Société

Les jambes de la discorde au centre des tweets turcs

 
Vous vous estimiez heureux de trouver un siège libre pendant l’heure de pointe ? Et bien croisez les doigts pour que votre voisin ne soit pas un homme ! C’est en tout cas la conclusion à laquelle est parvenue l’auteure du tumblr  féministe  « Men taking too much space in the train, blog dans lequel on peut voir des photos d’hommes assis dans les transports en commun les jambes écartées, quitte à empiéter sur le territoire des autres passagers.
 La notoriété de cette initiative qui a vu le jour à New York s’est étendue bien au-delà des frontières américaines, et c’est désormais en Turquie que les féministes ont repris le flambeau. En effet, vous constaterez par vous-même en cherchant les hashtags #bacaklarinitopla ou #yerimisgaletme (qui signifient respectivement « serre tes jambes » et « n’empiète pas sur mon espace ») que de nombreuses femmes turques affichent désormais dans leurs tweets des photos de ces hommes occupant plusieurs places.
 Si savoir quel volume occupe un homme dans le métro peut sembler à première vue un peu trivial, rappelons tout de même que la Turquie  est le premier pays musulman (hors Union Soviétique) à avoir accordé le droit de vote aux femmes, en 1934. Il reste donc à savoir si cet engagement sur Twitter relève du simple phénomène de mode, qui disparaîtra aussi vite qu’il est apparu, ou s’il témoigne d’une culture féministe profondément ancrée dans l’esprit des Turques.
 Ce qui est sûr, c’est que quel que soit le motif, il est bon de revendiquer la liberté d’expression dans ce pays où la tentative de censure de Twitter menée par le premier ministre Erdogan n’a fait que renforcer le succès de cette plateforme de micro-blogging.
Alexia Maynart
Sources :
Blog.lemonde.fr
Bfmtv.com
Lefigaro.fr

1914-2014
Société

1914-2014 : célébrer le début de la guerre est-il absurde ?

 
2014 marque le début d’un cycle de célébrations qui devra durer quatre ans et qui a pour thème la Première Guerre mondiale. Célébrer ? Fêter ? Cela n’est-il pas un peu fort pour le début d’une guerre ?
Commémorer pour rassembler : « un temps d’introspection civique et de réflexion historique autour d’une mémoire unificatrice porteuse de valeurs. »[1]
Créé en 2012, le groupement d’intérêt public « la mission 14-18 » a pour vocation de stimuler et mettre en valeur les différentes actions liées à la commémoration de la Grande Guerre. Et il est important, en effet, de donner un sens à ces célébrations diverses. Épaulé par divers ministères, le groupement a donc bien une vocation publique, prouvant que l’État est fortement partie prenante du sens donné à la célébration. En effet, il est essentiel de donner une direction commune à ces projets commémoratifs. Or, insuffler des valeurs, des imaginaires, passe fortement par la communication du propos. La création du label « Centenaire » permet par exemple de rassembler des projets les plus divers.
Ne peut-on pas alors penser que dans une France éclatée, commémorer la Première Guerre mondiale est un formidable levier de rassemblement ? Dans « commémorer » on entend d’ailleurs bien le préfixe « co » qui signifie « avec » ; on « fait mémoire avec ». Rassembler autour d’une mémoire commune n’est-il pas le meilleur moyen de faire société ? On peut tout à fait mettre en perspective la mission 14-18 la question de « l’identité nationale » très en vogue lors du mandat de Nicolas Sarkozy. Loin de moi l’idée de faire l’amalgame et de mettre tout le monde dans le même panier, mais la mémoire commune est un moteur fort de l’unité nationale. Comme un vieux groupe d’amis, on se raconte les mêmes histoires à chaque rencontre afin de se rappeler que oui, on est soudé, et que oui, on a quelque chose en commun.
Malgré les débats qui divisent les historiens spécialistes, la majorité de la population française fait consensus sur les imaginaires liés à la Première Guerre mondiale. L’image du poilu protégeant femme et enfant de l’ennemi allemand a fait long feu. Et même si celle-ci est fausse, elle permet de rassembler. Contrairement à la Deuxième Guerre mondiale – et encore moins à la Guerre d’Algérie, encore taboue -, où la France n’apparaît pas aussi victorieuse, la Première Guerre mondiale rassemble.
« On ne peut « célébrer » aucune guerre. »[2]
Mais n’est-il pas suspect de commémorer, de célébrer le début d’une telle boucherie ? Lancer un tel cycle n’est-il pas absurde ? En effet, il est essentiel pour le groupement de faire preuve d’intelligence et de pédagogie. Car à fêter le début, la fin, les diverses batailles et actions militaires, on risque fortement de perdre le sens de la commémoration. Que commémore-t-on lorsque l’on commémore le début d’une guerre ?
Pour prendre  un contre-exemple parlant, le projet de Nicolas Sarkozy de faire du 11 novembre une journée de souvenir de tous les morts pour la patrie était complètement absurde. Elle mélangeait en effet des problématiques complètement différentes. En ceci, une journée du 11 novembre aurait fait de la commémoration un moment de pathos plus qu’un moment de réflexion commune. Comme le dit l’historienne Anne Jollet, « les enjeux politiciens poussent à des schématisations ou des omissions par rapport à des savoirs scientifiques, eux-mêmes soumis à leur temps. »[3] Si la mission est soutenue par des organes ministériels, il semble tout de même qu’elle fasse preuve d’une réelle force de communication tant dans sa clarté que dans la pertinence de ses propositions.
Il est en effet aisé de trouver des informations claires sur les objectifs de la mission et ses différents aspects, sans que le site ne soit larmoyant. Au contraire, il semble valoriser tant les projets d’archives que la création contemporaine (le théâtre en particulier) et de fait, ouvre de larges horizons de réflexion.
En somme, si « fêter » le début de la Grande Guerre est absolument étrange, il convient d’une part de différencier fêter et commémorer. La distinction de l’historien Antoine Prost est succincte tout autant que claire : « Célébrer, c’est se réjouir, se féliciter. Commémorer, c’est se rappeler »[4]. D’autre part, il est essentiel de prendre le temps de la réflexion plus que celui du pathos inutile.
 
