Flops

Eye See You

 
Tremblez, pudiques, voici venir l’EyeSee !
Internet va peut-être perdre sa place de meilleur fournisseur d’informations aux marques sur leurs clients, face à ces mannequins dont un œil abrite une caméra et un logiciel de reconnaissance faciale. Cette technologie, initialement conçue pour intercepter des criminels en vadrouille dans les aéroports, a été reprise par l’Italien Almax. Elle a été ajoutée à sa gamme de luxueux présentoirs dans un tout récent modèle à 4000 euros (5130 dollars).
Les rapports varient, mais l’on parle de quelques douzaines d’EyeSee déjà commandés par une clientèle dont Almax préserve jalousement l’anonymat. Elle engloberait cinq marques de luxe, une américaine et quatre européennes.
Le constructeur précise à travers son PDG Max Catanese que les capacités de l’EyeSee se limitent à la collecte de données sur la tranche d’âge, le sexe et l’ethnie des clients qui passeront à sa portée. La vidéo elle-même, et avec elle l’identité des visiteurs, n’est pas conservée – ce qu’assurent des mesures de sécurité inclues à la fois dans le hardware et le software de la caméra. L’objectif serait précisément de protéger la vie privée des clients, tout en obtenant leurs profils pour des adaptations rapides des stratégies marketing, et plus directement de l’aménagement des boutiques. Rappelons que l’industrie du luxe n’a aucune raison de refuser un moyen de relancer sa croissance, divisée par deux depuis l’année dernière (selon des prédictions à 5% en 2012 par Bain & Co.). Almax cite ainsi l’exemple d’un gérant ayant remarqué grâce à l’EyeSee que l’une des entrées de son magasin voyait passer une clientèle pour un tiers asiatique après 16h. Il y a donc posté un vendeur sinophone pour mieux l’accueillir.
Enfin, il est prévu de donner une dimension auditive à la capacité d’observation du mannequin. Il pourra ainsi reconnaître des mots dans les commentaires faits sur sa tenue, et en faire un rapport exploitable.
Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour parler d’un Flop avéré, malgré la tiédeur des premières réactions. Les commentaires de professionnels sont pour le moment à l’équilibre entre l’admiration devant les perspectives qu’Almax ouvre en matière de marketing – Uché Okonkwo de Luxe Corp. a par exemple encensé le procédé – et l’évidente inquiétude qui les accompagne. Luca Solca, chef de recherche sur les produits de luxe à Exane BNP Paribas Londres, a eu cette simple formule : « It’s spooky »(1).
Il n’est pas anodin que le groupe Benetton ait initialement nié avoir commandé des EyeSee chez Almax, prétendant s’être limité aux modèles plus conventionnels, pour ensuite reconnaître l’achat. Leur service de communication a probablement craint de provoquer le dégoût chez les consommateurs, comme c’est déjà majoritairement le cas sur Twitter.
Pourtant, la collecte d’informations est monnaie courante sur Internet. Mais chacun a le choix d’utiliser les réseaux sociaux et de renseigner ses informations personnelles, comme le souligne Christopher Mesnooh du cabinet parisien Field Fisher Warehouse, ajoutant que ce n’est pas le cas lorsque l’on se contente de déambuler dans une boutique.
Certes, les caméras de sécurité de la moindre épicerie sont bien plus à même de divulguer des identités que l’EyeSee. D’ailleurs, ce type de technologie a déjà été utilisé pour des caméras de plafonds sans causer d’émotion particulière. Mais reste le fait simple que ce mannequin regarde le visiteur en plein visage, relevant des données qu’il est absolument impossible de vérifier pour un particulier. Au reste, rappelons que ces nouvelles pratiques rencontreront plus d’obstacles dans l’Hexagone. En France, l’installation d’un dispositif de surveillance requiert une autorisation préfectorale, et un motif qui ne soit rien d’autre que l’amélioration de la sécurité du lieu. Cela étant, cette technologie peut très bien être justifiée comme un moyen de prévenir le vol à l’étalage.
Le plus marquant est simplement que dorénavant, les mannequins-espions existent, presque dans la même veine que l’androïde interactif du Dr. Hiroshi Ishiguro. Certes, Almax rassure sur sa capacité à éviter les abus de sa technologie. Mais rien ne dit que d’autres entreprises ne montreront pas de plus maigres scrupules. La fonctionnalité de mémorisation des visages par l’EyeSee est par exemple déjà opérationnelle – notamment pour identifier les employés et ne pas les confondre avec la clientèle. Elle requiert cependant l’autorisation des sujets.
Si abus il y a, ou si l’EyeSee génère effectivement un renouvellement du marketing sur le terrain, FastNCurious sera au rendez-vous pour examiner ce sujet avec plus de recul.
 
Léo Fauvel
(1) « c’est sinistre »
Sources :
Bloomberg
Twitter
Le Monde – Big Browser
La plaquette du EyeSee sur le site d’Almax
Crédits photo : © Almax