Société

"Pooper" ou l'ironie de l'ubérisation

Pour vendre ses iPhones, Apple nous disait qu’il existait des applications pour tout. Aujourd’hui, il n’y a rien de plus vrai. Pooper joue avec les règles de l’économie collaborative pour s’en moquer de manière très subtile. A travers une fausse application, l’envie de dénoncer les coulisses de l’économie dite collaborative se fait ressentir.
« Les crottes de votre chien, dans les mains de quelqu’un d’autre »
A en croire le site de l’application Pooper, rien de plus simple. En prenant un abonnement payant, l’usager aurait la possibilité de prendre en photo la crotte de son chien afin de la géolocaliser et ainsi appeler un « scooper » afin qu’il vienne la ramasser. Tous les codes d’Uber sont copiés, de la typographie à la couleur bleu turquoise de l’application. Plus généralement, le site dans son intégralité est épuré et très sophistiqué, agrémenté de photos et de vidéos explicatives. La page proposant de devenir ramasseur utilise les mêmes arguments qu’Uber, à savoir possibilité d’un revenu supplémentaire, indépendance et simplicité d’utilisation. Finalement, ce sont tous les codes de l’ubérisation qui sont reproduits. Deliveroo, Airbnb ou encore Soyez Bcbg, tous utilisent ces mêmes codes reconnaissables pour l’utilisateur et signes de ce modèle. Face à Pooper, l’utilisateur modèle peut très bien se laisser berner.
Cependant, de nombreux marqueurs d’ironie sont subtilement placés… Le logo pourrait déjà être un indice. Une crotte qui sourit semble nous indiquer la dimension farcesque du dispositif. On décrit ensuite les ramasseurs comme « des gens comme vous, qui aiment les chiens et qui veulent améliorer les rues et les quartiers dans lesquels nous vivons »: comble de l’ironie, le ramasseur serait motivé par la bonne cause plutôt que par un besoin cruel d’argent… Cette ironie touche aussi les consommateurs. Les Scoopers reçoivent le même message que les conducteurs d’Uber, une notification « dès qu’il y aura une crotte » près de chez eux. Ayant connaissance de l’ironie de l’application, on peut alors voir une assimilation entre consommateur d’Uber et crottes de Pooper. L’application voudrait nous faire voir un parallèle entre des ramasseurs de déjections et des véhicules prêts à nous déposer à tout instant.

Une supercherie au succès terrifiant
Les créateurs, Ben Becker et Eliot Glass, ont alors expliqué leur démarche. Ils voulaient réutiliser tous les signifiants visuels et le langage habituellement utilisés par ce type d’application en y attribuant une fonction absurde. Et cela a marché ! Les médias, les investisseurs, et les usagers sont tombés dans le piège. Plus marquant encore, l’application a reçu de nombreuses demandes d’inscription. Une centaine de personnes seraient donc prêtes à devenir ramasseurs de crottes de chien. Cela en dit long sur notre société et l’objectif des deux créateurs est donc atteint avec brio !
Bye Bye crottoir, l’équivalent français… Mais en vrai !
Si l’application américaine était une plaisanterie ironique, l’équivalent français, Bye Bye Crottoir, est lui bel et bien réel. La démarche est un peu différente. Ici, c’est la mairie qui paye pour y avoir accès. Les usagers sont invités à photographier et à géolocaliser les déjections canines qu’ils croisent dans la rue afin qu’un agent de la mairie vienne les ramasser. Toutefois, si le principe initial est de rendre la ville propre, la finalité est la même, photographier une crotte de chien pour que quelqu’un vienne la ramasser… Cette application a eu tellement de succès que le montage de toutes les photos prises a permis de représenter la Tour Eiffel en crotte de chien !

Les créateurs de Pooper auraient-ils raison? Faisons-nous des applications pour tout et n’importe quoi?
Des applis, encore des applis
Ce que dénonce Pooper, c’est avant tout le nouveau modèle instauré par la Silicon Valley. Un modèle qui prône l’ubérisation. Des applications naissent sans cesse, pour tout et n’importe quoi. Ces applications prétendent résoudre tous les problèmes, un peu à la manière de la prothèse de MacLuhan, le prolongement du bras de l’Homme. Les applications suscitent de nouveaux besoins pour en- suite les résoudre. Cela permet de remettre en cause notre rapport aux nouvelles technologies et aux médias qui nous sont offerts. Aujourd’hui, on s’en remet aux applications pour effectuer de plus en plus d’actions du quotidien. Comme le souligne les fondateurs de Pooper, nous n’avons plus besoin de conduire, d’aller au restaurant, ou même jusqu’au pressing. Il nous suffit de télécharger une application et en quelques clics, tous ces services viennent à nous.
Une économie collaborative… Ou pas
Dans le journal Newsweek, on décrit les problèmes résolus par la plupart des applications comme inexistants, « sauf si on est très riche ou très paresseux ». L’économie collaborative se résumerait à faciliter la vie d’un individu en dégradant la vie d’un autre. On délègue les tâches quotidiennes à quelqu’un qui a besoin d’argent au point d’accepter de ramasser des crottes de chien. Cela rappelle quelque chose qui existe depuis longtemps, les « dog walkers », ces étudiants payés pour promener et donc ramasser les crottes de chiens de riches américains. Le partage prôné par tous ces acteurs d’une économie dite collaborative ne serait en fait qu’une stratégie marketing afin de développer une image de marque aux valeurs humaines. On peut penser ici à Airbnb, AlloResto, ou encore dans un autre registre Coca-cola et son fameux « partager un Coca avec un ami ». Finalement, toutes ces entreprises profitent du phénomène pour gagner de l’argent, quitte à augmenter le travail précaire, sous le signe d’une simplification de la vie et d’un partage entre personnes qui n’est pas forcément réel.
L’initiative de Pooper est innovante. Une manière ludique d’éclairer les gens sur l’utilisation de toutes ces technologies qui, au lieu de créer du lien, peut parfois le détériorer. Contre toutes les publicités pour ce type d’application, Pooper est le signe, peut-être, d’une nouvelle vision de ces évolutions récentes.
Charlotte Delfeld
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Sources :
• « Moquer l’uberisation avec une fausse application de ramassage de crottes », Le Monde, publié le 01/08/2016. Consulté le 10/03/2017.
•RIS Philippe, « Disruption, ubérisation : les excès des mots cachent la réalité », LesEchos.Fr, Publié le 03/11/2015, Consulté le 10/03/2017.
• SCHONFELD Zach, « How a Fake Dog Poop App Fooled the Media », Newsweek, publié le 30/07/2016. Consulté le 10/03/2017.
• Site de l’application Pooper. Consulté le 10/03/2017.
Crédits :
• Site de l’application Pooper
• Compte Twitter de l’application Bye Bye Crottoir

Société

Les Pays-Bas et le vélo : une histoire qui marche comme sur des roulettes

Quand on pense à Amsterdam, ce qui vient immédiatement à l’esprit, après la fameuse plante médicinale et les jeunes femmes peu vêtues, c’est bien évidemment le vélo. Force est de constater que le vélo est bien plus qu’un mode de transport écologique et intéressant, c’est en effet un véritable mode de vie, une manière d’être. L’immense majorité des Néerlandais l’ont adopté et se déplacer à vélo fait désormais partie de la culture du pays et nous ne pourrions pas imaginer les Pays-Bas sans vélo. Pourtant, le gouvernement voit encore la nécessité de continuer à mettre en place des campagnes de sensibilisation afin de démocratiser encore plus ce mode de transport.
Le vélo : un véritable mode de vie
À Amsterdam, plus de la moitié des habitants se déplacent à vélo, preuve que cette pratique est bien inscrite dans les mœurs. Il n’est donc pas étonnant de constater que le gouvernement consacre chaque année un budget conséquent à l’amélioration des infrastructures dédiées aux cyclistes et à l’amélioration des conditions de sécurité. Il a d’ailleurs été montré qu’il y a avait très peu d’accidents mortels impliquant des vélos aux Pays-Bas puisque tout est fait pour garantir la bonne entente sur la route entre vélos et véhicules motorisés. Anecdote quelque peu cynique ; la majorité des accidents à Amsterdam est due à des touristes bien moins au fait de la conduite de vélos. Il est vrai que pour des étrangers qui ne sont pas des habitués des Pays-Bas, la place consacrée aux vélos peut être quelque peu surprenante. Il est en effet parfaitement courant de voir des immenses superficies uniquement occupées par des parkings réservés pour les vélos — parkings bien plus importants que ceux dédiés aux voitures, moins pratiques dans la ville des cyclistes.
Malgré le succès que rencontre le vélo, le gouvernement continue sa communication sur les bienfaits de la bicyclette. Ainsi, il encourage les écoles mais aussi les entreprises à sensibiliser les élèves et les employés. Un grand nombre d’entre eux viennent donc travailler à vélo et les entreprises l’ont bien compris puisque de plus en plus de bureaux mettent à disposition un vestiaire pour se changer et des douches afin de ne pas arriver ruisselant à la machine à café.

