Publicité et marketing

Le Dash Button d'Amazon : une révolution ?

Il n’était déjà plus nécessaire de se déplacer pour faire ses courses grâce à Internet.
Aujourd’hui, Amazon veut faire oublier l’étape de la sélection et de la connexion sur le site
en ligne grâce au Dash Button.
La promesse de simplifier la vie des consommateurs
Amazon lance le 15 novembre son « Dash Button » en France. Ce petit bouton intelligent existe depuis 2015 aux Etats Unis. Dans sa stratégie de commercialisation, Amazon insiste sur le caractère simple et intuitif du button. Une fois collé au lave linge, à la porte du frigo ou dans la salle de bain, il suffit d’appuyer sur ce dernier pour commander et recevoir le produit désiré en 24h (sous réserve de souscrire à l’abonnement Premium payant). Le Button est relié au Wi-Fi du logement et s’allume automatiquement à chaque utilisation. En cas de commande effectuée par erreur (comme par exemple dans le cas où les enfants jouent avec le Button), il est toujours possible de l’annuler via l’application smartphone. Pour la modique somme de 4$99, Amazon se vante de simplifier la vie familiale, d’éviter le stress de l’achat à la dernière minute car le Button s’occupe de tout. Il n’est plus nécessaire de se connecter à son compte Amazon, et encore moins de se déplacer au supermarché.
La marque revendique un certain succès avec 3 achats par minute aux Etats Unis, pour 500 marques partenaires. Pour les distributeurs, le Dash Button est un moyen de rentrer sur le marché des objets connectés. Une façon d’affirmer sa modernité et son implication dans le domaine des nouvelles technologies. En prenant cette initiative, les marques accompagnent le consommateur vers l’apprivoisement de ces tous nouveaux objets. Elles créent ainsi une association dans l’esprit du consommateur entre leur marque et les nouvelles technologies. Une stratégie ingénieuse dans une période où des innovations apparaissent régulièrement et où le consommateur a besoin de repères. Le Dash Button semble, outre accroitre les bénéfices des entreprises, être un produit d’appel attractif mais aussi une façon d’imprimer leur image dans le quotidien des consommateurs.

Mais on voit rapidement apparaître quelques failles dans ce système. Des utilisateurs américains ingénieux recensent sur des sites internet les utilisations alternatives du Dash Button. On peut par exemple facilement le reprogrammer pour commander des bières, ou encore faire fonctionner sa machine à café à distance en appuyant simplement sur le Button. Amazon ne se réjouit pas de ce détournement qui le prive de bénéfices qu’il touche sur ses abonnements mais aussi certainement des accords commerciaux passés avec les distributeurs.
L’entrée d’Amazon dans le monde réel
Quoiqu’il en soit, le Dash Button rentre dans la grande famille des Objets d’Internet. L’Internet des Objets (IdO) représente l’extension d’internet aux objets du monde physique. Selon l’Union internationale des télécommunications, l’IdO est une “infrastructure mondiale pour la société de l’information, qui permet de disposer de services évolués en interconnectant des objets (physiques ou virtuels) grâce aux technologies de l’information et de la communication interopérables existantes ou en évolution ». Ce sont donc des objets qui ont leur propre identité numérique et qui sont capables de communiquer entre eux. Ils représentent une passerelle entre le monde physique et le monde virtuel d’Internet. Le Button se place dans le domaine d’application de la domotique, c’est à dire l’ensemble des technologies de l’électronique de l’information et des télécommunications utilisées dans les domiciles. On y retrouve les outils d’aide à la gestion de l’énergie, ou ceux qui assurent la sécurité du domicile.
En se reliant par lui-même à la sphère virtuelle d’internet, le Button, bien physique, semble parfaitement ancré dans l’ère d’un internet 3.0 vers laquelle notre société se tourne.

Mais on peut se demander si le Dash Button simplifie et améliore réellement la vie des consommateurs, comme Amazon s’en vante dans ses publicités. En effet, plusieurs critiques non négligeables quant à la soutenabilité et l’efficacité de son modèle peuvent être émises.
Une innovation à l’efficacité discutable
Gary Cook, de Greenpeace, déplore la déconnexion totale du Dash Button avec les politiques anti gaspillages que mettent en place les gouvernements européens. Avoir un seul Button pour chaque marque et chaque produit implique la fabrication d’une énorme quantité de produits à composante électronique. Or on connait l’impact de ces nouvelles technologies sur l’environnement, tant dans leur production qu’une une fois qu’ils sont obsolètes. Amazon répond pour sa défense qu’il compte payer le recyclage des buttons.
Le principe de la livraison n’est pas non plus un mode de consommation soutenable, comme le souligne Raz Godelnik, professeur à la Parsons School of Design de New York. Il faut imaginer que pour chaque commande ce sont de nouvelles dépenses de carburant, mais aussi un nouvel emballage en carton, lesquels s’ajoutent au bilan environnemental du produit. Un non-sens écologique quand on critique déjà les packagings souvent trop imposants des biens que nous consommons. Mais aussi quand on promeut une consommation plus responsable passant par une réduction des déchets et une consommation plus locale.
On peut également questionner les avantages fournis par le Dash Button. En effet, chaque Button étant spécifique à une marque et un produit, il réduit la consommation à une seule marque par produit. Ainsi, comment comparer les prix ? Adam Smith doit se retourner dans sa tombe ! Quid de notre homo economicus qui sélectionne le bien qu’il consomme par un minutieux calcul coût avantage ? Un consommateur averti, rationnel ne doit en effet pas acheter compulsivement sans avoir au préalable bien réfléchi sur les autres offres qui se trouvent sur le marché. Sans aller aussi loin, car il a été démontré plus tard que l’individu n’est pas aussi rationnel dans ses choix, on se rend aisément compte que ce Button ne permet pas au consommateur de faire coïncider son besoin avec son pouvoir d’achat du moment.
Finalement, le Dash Button est étonnant de contradiction : résolument moderne dans sa forme connectée, il promet de simplifier la vie de son utilisateur. Pourtant aujourd’hui tout est affaire de choix, de comparaison pour trouver le produit qui correspond le mieux à nos attentes. Les distributeurs eux-mêmes personnalisent les produits pour que chaque consommateur ait l’impression de vivre une expérience unique. Nous pouvons en constater l’essor dans le marché de l’automobile, un secteur industriel et standardisé par excellence en 2007 avec Fiat, qui avait lancé sa Fiat 500 personnalisable avec plus d’un million de combinaisons possibles entre la couleur des rétroviseurs, des pare-chocs, de
l’intérieur etc. Citroën a fait de même avec la DS3, et Mini en a fait son cheval de bataille.

