis en ligne le 11/03/2017, consulté le 12/03/2017
• Page Wikipedia du Grand Journal
Crédits :
• Capture d’écran de Canal+
• Frédéric Dugit / MaxPPP

Société

Les réseaux sociaux : Narcisse ou le mythe de la modernité.

À l’ère aseptisée des réseaux sociaux, la mise en scène représente-t-elle une recherche de l’esthétisme artistique ou bien s’apparente-t-elle davantage à une dangereuse quête de reconnaissance ?
Si la question se pose aujourd’hui, c’est notamment à cause des plateformes telles que Facebook, Instagram et Twitter. Il apparaît en effet que les utilisateurs de ces réseaux sont prêts à tout pour faire le buzz et ainsi générer ainsi un maximum de « like » de la part des internautes, sur les contenus ou les photos mis en ligne — à tout oui, comme cette jeune modèle russe, Viktoria Odintcova dont les récents exploits ont fait polémique, provoquant à la fois admiration et protestation dans les rangs de ses abonnés.
À la recherche de sensations fortes ?
C’est comme si nous étions dans un épisode de la saison 3 de Black Mirror : la recherche de reconnaissance sur les réseaux sociaux menant à une progressive aliénation du protagoniste principal de l’épisode 1, Nosedive.
En observant les clichés et les vidéos réalisées (vidéos montrant les coulisses du shooting), tout est fait pour donner le vertige. La jeune femme de 22 ans se suspend dans le vide, maintenue seulement par la poigne de son partenaire, le réalisateur Alexander Tikhomirov, à plus de 300 mètres du sol, du haut de la Cayan Tower de Dubaï. Les photos postées sur son compte Instagram sont impressionnantes !

Pourtant un doute subsiste : aucun moyen de sécurité ne semble avoir été mis en place pour gérer un éventuel accident. La top russe se serait-elle livrée à cet exercice dangereux simplement pour … obtenir des « likes » sur ses photos ? Cela semble absurde — et pourtant, avec plus de 3 millions d’abonnés sur son compte Instagram, Viktoria Odintcova est habituée à proposer des contenus appréciés par ses utilisateurs, visant toujours plus à s’attirer les faveurs d’anonymes sur les réseaux sociaux, au point de mettre sa vie (et celle de l’équipe l’encadrant) en danger.

Art for art’s sake ?
Mettre sa vie en danger pour l’amour du « like » : cela en vaut-il la peine ? Car malgré les 111 920 mentions « J’aime » sur cette photo, les commentaires ne sont pas tous tendres. Sur le compte Instagram de la jeune femme, on peut en effet lire : « Representacion grafica de la estupidez humana » (« Représentation explicite de la stupidité humaine »), « This is completely stupid » (« C’est complètement stupide »), ou encore « You shouldn’t do this » (« Tu ne devrais pas faire ça »).
Ces commentaires témoignent de la prise de conscience des internautes face à l’absence de conditions de sécurité lors du shooting. The Cayan Group, propriétaire de la tour, a rapidement annoncé sur son site qu’une procédure serait lancée pour condamner cet acte téméraire. Ces photos font d’autant plus polémique qu’elles font écho à la mort tragique des deux Instagrameurs, Heavy Minds et Siirvgve, respectivement 18 et 25 ans, récemment décédés dans les mêmes circonstances.