Un modèle à l’étranger
Ces incitations ne sont pas uniquement faites dans le but de pousser les Néerlandais à faire du sport, bien que, comme pour la plupart des pays occidentaux, ils sont en moyenne 10% à souffrir d’obésité. En effet, le vélo fait intégralement partie de l’image du pays à l’international, tout comme la baguette et la Tour Eiffel pour la France. Le vélo constitue une sorte de vitrine pour les Pays-Bas, vitrine qui montre bien l’engagement du pays tout entier au service du développement durable et d’une économie plus respectueuse de l’environnement. Cette image est grandement bénéfique pour l’économie touristique du pays car les préoccupations environnementales touchent un public de plus en plus large et pour ce public, quel pays européen représente mieux les avancées écologiques que les Pays-Bas ?
Dans un contexte politique et social, où la question du respect de l’environnement est de plus en plus présente, il n’est pas étonnant de voir que les Pays-Bas font figure de modèle pour leurs voisins et notamment pour la France. Cette figure de pionnier est loin de déplaire aux Pays-Bas puisque cela fait partie des ambitions du pays à l’international. En effet, le Ministère des Transports avait mis en place une grande étude analysant les effets de la pratique du vélo depuis 1993. Les résultats sont sans appel ; le vélo c’est bon pour tout. Le bilan élogieux de cette étude a donc poussé les Néerlandais à vouloir exporter leur modèle et force est de constater qu’ils ont un public de plus en plus important.
Les autres pays européens, conscients des enjeux liés aux transports et à la santé, font fréquemment appel à la contribution du gouvernement néerlandais lors de l’élaboration de politiques cyclables. Parmi ces pays il y a la France ; cette dernière tente de mettre en place des mesures similaires, comme les systèmes de location de vélos en agglomération ; par exemple Vélib’ à Paris ou Métrovélo à Grenoble. Cependant, le manque d’infrastructures se fait cruellement sentir et les problèmes de sécurité freinent quelque peu le développement de ces projets qui ne parviennent pas toujours à avoir l’ampleur escomptée.
Si les Néerlandais semblent gérer parfaitement la problématique des vélos, cela n’est pas encore le cas pour leurs voisins européens qui peinent encore à effectuer leur transition. Ce constat ne doit pas pour autant occulter l’avenir radieux que le vélo a devant lui. Mettre toute une nation sur une selle cela ne se fait pas en une poignée d’années et il faut bien plus que la construction d’infrastructures ; c’est bien un changement dans les mentalités et dans les habitudes qui est nécessaire à cette mutation sociétale.
Laura Laarman
Sources :
Elles font du vélo ; Consulté la 01/03/2017, écrit par La Rédaction le 29 août 2014 http://ellesfontduvelo.com/2014/08/la-bicyclette-est-reine-des-debats-politiques-en-hollande/
Veille action ; Consulté le 01/03/2017, écrit par Veille Action le 13 mai 2014 http://veilleaction.org/fr/laveille/transport-actif/2051-pour-des-deplacements-a-velo-plus-securitaires-exempleamsterdam.html
Le vélo aux Pays Bas Consulté le 01/03/2017 Édité par le Ministère des Transports, des Travaux publics et de la Gestion des Eaux Directorat-General des Transports des Passagers, publié en 2009 http://www.fietsberaad.nl/library/repository/bestanden/Leveloauxpaysbas2009.pdf
Photos :
Photo ebay ; http://www.ebay.fr/itm/Publicite-velo-Pays-Bas-Amsterdam-vintage-REPRO-AFFICHEART-PRINT-792pylv-/400989989170?rmvSB=true
Pop my bike ; http://weboptimisation.fr/minutecom/wp-content/uploads/2014/04/POP-MY-BIKE-hollandepays-bas-paris-v%C3%A9lo-minute-com-blog-communication-marketing-publicit%C3%A9-event-4.jpg

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Société

Sourds et malentendants, leur combat pour la télévision

Qui ne s’est jamais trompé, lors d’un film, en sélectionnant les sous-titres pour malentendants ? Dans ces moments, le spectateur lambda a un petit aperçu de leur quotidien. Les sourds et malentendants représentent aujourd’hui 6,6% de la population française, soit 6 millions de personnes dont 400 000 sourds profonds. Mais comment ce public consomme-t-il les contenus télévisés ? Les chaînes sont-elles adaptées ? La question du handicap est très peu abordée dans les programmes des candidats à la présidentielle. Pourtant, ces derniers négligent une grande partie de leurs électeurs à cause d’une mauvaise adaptation de leurs discours télévisés aux sourds et malentendants. Sans jouer les pères moralistes, essayons ici de décrire la réalité des pratiques développées pour ce public à la télévision.
Un gouvernement qui fait la sourde oreille
Depuis la loi du 11 février 2015, toutes les chaînes (publiques ou privées) représentant plus de 2,5% de la part d’audience moyenne actuelle doivent adapter leurs programmes en proposant un sous-titrage. Cette mesure était essentielle car la télévision, si on se réfère aux malentendants, demeure leur principal moyen d’information et de divertissement.
Mais à cette réaction tardive du gouvernement s’ajoute un manque de diversité des programmes adaptés comme le montre ce témoignage de Lucas, jeune homme sourd :
« Il existe des émissions qui ne sont pas sous-titrées. Notamment l’émission “La Mode, la mode, la mode” sur Paris Première. Je voudrais travailler dans la mode, donc j’aimerais en apprendre plus… J’ai même envoyé un message à la chaîne, personne ne m’a répondu… »
Malgré cette loi de 2015, nombreuses sont les émissions et documentaires spécialisés persistant inaccessibles pour les sourds et malentendants. Leurs choix sont donc bien plus réduits que ceux des autres téléspectateurs.
De plus, pour les émissions en direct, la situation reste catastrophique. En effet, les traducteurs n’ayant pas le temps de traduire les dialogues, on observe un écart de temps entre l’image et les sous-titres dépassant parfois de 10 secondes. 10 secondes semblent représenter peu, mais c’est un écart considérable pour suivre et comprendre un programme télévisé. Ce détail, qui peut sembler anodin, handicape fortement les sourds et malentendants.
Prenons l’exemple d’Emmanuelle, qui avait fait parler d’elle sur Twitter en filmant son téléviseur lors des débats des primaires sur France 2 (voir vidéo ci-dessous). Un mot s’affiche toutes les secondes, sans être mis en lien avec les précédents, il est donc impossible pour Emmanuelle de suivre les discours des candidats. Ce post illustre la réalité des traductions disponibles lors des directs des grandes chaînes comme des petites.