Ainsi, le dash button bride le consommateur et pollue : il ressemble plus à un gadget néo-futuriste qu’une réelle innovation.
Louise Cordier

Sources :

Présentation du Dash Button par Amazon. Pas de date de publication, lu le 14/11/16
 Définition = Internet des objets. Pas d’auteur ni de date. Lu le 14/11/2016
“Amazon Dash arrive en France”, Publié le 09/11/2016 par Morgane Coquais. Lu le 12/11/2016
“26 Amazon Dash Button Hacks You Probably Didn’t Know About” Publié le 16 juin 2016, pas d’auteur. Lu le 12/11/2016
“Amazon Dash: does the world really need more little pieces of plastic?” -Friday 2 September 2016 -Senay Boztas. Lu le 12/11/2016

Crédits photo:

 Les Dash Buttons d’Amazon, photo des produits.
Domadoo, le Dash Button
Parodie critique de l’Internet of things
Publicité pour la Mini de Peugeot illustrant la personnalisation des produits

 

Société

Vos désirs sont des ordres

Google a annoncé pour la fin de l’année la sortie de Home, un nouvel «assistant personnel». Il s’agit d’une enceinte connectée multifonctions, similaire à Echo d’Amazon, trônant dans nos salons, et capable de diffuser de la musique, de répondre à des questions, d’agir sur la messagerie, le calendrier etc. On comprend un Siri plus finaud et plus efficace, à qui il faudra aussi parler à l’oral.

En attendant sa sortie, revenons sur ces conciergeries virtuelles qui cristallisent un phénomène porteur de valeurs symboliques et morales.
Petite sémiologie
Siri a été facile à adopter : deux syllabes en i, qui convoquent dans notre imaginaire un son inoffensif, facile de mémorisation, semblable à celui d’un doudou, ou d’un animal de compagnie. Siri. Avec un S comme Service, comme Super, comme Smart, comme Steve. L’analyse sémiologique commence dès l’instant où ce gadget porte un nom. Prénom qui rend humain cet outil inventé de toutes pièces par les génies d’Apple. Ces derniers ont conçu ce petit robot proactif, sur une idée de service rendu, à qui il faut « parler normalement ».

Dans sa stratégie marketing, Apple, qui vantait avec simplicité la volonté de « rendre les tâches du quotidien moins casse-pieds » pose Siri non pas comme un esclave à qui on parlerait frontalement, mais une auxiliaire, qui nous oriente vers ce que nous devons faire : « rappelle moi d’appeler mon patron » et qu’on remercierait presque. C’est là qu’apparaissent les imaginaires de services rendus, et que se dessine une relation sympathique avec son assistant à la voix mécanique mais aux tonalités énergiques, voire sympathiques.
Les Voix là
Ce qui apparaît comme marquant est l’archétype symbolique du robot, qui réside dans la voix, la clef de voute du phénomène. Pour chacun des assistants, elle est au cœur du dispositif. Dans Siri, elle est représentée dans le visuel de l’icône, par le micro qui lui est attribué. Dans Echo, c’est son nom. Enfin, pour Home, c’est l’absence d’autres moyens de communication qui mettent en avant l’omnipotence de la parole. Cette interaction par la voix avec une machine intelligente, toujours plus précise et affinée, participe à la recherche toujours plus poussée d’expériences utilisateurs perfectionnées, allant plus loin en matière d’innovation et de renouvellement sensoriel et émotionnel. Cette pratique s’ancre aussi dans l’optimisation de tout, très représentative de notre temps.
McLuhan aurait pu étudier ce phénomène et parler de remédiation, avec le retour à l’oralité, à l’ère des textos, et autres messengers que certains qualifient de « l’ère de l’inscription ». Il aurait pu aussi parler de Siri (par extension, de ces petits robots) comme le prolongement de notre système nerveux et de la modification de nos façons de vivre qui en découlent.
Prémices d’une génération Her
“Parler normalement à des boîtiers”, voilà de quoi flouer les frontières du normal. Comme le savent peut-être ceux qui vivent avec Siri dans leurs poches, cette conciergerie virtuelle semble parfois avoir une personnalité. Qui n’a pas essayé d’insulter Siri, « pour voir », dès l’acquisition de son nouveau jouet ? Ceux qui ne l’ont pas insulté ont tenté des répliques improbables telles que « Quel est le sens de la vie ? » ou « Veux-tu m’épouser ? »… et certaines réponses formulées semblent indiquer qu’il est doté d’un caractère. Evidemment, moins élaboré que Samantha dans Her de Spike Jonzes. Cet humanoïde est programmé pour répondre avec répartie et humour aux questions posés par l’utilisateur, et d’ailleurs, un grand nombre de ce genre d’échanges burlesques sont recensés sur des sites comme « Shitthatsirisays.tumblr.com ». Néanmoins, malgré cette “personnalité”, l’absence de morale de ces automates nous permettent de leur poser toutes sortes de questions, des plus drôles aux plus obscènes. Cathartique Siri ? Comme l’a montré l’expérience de Tay, nous pouvons envisager assez précisément, comme dans un mauvais film de science-fiction, les tournures inattendues que pourraient prendre ces assistants digitaux.

