Société

De Lennon à Lego

 
Vous vous rappelez ce clip où John et Yoko marchaient dans la brume jusqu’à cette maison blanche dont Yoko ouvrait une à une les persiennes pendant que John se mettait à chanter : « Imagine there is no country… Imagine there is nothing to kill or die for… Imagine all the people living life in peace. » Elle avait un joli bandeau dans les cheveux, il avait une belle chemise à pois. C’était chouette, c’était plein d’espoir. Un peu puérile peut-être ? Evidemment puisque le propre de l’enfance, c’est d’imaginer, à foison et sans limites. Et, en imagination tout est possible, le meilleur inclus.
Cela, Lego le sait particulièrement bien. D’ailleurs, c’est sa raison d’être et son gagne-pain. Depuis 1932, la société danoise vend de l’imaginaire, ou plutôt des supports pour l’imaginaire, à des milliers d’enfants dans le monde entier. Et, pour ce faire, il faut aussi créer un imaginaire de ces supports de l’imaginaire. Vous suivez ? Il s’agit en fait de communiquer sur la marque Lego, tout simplement. Du coup, comme beaucoup d’autres, l’entreprise lance régulièrement des campagnes, et le fait généralement avec un certain brio, cette semaine encore.
Un certain nombre de sites, dont blogenblois.fr, ont ainsi donné à voir la dernière campagne du fabricant de jouets, réalisée par l’agence allemande Jung Von Matt. En bref, de simples briques de legos sont empilées dans un espace vide. Un logo de la marque les présente, tandis qu’un laconique « Imagine » restreint le sens de l’image. La chose pourrait s’arrêter là, et cela nous paraîtrait d’ailleurs intéressant, mais les publicitaires n’ont pas osé et ont donc décidé de faire quelques références : aux Tortues Ninja, à Lucky Luke ou encore à Astérix et Obélix.
Quoi qu’il en soit, il s’agissait de montrer des possibles. La tâche était ardue et cela semble avoir galvanisé les créatifs allemands. En effet, contrairement à d’habitude, il ne fallait pas créer un univers symbolique autour d’un produit ou d’un ensemble de produits, mais montrer la possibilité de créer une gamme illimitée d’univers symboliques à partir d’un produit. Jouer, d’ailleurs, n’est-ce pas cela ? Manier des signes pour créer des réalités. Voilà pourquoi la mission est accomplie. L’agence a réussi à prouver qu’à partir de simples cubes emboîtables, il était possible de recréer un monde, celui des Tortues Ninja ou de Lucky Luke. Elle aurait été plus ambitieuse encore en se passant de ces références, mais le risque à prendre était sûrement trop grand. N’est pas autorisé à être Kandinsky qui le veut.
En travaillant ainsi, elle a également réussi à mettre en valeur son produit dans sa simplicité. Ce qu’on voit, ce sont de prosaïques legos, mais montrés ainsi ils donnent envie. Pas d’ambassadeurs de la marque, pas de lourd storytelling mais le produit, simplement le produit, et ses potentialités. Du coup, pas de problème d’attribution. Pas de séduction inutile, on sait qui s’exprime et on s’en rappelle. En outre, c’est à partir de ce produit qu’est créé le territoire de la marque. C’est un autre point fort de cette campagne. On ne fait pas entrer le produit dans un univers, on le fait créer lui-même cet univers et ainsi il en reste le centre, le point d’attraction, sur lequel se concentre l’attention du consommateur.
Mais, qui est le consommateur ? L’enfant, son parent, son grand-parent ? Pour les concepteurs de cette campagne, la réponse semble être assez claire. Le niveau d’abstraction du visuel comme du slogan les rendent peu accessibles à des bambins. C’est donc bien ici l’adulte qu’on vise, en lui donnant l’idée que son enfant va développer des capacités, accéder à des imaginaires. En somme, « le groupe Lego s’engage à développer la créativité des enfants par le jeu et l’apprentissage. » C’est écrit sur le site, noir sur blanc, et cela confirme au moins une chose : la publicité n’est pas un art. Il reste au moins cela à John…
 
Romain Pédron

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