Je suis sourde et je veux suivre la #PrimaireLeDebat comme tout le monde. Mais les sous-titres sont pourris sur @France2tv. #PrimaireGauche pic.twitter.com/e6AglB6obe
— Emmanuelle (@eaboaf_) 19 janvier 2017

Il reste donc beaucoup à faire pour garantir une égalité d’accessibilité aux contenus télévisés, d’autant plus que beaucoup de sourds signant ne sont pas à l’aise avec la lecture et les subtilités de la langue française. L’idéal serait donc de proposer deux options pour chaque programme : les sous-titres ou l’intégration d’une traduction en langue des signes.
Un retard qui se creuse pour les plateformes de VOD 
La solution pour les sourds et malentendants serait donc de regarder les programmes en différé, permettant ainsi aux chaînes de télévision d’avoir plus de temps pour traduire les programmes. Cependant, aucune loi n’oblige les dispositifs de replay à adapter leurs programmes aux sourds et malentendants. Et pourtant, le visionnage en replay est de plus en plus à la mode et serait extrêmement utile pour les malentendants. Il y a donc un sérieux manque de réalisme de la part des chaînes, excluant tout un public de téléspectateurs et renforçant leur sentiment d’isolement.
Autre domaine n’étant pas réglementé : la publicité. Certes, la publicité n’est pas considérée comme programme culturel et énerve de nombreux individus. Cependant, les sourds et malentendants devraient avoir le choix de zapper la publicité ou de la regarder. C’est pour cela que certaines agences de publicité ont décidé de sous-titrer leurs spots télévisés. Publicis a pris cette initiative en 2016 :
« C’est important pour nous dans le cadre de notre responsabilité sociétale de travailler avec nos clients sur ce sujet incontournable qui est l’accès des communications à la population en situation de handicap. Et je suis très fier que Publicis Conseil soit la première agence de France dont tous les annonceurs ont sauté le pas pour sous-titrer tous leurs films TV ». Patrick Lara, Directeur Général de Publicis
Une belle initiative montrant l’envie du secteur de la publicité de s’adapter à tous ses publics. Mais surtout, montrant un pas de plus contre les inégalités de consommation des dispositifs de communication.
Des technologies qui s’adaptent
Heureusement, de nouveaux appareils se développent pour aider la compréhension des programmes à ce public malentendant. Les malentendants peuvent désormais relier leurs appareils auditifs à la télé afin d’augmenter le son de la diffusion directement dans leurs oreilles.
Cependant, avec des écouteurs ou des appareils auditifs reliés à la télévision, le téléspectateur peut uniquement écouter le son de la télévision. Cela l’isole donc des personnes regardant avec lui la télévision, ne pouvant interagir avec ses proches en même temps. Or, si nous reprenons un ouvrage majeur, La télévision cérémonielle, Anthropologie et histoire en direct de Daniel Dayan et Elihu Katz, nous constatons que certains évènements télévisés créent des discussions, du lien social en réunissant plusieurs personnes autour de la télévision. Prenons comme exemple L’Euro de Football, événement suscitant de nombreux échanges lors du visionnage : les malentendants reliés uniquement à la télévision ne peuvent partager leurs avis et profiter de cet événement comme tous les autres téléspectateurs. Les chaînes de télévision sont donc les mieux placées pour aider à la bonne assimilation des programmes.
À ces petits objets connectés s’ajoute l’apparition des caméras à la radio. Les sourds et malentendants regardent essentiellement la télévision et restent coupés des autres médias traditionnels (à part la presse). Avec l’arrivée de la caméra en studio d’enregistrement, certaines matinales sont traduites en langue des signes et parfois, des spécialistes sous-titrent en direct chaque dialogue. France Inter avait montré l’exemple lors de la Semaine Européenne pour l’Emploi des personnes handicapées en mettant en œuvre ces deux types de traduction. Ici, nous avons une réelle amélioration de la communication envers ces publics.

Il y a donc une réelle volonté de communiquer les programmes télévisés aux sourds et malentendants, que ce soit au niveau du gouvernement ou des acteurs privés. Cependant, la société demeure mal renseignée sur les problèmes que rencontre ce public malentendant. Des programmes télévisés se développent donc afin de montrer ce handicap aux yeux de tous, et surtout aux jeunes publics. Gulli, par exemple, a diffusé le premier épisode de C’est bon signe le 2 février dernier. Cette série met en scène un adolescent sourd et ses tracas quotidiens. Quel est le but ici ? Communiquer sur le quotidien d’un sourd de manière adaptée aux jeunes spectateurs afin d’éviter les maladresses commises envers ce public par manque de connaissances. Ces initiatives doivent être développées pour établir et faire perdurer une égalité télévisuelle entre tous les publics.
Nathanaelle Enjalbert
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REMERCIEMENTS
Merci beaucoup à Mélanie Duval, chargée de projet enseignement supérieur au CED, Handicap et Diversité, qui a pris le temps de répondre à mes questions pour cet article. Merci également à Hanna Zouari, étudiante au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) pour son avis précieux.
SOURCES 
DIGIACOMI Claire, « Cette internaute sourde a su attirer l’attention en plein débat de la primaire de la gauche », huffingtonpost.fr, 19/01/2017
AFP, « Les sous-titrages à la télé, un « calvaire » pour les sourds », L’express.fr, publié le 08/02/2015
AUDIGIER Anne, « Les programmes de France Inter en Langue des Signes », Franceinter.fr, publié le 14/11/2016
Site de l’Unapeda, association pour les sourds et malentendants
Daniel Dayan, Elihu Katz, La cérémonie télévisuelle, Anthropologie et histoire en direct, 1996
Crédits photos:
Langue des signes, Getty, photographe non connu
Capture d’écran de la chronique de Sophia Aram sur France-Inter. 
 

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Société

Allo… rthographe ?

L’orthographe est un sujet épineux. Si elle est vue comme un simple outil de sélection par certains, elle est discriminante pour d’autres. En France, la tendance favorise le premier point de vue : écrire correctement va de soi, et l’opinion ne pardonne pas. La ministre de l’Éducation nationale en a récemment fait les frais.
À vos stylos…
La dictée est encore un exercice auquel se plient des millions d’écoliers. En novembre dernier, le ministère de l’Éducation nationale a publié une étude sur les performances en orthographe des élèves en CM2. La même dictée est soumise aux classes à plusieurs années d’intervalle : 1987, 2007 et 2015. Au fil de ces trois évaluations, il est indéniable que le niveau orthographique a chuté — considérablement chuté même. Sur une dizaine de lignes sans grande difficulté, 10,6 fautes étaient comptées la première année. À l’occasion du deuxième test, en 2007, on dénombrait 14,3 fautes. Jusqu’à 17,8 erreurs en 2015.
Ainsi, les élèves qui s’apprêtent à rentrer au collège ont une maîtrise de plus en plus faible de la langue française. L’exercice adoré ou redouté qu’est la dictée est ensuite relayé au second plan, et les fautes s’installent durablement dans les habitudes des étudiants. Comme le note Loïc Drouallière dans son ouvrage Orthographe en chute, orthographe en chiffres, les élèves ayant une moins bonne maîtrise en orthographe subissent une « spirale régressive ». Autrement dit, « les faibles deviennent encore plus faibles alors que les bons se maintiennent à leur niveau d’origine. »
Outil de sélection
Si l’orthographe se détériore pendant le collège, il en est de même durant les études supérieures. Quel que soit le niveau auquel l’élève arrête ses études, arrive le moment de l’entrée dans la vie active qui nécessite, de ce fait, les envois de lettres de motivation et du CV.
L’orthographe est un des critères sur lesquels l’employeur juge les candidatures. Tout simplement parce que l’orthographe apparaît comme un outil de sélection. Et la liste des arguments soutenant qu’il est normal de bien écrire est longue. L’orthographe n’est-elle pas essentielle pour toute personne voulant intégrer le monde du travail ? Pour être crédible, ou bien même compréhensible ?
Rappelons qu’à l’occasion de la réforme de l’orthographe, beaucoup de Français ont joué sur l’importance des accents. Ils ont rappelé celle de l’accent circonflexe, qui, s’il est omis, peut donner lieu à un changement de sens… radical. Un exemple cocasse a été ainsi très utilisé par les opposants à la réforme : « Je vais me faire un petit jeûne. » mis en parallèle avec « Je vais me faire un petit jeune ».
L’orthographe sinon le flop
Au-delà, tout comme un employeur ne prend pas au sérieux une lettre de motivation qui contient des fautes, les articles avec des coquilles sont moqués, et les campagnes de publicité avec la moindre erreur sont taclées. Le flop, lui, guette.
En 2013, le Bled, véritable ouvrage de référence, a lui-même perdu toute crédibilité en laissant passer une énorme faute de conjugaison sur une de ses affiches. « Bled en français, en langues, en philo, pour vous *accompagnez toute l’année », peut-on lire. Quand un « z » remplace le « r », le scandale éclate !