Mathilde Vassor
Sources :
Le site du Centenaire
L’Humanité
[1] Dossier de presse « le centenaire de la première guerre mondiale », disponible sur www.centenaire.org
[2] L’historien Antoine Prost dans Entretiens croisés réalisés par Pierre Chaillan « Peut-on célébrer la guerre de 14-18 ? », 11 octobre 2013, l’Humanité, http://www.humanite.fr/debat-peut-celebrer-la-guerre-de-14-18
[3] Entretiens croisés réalisés par Pierre Chaillan « Peut-on célébrer la guerre de 14-18 ? », 11 octobre 2013, l’Humanité, http://www.humanite.fr/debat-peut-celebrer-la-guerre-de-14-18
[4] Ibid.

Zoo
Société

Jacques a dit : Le sauvage nous enchante !

 
Il est temps de faire un petit bilan de cet événement qui a fait le buzz pendant des jours, que vous avez pu voir dans les rues de Paris, à la télé, sur votre ordinateur ou même depuis votre Smartphone si vous trainiez sur votre compte twitter…
Le zoo de Vincennes a réouvert ses portes le 6 avril. 25 000 personnes sont venues lors du 1er week end pour faire un parcours de près de 4 kilomètres, traverser 5 biozones et espérer apercevoir près de 1 000 animaux.

Inauguré officiellement en 1934 par Albert Lebrun, ce zoo faisait déjà parlé de lui avec ses enclos non grillagés. L’exposition universelle de 1931 avait donné le ton, il était bien question de pouvoir faire le tour du monde en une journée.
Aujourd’hui le zoo réouvre ses portes après 6 ans de fermeture, 170 millions d’euros de travaux et avec un plan de communication béton.
Il faut bien le dire, le Musée National d’Histoire Naturelle a mis le paquet. La célèbre agence Publicis Conseil lance la campagne d’affichage le 2 avril. Celle-ci est composée de quatre visuels en noir et blanc, mettant en scène de vrais animaux sauvages dans Paris. Le sauvage investit donc la ville avec classe et sobriété.

Plus que du simple affichage, une opération de street marketing originale menée par l’agence Ubi Bene se fait remarquer. Des grandes caisses d’animaux ouvertes et vides dans les rues symbolisaient l’arrivée tant physique que symbolique de ceux-ci.