Le client est roi…
Ainsi, Siri pouvait apparaître comme l’acmé de la stratégie Apple, qui jusqu’à l’extrême, rend son consommateur unique et important: « vos désirs sont des ordres » annonçaient les publicités. En surenchérissant avec son nouvel assistant personnel, Google entre lui aussi dans la course marketing et digitale du consommateur élevé au rang de roi.
Ainsi, très proche, voilà le fantasme d’asservissement, de soumission, de tout pouvoir sur un tiers obéissant qui devient abordable. Car Siri n’est pas réservé à une élite bourgeoise, mais à quiconque peut s’offrir un iPhone 4S, produit relativement démocratisé aujourd’hui en Europe. Quant à Google, qui n’a pas encore annoncé le prix de sa pépite, il n’est pas trop risqué de parier qu’elle sera tôt ou tard à portée de main du plus grand nombre.
Qui sert qui ?
Prenant place au cœur de la maison, Home est une avancée de plus vers de nouvelles façons d’envisager le monde, et de nouveaux comportements sociaux, qui ne cesseront pas de se déployer dans ce sens. À l’instar d’un véritable assistant, ces technologies microscopiques nous offrent le sentiment d’être aidé, épaulé, secondé, à la seule condition d’une connexion internet… et d’une toujours plus grande utilisation de leurs autres outils et partenaires. Comme le spécifie le Huffington Post, le robot pourra « se connecter avec « la majorité » des objets connectés (…) de commander un taxi via quelques phrases, ou encore acheter des fleurs. Le moteur de recherche a déjà annoncé une vingtaine de partenariats, notamment avec Uber ou encore Spotify. »
Ainsi, entre gadget et véritable phénomène, il y a débat.
Siri, Echo ou Home peuvent être perçus comme des gadgets innovants et audacieux, certes, mais ils soulèvent très vite l’inquiétude légitime d’un monde gouverné par des « Passepartouts virtuels » qui nous affranchirait de ces fameux frottements qui répugnaient Phileas Fog et qui sont l’apanage de l’échange humain. Il s’agit pour résumer de deux fantasmes, qui se recoupent et se complètent : l’asservissement et l’obéissance, ainsi que du mythe imaginaire du robot, de l’automate. Ils peuvent être rapprochés dans l’outil que constituent ces assistants virtuels, ou l’accomplissement technologique de ces désirs inconscients.
Julia Lasry
@JuliaLasry
Sources :
Huffington Post, Google dévoile Home, un assistant personnel qui veut trôner dans votre salon, Grégory Rozières, 18/05/2016
Le Monde, Assistant personnel, domotique, messagerie… les principales annonces de Google I/O, 18/05/2015
Objetconnecté.net, Amazon Echo: tout savoir sur l’assistant vocal pour la maison
 
 

technophobie fastncurious
Société

En guerre contre la troisième révolution industrielle

Baudelaire fustigeait le progrès : selon le poète, « cette idée grotesque » était le germe de la décadence, une funeste confusion de la matière et de l’esprit, ce qui finirait par avilir l’humanité au lieu de l’affranchir.
Du luddisme à la Silicon Valley
Bien avant l’arrivée des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), de la démocratisation d’internet et des smartphones, le sociologue Jacques Ellul parlait dès les années 1970 du basculement de la « société industrielle » vers ce qu’il appelait « la société technicienne ». Sa théorie : tout reposerait sur les réseaux d’information et non plus sur les circulations de marchandises. En somme : l’avènement de la société de communication, dont le plus grand promoteur est Jeremy Rifkin et sa notion de « Troisième Révolution industrielle », une nouvelle révolution qui se distinguerait par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A chaque révolution sa contestation. La technophobie contemporaine serait-elle une nouvelle forme de luddisme ? Au début du 19ème siècle, l’Angleterre connaît la révolution industrielle : les machines paraissent menaçantes. Les luddistes sont des artisans qui se réunissent pour briser les machines des manufactures de l’industrie textile, vecteur de déshumanisation et symbole du capitalisme. Deux siècles plus tard, les GAFA sont le nouveau visage de la classe capitaliste.

Un néo-luddisme apparaît en conséquence : destructions de Google Car, vols de Google Glass, immobilisation des bus des salariés de Google et Yahoo. Depuis l’année dernière, les militants de The Counterforce protestent contre les GAFA et la gentrification de San Francisco dont ils sont accusés. Le propriétaire capitaliste exploitant le prolétariat est dépassé, bienvenue au technocapitaliste qui exploite nos données.
Machine à textile, informatique… La « nouvelle » technologie présente toujours le même package de maux : aliénation, totalitarisme, déshumanisation. Est-ce réellement le destin de la société ultra-connectée ? Quelle vision adopter pour la société de demain ? Le clivage entre technophiles, ambassadeurs d’un monde meilleur connecté et technophobes, à la vision dystopique et craignant sans cesse l’ombre du grand Big Brother, fait de la technologie un enjeu politique.
L’innovation : une longue histoire
L’ectoplasme des « nouvelles » technologies plane sur nos esprits depuis au moins l’antiquité. Platon critiquait la technique de l’écriture en la présentant comme une menace pour la réflexion philosophique et la mémoire : « ce qu’il y a de terrible, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés et gardent le silence. Il en va de même pour les discours. On pourrait croire qu’ils parlent pour exprimer quelque réflexion ; mais, si on les interroge, c’est une seule chose qu’ils se contentent de signifier, toujours la même. » En somme, l’écriture allait emmener la société vers un crash intellectuel.
 