Les fautes d’orthographe peuvent également coûter cher… Très récemment, la librairie du Congrès a dû arrêter la vente en ligne du portrait officiel de Donald Trump car une erreur s’était glissée dans la citation. Un « o » manque et c’est le flop présidentiel.

Outil de discrimination
L’orthographe est une aptitude, au même titre que savoir compter. Cette capacité fait appel à la mémoire visuelle, plus ou moins développée en fonction des individus. Certains ont des difficultés pour retenir des règles de grammaire, d’autres sont mauvais en calcul mental. Et pourtant, le calcul mental n’est pas un facteur déterminant dans l’embauche !
Mais le fait est que la langue française apparaît comme un patrimoine qu’il faut défendre, protéger, et respecter. Récemment, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud- Belkacem, s’est, malgré elle, réessayée à la dictée. Un ancien professeur de français a collecté ses fautes d’orthographe, les a mises en ligne sur Twitter, et a souligné l’ironie de la situation.
Mal écrire est mal vu. L’orthographe confère une valeur sociale. Selon un sondage, 84% des Français sont en effet gênés lorsqu’ils commettent une faute : cela renverrait une mauvaise image. Presque autant d’individus sont choqués de repérer une erreur dans un texte officiel (enquête Ipsos pour les Editions le Robert). De l’exigence d’une graphie irréprochable est née cette discrimination.

Eh bien… Après avoir écrit cet article, une seule envie m’anime. Celle de vous avouer que je discrimine moi-même. Au menu des restaurants, j’aime chercher la faute d’orthographe – car il y en a souvent une. Et fréquemment, je la trouve en commandant des profiteroles écorchées.

Victoria Parent-Laurent
Sources :
• DEBORDE Juliette, « Réforme de l’orthographe : ce qui change vraiment », Libération, 04/02/2016, consulté le 21/02/2017
• 20 minutes, « Etats-Unis : Une faute d’orthographe dans le portrait officiel du président Donald Trump », 20 minutes, 14/02/2017, consulté le 21/02/2017
• RATOUIS Alix, ROLAND-LEVY Fabien, « La grande injustice de l’orthographe », Le Point, 27/08/2009, mis à jour le 03/09/2009, consulté le 21/02/2017
• LE GAL Thibaut, « L’orthographe est un marqueur social qui donne une image de soi », estime le linguiste Alain Rey, 20minutes, 04/09/2014, mis à jour le 05/09/2014, consulté le 22/02/2017
Crédits  :
• Photo 1    de    couverture    :    L’Obs
• Photo 2 : saramea
• Photos 3 et 4 : captures d’écran Twitter

Société

Explicite : le nouveau média libre, indépendant et fier de l'être

Les médias sont omniprésents. Ils nous donnent à voir ce que l’on ne peut pas savoir, nous informent et nous divertissent. Mais dans un contexte politique, humanitaire et économique qui voit se multiplier les fake news, la manipulation des émotions pour créer une post-vérité, des hommes et des femmes ont décidé de faire prôner l’indépendance et la liberté, de se défaire du carcan télévisuel et de créer Explicite.
Explicitons l’originalité de ce nouveau média
Le 20 janvier 2017, Explicite nait sous l’impulsion de 54 ex-journalistes d’iTélé . Ces journalistes, qui ont quitté la chaîne d’information dirigée depuis peu par Vincent Bolloré après avoir fait grève pendant trente jours suite à la décision du nouvel actionnaire de la chaîne d’engager Jean-Marc Morandini, impliqué dans une affaire de corruption de mineur et utilisant des méthodes qui entravent la liberté du journalisme (censure de documentaire, ligne éditoriale stricte et imposée…). Olivier Ravanello, président de l’association des Journalistes associés, a expliqué la motivation de cette équipe de journalistes qui ont fait le choix de rester fidèles à leurs convictions idéologiques et de quitter iTélé pour faire vivre un journalisme indépendant: « Nous voulons nous remettre au service des gens et retrouver le lien avec eux sur les réseaux sociaux ». Le principal objectif de ces journalistes est donc de faire vivre l’information, de manière libre et d’être au plus proche, non plus des téléspectateurs mais des internautes. Le principe est simple: répondre aux interrogations de tous et produire des contenus journalistiques qui seront diffusés sur les réseaux sociaux. Ce choix réalisé dans un objectif d’originalité peut s’opposer au choix de « Les Jours », média en ligne sur abonnement, de créer des contenus informatifs sous forme de série et sur des « obsessions », thèmes choisis par les journalistes pour être développés. Le choix d’Explicite est donc, lui, d’être plus interactif avec son public notamment via Twitter. La page (@expliciteJA) créée en décembre 2016 et dont le premier post remonte au 16 janvier 2017 est déjà suivie par plus de 38000 abonnés.

Hey, on est de retour…
On a décidé de s’associer pour vous informer & vous écouter.
En toute indépendance 🙂
Bienvenue sur #Explicite 🎈
— EXPLICITE (@expliciteJA) 16 janvier 2017

Quel business model ?
Explicite se décrit comme un collectif de journalistes associés. Ce statut leur est cher puisque le portrait de chaque journaliste a été diffusé sur les réseaux sociaux. Tel un acte militant, chacun exprime son désir de s’associer et de participer à l’aventure du nouveau média indépendant. Pour autant, créé de manière spontanée et rapide, le business model de ce média est aux prémices de son élaboration. Les associés sont bénévoles et fonctionnent avec les moyens du bord pour pouvoir délivrer des contenus de qualité tout en limitant les frais. Pour maintenir le projet à flot, il leur faut pourtant réfléchir à une stratégie d’entrée de financement afin de rendre le projet pérenne, voire de le développer. Mais les contenus sur les réseaux sociaux ne peuvent pas être vendus, aucun espace publicitaire n’est présent et pour l’heure aucune aide publique n’est perçue. Rappelons qu’Explicite entre dans la catégorie des médias en ligne, ils ne ne peuvent ainsi espérer que 50 000€ de subvention par an pendant 3 ans. Seulement, pour faire vivre 54 journalistes et amortir les frais de production, il est nécessaire de trouver d’autres ressources, et si elles ne sont pas publiques, la solution est peut-être privée. En publication épinglée de la page Facebook d’Explicite, nous pouvons trouver un lien vers une cagnotte de crowdfunding sur la plate-forme kisskissbankbank. L’objectif à atteindre est de 150 000 € et les dons vont de 1 à 5 000€.