Une fois encore le sauvage investit l’urbain, comme si les animaux avaient été lâchés dans la ville.
Mais la campagne ne s’arrête pas là, celle-ci nous accompagne jusque chez nous, sur nos écrans avec une série de films documentaires co-produits et diffusés par France Télévision et bien évidemment le digital avec notamment le compte Twitter de la star du zoo : Adeline la Girafe

A son ouverture initiale, Vincennes a vite été qualifié de « révolutionnaire », aujourd’hui pourrions-nous faire ce même constat ?
Sans doute pas, car les campagnes de communication crossmedia sont partout. De plus, il semble que la stratégie de Vincennes s’aligne sur des exemples tels que celui du zoo de San Diego, qui a un compte Twitter, Pinterest, Instagram, Facebook, et même une chaine Youtube
 En effet, utiliser les réseaux sociaux lors d’une campagne de communication n’a rien de nouveau… Par ailleurs, les animaux et le 2.0 ont toujours fait bon ménage : n’oublions pas le succès des « cute cats », des loutres ou encore des pandas sur Twitter.
Mais quel est l’intérêt de solliciter les réseaux sociaux pour un zoo ?
Une publicité gratuite ? Une sorte de bouche à oreille du 2.0 ? Une invitation à la participation, qui n’est plus seulement virtuelle mais qui peut devenir concrète. Il est en effet possible aujourd’hui de « parrainer » un animal ou même de faire un don. Ainsi derrière l’aspect participatif ludique des réseaux, peut-on parler d’une véritable tentative de sensibiliser les esprits à la cause animale ?
Si un zoo est un paradis pour les enfants, le gros de la campagne digitale s’est faite pour séduire les adultes, les faire rire, les émouvoir. Ainsi, par sa campagne de communication le zoo de Vincennes a voulu réunir petits et grands autour d’un émerveillement partagé.
En cette période chargée en événements politiques : élections, tensions en Europe, remaniement ou autres réjouissances, la réouverture du zoo fait la une. Elle est partout dans la rue, dans les intimités, sur nos écrans, à la radio…
Les animaux sauvages s’infiltrent dans le quotidien urbain, dans la ville et cela fait du bien. Une touche d’émerveillement  au milieu d’une morosité ambiance.
Nous savions que les animaux communiquaient entre eux, qu’ils ont leur langage mais nous ignorions encore qu’ils communiquaient aussi bien, tout court.
 
Sophie Cleret
Sources :
Piwee.net
Lemonde.fr
Blogs.rue89.fr
 

Journal Le 1
Société

Le papier encore number one ?

 
Un seul sujet, une fois par semaine et imprimé sur une seule feuille. Le nouveau défi d’Eric Fottorino est un pied de nez aux pessimistes qui voient le journal du futur privé de son support traditionnel, le papier. Ancien directeur du géant Le Monde, il lance le 9 avril le premier numéro du journal Le 1 avec comme fil rouge « La France fait-elle encore rêver ? ». Et c’est à l’aide de contributeurs de choix – comme Edgar Morin, Elisabeth Badinter ou encore Régis Debray – que l’hebdomadaire entend répondre à « la crise des contenus » qui menace le « quatrième pouvoir » : plus que de l’information brute et immédiatement consommable, il offre une pause littéraire et des regards critiques inspirants.
Autre nouveauté ?
Le journal Le 1 ne veut pas être de ceux que l’on retrouve piétinés à la sortie du métro ; tel un « livre-objet » dépliable – il s’agit en fait d’une feuille A1 pliée en trois –, il se donne à lire en moins d’une heure. Côté argent, ce petit dernier de la presse papier prend le risque de se vendre à 2,80 euros quand les autres titres peinent à s’écouler. Tiré à 250 000 exemplaires et dépouillé de publicités en tous genres, Le 1 marque définitivement une petite révolution. Jusqu’à s’en tenir à un seul actionnaire : Henry Hermand, qui a déjà financé Le Matin de Paris, un quotidien désormais disparu.
Avec une place inédite sur le marché médiatique, Eric Fottorino arrivera-t-il à signer le retour en force du papier avec Le 1 ?
 
Laura Pironnet
Sources :
L’Express
Libération
Le Monde
Crédit photo :
Bertrand Guay / AFP

Alain Finkielkraut
Société

Communiquer sur Finkielkraut : reconnaître un talent ou prendre parti ?