Quelques siècles après, heureusement pour nous, la société continue d’évoluer, notamment dans une ère où les innovations sont marketées comme des symboles révolutionnaires, créant un clivage : il est ainsi de coutume d’opposer les technophiles, les « modernity enjoyers », aux technophobes, radicaux et réac, qui voudraient quitter le monde désincarné des smartphones en brandissant un Nokia 3310.

 
 
 
Homo connecticus
 
Cette idée de déshumanisation sociétale est prégnante dans nos médias. De multiples exemples, comme Stromae récemment, véhiculent l’idée selon laquelle le monde virtuel nous éloigne les uns des autres et arrache les individus du monde « réel ». Le progrès apparaît alors pour certains comme « subi ». La dernière tendance : la digital detox, proposée par des thalassos et des spas pour permettre un sevrage technologique en coupant toute connexion numérique pour « revenir à l’essentiel ». Le WIFI, l’empoisonnement 2.0 ?
 
Dans cette vision, Technologos, un groupe militant, a forgé sur le modèle du tabagisme passif le concept de « technicisme passif ». Leur manifeste mentionne : « Quiconque, dans son travail, se retrouve obligé d’utiliser un ordinateur pour exécuter des tâches futiles subit de plein fouet l’idéologie technicienne, qu’il le veuille ou non ». Le renversement économique qu’impliquent les nouvelles technologies correspondrait au bouleversement de l’équilibre moral de la société. Mais selon la vision antique grecque, la stabilité de l’univers est LA valeur intouchable, l’élément sacro-saint à préserver pour sauver l’humanité du chaos.

 
 
Bête noire
 
Ce scepticisme à l’encontre de l’avancée technologique ne date pas d’aujourd’hui. En 1840, l’historien Jules Michelet utilisait pour la première fois le mot « machinisme », qu’il assimile à la misère ouvrière et à l’appauvrissement intellectuel des foules. Platon es-tu là ?
 
Ainsi, à travers les siècles, les « nouvelles » technologies, particulièrement les médias, ont toujours représenté des dangers immenses pour le bien-être des sociétés. Cinéma, téléphone, télévision, internet : à chaque mode de communication sa prophétie. Pourtant, les dangers s’avèrent toujours les mêmes : les gens ne vont plus lire, les gens ne vont plus se voir, les gens s’abrutissent… A croire que l’humanité est menacée depuis des siècles.
 
Pour François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine, « le progrès est idéologie ». Dans cette perspective, des journalistes ont comparé Apple à une religion, Google à un régime totalitaire. Le mythe orweillien de Big Brother n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui : la technologie serait un instrument de pouvoir, de surveillance et de contrôle social. Mais un outil de communication reste un outil. Comme le couteau, la dangerosité d’un outil repose sur l’usage qu’on en fait. En réalité, personne ne craint les nouvelles technologies. C’est leur impact sur la société que l’on fantasme.
 
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm

 
 
Sources :

Mythologie et intertextualité, Marc Eigeldinger
elimcmaking.com
gizmodo.com
technologos.fr
internetactu.blog.lemonde.fr
britannica.fr
Crédits photos

I Robot, Twentieth Century Fox
Tara Jacoby
Ex Machina, Universal Pictures

Publicité et marketing

L'explosion du service à domicile : la consommation à portée de souris

 
Consommer à distance aujourd’hui n’a jamais été aussi facile, et tout porte à croire que le phénomène ne va cesser de s’amplifier. En effet, nous assistons depuis quelques années à un véritable combat opposant les plus grands groupes d’e-commerce, et le vainqueur sera le premier à atteindre votre palier.
Uber, application dédiée au service de transport avec voitures de luxe, vient d’ailleurs d’investir près de 1.4 milliard de dollars pour se lancer dans un projet de livraison à domicile de produits d’épicerie générale, qui seront livrés chez le client en moins d’une heure chrono. Pendant ce temps, Amazon effectue des recherches sur le développement d’un système de livraison par drone, qui permettrait à ses clients de recevoir leurs petites commandes (jusqu’à 2,26 kilos) entre 30 et 90 minutes après avoir cliqué sur « valider ».