Mais si ces deux « explorateurs urbains » trouvaient leur inspiration dans la ville et son environnement, prenant des risques pour mettre leur talent au service de l’art photographique, on peut s’interroger sur les véritables motivations qui ont poussé Viktoria Odintcova à jouer de la sorte avec le danger.
Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel, et nous ne pouvons, à ce stade, nier le fait que ces outils 2.0 ne feraient en fait qu’exacerber les pulsions narcissiques et l’attrait du danger des individus présents sur ces réseaux.
La tyrannie du « like »
Les photographes et les artistes ont toujours pris des risques. Cela fait partie de ce métier de passionnés. Proust disait de la photographie qu’elle permettait de montrer de combien d’instants éphémères la vie était faite… Le risque en fait partie. Il faut tenter sa chance, comme nous l’explique Larry Fink dans une interview donnée au magazine Time au mois de février, ou comme nous le prouvent au quotidien les reporters photographes en zone de guerre par exemple.
Mais la présence des individus sur les réseaux sociaux, le fait d’être protégé(e) par un écran ne semble en fait qu’accentuer la course au spectaculaire. Il faut fasciner l’utilisateur lambda, le faire rêver, et lui révéler de nouvelles sources d’inspiration. Pouvoir merveilleux et tragique des réseaux sociaux. Je like, tu likes, il/elle like… Foule d’anonymes qui peuvent décider en quelques clics du destin d’un individu et accroître sa soif de reconnaissance. Ou au contraire la tarir. Dans les cours de récréation, les jeunes enfants ont toujours eu recours à des jeux dangereux : le jeu du foulard, le jeu de la tomate (les deux consistants en des jeux dits de non-oxygénation). Mais avec l’apparition des réseaux sociaux, les jeunes (et moins jeunes) sont désormais à la recherche de cet éventuel dernier frisson.
En effet, si des défis comme l’Ice Bucket Challenge (sur le principe de la nomination, il s’agit de se renverser un sceau d’eau glacé sur la tête en se filmant) permettaient de lever des fonds pour la maladie de Charcot, d’autres « jeux » comme l’Ice Salt Challenge (qui consiste à se verser du sel sur la peau puis à y apposer un glaçon, provoquant ainsi des brûlures graves et irrémédiables) ou le Blue Whale Challenge sont au contraire de véritables incitations à la violence sur soi. Le dernier, particulièrement morbide, consiste à effectuer une liste de 50 défis dont le niveau de dangerosité ne cesse de croître à mesure que l’on s’approche de la fin. Ainsi, en février, deux adolescentes russes ont été retrouvées mortes des suites de ce défi apparu pour la première fois il y a environ deux ans sur le site Vktontakte.
Un nouvel existentialisme ?
Ces pulsions étaient donc déjà là en nous, et le mythe de Narcisse a depuis les métamorphoses d’Ovide*, traversé les époques. Toutefois, il semble que les réseaux sociaux aient ici un nouveau rôle à jouer. Ils sont devenus non seulement le nouveau miroir dans lequel on ne cesse de contempler notre reflet lissé et retouché par les filtres dans l’intention d’être vu par les autres, dans une sorte de nouveau théâtre de la représentation de soi.
Mais surtout, ils apparaissent comme un nouveau moyen d’affirmation. En postant des photos sur ces sites et, en prenant des risques, on essaie de se démarquer des autres — au lieu de rentrer en communication avec eux — et de prouver peut-être, que l’on mérite cette reconnaissance quel qu’en soit le prix à payer.
Au-delà d’une polémique autour de la sécurité et des dangers d’escalader un building pour se suspendre dans le vide, les clichés de Viktoria Odintcova nous invitent à réfléchir sur ce nouvel existentialisme, souvent dangereux, du début de notre siècle.
Lina Demathieux
Lindekin
@linadmth
*http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/narcisse-mythologie/
Sources :
• Mathieu, « Pour récolter plein de likes sur sa photo, cette Instagrameuse s’est suspendue dans le vide », Journaldubuzz
Paru le 06/03/17 – Consulté le 13/03/17
• Foreign Staff, The moment Russian model Viki Odintsova risks her life in daredevil Dubai photoshoot
Paru le 16/02/17 – Consulté le 13/03/17
• L’EXPRESS.fr, « #Iceandsalt challenge, le nouveau jeu dangereux des ados sur les réseaux sociaux »,
Paru le 31/01/17 – Consulté le 13/03/17
• L’EXPRESS.fr, « Blue Whale challenge, des défis sur les réseaux sociaux qui poussent au suicide »,
Paru le 07/03/2017 – Consulté le 13/03/17
• GHEZLANE-LALA Donnia, « Pour l’amour des « likes », une instagrameuse se suspend dans le vide », Cheese Konkini,
Paru début mars 2017 – Consulté le 13/03/17
Crédits :
Image de couverture : https://www.tv.nu/program/la-mode-2-0-je-poste-donc-je-suis
Image 1 : Photo issue du compte Instagram @viki_odinctova
Image 2 : Photo issue du compte instagram de Siirvgve, Lyon

Société

Qu'a-t-on à apprendre du Digital Jesus ?