 
La nouvelle : Alain Finkielkraut a été élu à l’Académie française dès le premier tour, jeudi 10 avril, avec  16 voix sur 28. Si sa nomination a suscité des polémiques, c’est sans nul doute du fait de sa réputation de réactionnaire et de sa personnalité « clivante. » Néanmoins, de grands esprits louent cette élection et font de cet « intellectuel incontournable » un « profil idéal » pour prendre le siège qui appartenait précédemment à Félicien Marceau. En effet, Pierre Nora, Max Gallo, Frédéric Vitoux ou encore Hélène Carrère d’Encausse ont soutenu Alain Finkielkraut et voté pour lui.
Les faits : Malgré l’engouement manifesté par ces intellectuels, d’autres académiciens, furieux, sont allés jusqu’à évoquer en coulisse l’entrée à l’Académie du Front National. Certains médias semblent s’accorder quelque peu avec cette position, comme par exemple l’Agence France-Presse qui ne diffusait pas le communiqué envoyé par Aurélie Filippetti le 10 avril au soir pour féliciter l’essayiste.
On pouvait y lire  «Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, salue l’élection à l’Académie française du penseur et philosophe Alain Finkielkraut qui succède au siège de Félicien Marceau, décédé voici plus de deux ans. Les jurés ont distingué, avec Alain Finkielkraut, un intellectuel renommé, ayant le souci affirmé de pouvoir donner toute sa place au débat d’idées et à la pensée dans la sphère publique.»
La raison de cette non diffusion ? Simple oubli de l’AFP, retard dans la diffusion d’un communiqué nécessaire mais peu sincère d’une ministre qui n’apprécie guère les positions de l’élu ? Ou peut-être encore choix délibéré de ne pas divulguer un communiqué dans lequel la ministre félicitait un philosophe souvent assimilé à ses seules opinions politiques ?
Une question semble surgir : la communication est-elle seulement au service d’un quatrième pouvoir idéologisant  ou peut-elle profiter également à la reconnaissance politique d’un intellectuel ?

Juliette Courtillé
Sources :
Le figaro.fr
Lemonde.fr

Société

Flop informationnel : l’annonce erronée d’un crash d’avion sur Twitter

 
La Toile s’est enflammée ce jeudi 27 mars suite à la publication d’un tweet par le 112, le service d’urgence des Canaries, qui a annoncé la « chute d’un avion en mer ». Or celle-ci s’est avérée être une erreur… n’empêchant cependant pas une reprise massive de cette information erronée par la presse locale, les réseaux sociaux, puis les médias internationaux.
Ce déluge informationnel peut, certes, trouver son explication dans le mystère du vol MH370, fraîchement sur-commenté par les médias nationaux et internationaux. Mais il souligne surtout une question intrinsèque à nos circuits d’information actuels : dans quelle mesure les journalistes peuvent-ils relayer les informations diffusées sur les réseaux sociaux et sur le Net en général ?
Sur le site de France Info, un internaute s’indigne à propos de la précipitation des journalistes qui ont réagi à chaud à l’annonce publiée sur Twitter :

Ce point d’actualité soulève effectivement un paradoxe inhérent au métier de journaliste. Celui-ci se trouve aujourd’hui recomposé avec la montée en puissance des réseaux sociaux qui ont fortement accéléré la vitesse de circulation de l’information. Nos circuits d’information contemporains semblent se caractériser par le paradoxe suivant : visant une information immédiate, les acteurs du monde de l’information s’engouffrent dans une course à l’information et au sensationnalisme, et tendent à négliger la qualité de l’information qu’ils fournissent.
Aujourd’hui, entre immédiateté et fiabilité, entre précipitation et vérification, le défi de nos circuits d’information réside ainsi dans cette double exigence d’une information à la fois réactive et fiable.
 La reprise massive de l’information erronée du crash d’avion en Espagne met en lumière un constat : l’abondance de l’information qui nous entoure se fait souvent au détriment d’une qualité de son contenu.
Ainsi peut-on voir l’émergence de nouvelles pratiques de la part des producteurs d’information, qui s’attachent à suivre une méthodologie précise qui respecte l’exigence d’une information hautement fiable et vérifiée. A ce titre, la méthode du « fact-checking », après avoir été massivement promue comme principe de vérification de la parole publique sur Twitter, commence à être utilisée comme méthodologie journalistique dans certaines rédactions.
Les Décodeurs du Monde sont l’une de ces plateformes qui s’attachent à publier du contenu de qualité. Ses journalistes s’appuient sur une démarche d’investigation basée sur des analyses strictes des données données élaborée autour du concept même du « fact-checking ».
Après avoir été un blog dédié au « fact-checking », Les Décodeurs se sont institutionnalisés en une rubrique à part entière sur le site du Monde.fr : ici.
Les journalistes « Décodeurs » affirment vouloir « traiter des rumeurs et des intox qui circulent sur la Toile pour, là encore, distinguer le vrai du faux », tout en associant réactivité à une démarche de vérification factuelle :
 Les Décodeurs du Monde, ce sont des vérifications factuelles, des explications et du contexte autour de l’actualité du moment, au rythme des réseaux.
 Une telle démarche de décryptage mérite-t-elle pour autant d’être étendue à tout média souhaitant interpréter les informations qui circulent sur la Toile ?
Quoiqu’il en soit, en cette ère de déluge informationnel, la clef pour délivrer une information fiable et de qualité réside peut-être après tout dans l’application du précepte : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ».
A bon entendeur.
Alexandra Ducrot
Sources :
La Tribune : « Un crash d’avion annoncé par erreur enflamme la toile »
Latribune.fr
Franceinfo.fr
Crédits photos :
TwitteRadar.com 
 