Si l’on regarde en arrière, on peut constater que la livraison à domicile de produits alimentaires a été relancée au milieu des années 90, et que son développement n’a cessé de s’intensifier avec l’explosion d’Internet et des nouvelles technologies. Les commerçants ont ainsi saisi l’énorme opportunité que leur offraient le net et la généralisation des smartphones, dont les logiques d’instantanéité et d’immédiateté se prêtaient parfaitement au lancement de services de vente à distance. Désormais, un clic sur l’écran de son smartphone suffit pour recevoir des services et produits toujours plus innovants, tout en vivant une expérience originale.
Une offre qui explose, un choix pléthorique : « on vous livre quoi aujourd’hui » ?
Recevoir à domicile un barman professionnel qui animera nos soirées et préparera nos cocktails, découvrir nos courses sur le pas de notre porte en pleine nuit alors que tous les magasins sont fermés, ou encore nous faire livrer nos plats favoris, préparés dans un restaurant bondé et inaccessible physiquement : tout cela est désormais possible. Nous assistons chaque semaine à la naissance de nouveaux sites qui ne cessent d’élargir la palette de produits et services disponibles en livraison à domicile. Pensons à toktoktok.com, plateforme permettant de faire appel à des coursiers qui se rendent dans les boutiques indiquées par les clients et leur apportent les produits désirés, ou encore à getcleanio.com, un service de pressing en 24 heures. Si la livraison est longtemps restée une affaire de spécialistes, réservée à des domaines spécifiques comme l’alimentaire, il semble aujourd’hui que tous les domaines et tous les distributeurs l’aient adoptée : du pressing à la librairie, il vous est désormais possible de tout obtenir en ligne, sans quitter votre canapé.
Et ce ne sont pas seulement les livraisons des produits ou de services qui existaient avant internet qui poursuivent leur développement : nous assistons à l’apparition de services totalement nouveaux, qui misent sur cette tendance du tout à domicile. Ainsi, Book-a-friend vous permet désormais de « louer » un ami pour la soirée : il suffit de remplir un questionnaire permettant de cibler vos attentes pour que, quelques heures plus tard, la sonnette retentisse, avec derrière la porte un ami d’un soir supposé correspondre à votre profil. Ce ne sont plus uniquement nos courses de la semaine que vise à faciliter le service à domicile, mais bien tous les pans de notre vie. On voit bien apparaître ici les limites de l’expérience : sommes-nous prêts à tout commander à distance, et à mettre dans le même panier (d’achat) nos amis et nos carottes ? Rien n’est moins sûr…
La livraison à domicile : bien plus qu’un simple service pratique, une expérience à part entière.
Ce qui se dégage de tous ces exemples, c’est la nécessité pour les entreprises d’être originales afin de se démarquer, devant l’offre pléthorique qui caractérise le monde du service et de la livraison à domicile aujourd’hui. Quand Serge Alleyne, fondateur et CEO de TokTokTok, explique que « le client est roi », on se rappelle combien les souverains aimaient être divertis et constamment étonnés : il en va de même pour les clients de ces services, qui recherchent désormais des expériences toujours plus originales et hors du commun. Il ne s’agit plus simplement de faciliter la vie du consommateur, mais de lui proposer quelque chose d’inoubliable, qu’il pourra raconter à ses amis et partager sur les réseaux sociaux. Des initiatives de plus en plus ambitieuses voient ainsi le jour, telle que la possibilité pour le client de TokTokTok de se faire livrer par le célèbre sportif Taïg Khris (Triple champion du monde de roller sur rampe, qui a participé à de nombreuses émissions télévisées) : plus le consommateur commande sur le site, plus il aura des chances de se faire livrer par cette personnalité.

Plus qu’une simple innovation en termes de produits et de services proposés à la livraison, on observe donc un réel renouvellement de la livraison à domicile. L’expertise numérique réactualise ces pratiques en leur redonnant toute leur pertinence, dans un monde caractérisé par la rapidité des échanges.
Que ce soit par manque de motivation, de temps, ou tout simplement pour s’essayer à de nouvelles pratiques, chacun peut désormais trouver son bonheur sur les sites de service en ligne, quitte à mettre de côté l’aspect relationnel et humain de la vente directe, au profit d’un commerce dématérialisé et toujours plus ludique.
 
Sarah Revelen
 
Sources :
Article de Stylist (septembre 2014) par Raphaelle El-krief
pro.clubic.com
frenchweb.fr
toute-la-franchise.com
Crédits photos :
lejdd.fr
pcworld.com
01net.com

oculus rift
Société

Réalité virtuelle par Facebook : lubie ou stratégie ?

Oculus VR, une start-up visionnaire
Deux milliards de dollars, c’est la somme déboursée par Facebook pour l’acquisition d’Oculus VR, jeune start-up californienne dont le principal produit est le casque Oculus Rift, outil de réalité augmentée permettant une véritable immersion dans un monde virtuel. Autant dire que le fantasme de tous les amateurs de science fiction devient possible.
Palmer Luckey, 21 ans, est le jeune prodige derrière ce premier prototype. Dans son garage californien, lieu de toutes les grandes innovations faut-il croire,  le jeune homme ne s’attendait pas à voir son projet se concrétiser aussi vite.
Initialement conçu et imaginé pour le monde des « gamers », le rachat par Facebook ouvre de nouvelles possibilités avec des applications aussi diverses que celle d’assister à un cours, à des concerts,  permettre le contact entre proches, ou même effectuer des consultations médicales, etc.
Si des objets similaires existent déjà, leur champ d’application reste souvent limité à quelques domaines tels que la médecine ou même l’armée américaine, vu les coûts élevés que cette technologie exige. Palmer Luckey voulait promouvoir la réalité augmentée auprès du grand public, l’offre de Facebook vient peut-être exaucer ce souhait.

