randonnée
Société

Rando : social mais pas trop

 
S’il existe déjà mille et une façons de partager le moindre cliché avec le reste du monde à partir de son smartphone, Rando change les règles du jeu et invite à un mode de communication plus désintéressé.
Le principe est celui de la bouteille à la mer : l’utilisateur prend une photo, l’envoie. En retour, il en reçoit une également. Terminé. Pas de like, de retweet, de réponse ou de commentaire. L’application semble au contraire s’inscrire dans le mouvement des réseaux sociaux… « anti-sociaux » – tout en ayant déjà de très nombreux randonautes.
Les utilisateurs connaissent juste la provenance de la photo qu’ils ont reçue et la destination du cliché qu’ils ont eux-mêmes envoyé. Pas question de conforter son ego sur cette application, la communication passe seulement par ces petites images rondes envoyées à tout hasard dans le monde (Rando tirant son nom de random).
Pas de fioritures non plus sur l’application qui ne propose qu’un seul cadre, le sien (cette forme ronde des photos qui peut faire penser à une longue vue) et aucun filtre ou effet possible, là où la grande majorité des réseaux sociaux sont plutôt friands de ces gadgets.
Bien sûr, toutes les photos ne sont pas systématiquement une invitation poétique au voyage, mais tout le principe de Rando est là : cette fois-ci, tomberez-vous sur un poney quelque part en Belgique, une plante en pot venue de Rio ou les transports en commun d’Izmir ?
 
Annabelle Fain
Source :
L’Express.fr
Crédits photo :
www.exposureguide.com

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Normcore
Société

Normcore: tendance à la normale

 
Alors que les différentes collections de haute-couture ont été présentées à New York, Milan ou encore Paris au cours des dernières semaines, un nouveau mot fait trembler le monde de la mode: Normcore. Le nom est explicite, composé de « norm » et de « hardcore » : il s’agit d’une normalité exacerbée, devenue tendance. Ce terme a émergé dans un article de Fiona Duncan dans le New York Magazine du 26 février dernier, avant d’être repris partout. Le concept lui, vient du constat suivant: il est devenu impossible aux Etats-Unis de différencier des jeunes locaux du touriste américain moyen. Sandales, jean, t-shirt uni et large: ce look voit triompher des marques jugées basiques mais pas habituellement à la mode ni originales, telles que Uniqlo, Birkenstock ou en France Decathlon.

Le normcore vient donc renverser toutes les habitudes de tendances, puisqu’il s’agit d’un refus de faire du choix vestimentaire un enjeu capital. Se démarquer n’est plus une finalité, ce qui vient contrer la démarche hipster, dont le point de départ était bien de sortir du « mainstream » et d’affirmer sa singularité. Cette tendance hipster semble avoir atteint un point très paradoxal, car tous ses participants en refusent l’étiquette, devenue elle-même trop commune. Or pour le normcore, l’étiquette est salvatrice, elle permet d’être tendance, et non pas un simple touriste américain qui a privilégié l’aspect pratique de sa tenue.

Un mouvement émerge souvent avec une figure de proue. Or dans le cas du normcore, c’est Steve Jobs qui a été choisi, étant connu pour faire ses conférences Apple en col roulé et jean, alors que celles-ci étaient retransmises dans le monde entier. Il apparaît alors que le normcore émerge comme tendance à un moment où le code vestimentaire au travail se relâche. Certains domaines y sont plus propices que d’autres, mais venir travailler en basket est si fréquent que la tendance normcore peut se développer sur un public assez large. A la condition d’un cadre de travail plus décontracté s’ajoute celle d’un contexte médiatique particulier. Pour exister sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux, chacun est conduit à tenter de se démarquer en permanence. Cet effort à produire serait responsable d’une certaine lassitude, une volonté de revenir dans la norme. On refuserait donc la concurrence acharnée qui sévit sur les réseaux sociaux par le fait de se fondre dans la masse plus globale de la population occidentale. Enfin, ce style est porté par une jeune génération, qui semble vouloir retourner aux lignes épurées qui ont marqué leur enfance dans les années 1990. Entre nostalgie, code vestimentaire possible et volonté de ne plus se différencier à tout prix, le normcore répond bien à des conditions d’émergence particulière, qui justifient également le succès du terme. Cela rappelle même le thème de campagne du président François Hollande, désireux d’être un « président normal ».

Mais cette tendance n’est pas sans soulever de nombreux paradoxes. Tout d’abord, la volonté de se fondre dans la masse est bien contredite par la revendication du style. Comment être normal en se revendiquant d’un style? Or, l’étiquette est décisive pour éviter d’être confondu avec les touristes basiques. Le normcore semble de fait moins un non style qu’un style nonchalant, ne laissant pas voir la réflexion qu’il y a derrière. C’est là qu’on atteint le paradoxe le plus fort lié au normcore: il faut avoir l’air de ne pas avoir prêté attention à sa tenue, alors que c’était le cas, pour donner une impression de simplicité. Le normcore – qui était pourtant un refus de se démarquer – devient alors un moyen de communication sur sa personnalité. Beaucoup de significations peuvent ainsi être attachées aux choix vestimentaires de Steve Jobs, allant d’une volonté de se différencier des autres directeurs de grandes marques, d’apparaître plus décontracté à celle de laisser l’accent sur les visuels de la marque. Le normcore n’est donc pas une simple envie de s’habiller au plus simple. Des valeurs y sont accolées. Comme dirait l’aphorisme « less is more », cette simplicité et normalité revendiquées ne sont en fait qu’une façade pour faire croire à une personnalité décontractée. La volonté de sortir des sentiers battus en revenant à un style peu répandu n’est pas sans rappeler la démarche hipster, tant la banalité était laissée de côté par une course à l’originalité permanente. Enfin, il ne faut pas oublier que cette tendance se fonde sur la banalité occidentale, voire nord-américaine, ce qui conduit à relativiser la notion de globalité, car elle ne peut évidemment s’appliquer au monde entier. La tendance normcore est bien un style au même titre que les autres, qui dit beaucoup de choses sur ceux qui l’adoptent et sur des évolutions de société.
Cette tendance raconte aussi comment les médias peuvent mettre en lumière des faits qui n’auraient nullement attiré l’attention en temps normal. En effet, comment débusquer la normalité basique de celle qui vient d’une tendance, si ce n’est pas l’émergence d’une étiquette normcore qui fait le buzz?
 