Gonzo 2014
Société

LE GONZO, CRU 2014

 
Peut-on être gonzo en 2014 ? Regards sur trois magazines français aux méthodes proches de celles d’Hunter S. Thompson — VICE France, Brain Magazine et Gonzaï.
« Le reportage gonzo allie la plume d’un maître-reporter, le talent d’un photographe de renom et les couilles en bronze d’un acteur. » Voici l’audacieuse définition donnée par Hunter S. Thompson au genre journalistique qu’il a fait naître, au fil de ses errances sous diverses substances psychotropes dans l’Amérique sixties underground de la contre-culture. « The Kentucky Derby Is Decadent and Depraved », l’article fondateur du gonzo, est une étrange épopée alcoolisée qu’il rédige en 1970, alors qu’il se rend au derby du Kentucky avec le dessinateur Ralph Steadman, son inséparable comparse. Ce texte hors-norme, d’un cynisme désopilant, où les visages et le temps se dilatent jusqu’au vertige, dresse le tableau d’une Amérique dégénérée dont les habitants s’accouplent entre eux en vomissant du whisky, sans même se soucier des chevaux sur lesquels ils parient.
Le journalisme gonzo prône l’immersion totale dans le sujet traité (Thompson vécut un an avec les Hell’s Angels en 1964, afin d’enquêter sur ce mythe clef de la culture américaine), l’hyper-subjectivité et son cortège de débordements autobiographiques, et accorde une place de choix à la prise de substances variées. Le style à vif, halluciné, à peine retouché, romance la réalité sans s’en cacher, à coups de figures grotesques et d’expressions savoureuses qui laissent au slang la possibilité de vibrer. Cette nouvelle façon de penser l’investigation révolutionne les codes déontologiques de la profession, puisque le journaliste n’est plus tenu de rendre compte des faits dans leur stricte réalité, ses sensations prenant le pas sur l’impératif de fournir une information objective.
Inimitable, la saveur si particulière du gonzo fit fureur dans les années 1960-1980, notamment en France, où elle fut adoptée par des journalistes comme le dandy moribond Alain « Death Trip » Pacadis chez Libération. Pourtant, en 2007, quand débarque la version française de VICE, magazine mensuel gratuit international, la tradition gonzo hexagonale bat de l’aile, se cantonnant aux critiques musicales. On assiste cependant cette année-là à la naissance de Brain Magazine, webzine gouailleur qui fait son miel des recoins sombres « des Internets », et de Gonzaï, partagé entre le culte de Thompson et le désir de faire découvrir « les tendances du futur. » Ces trois médias adoptent les méthodes de journalisme gonzo. Sept ans plus tard, leur succès ne fait plus aucun doute : VICE France, modèle du genre, jouit de près d’un million de visites par mois. La « Page Pute » de Brain est devenue une référence, dans un certain milieu parisien branché. Gonzaï quant à lui, cultive un caractère intimiste, à travers de longs articles racés et littéraires.
Avec leur ton très particulier, parfois potache parfois vulgaire, leurs sujets insolites voire absurdes, ces médias ont perduré dans le paysage médiatique. Pourquoi les Français sont-ils si friands d’une information qui tient de l’anecdote, underground et déjantée ? Argot, humour wtf, culture du « n’importe quoi n’importe comment », techniques d’immersion : ils se sont réappropriés les codes gonzo, mais que reste-t-il de l’esprit libertaire de l’époque, son message d’émancipation et de revendication d’une culture en marge ? L’existence de ces médias serait-elle symptomatique d’une nouvelle façon de s’informer, rendue possible par le web, en boudant les journaux classiques ? Seraient-ils révélateur des aspirations de notre génération ?
VICE France relaie les articles de la version américaine du magazine, aux sujets délirants, présentés dans un style halluciné, très proche du parlé. Les interviews sont sommairement retranscrits et relèvent plus de la conversation amicale que de l’interrogatoire. Les célèbres « DO & DONT’s » proposent une série de photos d’inconnus légendées avec acidité et cynisme.