Mais cette récolte de fonds sera-t-elle suffisante pour assurer un futur économiquement stable à Explicite ? D’autres médias en ligne exclusivement présents sur les réseaux sociaux ont été créés, citons Popular, The Shade Room, ou les producteurs de vidéos AJ +, NowThis et Insider, mais le recul n’est pas assez important pour savoir si le modèle est viable à long terme.
Un avenir prometteur mais incertain…
L’idée est belle, le projet est beau. Dans le contexte actuel où l’information est au cœur de toutes les affaires, avec l’augmentation des fake news et le manque de confiance des citoyens en ce qu’ils voient et entendent, la création d’un média indépendant, créé par des journalistes qui ont quitté un système qui pour eux ne correspondait pas aux valeurs du journalisme, semble prometteuse. Mais si notre regard se tourne vers le futur, l’horizon devient plus flou.
Au delà de la question économique qui n’est pas résolue, la mobilisation et la création d’une communauté fidèle et fiable se pose. L’objectif premier d’Explicite est de se créer une notoriété. Or, sa présence uniquement en ligne ne joue pas en sa faveur. En effet, les filter bubbles qui ne montrent à chacun que des contenus supposés leur plaire et cela en fonction des contenus recherchés, likes, partages, sont le risque de n’être connu que par un cercle restreint d’amateurs de journalisme et du monde de la communication, adepte des réseaux sociaux.
Qu’en est-il du grand public ? Un journalisme libre et indépendant, répondant aux interrogations de ses lecteurs ne serait-il pas accessible à tous ? Et à long terme, Explicite court le risque de voir une ligne éditoriale s’imposer à lui notamment s’il s’associe avec Yahoo ou d’autres sites d’agrégations de contenus qui ont eux-mêmes des lignes éditoriales. La ligne éditoriale peut également être influencée si les journalistes associés s’engagent dans d’autres médias, comme Antoine Genton, ex-journaliste d’i-télé, associé au projet Explicite, engagé par France 5 comme chroniqueur hebdomadaire de l’émission « C l’hebdo »;    son implication dans un nouveau projet ne va-t- elle pas avoir comme conséquence un relais d’Explicite au second plan ? Il y a deux options quant à l’avenir d’Explicite: engouement croissant du public, engagement des journalistes et pérennité économique ou instabilité financière, essoufflement du projet et de sa visibilité. Affaire à suivre.
Xuan NGUYEN MAZEL
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Sources :
• Alexandre Piquard, « Explicite », le nouveau média d’information sur les réseaux sociaux d’anciens d’i-Télé, Le Monde, mise à jour le 17/01/2017, consulté le 18/02/2017.
• Benjamin Pierret, Ces nouveaux médias qui se déploient uniquement sur les réseaux sociaux, RFI, mis en ligne le 19/01/2017, consulté le 18/02/2017.
• Legifrance, Décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour application de l’article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, mis en ligne le 30/10/2009, consulté le 18/02/2017.
• Anais Moutot, Ces nouveaux médias présents uniquement sur les réseaux sociaux, Les Echos, mis en ligne le 01/05/16, consulté le 18/02/2017.
•Lionel Durel, Leader des grévistes d’iTELE, Antoine Genton arrive sur France 5, 24matins, mis en ligne le 17/02/2017, consulté le 18/02/2017.
Crédits :
• Page Twitter d’Explicite Plateforme kisskissbankbank d’Explicite

Société

Longue vie au podcast audio

Si les origines du mot podcast restent mystérieuses (contraction d’ « iPod » et de « broadcasting » ou initiales de « Program On Demand » ?) plus personne ne doute de son succès. Enfant de la radio et du web, le phénomène podcast – apparu pour la première fois courant des années 2000 – est assurément un petit protégé de la famille des transmédias. Alliant la fluidité de l’oral et la souplesse du digital, ce média s’érige en symbole gagnant de la remédiation. Auparavant utilisé comme moyen de rattrapage des émissions radios manquées, il se définit aujourd’hui comme un média en tant que tel.
L’audio x le digital = équation gagnante de l’infotainment 
McLuhan disait « The content of any medium is always another medium ». En d’autres termes, toute médiation est par essence une remédiation : un contexte de média existant qui vient être transformé. Par exemple un film tiré d’un livre est une remédiation de ce même livre.

Dans le cas présent, les podcasts peuvent être décrits comme une version 2.0 de la radio. On y retrouve ainsi la relation d’animateur/auditeur (podcasteur/ auditeur). L’influence de la culture d’internet, toujours plus riche et variée, bouscule les programmes pour y proposer un large panel de sujets à la demande. Avec 80 millions de téléchargements, le reportage fiction Serial diffusé à l’automne 2014 aux Etats-Unis est le reflet de cet engouement pour les nouveaux formats audio qu’offre le podcast. Du divertissement à l’information, de la fiction au reportage, il mélange information et divertissement et cela plaît. France Inter, par exemple, a vu son nombre de téléchargements progresser de 50% entre les saisons 2013-14 et 2014-15.
Toutefois, bien que le podcast provienne en grande majorité du format radio, il sait également prendre ses distances de celui-ci !
Avec leur format où la parole s’étale, se nourrit du point de vue de l’auteur et invités, le podcast prône un retour à la slow information. Ses sujets sont généralement abordés avec un certain recul qui s’oppose à la culture de l’instantanéité que l’on retrouve sur la toile. Même rupture du côté de la publicité : elle est quasi-absente ! Seule l’auto-promotion – moins intrusive qu’une publicité en tant que telle – est pratiquée, bien souvent en indiquant un programme susceptible d’intéresser l’auditeur.
« Parole, parole, parole » au service du storytelling

À l’heure du règne de l’image que Régis Debray décrit comme étant la période « vidéosphère », le retour de l’audio et rien que l’audio peut surprendre. Pour autant, la parole et plus précisément la conversation s’est amorcée comme une tendance porteuse quand on voit les émissions de télévisions comme, par exemple, « conversations secrètes » de Canal Plus (où Michel Denisot se promène et converse avec son invité). Le format vidéo en moins, reste un réel engouement pour la conversation, cet acte pourtant quotidien. Et cela tombe bien puisque le podcast offre une plus grand liberté de parole : aucun format imposé que ce soit dans le style, le temps, ou encore le contenu.

« The Beautiful thing about podcasting is it’s just talking…it is one of the best ways to explore an idea » @joerogan #quotes #podcasting pic.twitter.com/A3jZMERqoH
— The Gospel Friends (@mygospelfriends) 23 décembre 2016

Face à la méfiance que peuvent avoir les publics quant aux manipulations médiatiques, le podcast plaît pour sa liberté, son authenticité. Il est question d’une polysémie et d’une primauté du podcasteur. Tous uniques, traitant le sujet à leur manière : de façon institutionnelle pour les grands noms de la radio tels que France Inter ou France Culture, ou encore et surtout avec de la subjectivité pour les billets et podcasts d’amateurs.
Ainsi, dans tous les cas, le résultat se veut humain, avec sa part d’imperfections, de spontanéité. La pratique peut aller d’un podcast improvisé (les conversations de Garance Doré dans « Pardon my french » ou celles de « Getting To Know You » de Radio Kawa) à un récit construit autour du storytelling (« Transfert » de Slate.fr, « Arte Radio : flux principal » de Arte).
L’authenticité propre au podcasteur et sa production confère à la relation avec l’auditeur un sentiment plus intime. Les enregistrements amateurs, par exemple, se font souvent dans des lieux privés (lieux domestiques, hôtels entre autres) à destination de publics qui les écoutent dans leur quotidien. C’est une relation plus personnelle qui s’instaure puisque pour un grand nombre de podcasts il n’y pas de public lors de l’enregistrement. Il n’y a pas non plus d’interventions d’auditeurs comme c’est le cas avec la radio. Cela donne l’impression à l’auditeur d’être le seul destinataire.
Enfin, la logique d’abonnement via les flux RSS (« Rich Site Summary ») renforce cette relation quasi fidèle. Étant abonnés, on retrouve une logique de communauté qui suit la conception de Walter Ong, pour qui les nouveaux médias sont censés permettre de reconstituer un lien social.
Finalement le podcast plaît pour son efficacité et sa simplicité : la fluidité de la langue couplée à la créativité d’internet. Plus qu’un simple média d’infotaiment, la liberté de ton qu’il accorde tend à le placer en instrument politique. On assiste d’ailleurs à sa réutilisation par des mouvements féministes comme « Génération XX » racontant le portrait de « wonder woman » « Badass » consacrée aux figures de femmes dans la Pop Culture, ou encore « La poudre »  de Nouvelles Écoutes où Lauren Bastide converse avec des figures féminines. Il est certain que le podcast a pris ses marques dans la pop culture.
Ophélie Lepert
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Sources :
• Media meeting «  Le podcast ou la délinéarisation réussie de la radio », écrit par Frédéric Courtine, publié le 1er Avril 2014.
• Le blog documentaire «  Nouveaux territoires de création documentaire : podcast mon amour ! » Écrit par Fanny Belvisi et publié le 27 septembre 2016.
• Konbini «  Le podcast, nouveau terrain de jeu des féministes ». Écrit par Valentine Cinier et publié Février 2017 .
• Wikipédia, RSS
Crédits :
• The average penguin
• Mygospelfriend sur Twitter

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Société

Le lait est-il vraiment ton ami pour la vie?