Ce à quoi pourrait ressembler une application de l’Oculus Rift à Facebook
Facebook, le serial buyer
En quelques mois, Facebook a fait plusieurs fois la Une pour ses récentes acquisitions  aux prix effarants. En effet, après 750 millions déboursés pour Instagram en 2012, 19 milliards pour Whatsapp en début d’année, sa tentative ratée de l’achat de l’application Snapchat puis les rumeurs d’achat autour de Titan Aerospace*, l’entreprise de Palo Alto semble s’être lancée dans une course à l’armement. Il est vrai que ses rachats semblent éloigner le réseau social de sa principale activité. On pourrait se demander alors, quelle stratégie vient sous-tendre cette frénésie ?
D’un côté, le fondateur de Facebook est le premier à prédire la saturation des réseaux sociaux, d’où le besoin d’élargir son périmètre d’actions. L’objectif étant d’anticiper les nouvelles tendances, investir dans celles-ci afin de s’assurer un avenir pérenne. Facebook souhaite donc renforcer sa présence aux côtés des géants du secteur (Google, Amazon…) qui semblent adopter une stratégie similaire**.
C’est ainsi que  Mark Zucherberg déclarait après le rachat d’Oculus : « Le mobile est la plateforme d’aujourd’hui, et maintenant nous nous préparons pour les plateformes de demain. »
 Par ailleurs, au delà d’acquérir des start-up, leurs innovations ou leurs brevets technologiques, Facebook investit surtout dans des équipes d’ingénieurs talentueux qui seront amenés à terme à développer leurs idées au sein de l’entreprise mère.
 Facebook ne redoute-t-il simplement pas de tomber dans la désuétude ?
A un moment où l’inventivité bat son plein, où les réseaux sociaux thématiques fleurissent et où les jeunes semblent quelque peu se désintéresser de cet ancêtre du social, le défi est de taille.
Néanmoins, le réseau social reste fort de sa base d’abonnés et de la quantité d’information qu’il détient. Monnayée à prix d’or, la publicité représente la majorité de ses revenus et lui assure le « cash flow » lui permettant d’enchainer les conquêtes.
Avec Oculus Rift, il vise désormais à être aux avant-postes de la prochaine révolution, celle des interfaces immersives. Cet achat, qui représente le premier investissement dans le Hardware, est sans doute la réplique aux Google Glass bientôt disponibles sur le marché. Cependant, les lunettes de géant de Mountain View semblent avoir une longueur d’avance : plus fonctionnelles, plus connectées, plus discrètes sur le nez, notamment après un récent partenariat avec Ray Ban.
 En fin de compte, personne ne peut prédire le prochain bouleversement du monde des nouvelles technologies. La stratégie de Mark Zucherberg sera-elle payante ? Elle a tout du moins le mérite d’assurer un portefeuille de brevets qui ne risquera plus de tomber entre les mains d’un concurrent. Il est bien là le nœud de la guerre, la concurrence farouche que se livre les géants du secteur leur impose de constamment se remettre en question, de se réinventer sans cesse. Conscient que sa puissance est éphémère, Facebook cherche à se diversifier, à explorer de nouveaux marchés, au risque parfois de surprendre.
 *fabricant de drones solaires pour son projet Internet.org destiné à étendre l’accès Internet aux endroits isolés de la planète.
**En 10ans Google a réalisé 230 acquisitions.
 Salma Bouazza
Sources :
Lemonde.fr
Nouvelobs.fr

Société

Non commandé ? Aussitôt livré !

 
L’entreprise a déposé un brevet en décembre pour un nouveau système d’organisation. Ce dernier tire pleinement parti de la collecte monstrueuse d’informations sur Internet et d’algorithmes pour pouvoir anticiper les envies de ses clients. En fonction des pages que vous visitez, des recherches que vous faites ou du panier que vous constituez, Amazon s’occupe déjà des colis alors que vous n’êtes pas « passé à la caisse ». Cela remet au centre des préoccupations des consommateurs la collecte de données sur internet, sujet qui génère beaucoup d’interrogations et d’inquiétude.
Le but ? Gagner du temps et vous dissuader toujours davantage d’aller en magasin. Les produits seront préemballés et acheminés vers une plateforme afin de parvenir au client le plus rapidement possible. Les colis expédiés alors que vous n’avez pas payé vous seront, visiblement, offerts. Jolie façon de fidéliser la clientèle, mais aussi un moyen de perdre de l’argent.
Info ou intox ? Amazon n’a pas souhaité commenter pour le moment. Après son annonce selon laquelle les commandes seront livrées par drones dans quelques années, l’entreprise fait encore parler d’elle. En effet, le PDG d’Amazon Jeff Bezos annonçait début décembre un nouveau système de livraison sous la forme de drones possible dans quelques années pour livrer en 30 minutes dans les zones urbaines grâce à des drones électriques et écologiques. De nombreux journaux et économistes se sont penchés sur la question, trouvant le projet irréalisable, les Etats-Unis comme la France interdisant l’utilisation de drones à des fins commerciales.
Les journalistes et consommateurs s’enflamment déjà à propos de ce nouveau projet, on parle d’achat forcé et de flicage sur internet. Difficile à dire, il faudra attendre l’explication d’Amazon.
Quoi qu’il en soit, cette stratégie semble présenter beaucoup de risques en terme de coûts et en terme d’image (déjà relativement mise à mal par divers reportages sur les conditions de travail au sein de l’entreprise). Pour beaucoup Amazon s’apparente déjà à une sorte de « big brother » car l’entreprise américaine utilise énormément la publicité ciblée très précisément sur les goûts et intérêts des consommateurs en fonction de leurs recherches sur le site. Ce projet ne risquerait-il pas de donner du crédit à cette représentation de l’entreprise ?
 