Astrid Gay 
Sources
Slate
NYmagazine
Photo de couverture : Musemagazine

Société

CURIEUSEMENT EMOTIONNEL

 
Comment institutionnaliser nos émotions ? Ces sentiments qui nous envahissent lorsqu’on regarde des images sur la situation en Ukraine, ou lorsqu’après un an de dressage, on a enfin réussi à faire ramener la balle notre toutou chéri. Tant d’affluence qu’on ne peut même plus la contrôler, qu’on ressent le besoin immédiat de l’exprimer, de la partager, pour rien ou pour réjouir l’autre, se plaindre ou demander compassion. Bref. Un sacré phénomène cette extériorisation. Surtout depuis que le Web 3.0 l’a rendu visible et publiquement partagée. Il n’a d’ailleurs pas fallu attendre longtemps pour que la recherche s’en empare : Le partage social des émotions, de Bernard Rimé (2005), traduit parfaitement cette évolution. Mais les milieux davantage professionnels n’ont, eux non plus, pu s’empêcher d’y voir une porte ouverte à la connaissance du consommateur. Ajoutons à cela des jeunes téméraires bien rodés et voilà, Wifeel est né.
Wifeel, c’est ce réseau social qui a compris (plus vite que les autres manifestement) que le « like » de Facebook était devenu trop frustrant pour tous les naissants petits adeptes de l’expressivité virtuelle. Wifeel c’est donc 50 émoticônes pour transcrire son émotion du moment et « émotionnaliser » son statut : émerveillé, séduit, coupable, bloqué, vide, bizarre…

 « La vie est un monde d’émotions que nous avons besoin de partager avec notre entourage. Et si possible à plusieurs. » Tel est le crédo du fondateur du réseau, Xavier de Fouchécour, qui semble avoir tout compris puisque selon une étude commentée par Bernard Rimé dans son ouvrage, « 96% des personnes âgées de 12 à 72 ans disent partager avec d’autres les causes de leurs émotions. 60% le jour même, 84% à plusieurs reprises ». Neuf personnes sur dix ressentiraient ainsi un « besoin naturel très fort » de partager leurs émotions et d’en exprimer la cause.  Avec l’émotion comme « porte d’entrée principal » (Influencia) le réseau Wifeel s’ancre jusqu’au bout dans cette expressivité. On y parle alors de feeltag (i.e. post), de feelspots (i.e. des lieux les plus émotionnels), de flux, de sujets, de cartes, de statistiques, tous suivis (évidemment) de l’adjectif « émotionnel ». Et tout ce petit champ lexical s’inscrit dans un ton ludique, digne de tout monde d’émotions qui se respecte.
 Si en 2005, Bernard Rimé écrivait déjà que « les personnes qui ont vécu un événement émotionnel majeur manifestent un besoin parfois insatiable d’être écoutées, de parler et de reparler de cet événement », Wifeel cristallise ce constat en s’érigeant médiateur de ce partage social, et donc en l’institutionnalisant. Mais est-ce là la seule vocation de Wifeel ? Si le réseau semble s’entourer d’une aura altruiste, n’oublions pas que l’idée de Xavier de Fouchécour lui est initialement venue « suite à la demande d’un client de son agence de communication Beaurepaire qui cherchait un moyen de comprendre comment les gens s’expriment sur leur santé lorsqu’ils sont à domicile » (alternatives blog Le monde). Fort de cette demande, Xavier de Fouchécour a pour ambition de faire de Wifeel la première plateforme universelle d’expression & de statistiques émotionnelles, puisqu’ « avec Wifeel, les émotions deviennent des données auxquelles les utilisateurs peuvent attacher #sujets, commentaires, images, lieux ». Parmi les grandes originalités de Wifeel on a donc la possibilité de cartographier émotionnellement un quartier, ou encore de proposer en retour une statistique des émotions exprimées avec la comptabilisation du nombre total d’émotions partagées et la répartition de ces dernières entre positive, négative et neutre.