 
Peut-être avez vous déjà entendu parler de Chris ß ?  Aussi connu sous le nom de « Digital Jesus », cet ancien directeur du service informatique d’une grande société est à ce jour l’homme le plus connecté de l’histoire de l’humanité. Il ne dispose en effet de pas moins de 700 systèmes qui enregistrent quasiment tout de sa vie : pression artérielle, déplacement, activité physique, posture de son dos. Son histoire fascinante, aux airs de science-fiction, débute en 2007 lorsqu’il entend parler d’un mouvement alors tout récent : le quantified self.
Si cette histoire est extrême, elle en dit long sur notre rapport à la data et sur les fantasmes qu’elle entretient. Zoom sur cette obsession de l’auto-surveillance numérique.
Le teaser de Chris Dancy, réalisé par lui même.

Le quantified Self, c’est quoi? 
Cette appellation futuriste désigne un ensemble de moyens technologiques et logiciels – comme les objets connectés ou les smartphones – conçus pour collecter et mesurer différentes données liées à notre corps. Ce mouvement a été baptisé du nom de « quantified self » en 2007 par Wolf et Kevin Kelly, deux éditeurs du magazine Wired, dédié aux nouvelles technologies.  La distance parcourue par un individu, ses temps de sommeil, son poids et sa géolocalisation sont les mesures les plus répandues.
L’objectif principal du quantified self est d’inciter l’utilisateur à mieux gérer sa vie personnelle, que ce soit au niveau de sa santé, de sa productivité et/ou de son bien être, le plaçant ainsi comme entrepreneur de sa propre vie avec tous les fantasmes d’émancipations qui y sont liés.
Cet ensembles d’actions exercées sur soi – actions par lesquelles on se prend en charge et on se transforme – remontent à l’ Antiquité, à en croire Foucault. Ce qu’il qualifiait de « technique de soi » tend cependant à prendre des proportions de plus en plus extrêmes au fil des années.

Chris Dancy a poussé cette logique encore plus loin, en l’appliquant à des domaines ne faisant jusque là pas l’objet d’appréhensions comptables (sommeil, humeur, addictions, sexualité, etc.)
Pendant un an, il a gardé des traces de tout ce qu’il faisait et de tout les paramètres de son environnement grâce à des programmes qu’il a écrit pour l’occasion. Il a ensuite traité ses données et a commencé à changer certaines de ses habitudes (heure de sommeil, de déjeuner…) pour voir comment il réagissait . Petit à petit, il s’est créé un système entièrement personnalisé qui permettrait de gérer sa vie grâce à la data. « J’ai créé un GPS pour ma vie », dit-il lui-même.
Au bout d’un an et demi seulement, la transformation est radicale : il perd du poids, arrête de fumer, est moins impulsif et décroche même de la drogue.
De « Monsieur tout le monde » il est devenu un héros de la tech mondiale, invité partout pour partager son expérience et gagnant désormais environ un demi-million de dollars par an.
Si ce récit a des allures de success story, on ne peut pas s’empêcher de penser à la théorie célèbre de McLuhan ( « the medium is the message ») selon laquelle la forme du message est plus important que son contenu, dans la mesure où celle-ci façonne notre perception.
Si les hommes sont fascinés par ce pouvoir de prolonger son corps dans des outils à notre image, il n’en reste pas moins que « voir, percevoir ou utiliser un prolongement de soi-même sous une forme technologique, c’est nécessairement s’y soumettre » *.
« Connais toi toi-même » : la recette du bonheur ?