Paola Paci
Sources
LeMonde
LeMonde
20minutes

Société

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités

Apple s’est lancée le 22 mai, face au congrès américain, dans un exercice périlleux : défendre ses choix en matière de fiscalité. Le constructeur est en effet régulièrement soupçonné d’optimisation fiscale, une pratique de plus en plus critiquée maintenant que les États, en pleine tourmente budgétaire, s’y intéressent. Dans la pratique, Apple a recours à plusieurs dispositifs lui permettant de payer un minimum d’impôts à l’étranger, grâce à des filiales en Irlande notamment. La société possède des liquidités colossales en dehors des frontières américaines, de l’ordre de 140 milliards de dollars, qu’elle se refuse à rapatrier sous peine d’en reverser plus d’un tiers sous forme d’impôts. Comble de l’absurdité du système, cela lui coûte moins cher d’emprunter de l’argent pour financer une opération de rachat d’actions que de rapatrier ces fonds.
Mais Apple n’est pas seule dans ce cas : Google, Amazon, Facebook comme d’autres ont recours à ces méthodes. Le problème est qu’en l’état, elles ne sont pas réellement illégales, elles profitent plutôt de failles dans la législation numérique, et notamment la législation internationale. Dès lors deux conceptions s’affrontent sur un plan moral : les géants de l’Internet arguent de la légalité des dispositifs mis en place, mais aussi de leur contribution déjà importante à l’économie, en impôts divers et par les emplois qu’elles créent. En face, les États constatent l’iniquité de la situation mais reprochent aussi à ces sociétés de ne pas respecter l’esprit de la loi.
On se situe donc au-delà du simple différend juridique puisque cette question engage une réflexion à la fois idéologique et morale.
C’est aussi un problème de communication. Ces différentes entreprises, en dépit des valeurs qui les distinguent, se veulent toute à la pointe de la technologie et font preuve de progressisme par ailleurs : Google offre à ses salariés des conditions de travail inégalées, avec de nombreuses commodités, tandis qu’Apple œuvre à réduire l’empreinte écologique de ses produits notamment par l’utilisation de métal et de verre, plus faciles à recycler que le plastique. De même, des efforts sont faits pour alléger le coût énergétique des installations chez Apple, comme chez Facebook ou Google.
Il y aurait ainsi une éthique à deux vitesses chez les géants du net. Jusqu’à il y a peu de temps, les pratiques fiscales des grandes compagnies demeuraient opaques mais surtout inconnues du grand public. On peut alors soupçonner que les pratiques de ces compagnies évoluent en fonction de l’image qu’elles renvoient au consommateur. De là on peut tirer un double constat : le soupçon d’une morale de façade est présent, morale orientée seulement dans le sens de la communication vers les consommateurs. Et surtout le pouvoir est, comme souvent, entre les mains des consommateurs. Le jour où ils exigeront plus de moralité dans les pratiques fiscales, les géants du net feront des efforts ; à l’image d’Apple dont l’image a été écornée par les multiples scandales touchant à ses fournisseurs asiatiques, au premier chef desquels se trouve Foxconn, et qui conduit aujourd’hui régulièrement des études évaluant les conditions de travail des ouvriers dans ses usines.
Il est malgré tout regrettable que de tels changements n’interviennent que sous la pression de l’image et des consommateurs. N’est-il pas ironique que Starbucks, qui ne vend plus que du café issu du commerce équitable,partenaire du label Max Havelaar, se voie aujourd’hui accusée d’évasion fiscale au Royaume-Uni ?
Ironique, oui.
Google, Amazon, Apple et Facebook totalisent à elles quatre plus de 250 milliards de dollars de chiffre d’affaires et un effectif de plus de 170 000 personnes, sans compter les différents sous-traitants qu’elles font vivre. À elles quatre, elles génèrent un chiffre d’affaires plus important que le PIB du Portugal ou de l’Irlande, équivalent à celui de la Finlande, et supérieur aux PIB du Luxembourg, de la Nouvelle-Zélande et de la Tunisie réunis.
Comme le disait l’oncle de Peter Parker au jeune homme qui s’apprêtait à devenir Spider Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
Cinq fois le PIB du Luxembourg, c’est un grand pouvoir.
Oscar Dassetto

Société

L'affaire Virgin

 
Les faits
La catastrophe avait pourtant été annoncée. Le 7 janvier 2012, la direction de Virgin réunit un comité exceptionnel d’entreprise. Ca y est, l’entreprise est en cessation de payement. Et les choses ont continué. Personne ne semblait remarquer l’absence de ces vitrines, au Louvre ou sur les Champs. Une grève des employés avait bien eu lieu, dès décembre, suite à la résiliation du bail du magasin phare de l’enseigne sur la grande avenue parisienne, mais en vain. Virgin devrait subir la valse des repreneurs et propositions, comme une entreprise traditionnelle. Pourtant, l’entreprise a bien connu son heure de gloire, même si les profits n’étaient plus au rendez vous (« plus que » 286 millions d’euros en 2011). Lors de son ouverture il y a quinze ans sur les Champs Elysées, Virgin était déjà décrit comme « le plus grand magasin de musique du monde ». Mais on en aurait presque oublié ce paradis tombé en ruine… Jusqu’à cette semaine, qui signèrent les derniers soubresauts d’une lente agonie.
Le 13 mai à minuit, l’enseigne qui cherche à rentabiliser le peu de temps qui lui reste à vivre, et pensant attirer par cette opération d’avantage de repreneurs décide d’organiser une grande braderie. Jusqu’à -50% sur tout le magasin, et -20% supplémentaire pour les détenteurs de sa carte de fidélité. La suite se passe de commentaires :
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Virgin, cadavre exhalant, est maintenant surmédiatisé. L’article de Rue89 met en lumière les nombreuses violences de cette journée de folie : magasin pillé, modèles d’exposition arrachés, vitrines détruites… Mais surtout, l’effet sur les salariés, traités comme de vulgaires coursiers. L’enseigne a du fermer ses portes a 19h pour filtrer l’intégralité des clients restant, et les employés n’ont vraiment terminé leur journée qu’à 22h.