Evidemment, une telle collecte de données n’est pas sans intérêt pour les professionnels, et Wifeel ne s’en cache pas puisqu’il permet de fournir aux marques une mesure tangible au capital émotionnel. Ainsi « dans une approche B to B, Wifeel permettra aux producteurs, éditeurs, marques – en ligne ou dans la vie réelle – d’offrir à leur public la possibilité de qualifier émotionnellement leur contenu et/ou d’y accéder via le ressenti des autres » dixit son fondateur. Cette même logique anime les options (payantes) « Wifeel Média » et « Wifeel In Situ ». La première permet ainsi de réagir au contenu d’un site alors que la deuxième apparaît comme un véritable « système permettant de capter et donner en temps réel un feedback visuel du ressenti associé à l’événement » sur le lieu culturel ou événementiel sur lequel l’option a été installée. L’exemple parfait d’une telle utilisation se retrouve avec l’exposition The Happy Show, de Stefan Sagmeister, qui a constitué le plus grand succès de la Gaité Lyrique depuis sa réouverture en 2011, où les visiteurs pouvaient réagir émotionnellement à plusieurs questions.
 Une campagne « happiness » Coca Cola qui avait placé l’émotion au cœur de son message (précurseur d’un mouvement amorcé par Wifeel ?), un « Happy Show » décortiquant, grâce à des phrases parfois naïves, les secrets du bonheur, un réseau social faisant du partage de l’émotion sa marque de fabrique… Le XIXème siècle fait primer la passion et on en est fier. De manière générale, confier ses émotions à ses proches n’est pas nouveau. Moins que l’expression en elle-même, c’est le moyen et surtout la portée de cette dernière qui change radicalement. Out la sphère privée et le partage « intime ». Avec le Web 3.0, les sentiments s’affichent, presque comme conséquence logique de l’affichage public permis par Facebook de l’opinion, des photos ou encore des relations.
Associé à notre ère du Big Data, Wifeel pourrait presque apparaître comme l’invention inévitable en matière de réseau. Wifeel, c’est ce besoin des annonceurs de toujours viser plus précisément, c’est ce besoin de qualitatif, c’est cette ère du social networking, c’est cette logique du participatif et du crowdsourcing. En bref, Wifeel, avouons-le, a tout compris.
 Cependant, alors qu’on s’indigne que nos données personnelles de Facebook soient partagées, pourquoi Wifeel fonctionne ? Peut être parce que, dans notre imaginaire, nos émotions sont plus dangereuses en nous que dans les bases de données des autres. Pas faux. Mais ne serait-ce pas là une ignorance du « pouvoir » de la data ?
Eugénie Mentré
Sources :
Lemonde.fr
Influencia.net
Scienceshumaines.com

4L trophy 2014
Société

Le 4L Trophy ou la mise en scène de l'humanitaire

 
« Le spectacle est le discours ininterrompu que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux (…). L’apparence fétichiste de pure objectivité dans les relations spectaculaires cache leur caractère de relation entre les hommes et les classes. »
Guy Debord, La Société du Spectacle, I. 24
Le 4L Trophy est un raid humanitaire étudiant qui a lieu chaque année au Maroc. Le retour d’expérience d’Elsa Becquart nous a permis de discuter et de nous demander si la course était réellement ce qu’elle prétendait être.
Un raid humanitaire, vraiment ?
Ce qui est avant tout mis en avant est la participation à une aventure humaine, donnant lieu à un véritable dépassement de soi. Si la promesse d’un raid étudiant et sportif est en effet tenue (il s’agit bien de plus de mille trois cent équipages traversant le désert marocain, une prouesse technique donc), on peut tout à fait questionner son côté humanitaire. Il serait faux de dire que l’aspect caritatif est absent : les équipages amènent une certaine quantité de matériel scolaire et de denrées non périssables, fixée par l’organisation et en partenariat avec les associations locales collaborant avec le raid. De plus, les participants sont invités à nouer des partenariats de leur propre chef.
Les causes humanitaires, nous le savons, ont toujours besoin de fonds et doivent pour ceci promouvoir leurs actions. En ce sens, le 4L Trophy est invité à mettre en avant sa finalité pour qu’un maximum d’étudiants participent à la course et qu’en conséquence, le plus de dons possibles soient récoltés. Mais le cas est ici ambigu. Divers paradoxes, voire aberrations sautent aux yeux et remettent en question la noblesse des motivations affichées.
Le préjugé de la communication menteuse par omission, sans regard critique et par conséquent discréditée serait-il vérifié ici ?
Quelques indices nous mettent la puce à l’oreille.
Des paradoxes d’envergure
Concernant l’aspect écologique, que dire d’un « éco-challenge » ayant lieu dans le cadre d’une course de voitures, par essence, polluantes ? De même, le site de la course se targue de son opération « désert propre », après le passage des participants. C’est bien la moindre des choses ! Et puis, opération désert propre ou non, mille trois cent 4L traversant le désert marocain ne laissent pas indifférent : le poids des voitures, leur bruit et leur nombre doit forcément perturber l’écosystème du désert. Dès lors, comment peut-on se permettre de mettre en avant la volonté « écologique » du raid ? Il s’agit ici simplement de se donner bonne conscience et de surfer sur la vague de greenwashing. Parce que c’est la mode.
Comme pour l’écologie, le raid profite de la bonne image donnée par les actions humanitaires. Parce que ça fait bien.
De fait, on a affaire à un simulacre d’action humanitaire, la représentation un peu bâclée, mais réussie du spectacle du don.
Regard sur la mise en scène du don
Le 4L Trophy est une mise en scène montée de toute pièce, un réel spectacle. Si les unités de temps, de lieu et d’action des tragédies classiques sont remodelées, le cadre spatio-temporel nécessaire à la mise en récit (autrement dit, le storytelling) est clairement défini. Les campagnes de communication insistent sur le temps du raid, dans un lieu fantasmé, et pour une cause noble. Les teasers misent sur la promesse d’aventure, de découverte, d’échange, de beaux paysages, de défi, d’authenticité… Promesses mises en scène par de belles images et une musique prenante ; le tout cristallisé lors de la symbolique cérémonie du don. Tous les éléments sont donc réunis pour donner lieu à un spectacle, son et lumières, frissons garantis.