Auto-proclamé « le guide de la connaissance ultime », VICE se déguise en guide d’une génération, pour l’accompagner dans ses pérégrinations quotidiennes, en se moquant toujours d’elle.

Le webzine doit en partie son succès à des documentaires uniques, abordant des thématiques actuelles depuis son propre prisme d’observation. La vidéo aboutit le désir d’immersion journalistique gonzo, pour des sujets que Thompson n’aurait sans doute pas reniés.
VICE prétend toucher à tous les domaines culturels et tous les supports médiatiques, comme le montre la barre d’onglets (NSFW, qui signifie « not safe for work », aborde la représentation de la sexualité contemporaine).

Brain Magazine revendique le décalage, créant son propre langage : La « Page pute » et son pendant la « Page président » – diptyque d’une époque ? Sous couvert de rires gras qui tachent, c’est pourtant presque une poétique du web qui y est esquissée, où chacun est plus laid que soi, cependant bien solitaire derrière l’écran.
Voix issue d’une génération bien définie, à laquelle elle s’adresse en la tutoyant, Brain s’efforce de présenter l’information d’un point de vue subjectif, privilégiant le vivant (entretiens, courts articles…) et l’actualité artistique.

Sous l’égide d’Hunter S. Thompson en personne, Gonzaï revendique haut et fort son appartenance en mouvement gonzo. Esthétique et lettré, ce média présente de nombreux articles sur les années 60-70, et tente de tresser leur esprit à celui des productions culturelles actuelles. Il s’intéresse particulièrement à la musique, mais reprend à son compte la revendication d’une contre-culture en faisant la belle part à la BD, les séries et autres genres considérés comme mineurs.

Un nouveau dispositif d’information révolutionne nécessairement l’usage que l’on en fait. Internet a donc rendu possible le floraison de médias qui se chargent de rendre justice à ce que d’autres jugeraient anecdotique, tandis que, renforcée par les réseaux sociaux, la culture de la subjectivité est devenue de mise. Le gonzo 2014 serait ainsi cette attention portée à la marge, à l’autre côté de la barrière, comme un symptôme du désir d’une génération de voir encore plus large, loin des sentiers battus et des codes imposés. La recherche de l’authentique, du romanesque, sans égard pour les convenances : comme le disait Thompson, « The wilder it is, the better it gets. »
 
Agnès Mascarou
Crédits photos :
Vice, Gonzaï et Brain

Société

UFC QUI PUNIR ?