« N’est-il pas évident, cher Xénophon, que les hommes ne sont jamais plus heureux que lorsqu’ils se connaissent eux-mêmes, ni plus malheureux que lorsqu’ils se trompent sur leur propre compte ? » disait Socrate à l’un de ses interlocuteurs.
Pourtant, cette obsession de l’auto-surveillance a conduit Chris Dancy à une véritable fissure de son identité.
« Je commençais à manger des plats que je n’avais jamais aimés, à m’entendre avec des gens avec qui normalement le courant ne passait pas, à écouter de la musique que je n’avais jamais écoutée… Tout devenait différent. Je ne savais pas pourquoi, ni d’où ça venait. »
Entre toutes les versions de lui-même, alimentés par tous ses logiciels destinés à l’améliorer, Chris Dancy ne sait plus qui il est, son unité psychique se fissure. Il devient de plus en plus angoissé et commence à créer des programme afin de prévenir et empêcher, sinon contrôler, ses émotions les plus dérangeantes.
Cela prouve que si les activités sont liées au Quantified Self sont réflexives, c’est-à-dire qu’elles nous renvoient à nous-mêmes, elles ne permettent pas une meilleure connaissance de soi. On croit mieux connaitre notre corps alors que la médiation chiffrée éloigne notre rapport intuitif à nous-mêmes, aux autres et au monde.
Cette mathématisation du monde n’est pas nouvelle. Hannah Arendt décrivait le monde moderne comme une époque de changement profond, où se joue un nouveau rapport avec la connaissance scientifique, laquelle utilise un langage arithmétique et quantitatif qui nous fait perdre le monde empirique des sens.
Vers un « Mindful Cyborg »

Cependant, « croire qu’une technologie puisse nous rendre plus heureux traduit une immense fatigue d’être », nous prévient Alain Damasio (écrivain français en science fiction). Pour lui, nous n’avons pas encore exploré toutes les possibilités offertes par notre corps et notre cerveau. Le fait d’en déléguer certains segments aux nouvelles technologies consisterait à régresser, étant donné que le cerveau se développe lorsqu’on le sollicite.
Pire encore, le fait de traduire nos comportements sous des formes de chiffres, classés et hiérarchisés, pourrait finir par finir par engloutir notre capacité d’action. En créant des normes auxquels il faudrait conformer, on pourrait aboutir à une disparition de notre subjectivité. Cela n’est pas sans rappeler l’épisode « Chute libre » de Black Mirror (saison 3, épisode 1) où le système de notation régule la société, marginalisant ainsi tous ceux qui ne respecteraient pas la norme imposée.
Pour Chris Dancy, son histoire pourrait bien devenir la nôtre dans quelques années. Ainsi, il s’est donné comme nouvelle mission d’apprendre aux gens à ne pas se faire dévorer par les machines.  Par le biais de ses séances de « méditation avec le smartphone », il prône un rapport plus conscient aux technologies et espère ainsi qu’on se souviendra de lui dans le futur.
To be continued.
Liana Babluani
LinkedIn
Sources :
Photo 1 : eduskopia.com
Photo 2 : hubsante.com
Photo 3 : notesfromachair.com
Photo 4 : gaite-lyrique.net
Vidéo : Page Youtube éponyme de Chris Dancy
Auteurs :
• Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958)
• Michel Foucault, L’herméneutique du sujet (2001)
• * Marshall McLuhan, Understanding Media: The extensions of man ( 1964)
Liens :
• « On a externalisé le corps humain », Alain Damasio ( telerama.fr )
• « Peut on compter sur la quantification ? », Valentin Lefebvre  – 30/03/2016 (influencia.fr)
• « Big Data et quantification de soi : La gouvernementalité algorithmique dans le monde numériquement administré », Maxime Ouellet, Marc Ménard, Maude Bonenfant, & André Mondoux ( Canadian Journal of Communication Vol 40 – 2015 )
• « Heureux et traqués (avec le quantified self) », François Badaire – 07-02-2016 (blog de médiapart.fr)
• « Du quantified self au quantified bot , les risques d’une pratique en vogue », Xavier Comtesse – 11-02-2016 ( objetconnecte.com )
• « L’homme le plus connecté du monde s’est fait dévorer par ses données », Claire Richard – 09-09-2017 ( http://tempsreel.nouvelobs.com )
Références :
• Black Mirror – Saison 3, episode 1 (Chute libre)