L’essence est spectacle
L’existence même du rallye EST le spectacle. Dans le rôle du metteur en scène et du diffuseur, l’organisation du 4L Trophy, les acteurs sont les étudiants, avec, pour cadre idyllique, le désert marocain. Organiser un raid aussi symbolique, pour une action aussi mythique que celle d’apporter des fournitures scolaires – représentant l’enfance et l’éducation – et des denrées alimentaires (un des plus forts symboles du don ?), ne peut pas être autre chose que la mise en scène de l’humanitaire. Il serait en effet beaucoup plus logique et efficace d’acheminer ces dons par des biais plus simples et moins médiatisés. Le don de ces étudiants n’est donc pas gratuit et semble motivé par la reconnaissance – voire la gloire – qui passe ici par la médiatisation (quel honneur de figurer sur le teaser de l’année d’après). Le côté humanitaire de la course n’est peut-être donc qu’un prétexte au rassemblement d’étudiants en recherche d’aventure et d’ambiance festive.
Des relents néo-coloniaux ?
Des occidentaux apportant le bien aux pauvres marocains du désert… la scène a été jouée et rejouée par le passé. Si l’association « Enfants du déserts » est bien marocaine, il s’agit cependant pour le reste d’une course franco-française. L’organisation est bien française et met en scène une voiture emblématique de notre pays, symbole porté par le nom du rallye. Il s’agit donc de venir apporter, de manière presque impérialiste, des dons – plus si gratuits – aux enfants marocains.
Cette ambiguïté du rallye-spectacle est donc symbolique de notre société schizophrène. Celle-là même qui nous somme d’avoir un comportement « responsable » quand elle promeut également la vente de capsules Nespresso. Au cœur des questionnements actuels, le 4L Trophy est donc également le signe qu’il est nécessaire de garder l’œil ouvert, et le bon, pour garder une vision critique de ce que l’on nous propose.
D’autant plus qu’un rallye du même type existe, le Student challenge. De moindre envergure et moins médiatisé, l’existence de cette course démontre qu’il est possible de concilier action plus humanitaire et communication moins tapageuse.
 
Mathilde Vassor
Sources :
4L Trophy.com
Crédit photos :
4Ltrophy

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save the children campaign
Société

La communication : une arme à part entière

 
Il n’est pas question ici des armes chimiques utilisées en Syrie mais d’un crime encore plus tragique, dont les ONG et l’ONU peinent à documenter tant le sujet est douloureux. Il s’agit du viol. Doublé des misérables vies endurées par les enfants, les souffrances infligées pendant la guerre civile syrienne mettent toutefois en scène d’un point de vue communicationnel le double versant de la communication.
Utilisée à bon escient, la communication peut se muer en arme efficace pour sensibiliser les publics. Mais elle peut également se faire prendre à revers et nuire aux victimes les plus sensibles, comme c’est le cas ici avec les femmes syriennes. Ces dernières deviennent alors de véritables boucliers humains et a fortiori les principaux champs de batailles d’une guerre qui dure maintenant  depuis trois ans.
Le revers de la communication : une arme destructrice
Les témoignages de ces femmes syriennes violées ont été parus dans Le Monde le mercredi 5 mars dernier et constituent l’exemple même d’une communication aux nobles intentions mais qui se fait prendre par son propre piège en allant jusqu’à menacer la vie des victimes. Malgré la honte et les représailles à la suite de ce crime d’honneur, ces femmes ont néanmoins accepté de se confier pour faire éclater au grand jour les horreurs de la guerre. Témoignages souvent insoutenables, ces derniers mettent en lumière les pratiques utilisées par le régime de Bachar Al-Assad comme arme de guerre destinée à détruire durablement le tissu social syrien.
Le viol est fondé sur l’un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne et sur le silence des victimes, convaincues de risquer le rejet par leur propre famille, voir une condamnation à mort si elles parlent. Les journalistes poussent un cri en nous rapportant ainsi les dialogues et autres détails anecdotiques pour nous faire revivre au plus près les ignominies imposées à ces femmes.
« J’ai tout eu ! Les coups, le fouet avec des câbles d’acier, les mégots de cigarette dans le cou, les lames de rasoir sur le corps, l’électricité dans le vagin. J’ai été violée – les yeux bandés – chaque jour par plusieurs hommes qui puaient l’alcool et obéissaient aux instructions de leur chef, toujours présent. Ils criaient : « Tu voulais la liberté ? Eh bien la voilà ! » s’écrit une femme de 27 ans, mère de quatre enfants, décharnée et handicapée à vie par les coups administrés sur sa colonne vertébrale par un milicien du régime avec la crosse de son fusil.
Ces campagnes de viols organisées par les milices ont touché des centaines de victimes: les viols furent réalisés dans des conditions inhumaines, dans des sous-sols remplis de rats, et parfois même devant les maris, les frères et les pères. Le climat de terreur déjà présent par la guerre ne fut qu’accru par la violence de ces agressions sexuelles et par la diffusion de ces aveux.
« Leurs corps sont des champs de torture et de bataille » dénonce l’écrivaine Samar Yazbek, réfugiée en France.
Des histoires sordides sont sorties de l’ombre, comme celle d’une petite fille désormais réfugiée aux Etats-Unis, violée par son aîné sous les ordres des soldats. Ses deux autres frères furent décapités pour avoir refusé de le faire. Mais l’aîné fut ensuite tué sur le corps de la fillette, qui fut de nouveau violée par ces monstres.
La parution de ces témoignages a permis de mettre en lumière ces initiatives barbares et ces crimes obscènes. Néanmoins, la déchirure de ce silence obstiné de la part des victimes a de lourdes conséquences : divorces, psychose sociale (désormais, la simple incarcération suffit pour faire croire que la femme a été violée), stigmate et meurtres (de bébés nés de ces viols collectifs surtout) surviennent après l’aveu.
« Elles ont si peur en sortant de détention qu’elles restent murées dans leur malheur sans pouvoir demander de l’aide » se désespère Alia Mansour, membre de la Coalition nationale syrienne.
Les bienfaits de la communication
En trois ans, la guerre civile syrienne aurait déjà emporté avec elle plus de 11 000 enfants et transformée plus d’un million de syriens en réfugiés. Pour faire prendre conscience aux publics des horreurs de cette guerre, Save the Children, une ONG de défense des droits de l’enfant a lancé un nouveau spot pour marquer les trois ans du conflit (le 15 mars) à travers une campagne de sensibilisation qui constitue un nouvel appel aux dons. Avec comme slogan « Just because it isn’t happening here, doesn’t mean it isn’t happening », la vidéo met en scène ce que serait la vie d’une petite fille londonienne si un conflit similaire venait à éclater au Royaume-Uni.