 
L’association de consommateurs UFC Que Choisir a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris Facebook, Twitter et Google+ pour clauses jugées « abusives ». L’association s’est attaquée aux plus grands et pointe du doigt leur manque de transparence quant à la gestion des données personnelles des internautes.
L’association avait déjà mis en demeure ces géants de l’internet en juin 2013, et déplore l’avancement des discussions depuis l’année dernière : « Après plusieurs mois de discussions, malgré nos avertissements, ils s’entêtent à maintenir des clauses que l’association juge abusives ou illicites, et ont fait le choix de maintenir les clauses problématiques de leurs conditions générales d’utilisation ».
En effet, il n’y a eu aucun progrès concernant la transparence des accusés. « Les conditions sont toujours aussi inaccessibles, illisibles, remplies de liens hypertextes – entre 40 et 100 liens hypertextes – renvoyant parfois à des pages en langue anglaise », « Pire, les réseaux persistent à s’autoriser très largement la collecte, la modification, la conservation et l’exploitation des données des utilisateurs et même de leur entourage. Ils s’octroient toujours, sans l’accord particulier des utilisateurs, une licence mondiale, illimitée et sans rémunération, d’exploitation et de communication des données à des partenaires économiques » déplore l’UFC.
Alors que des millions d’internautes partagent des messages, des photos ou des vidéos, l’association demande à Facebook, Twitter et Google+ de respecter le code de la consommation ainsi que la loi Informatique et des libertés. La politique de ces derniers permettrait une utilisation tentaculaire et à l’infini de nos données personnelles, un véritable enjeu et une vraie problématique à l’heure où l’information est devenue une véritable monnaie d’échange.
Selon Alain Bazot, patron de l’UFC, l’assignation en justice est justifiée par le fait que le plus souvent les internautes ignorent que ces réseaux peuvent utiliser leurs informations, les transmettre ou les vendre. L’UFC prend l’exemple de l’icône de partage d’un message ou d’un article via Twitter, Facebook ou Google+. « Ce sont des icônes espions qui permettent de savoir que vous avez visité la page et qui suivent votre comportement sur Internet ». Le but serait de favoriser la publicité ciblée. Vous savez, cette fameuse publicité qui mettent en avant un appareil photo ou des chaussures devant lesquelles vous bavez depuis des mois, et qui apparait innocemment sur votre compte Facebook, cette publicité qui enrage et qui nous alerte sur la disponibilité de nos informations personnelles.
Certains bugs informatiques, comme les messages privés qui apparaissent sur les murs Facebook de chacun, nous rappellent que ces informations sont stockées et utilisables sans que l’on puisse avoir une quelconque emprise sur celles-ci. C’est pourquoi les internautes – de moins en moins dupes – se posent de réelles questions sur la protection de leurs informations personnelles. Selon un récent sondage de CSA pour Orange, 42 % des Français pensent que la protection s’est détériorée et 85 % déclarent être dans l’impossibilité d’effacer d’Internet des informations les concernant.
L’association a donc mis en ligne une pétition intitulée « Je garde la main sur mes données » illustrée par des vidéos « Sur les réseaux vous êtes vite à poil » :

L’association française n’est pas la première à faire état du manque de transparence des réseaux sociaux. Le 31 décembre 2013, Techbrunch a publié un article révélant le piratage de l’application Snapchat par le site SnapchatDB.info. Les informations de 4,6 millions d’usagers de Snapchat ont alors été rendues publiques. Le but premier de ce piratage était de pointer du doigt la faible protection des informations des usagers de l’application. Snapchat a immédiatement réagi en annonçant une nouvelle version sécurisée afin de rassurer ses usagers. Le piratage de cet outil de communication a fait ressurgir bien évidemment des débats sur la limite de la vie privée sur les réseaux sociaux.
Le signal d’alarme a été enclenché : il serait temps que les géants commencent à faire preuve de plus de transparence.
Sibylle de la Marandais

Sources :
Lemonde.fr
Leparisien.fr
Quechoisir.org

L'amour est aveugle TF1
Société

L'amour est aveugle ou le triomphe du corps à télévision

 
Le titre de l’émission nous laisse instantanément entendre que les producteurs n’ont décidément rien compris à cette expression.
Le principe de l’émission est simple : vous trouvez que les programmes de téléréalité sont trop superficiels ? Pas de problème ! TF1 est là pour nous sauver de tous ces artifices, surjoués et inutiles. Il s’agit dès lors de sélectionner 3 femmes et 3 hommes qui ne pourront se rencontrer que dans une pièce totalement obscure où il leur sera impossible de se distinguer les uns des autres. Place à la parole, aux découvertes de l’âme, aux échanges constructifs…
…Mais en fait non. Paradoxalement, c’est bel et bien un éloge de l’apparence que construit ici l’émission. La première chose que les candidats font dans cette pièce sombre n’est pas véritablement de discuter ; que neni! Il s’agit de se toucher, de découvrir les tailles (dans les deux sens du terme), les formes, les signes distinctifs de chacun. Et, peu à peu, c’est évidemment ce contact de la chair à la chair qui se développe : on se caresse, on se tient la main… TF1 a même l’amabilité de laisser traîner une huile de massage dans la pièce ! Tiens donc !