Depuis quelques années, les produits laitiers et tout particulièrement le lait de vache perdent de leur superbe. Autrefois glorifié comme aliment santé par excellence, synonyme de croissance et de vitalité, le lait pose désormais de nombreuses questions sanitaires, éthiques et même économiques. Alors entre souillure et pureté, comment s’y retrouver entre deux discours totalement opposés sur le lait ? Peut-on parler de propagande d’un côté ou de l’autre ?
C’est quand même vachement bon !
Il est difficile d’envisager que cet aliment à la blancheur immaculée puisse avoir une quelconque incidence néfaste sur notre santé, et même sur celle des vaches. C’est vrai, elles ont BESOIN de se faire traire, non ? Et puis, comment résister au bonheur d’un grand verre de lait le matin ou avant d’aller dormir ?
Si la consommation de lait nous semble aujourd’hui si naturelle, c’est parce que les industriels, soutenus par l’Etat français, nous travaillent au corps depuis des dizaines d’années. « Les produits laitiers sont nos amis pour la vie » : ne mentez-pas, vous l’avez lu en chantant. Et c’est bien normal, car cette rengaine accompagne les Français depuis les années 80. Accompagnés d’une injonction à manger « au moins trois produits laitiers par jour », ces spots semblent faire partie d’une politique généreuse de santé publique.

Et pourtant, ces publicités apparues dans les années 80 s’inscrivent dans une politique économique de l’Etat. Au sortir de la guerre, Mendès-France avait rendu obligatoire la consommation de lait dans les écoles, officiellement pour redynamiser la France d’après-guerre mais surtout de manière plus officieuse, en raison d’une surproduction de lait à écouler.
Encore en 2015, la campagne « N’oublions pas le plaisir » nous rappelait à quel point le lait était notre ami. Mais ce qui dérange, ce sont bel et bien ces recommandations aux allures très officielles prônant une consommation forte et régulière au nom d’une bonne santé. En effet, l’ouvrage Lait, mensonge et propagande de Thierry Souccar révèle que le lobby laitier finance la recherche publique, et notamment l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique). La désinformation est ici largement en œuvre pour contrer la divulgation d’informations compromettantes pour l’industrie du lait.
La face obscure du lait
Il suffit de prendre un peu de recul sur notre rapport au lait pour constater l’étrangeté de notre consommation : l’humain est le seul mammifère à consommer le lait d’une autre espèce, et ce, même après sa période de sevrage. De plus, il choisit de consommer le lait de la vache qui est naturellement destiné à un veau, c’est-à-dire un mammifère qui lors de sa première année prendra environ un kilo par jour ! Cela explique le fait que le lait soit un aliment difficile à digérer car non-adapté à nos besoins humains. A côté de cela, la véritable intolérance au lactose existe, et elle est source de troubles intestinaux sévères et beaucoup plus répandue qu’on ne le croit.
On accuse le lait des industriels d’être chargé des antibiotiques donnés à la vache, de perdre toutes ses qualités nutritionnelles lors de la stérilisation à haute température mais pire encore, d’être un facteur de diabète, de cataracte, de maladies cardio-vasculaires et même de cancers.
Mais qu’en est-il du sacro-saint calcium, la star des pubs pour le lait ? Là encore, l’industrie du lait en prend pour son grade car de nombreuses recherches démontrent que nos besoins en calcium ne sont pas aussi importants que l’on voudrait nous le faire croire, et que l’argument selon lequel le calcium préviendrait les risques de fracture est faible et sans fondement. De plus, les pays qui consomment le plus de lait, comme par exemple le Canada, les Etats-Unis ou encore les pays scandinaves sont ceux dénombrant le plus de cas d’ostéoporose (fragilité excessive du squelette).
Enfin, l’industrie du lait étant de plus en plus critiquée, on apprend que des aliments comme le chou, le radis, le persil, les fruits à coque, ou encore une eau riche en calcium peuvent très bien combler nos besoins.
Crise communicationnelle et crise de confiance
Tous ces aspects peu reluisants du lait, auxquels s’ajoutent le développement du mode de vie vegan et la dimension éthique que questionne l’industrie du lait, commencent à avoir un impact réel sur les consommateurs. En une dizaine d’années, les Français sont passés d’une moyenne de soixante litres de lait par an et par personne à une cinquantaine. Ce sont les petits agriculteurs laitiers qui pâtissent de ce désamour et pas encore les géants industriels, comme le montre l’affaire Lactalis qui oppose le géant à ses petits producteurs depuis plusieurs mois. Le prix du lait descend de façon extrême, au point que les agriculteurs se retrouvent forcés de produire à perte. Lactalis a renvoyé certains de ses employés ayant témoigné lors d’une émission de France 2 « Lactalis : le beurre et l’argent du beurre », ce qui contribue encore plus à la mauvaise réputation de ces grands groupes français.

L’essor des laits végétaux est la preuve de cette crise de confiance envers le lait de vache. Lait de soja, de riz, de chanvre, ou encore d’amande… Qu’ils soient le symptôme d’une prise de conscience et d’un vrai dégoût pour le lait ou bien une conséquence de la mode « healthy » très en vogue en ce moment, ils n’en restent pas moins les symboles d’une communication pro-lait de vache en sérieuse difficulté. Le secteur des machines pour réaliser son propre lait végétal est même en pleine croissance. Ce sont désormais les laits végétaux qui apparaissent comme les aliments santé par excellence et qui sont les stars des réseaux sociaux, en témoignent la recrudescence de comptes Twitter, Instagram ou Pinterest affichant ces laits comme des symboles  de leur healthy-veganisme ! Attention tout de même à la marque Bjorg et à ses liens étroits avec Monsanto…

Alors, entre les risques pour la santé des hommes, le respect du bien-être animal, les conséquences économiques et humaines désastreuses de l’industrie laitière… Les raisons de prendre de la distance avec le lait sont nombreuses, c’est donc un véritable défi communicationnel qui attend les grandes marques distributrices.
Camille Frouin
LinkedIn
Sources:
• Chaîne YT On n’est plus des pigeons, vidéo Faut-il encore boire du lait de vache ?, mise en ligne le 14 janvier 2016, consultée le 17/02/2017
• Mulot Rachel, Les produits laitiers, nos « amis pour la vie » ?, sciencesetavenir.fr, mis en ligne le 29/03/2015, consulté le 17/02/2017
• Lamothe Jérémie, Entre les producteurs de lait et Lactalis, des contrats de défiance, lemonde.fr, mis en ligne le 03/09/2016, consulté le 17/02/2017
• Lamothe Jérémie, Lactalis met fin aux contrats de producteurs de lait ayant témoigné sur France 2 contre le groupe, lemonde.fr, mis en ligne le 28/01/2017, consulté le 17/02/2017
• Le mythe du lait, sante-nutrition.org, mis en ligne le 19 août 2014, consulté le 17/02/2017
Crédits :
• Magazineenligne.net
• Photo AFP / Frank Perry
• FB: @HealthyStudent (lien photo)