Une campagne de sensibilisation avait déjà été lancée au Norvège par l’ONG SOS-Villages fin février afin de récolter des vêtements chauds pour les enfants syriens. Une caméra cachée filmait un petit garçon sous un abris-bus, grelottant sous la neige, pour observer le comportement des individus face au tragique de la situation. Mise en ligne fin février, elle a déjà plus de 13 millions de vues.

La communication peut dès lors apparaître comme une arme efficace et poignante pour réveiller les consciences et faire changer les choses.
 
Laura de Carne
Sources
SavetheChildren
LeMonde

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Société

Jacques a dit : « Zuckerberg Mania »

 
Pour l’année de ses 10 ans, Facebook est en complète effervescence.
Alors que des sondages récents se sont multipliés pour montrer son recul face à d’autres réseaux tels que Twitter, Zuckerberg, lui est partout.
Entre l’échec du rachat de Snapchat, l’acquisition récente de Whatsapp et enfin sa présentation la semaine dernière du projet internet.org à l’occasion du Mobile World Congress, Mark Zuckerberg se fait star des médias depuis quelques temps.
Alors 10 ans, l’âge de raison ? Peut-être simplement le moment de se demander qu’est-ce qu’on fait là et de se concentrer sur une vision à long terme.
Le buzz de Whatsapp
Rappelons que Zuckerberg vient d’acheter l’application WhatsApp, créée en 2005 par Jan Koum, qui compte 450 millions d’utilisateurs, dont 70% qui l’utilisent quotidiennement, pour une modique somme de 19 milliards de dollars.
On constate également à cette occasion le triomphe du modèle « freemium » : tout comme l’application de photos Instagram, rachetée 715 millions de dollars en 2012, WhatsApp conservera son nom et son indépendance.
 La particularité de cette application ?
«Ni publicité, ni jeux vidéo, ni bla-bla» indique une note affichée dans le bureau de Koum. Le message est clair donc, WhatsApp sert uniquement à envoyer des messages, des photos et des vidéos à ses contacts.
Il semble d’ailleurs que le CEO de Facebook garde cet esprit.

L’objectif est clair pour Facebook : « purely connecting more people ».
« Chacun de nous, n’importe où, connectés »:
Cette vision du « One connected world» se retrouve dans internet.org,  un projet un peu fou lancé par Facebook en partenariat avec six autres membres (Ericsson, MediaTek, Nokia, Opera, Qualcomm et Samsung). Il s’agirait de connecter à Internet ceux qui n’y ont pas encore accès, soit 2/3 de la population mondiale.
En effet, selon Facebook seules 2,7 milliards de personnes (soit un peu plus du tiers de la population mondiale) ont accès à Internet, une proportion qui augmente de moins de 9% chaque année.
Il est important de rappeler que le réseau social a déjà investi plus d’un milliard de dollars pour connecter des personnes dans les pays émergents au cours des dernières années.
Internet.org : c’est quoi ?

L’idée est de permettre aux populations défavorisées d’avoir accès à des applications web qui deviendraient gratuites et que Zuckerberg juge indispensables comme Wikipedia, la météo ou encore son propre réseau social Facebook.
Mark Zuckerberg constate que « 80% des habitants de la planète vivent dans un endroit qui a déjà la 2G ou la 3G, mais seulement un tiers de l’humanité est connecté et des milliards de personnes pourraient en bénéficier, seulement ils ne savent pas à quoi cela sert ». Ce qui est visé ici est une stratégie à long terme, d’évolution des pratiques et des modes de vie.
Bien sûr, tout ne serait pas gratuit et c’est là que l’idée n’est pas naïve. Ainsi, il demande aux opérateurs mobiles de faire un effort et d’offrir quelques applications gratuitement. En échange, les nouveaux internautes « gratuits » qui seront convaincus finiront à terme par prendre un forfait Internet mobile et ainsi participer à l’économie de ces fournisseurs d’accès.
Il s’agit d’un projet sympa sur le papier et qui tend à se vérifier dans la pratique avec deux essais réalisés au Paraguay avec Tigo et aux Philippines avec l’opérateur Globes qui ont permis à ces deux fournisseurs de téléphonie mobile de doubler leur nombre d’abonnés en seulement un trimestre.
Alors la gratuité, le sans pub une nouvelle tendance ?
Cependant, amener Internet quand des pays où une partie de la population ne bénéficie même pas d’accès à l’eau potable, n’est-ce pas un projet trop ambitieux ?
Même si Zuckerberg reconnaît et accepte la nécessité de perdre de l’argent au début, les opérateurs de la téléphonie mobile comme Stéphane Richard pour Orange seront-ils du même avis?
En tout cas, même si l’idée du « One World Connected » semble un peu utopique à l’heure actuelle, n’est-il pas rafraîchissant de voir de jeunes entrepreneurs avec tant d’ambition et surtout d’audace mener des projets et porter une vision globale et sur le long terme ?
Sophie Cleret
Sources :
Lepoint.fr
Lemondeinformatique.fr
Internet.org