Le film L’art d’aimer d’Emmanuel Mouret, diffusé sur Arte la semaine dernière, nous explique sans le vouloir la fine stratégie de l’Amour est aveugle : être privé du sens de la vue favorise l’abandon du corps et l’éveil des sens érotiques. Dès lors, nul besoin de pousser les participants au contact physique par de quelconques directives : les candidats s’y livreront d’eux-mêmes.
De plus, bien que les jeunes cobayes se parlent, échangent quelques informations triviales sur leurs opinions de l’amour idéal, les conversations tournent vite autour, précisément, du fantasme de l’apparence : à quoi peut-il bien ressembler ? Comment va-t-il me trouver ?
N’oublions pas que le point d’orgue de l’émission est précisément celui de l’apparition du corps de l’autre. La mise en scène  est d’ailleurs si exagérée qu’elle en est presque embarrassante. Une douche de lumière dévoile les candidats dans une sorte de halo surnaturel, le tout rythmé par une musique tonitruante, mélodramatique au possible. On filme la réaction du prétendant qui se trouve face à sa possible âme-sœur enfin révélée et, là encore, on montre que le corps est essentiel : il provoque des effets, il conduit à des réactions, il existe  et fait exister. Un dévoilement de l’autre au sens propre.

Mais le regard le plus intéressant dans cette émission reste celui du téléspectateur. En effet, déjà habitué à être propulsé  en situation de voyeur vis à vis des émissions de téléréalité, ce voyeurisme est ici poussé à son paroxysme. Non seulement le spectateur voit les candidats alors que les candidats ne voient pas le spectateur et n’ont pas toujours conscience de son regard, mais il va jusqu’à observer les interactions des participants quand ces derniers ne se voient même pas entre eux ! Ce regard intrus est d’autant plus délectable qu’il est englobant voire même emprisonnant. Le spectateur surveille une situation qui échappe à ses participants.
On ne peut s’empêcher de songer ici à une scène clé de « La Princesse de Clèves » de Madame de Lafayette. La princesse, légèrement dénudée, ne se doute pas qu’elle est observée par le duc de Nemours. Mais le duc de Nemours ne se doute pas qu’il est lui-même déshabillé par le regard du lecteur.
Le contrat de lecture, dans le livre comme dans l’émission, reste le même : offrir au regardant l’impression qu’il est le seul à avoir tous les éléments clés pour saisir ce qui est en train de se passer ; donner l’illusion, en quelque sorte, d’être un narrateur omniscient.
De fait, n’est-ce pas le téléspectateur le véritable aveugle de cette émission ?
 
Chloé Letourneur

Pornhub campagne pub
Société

PornHub exhibe ses internautes

 
Depuis que son spot publicitaire s’est vu être censuré lors du SuperBowl 2013, le portail vidéo porno américain PornHub a récemment décidé de changer de position vis-à-vis du public et de se payer une image d’une fraîcheur virginale. Il vient en effet de proposer à ses bran…. d’internautes de lui donner un coup de main par la mobilisation de leur imagination pour une activité dont ils n’avaient jusque-là sans doute pas l’habitude : créer les visuels de la nouvelle campagne avec, à la clé, un poste de Directeur de création.

Cette opération de crowdsourcing invitant ainsi Monsieur X à passer derrière l’écran pour devenir une star sans toutefois choquer les tabous a su faire naître de nouvelles passions. En effet, plus d’un s’est prêté au jeu pour des visuels étonnants d’humour et d’inventivité, bien loin des sous-entendus graveleux ou images un peu hot qui constituent la communication ordinaire des chaînes pornographiques. Cela suffit pour faire rugir de plaisir le moins chaud pour ce genre de pub et pourrait bien encourager tout un chacun à ce plaisir solitaire qu’est la création artistique.
Mais le coup de maître reste encore celui du portail qui, en proposant un poste à temps plein dans le dada préféré de ses spectateurs, est en train de construire, et pour longtemps, une relation intime avec eux en leur offrant l’opportunité de s’exprimer sur ce sujet. Un changement de taille quand on sait que la plupart des chaînes du genre a pour coutume de ne faire cela que silencieusement. Pornhub a ainsi pu sortir de son territoire en occupant ses adeptes différemment. La marque est bien en train de se renouveler tout en restant fidèle à l’exhibition qui la caractérise, mais cette fois il s’agit de celle de son consommateur.
 
Inès Garmon