Société

L’affaire Théo : symbole d’une société en rupture

L’affaire Théo est partout, dans le paysage politique, dans tous les médias, sur toutes les lèvres : des policiers, un jeune ordinaire, un quartier dit « sensible », un viol. Cet événement a éveillé de nombreuses polémiques sur la question de la banalisation de la violence policière, sur la chape de plomb qui pesait jusqu’alors sur ces pratiques, mais aussi sur la condition sociale de la jeunesse de ces quartiers. Cet événement a eu diverses résonances, mais a notamment suscité l’indignation générale, caractérisée par des manifestations et des heurts violents. Ainsi, la France s’engage à sa manière derrière ce qu’incarne désormais Théo : une rupture entre les citoyens et la police.
Les Français et la police : la connexion est rompue

Suite aux attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre qui ont profondément bouleversé la France, une réconciliation s’amorçait entre les Français et les forces de l’ordre. Certaines personnes allaient spontanément remercier policiers et gendarmes pour leur dévouement, preuve d’une société désormais unie. Mais alors, où est passée la France de #JesuisCharlie ? Quelques signes de désamour semblaient toutefois poindre à l’horizon, notamment au moment de la loi travail, lorsque de nombreux faits de violence policière ont été recensés à l’encontre des manifestants, et les tensions ont continué de se cristalliser, avec la mort d’Adama Traoré, décédé dans des circonstances troubles suite à son interpellation par les gendarmes. L’affaire Théo, c’est donc une volonté de justice qui marque une rupture franche.
La police et la communication de crise
En plus des faits graves qui se sont déroulés, entachant l’image de respectabilité des forces de l’ordre, la communication de la police et de ses représentants qui en a découlé, a été pour le moins désastreuse : au lieu de montrer le caractère isolé de cet usage injustifié de la violence, la police a tenté de minimiser les faits, notamment par l’intermédiaire de l’IGPN, dont les premières déclarations niaient le viol et lui privilégiaient la thèse de l’accident. Mais personne n’est dupe. Les faits qui sont reprochés sont graves, et les constatations médicales rendent peu probable la thèse avancée. D’ailleurs, la juge en charge de l’affaire a bien retenu le chef d’accusation de viol à l’encontre de l’un des quatre policiers.
À cela vient s’ajouter l’intervention de Luc Poignant, syndicaliste policier, dans C dans l’air le 9 février, où il déclare sans sourciller que « bamboula est à peu près convenable ». Suite à la polémique déclenchée, le policier s’excuse, prétextant « une erreur sémantique ». Rappelons que « bamboula » est un terme aussi méprisant que raciste, apparu au XXème siècle en France pour désigner les tirailleurs sénégalais, et dont l’étymologie vient du mot « ka-mombulon », soit « tambour » dans les langues sarar et bola parlées en Guinée portugaise — l’erreur sémantique semble donc difficile. C’est un mot lourd de sens, lourd d’histoire, mais surtout chargé de haine. Ainsi, les propos de Luc Poignant résonnent comme l’aveu d’une violence verbale devenue ordinaire.


Théo : un symbole social
C’est indéniable : l’affaire Théo rassemble. Elle fédère dans l’indignation, la défiance, mais aussi le rejet du système dont la police est le principal représentant. Ces derniers jours, des heurts ont éclaté à Aulnay-Sous-Bois – ville de résidence de Théo – mais aussi dans d’autres villes comme Argenteuil, les Ulis, Bobigny… Tous réclament la même chose : « justice pour Théo ». On peut voir en cela une forme de solidarité, pour le moins démonstrative et violente. Cela rappelle les évènements de 2005, les émeutes qui avaient agité la France suite à la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique, tentant d’échapper aux policiers.
Des faits qui se font écho — mais comment donc expliquer l’embrasement de ces quartiers ? Tout d’abord, y sont pratiqués des contrôles d’identité quotidiens, au cours desquels les débordements sont fréquents de part et d’autre. Ces contrôles sont souvent montrés du doigt car prétendument basés sur des critères discriminatoires. Et comme le dit Sébastian Roché, sociologue de la délinquance et auteur de De la police en démocratie, « ce sentiment d’être ciblé est constitutif d’une défiance vis-à-vis des autorités. Ces personnes systématiquement visées à cause de leur couleur de peau ou en raison de critères socio- économiques ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. »

Cette idée de stigmatisation semble donc être la clé pour comprendre ce qui se déroule aujourd’hui : les jeunes des quartiers s’identifient à Théo en tant que « jeunes de banlieues ». L’existence même de ce terme générique de « jeunesse de banlieue », ou de la version plus péjorative « banlieusards », constitue une forme de marginalisation et de stigmatisation sociale, mais aussi de délimitation géographico-sociale, dont la frontière semble être le périphérique. D’ailleurs, la localisation semble particulièrement importante, puisque dès la médiatisation de l’affaire, la ville d’origine de Théo faisait la une de tous les journaux. Ainsi, le fait d’habiter en banlieue, lieu infraordinairement associé à la violence quotidienne, « diminuerait »-t-il la gravité de tels actes ?
Dans le cas de Théo, « je ne pense pas que les choses se seraient déroulées de la même manière si on avait été avenue de l’Opéra », s’inquiète le député PS Daniel Goldberg, qui se demande si le maintien de l’ordre dans les quartiers est « toujours républicain ». Aussi, les méthodes employées par la police pour les contrôles seraient différentes selon les lieux et cela ne serait, toujours d’après l’interview de Luc Poignant, qu’une « juste réponse de la police envers une population hostile à leur égard ». C’est la loi du Talion.
En mesure d’apaisement, le Président lui-même se déplace pour rencontrer Théo, des propositions de lois sont faites, notamment pour la « caméra-piétonne », une Gopro portée par les policiers lors des contrôles. Cela semble bien maigre pour tenter d’apaiser la flamme qui s’est allumée dans le cœur de la jeunesse des quartiers, et qu’un slogan semble rassembler : « Tout le monde déteste la police ».
Ces slogans, ces heurts et ces manifestations semblent relever de la fonction expressive d’un langage verbal et non verbal, témoignant d’une émotion sincère à mi-chemin entre révolte et indignation, mais aussi symptôme d’une crise sociale, crise que Théo semble incarner, un peu malgré lui.
Lucille Gaudel
Sources :
• Julia PASCUAL, Le Monde, « Violences policières : un rapport dénonce un risque d’impunité des forces de l’ordre », 13/03/2016, consulté le 11/02/2017
• Blandine LE CAIN, Le Figaro, « Affaire Théo : la police des polices privilégie la thèse de l’accident plutôt que celle du viol », 9/02/2017, consulté le 12/02/2017
• Frantz VAILLANT, TV5 Monde, « Bougnoul, fatma, youpin, négro : l’ADN des mots racistes révélé », 8/01/2016, consulté le 11/02/2017
Crédits  :
• Régis Duvignau, Reuters
• Julien MATTIA, AFP
• Patrick Kovarik, AFP

Société

Le syndrome Malaise TV : fascination et répulsion de la gênance 2.0

Le respect est mort, vive MalaiseTV ! De l’hymne improbable d’une prépa scientifique au fameux « tout le monde debout » lors du Téléthon, MalaiseTV recense les plus grands « bides » du PAF et des réseaux sociaux. Du contenu vidéo sélectionné, volé, coupé, compilé et diffusé sans commentaire voix off : MalaiseTV, c’est avant tout un format qui séduit, sorte d’héritage hybride des « Best Of » et du défunt « Zapping Canal ». Illustration même de la métaphore quasi « digestive » proposée par McLuhan, le nouveau média dominant (Internet) a une nouvelle fois « absorbé » le média précédent (la télévision et même la radio) pour en faire son contenu. Originellement lancé l’année dernière par un trolleur du forum jeuxvideo.com, le compte Twitter a depuis donné lieu à de nombreux rejetons. MalaiseTV, malaisetele ou encore malaisant.fr: bienvenue au Pays du Malaise 2.0.