Canal+
Société

Canal+, Studio Bagel : une histoire de gourmandise

 
 C’est telle une traînée de poudre que la nouvelle s’est répandue et que les jeux de mots ont fusé : « Canal+ « croque » 60% de Studio Bagel. »
Studio Bagel est la jeune start-up derrière des programmes courts comme le Dézapping du Before ou les Tutos du Grand Journal sur Canal+. De la même manière, sur le web, Studio Bagel est tout aussi débordant de créativité à travers sa chaîne Youtube, et ce  grâce à des formats voulus courts, drôles et efficaces.
La chaîne totalise plus d’1 million d’abonnés et plus de 40 millions de vidéos vues. Autant dire que la start-up du rire 2.0 décolle et rassemble !
Pour Le groupe Canal, c’est une acquisition qui représente un pas de plus dans l’univers de l’OTT (Over-the-top-television,  pour dire d’une manière générale la télévision distribuée sur internet), notamment après le lancement de 16 chaines Youtube destinées à relayer le contenu de ses différents programmes diffusés en clair. Ce rachat s’inscrit donc naturellement dans la stratégie plurimédia du groupe et son envie d’accroître sa présence sur le web.
Le succès que connaît le collectif du même genre, Golden Moustache (lancé par le groupe M6), a certainement conforté cette décision.
Par ailleurs, acquérir Studio Bagel permet à la chaine de cibler très spécifiquement un public assez jeune, friand de ce genre de formats facile à partager et lui assure en outre un vivier non négligeable d’artistes et d’animateurs potentiels. Dans ce sens, Maxime Musqua, ancien membre de la start up, a depuis Septembre dernier rejoint le petit journal de Yann Barthès.
Studio Bagel de son côté se réjouit : la petite équipe se voit assurée d’avoir plus de moyens et encore plus de diffusion par le biais de l’audiovisuel.
Salma Bouazza
Sources :
Nouvelobs.com
Lesechos.fr
Telerama.fr

Société

Blackphone contre Big Data

 
Vous avez peut-être entendu parler du Blackphone, ce nouveau smartphone ultra-sécurisé et grand public, censé vous protéger de l’espionnage et de l’exploitation de vos données personnelles, résultat d’un partenariat entre GeeksPhone et Silent Circle.
Comment procède-t-il ? Le smartphone sécurise d’une part toutes vos communications en les cryptant et, d’autre part, toutes vos connexions Internet, grâce – entre autres – à un système masquant votre adresse IP, à un blocage des publicités et du suivi des sites consultés et à la possibilité de paramétrer précisément toutes les applications du téléphone.

 La proposition semble être dans l’air du temps. Car après tout, pourquoi se munir d’un téléphone aussi sécurisé que celui d’un Président si son utilisation consiste en tout et pour tout à se connecter sur Facebook tout en envoyant des textos ?
Mais c’est bien de la lutte contre le Big Data dont le nouveau Blackphone se veut le chantre. A ce titre, il est présenté comme un téléphone « anti-NSA », surnom auquel on pourrait rajouter celui d’« anti-Google. »
L’exploitation marketing, policière ou politique de nos données crispe donc de plus en plus la population. L’appareil est d’ailleurs dans la lignée d’une flopée de logiciels et d’outils permettant de se protéger contre elle, du type Tor notamment.
Avec ce téléphone grand public, il apparait que l’indignation contre le Big Data a atteint le niveau d’un ras-le-bol généralisé. Mais notre société ne serait-elle pas en même temps en train de devenir légèrement schizophrénique ?
Schizophrénique, car scindée entre des observateurs véreux et des observés mécontents, entre panoptisme et contre-panoptisme. Schizophrénique, car nous cryptons désormais nos données pour les protéger, tout en voulant continuer à les partager.
Finalement, la mise en réseau de nos sociétés serait-elle allée trop loin, au point d’en écœurer ses membres et de les forcer à se protéger d’eux-mêmes ?
Clarisse Roussel
Sources :
Lesnumeriques.com
Lemonde.fr
Lefigaro.fr
Crédit photo :
Lesnumeriques.com

Société

Le « Vu à la Télé » revient en force grâce au transmédia

Un angle d’approche original pour approfondir ce dossier : celui de la recherche. Cinq rédacteurs ont spécifiquement travaillé sur le transmédia en abordant la problématique du « Vu à la Télé ». Le transmédia serait ce degré supérieur d’interactivité qui dépasse celui du crossmédia, qui nous amènerait vers une télévision connectée et une médiatisation nouvelle génération ?

tout interactif
Société

L’expérience médiatique, hic et nunc

 
Notre rédactrice Margaux Putavy s’est livrée à une analyse des enjeux de l’expérience médiatique aujourd’hui, en nous éclairant sur l’aspect davantage transmédiatique que cross-médiatique – une réflexion sur nos écrans, à travers l’exemple du dispositif transmédiatique mis en place dans le cadre de l’émission Master Chef.
Avant, on regardait des émissions comme Master Chef, passivement, le mercredi soir. Et puis on attendait la semaine suivante, pour reprendre l’aventure là où on l’avait sagement laissée. Pour patienter, on pouvait, au mieux, revivre l’émission en replay, ou bien se découvrir une passion subite pour d’autres programmes dans la semaine. Mais ça, c’était avant.
En effet, les contenus médiatiques jusque là cantonnés aux médias traditionnels, et plus particulièrement la télévision, envahissent désormais tout notre univers quotidien. Rares sont aujourd’hui les émissions dont l’influence se limite aux 120 minutes de diffusion. Il est bien plus fréquent, et bien plus efficace, de concevoir des programmes susceptibles de se décliner en différents formats. En d’autres termes, on ne peut plus nier qu’il n’est absolument plus pertinent de penser les différents médias indépendamment les uns des autres. Mais alors pourquoi ? Ou, plus exactement, pour quoi ? Quelles sont les conséquences, pour les téléspectateurs et leur consommation des médias de telles approches transmédiatiques ?
Reprenons le cas de Master Chef qui, à plusieurs égards, s’avère être particulièrement emblématique de cette tendance. Le 28 août 2013, peu avant le lancement de la saison 4, le site MYTF1 dévoilait le « dispositif digital exceptionnel » mis en place autour de l’émission. Du livre à la tablette, en passant par la presse magazine, les mobiles, le site web, les IPTV, nombre de supports ont donc été mobilisés et mis en relation. Le site MYTF1, par exemple, proposait un « Défi Master Chef » qui, lors de chaque diffusion, récompensait quelques téléspectateurs chanceux et perspicaces ayant donné leur avis sur les créations culinaires ou ayant deviné quel candidat subirait le « test sous pression ». De la même manière, les pages Facebook et Twitter de l’émission, grâce au hashtag #MaSoiréeMasterChef, permettaient aux internautes d’organiser leurs propres soirées MasterChef en mettant à leur disposition une recette de l’émission en avant-première, une boite à outil composée d’ingrédients ludiques, des éléments pour habiller leur table, des grilles de Bingo et en leur donnant l’occasion d’échanger leurs astuces sur les réseaux sociaux. Enfin, les téléspectateurs ont également pu se procurer en kiosque le MasterChef Mag et en libraire cookbook de la nouvelle saison ainsi que le coffret MasterChef Pâtisserie.
L’idée est de proposer, bien plus qu’une simple émission de télévision, une véritable « expérience » MasterChef. Déjà lorsque le terme de transmédia est employé pour la première fois par Henry Jenkins en 2003, il s’agit d’associer plusieurs supports afin d’étendre un univers. Ainsi, en créant un contenu exclusif et original pour chaque support, l’on ne se contente plus d’adapter un même format pour divers écrans, comme c’était par exemple le cas avec le replay qui permet de revoir la même émission mais sur l’ordinateur. La télévision ne peut donc plus se contenter d’envisager le web et les autres médias comme des plateformes de rediffusion et de promotion. Il est maintenant nécessaire d’aller au-delà du cross-média puisque le transmédia, lui,  génère une expérience qui se veut unique, enrichie et presque complète.
De cette manière, le contenu médiatique est fragmenté et devient ainsi accessible partout, tout le temps, de toutes les façons possibles. Ce fait est révélateur de la mutation que connaît aujourd’hui toute la culture numérique, au sens où l’entend Milad Doueihi dans son ouvrage Qu’est-ce que le numérique. Autrefois culture assise, culture « de la chaise » même selon Mauss, elle a su s’adapter à la mobilité qui caractérise nos sociétés occidentales. Les contenus médiatiques sont alors entièrement intégrés dans la quotidienneté et notre rapport au temps et à l’espace s’en trouve d’ailleurs modifié. Si le rendez-vous télévisuel hebdomadaire, vécu dans l’intimité du foyer, a pu représenter un rituel, on tend aujourd’hui à privilégier une certaine hybridation des repères spatiotemporels : l’espace numérique investit l’espace traditionnel et l’expérience médiatique se diffuse dans des temps plus inhabituels.
De la même façon, le digital donne implicitement au corps une place centrale dans l’expérience médiatique. Les tablettes et les Smartphones réintroduisent le toucher au sein même du numérique. Ainsi, le transmédia acquiert une valeur sensorielle et les programmes télévisuels prennent pour le téléspectateur une nouvelle dimension, ils se trouvent bel et bien enrichis et gagnent en relief. Cette prégnance du toucher prend une valeur toute particulière dans le cas des émissions culinaires. MYTF1 annonce « Du tablier à la tablette » ; on peut aller plus loin. La plupart des applications mises en place encouragent le téléspectateur à tester lui-même les créations gastronomiques montrées à l’écran ou conseillées par d’autres internautes. Dans un mouvement dialectique, il s’agit alors d’enfiler soi même un nouveau tablier, de dépasser et d’accomplir le contenu médiatique en lui conférant une application tangible et matérielle. Et c’est peut être à ce moment précis que la médiation remplirait à merveille son rôle : par écrans interposés, elle se contenterait de transmettre les gestes des professionnels et des candidats vers les téléspectateurs anonymes. Si le concept de télé-coaching misait déjà sur cette idée de mise en application de conseils pratiques, le transmédia resterait le meilleur moyen d’impliquer les téléspectateurs et d’insuffler aux médias traditionnels un véritable souffle de dynamisme.