Non classé, Société

#HelloJVC, from the Internet's other side

Au début des années 2000, les forums représentaient pour la majorité des internautes une sorte d’idéal, et ce qu’Internet devrait être aux yeux de nombreux utilisateurs : un espace de rencontre, de discussion et de libre expression, notamment grâce à l’anonymat. Certes, des modérateurs devaient encadrer les échanges, mais certains utilisateurs les voyaient comme des espaces quasiment dénués de règles.
Aujourd’hui, la plupart des forums ont perdu de l’audience au fur et à mesure que les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ont gagné en importance, mais un dernier bastion semble résister au respect et à la bienveillance que tous souhaiteraient voir se propager sur Internet : le « 18-25 » de jeuxvideo.com.
The Twilight Zone
S’intéresser au site et au forum de jeuxvideo.com, c’est avant tout s’intéresser à une des premières communautés d’Europe unie par et pour le jeu vidéo, qui perdure malgré les années et les modes. Ces passionnés du jeu vidéo font émerger des langages, des symboliques et des espaces réservés, comme le Blabla, une section du forum où les utilisateurs ont le droit de parler de tout ce qui les intéresse et qui n’entre pas dans le cadre du jeu vidéo. Cette section est divisée selon l’âge des internautes, les deux principales étant 15-18 et 18-25, ce qui ressemble davantage à la catégorisation d’une colonie de vacances qu’à celle d’une communauté d’adultes.
Pourtant, pas de chansons endiablées, ni d’esprit bon enfant. En effet, pour beaucoup, le 18-25 est un véritable repaire de ce que l’on peut trouver de pire sur Internet : antisémitisme, conspirations, misogynie ou encore homophobie. Au sein même des autres catégories du forum, des modérateurs bénévoles se sont confiés au site Numerama en avouant qu’il « n’y a actuellement pas de solution pour contenir le géant qu’est 18-25 », signe de l’impuissance de ceux que l’on considère pourtant comme des garants du bon fonctionnement d’un forum.
#HelloJVC : SOS d’internautes en détresse
Le 4 janvier dernier, lassés d’être les cibles récurrentes de certains membres du 18-25, plusieurs internautes (dont de nombreuses militantes féministes) ont décidé de réunir leurs témoignages de cyber-harcèlement avec le hashtag #HelloJVC. Sophie, connue sur Twitter sous le pseudo @DouxBidou, est à l’origine de cette initiative. Elle avait déjà eu affaire par le passé aux membres de ce forum, notamment après avoir partagé sur son compte Twitter le récit d’une agression qu’elle venait de vivre. En effet, si d’autres utilisateurs ont compati à son histoire, ou l’ont relayée, elle a également été la victime d’une campagne de harcèlement – aussi appelée un « raid » – lancée par la #1825Army (hashtag utilisé par les harceleurs). Ce raid comprenait entre autres des appels à l’agression, parfois même au viol. On est donc bien loin de l’ambiance bon enfant revendiquée par certains modérateurs.

 

Aujourd’hui, alors que le gouvernement multiplie les initiatives anti-harcèlement, Webedia semble se concentrer sur d’autres problèmes, davantage liés à la concurrence entre sites de jeux vidéo. Certes, le forum a été félicité pour sa gestion de messages extrêmes, surtout en ce qui concerne ceux liés à la religion, mais cela ne semble pas s’appliquer à toutes les dérives. Ainsi, qu’il s’agisse des modérateurs ou des dirigeants, ce qui se passe en dehors du forum (en l’occurrence sur les réseaux sociaux) ne semble plus les concerner, y compris quand les harceleurs mentionnent explicitement qu’ils viennent de JVC.
Cette affaire ayant fait grand bruit, de nombreux médias comme LCI ou Numerama ont contacté les salariés de Webedia afin de les faire réagir : sans résultat. Seuls les grands pontes du groupe se sont exprimés, pour rappeler que le travail des modérateurs est bénévole, et qu’ils ne peuvent donc pas s’occuper de tous les problèmes du forum. En effet, c’est une observation légitime, qui aurait pu être acceptée par les premières concernées, c’est-à-dire les harcelées, si un membre de l’équipe en charge du gaming chez Webedia, Cédric Page par exemple, avait eu un tweet ou un post Facebook de considération pour elles. Or au contraire, celui-ci a préféré rendre hommage à un meme, une private joke du 18-25 : l’acteur espagnol El Risitas, dont c’était l’anniversaire. Dans ce contexte, cette référence semble bien maladroite, car l’armée du 18-25 y voit un soutien de la direction : il y a donc désormais au sein de Webedia un double discours dangereux.

Une e-campagne qui prend de l’ampleur
Par ailleurs, il semblerait que le 18-25 devienne également un objet de convoitise pour les hommes politiques. En effet, après la présence sur les réseaux sociaux ou encore sur YouTube, il convient de continuer à propager son message auprès de la plus grande communauté de jeunes possible, et pourquoi pas donc par l’intermédiaire du 18-25.
Jean-Luc Mélenchon, dans ses vidéos YouTube remerciait ainsi régulièrement ses supporters inscrits sur le forum. Cela avait d’ailleurs conduit à une première campagne de harcèlement quand plusieurs militantes féministes lui avaient reproché ce soutien, ce que les forumeurs n’avaient pas apprécié.
Récemment, c’est Florian Philippot qui a également multiplié les références au fameux El Risitas, pour s’attirer, lui aussi, les faveurs des membres du forum. Pourtant, pour ceux connaissant cette polémique, il ne saurait s’agir d’une prise de position judicieuse et suscitant l’intérêt. En effet, comme dans le cas de Cédric Page, ces références et allusions apparaissent comme des soutiens aux membres du forum, et donc une certaine forme de négation de la souffrance des personnes harcelées.

Dès lors, la polémique autour de la gestion des forums de jeuxvideo.com par Webedia cache en fait deux flops majeurs qui relèvent tant de sa communication de crise que de sa politique.
En effet, en s’attachant aux références liées à l’image du forum, les salariés de Webedia semblent se désintéresser du sort des internautes harcelés et ce, malgré les propos graves tenus par ceux se réclamant de cet espace de discussion. Par ailleurs, en faisant de même, les hommes politiques qui continuent d’essayer de gagner en soutien, ne peuvent plus apparaître uniquement comme des personnes cherchant à se rapprocher de la jeunesse française. En tant que potentiels représentants de l’Etat français, leur silence apparaît comme une sorte de légitimation, un encouragement supplémentaire à continuer, et surtout une forme d’opportunisme envers une communauté dynamique et à même de se reconnaître dans « l’antisystème » prôné par le Front de Gauche comme par le Front National.
Justine Ferry
LinkedIn
Sources :

– Condomines, Anaïs, LCI, Cyber-harcèlement et raids antiféministes sur le forum 18-25 de Jeuxvidéos.com : ‘cela a assez duré’, le 05/01/2017 (consulté le 23 janvier 2017)
– Duchateau, Erwan, Les Inrocks, Quand Florian Philippot utilise Risitas pour draguer la communauté de Jeuxvideo.com, le 18/01/2017 (consulté le 24 janvier 2017)
– Durand, Corentin, numerama, Cyber-harcèlement sur le 18-25 : JeuxVideo.com pourra-t-il se sauver de sa communauté ?, le 05/01/2017 (consulté le 22 janvier 2017) (crédit photo pour la photo de couverture)
– Réaux, Amandine, LeLab Europe 1, Les grosses références de Florian Philippot au forum 18-25 de Jeuxvideo.com, 17/01/2017 (consulté le 24 janvier 2017)
– Le Monde, Après Mélenchon, Philippot fait de l’œil au forum de Jeuxvideo.com, 17/01/2017  (consulté le 23 janvier 2017)