Mais le transmédia ne concerne pas uniquement l’extension de l’expérience médiatique dans le temps et dans l’espace. Même pendant la diffusion des programmes, plusieurs facteurs concourent à complexifier l’expérience des téléspectateurs. Nombreux sont ceux qui s’évertuent à commenter, en direct, les émissions qu’ils visionnent sur les réseaux sociaux, les exemples les plus probants étant la diffusion du Super Bowl en 2012 qui a engendré plus de 30 millions d’interactions ou les épisodes de « The Voice » qui s’accompagnent d’environ 300 000 tweets chaque samedi. Ce genre de pratique devient un véritable enjeu pour les entreprises médiatiques. Une étude de 2012 révèle en effet que 65% des Français souhaitent que la télévision laisse plus de place aux téléspectateurs. De même, 41% des Français assurent qu’un commentaire posté pendant une émission peut leur donner envie de regarder ladite émission et cette proportion atteint 48% chez les 18-34 ans. Engager les téléspectateurs en temps réel devient alors une priorité, d’autant plus que la télévision, reconnue comme média particulièrement émotionnel, s’y prête à la perfection. Pour ce faire, la solution la plus efficace est de proposer à chacun une expérience unique, en d’autres termes de faire de chaque téléspectateur le co-créateur du contenu médiatique. C’est ainsi que Benoît Vidal, Chief Digital Officier chez MFG labs, distingue trois solutions pour personnaliser les expériences télévisuelles. Tout d’abord, il cite le Social Datatainment qui consiste à encourager les commentaires sur les réseaux sociaux à l’aide des hashtags. Ensuite, il s’attarde sur le Core Datatainment en insistant sur le second écran qui permet, à un moment précis, d’enrichir voire d’augmenter la narration. Enfin, la personnalisation atteint son paroxysme avec le Full Datatainment qui intègre le navigateur dans le téléviseur et transforme ainsi le second écran en télécommande intelligente. De cette manière, chaque téléspectateur lambda, devant son poste, devient un acteur essentiel et générateur de sens inédit. Cette autre expérience transmédiatique rend ainsi les programmes bien plus stimulants et attractifs.
Bien évidemment, certains programmes se prêtent plus à ces pratiques de « live tweets » que d’autres. Il s’agit de la téléréalité, des manifestations sportives et des shows du type « The Voice », dont le caractère spontané et propice aux rebondissements et coups de théâtre invite au commentaire. Mais alors, qu’en est-il de la fiction ? Les séries américaines diffusées à la télévision risquent bien de perdre peu à peu de leur pertinence dans la mesure où il est désormais tentant et très aisé de les visionner bien en avance sur Internet. La fiction à la télévision doit alors tout faire pour conserver son statut d’événement immanquable. Certaines expériences démontrent que la solution a peut être un nom et qu’elle s’appelle, une fois de plus, « transmédia ». La chaîne D8 par exemple a lancé en décembre 2013 la série What Ze Teuf dont l’intrigue était déterminée par les internautes sur Twitter. Après chaque diffusion, les téléspectateurs disposaient ainsi de quelques heures pour imaginer des péripéties que les acteurs s’efforçaient de tourner dès le lendemain mettant ainsi en place une stratégie originale et participative. Mais la télévision n’est pas la seule à s’emparer du transmédia. L’univers du jeu vidéo permet aussi de penser une « fiction totale », comme le suggère Eric Viennot, fondateur de Lexi-Numérique. Il présente sa création, In Memorium, de la façon suivante : « Les joueurs achetaient un CD-rom, puis devaient se connecter à Internet pour chercher des indices et contribuer à l’enquête de la police. Les internautes se retrouvaient sur des forums pour résoudre les énigmes du jeu. L’un des moments les plus trépidants survenait lorsque le joueur recevait en pleine nuit un message du tueur en série sur son téléphone portable. Réalité ? Fiction ? ». Un tel « jeu de réalité augmentée » allie savamment jeu vidéo, Internet, mobile et s’appuie plus que jamais sur une dimension communautaire.
Ces derniers exemples mettent ainsi en lumière l’exceptionnel potentiel des phénomènes transmédiatiques. Si les écrans sont encore bien présents et perceptibles, il est fort probable qu’à terme ils tendent à s’effacer au profit de nouvelles technologies telles que les Google Glasses. Toujours est-il que l’objectif reste le même, à savoir proposer des expériences sensorielles toujours plus abouties. Si ces expériences sont bien virtuelles, il faut maintenant plus que jamais souligner qu’elles n’en sont pas pour autant irréelles, seulement informatiquement simulées. En établissant cette distinction primordiale dans son ouvrage L’Etre et l’Ecran, Stéphane Vial nous invite à nous interroger sur le statut de telles expériences qui semblent, par leur caractère totalisant, se fondre dans notre réalité la plus banale. Finalement, la question du transmédia n’est-elle pas plus large qu’elle n’y paraît ? N’est-elle pas autant une réflexion sur les écrans et les médias qu’une méditation sur ce que nous appelons encore notre réalité ?
 
Par Margaux Putavy
Sources
Éric Viennot et Xavier de la Vega « Entretien avec Éric Viennot : « Vers une fiction totale » », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines 3/ 2012 (N° 26) p. 39-39
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