Le bilan ? Une offre vite retirée, et une agonie qui n’en finit plus. En effet, le lendemain de la vente, le potentiel principal repreneur de la marque, Rougier et Plé, a retiré son offre. Cette dernière concernait notamment la survie du principal magasin parisien. Et aucun autre repreneur ne s’est fait connaître à ce jour.
A qui profite le crime ?
Il est relativement simple d’expliquer cette descente aux enfers de Virgin. « Le plus grand magasin de musique du monde » existe toujours, mais dans nos ordinateurs. L’iTunes Store a explosé, là où la marque écarlate a peiné à prendre le virage, préférant se spécialiser, sur la téléphonie mobile par exemple.
Mais bien plus que le simple prix des loyers de ses magasins pointé du doigt par la direction, il y a un grand coupable. Son nom est sur toutes les lèvres : Amazon. En effet le géant américain propose des prix défiant toute concurrence, et pour cause : grâce à de l’optimisation fiscale et diverses astuces, le groupe ne paye que de modiques sommes d’impôts à des pays où il emploie pourtant des centaines de personne et possède plusieurs grosses infrastructures. Et cela commence à irriter. En Angleterre, la marque au sourire a décidé de rendre publique son imposition. Et celle-ci fait réagir : Amazon a payé 2,4 millions de livres (2,8 millions d’euros) d’impôt sur les sociétés l’an dernier alors que le chiffre d’affaires de sa filiale britannique s’est élevé à 320 millions de livres. Il semble alors impossible pour des groupes comme Virgin de rester compétitif en face de telles marques, omniprésentes en ligne.
Qui est le suivant ?
Virgin n’est pas seul. Une autre enseigne vacille et pourrait bien connaître le même sort. La FNAC est elle aussi en danger. Depuis 2007, le groupe multiplie les plans sociaux, et ses bénéfices continuent à chuter. Au total, plus de 1500 salariés ont déjà été reclassés ou licenciés. Depuis 2009 une épée de Damoclès plane sur le groupe. Son propriétaire, François-Henri Pinault a annoncé son intention de vendre le groupe au Wall Street Journal. Malgré de nombreuses offres et une présence importante en ligne, la FNAC n’arrive pas à endiguer la saignée de ses clients vers l’eldorado Amazon. La bataille pour la survie des enseignes de distribution culturelle n’est donc pas finie. Elle ne fait que commencer.
 
Clément Francfort

Société

Amicalement pas vôtre

 
En période d’évolution et de changement, il est intéressant de constater des comportements qui se cristallisent, voire qui se radicalisent : le modèle économique des grandes majors de la musique, des grandes maisons d’édition est en pleine mutation, si bien qu’elles se montrent de plus en plus intraitables dans la défense de leur propriété. De même, les partisans du libre et du partage gratuit radicalisent leurs actions en même temps que leur raison d’être tend à se faire moins évidente.
 
Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans le cas du livre, le succès insolent d’Amazon, notamment aux États-Unis, ne le dément pas : il ne vous est plus permis de posséder, on vous concède une licence d’utilisation sur un bien dont vous n’êtes plus le propriétaire. Le livre que vous achetez ne peut être revendu, transmis, échangé ou prêté. Il est la propriété d’Amazon. La musique tend à suivre le même chemin, après l’interdiction des DRM (verrous numériques limitant l’usage) avec des services comme Deezer ou Spotify qui proposent des abonnements. De même, le jeu vidéo, qui bénéficiait d’un marché de l’occasion important, s’en trouve privé puisqu’il est de plus en plus téléchargé et non acheté sur des supports physiques, ce qui rend dès lors impossible la revente, le prêt, la transmission…
Fini donc le temps où vous récupériez les livres ou la musique de vos parents.
Mais cette évolution est à l’œuvre partout : le vélo en libre service, la voiture en libre service, l’abonnement annuel à des logiciels comme la suite Office, l’abonnement aux éditions en ligne des médias d’information plutôt que l’achat au numéro…
 
Du propriétaire à l’usager
Tout cela participe de ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité : on cherche à monétiser un usage et non plus une propriété. Ce système permet beaucoup de choses, parce qu’il facilite par exemple l’évolution du bien dont vous achetez l’usage ; vous n’êtes plus tenu d’acheter à chaque fois le nouveau produit pour bénéficier de nouvelles fonctionnalités. De même, il y a l’idée que vous payez pour ce que vous utilisez plutôt que d’acquérir un surplus inutile. Un bel exemple de cette évolution est le ChromeBook de Google, un ordinateur, couplé à son OS (Operating System ou Système d’exploitation, logiciel qui gère la partie matérielle d’un ordinateur et permet l’interaction avec l’utilisateur : Windows, MacOs ou Linux sont des systèmes d’exploitations) : ChromeOs. En effet, cet ordinateur de faible capacité (relativement à ce que l’on trouve aujourd’hui) fonctionne grâce à des applications hébergées en ligne, accessibles et utilisables en ligne, mais non installées sur votre ordinateur.
Cela permet, en théorie, de réduire les coûts, puisque vous ne payez qu’en fonction de vos stricts besoins.
Beaucoup de ces entreprises et marques qui se lancent dans l’économie de la fonctionnalité mettent en avant les avantages en termes de coûts, d’environnement (notamment pour l’automobile, le vélo et le papier), la mobilité en ce qui concerne le contenu comme la presse, les livres, la musique…
Cet argumentaire s’intègre d’autant mieux aujourd’hui que la Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE, ou ESG pour les anglo-saxons) et, de manière générale, le bilan extra-financier des entreprises prend de l’importance dans les choix des investisseurs et des consommateurs.
Par exemple, la page d’accueil de Deezer joue sur la mobilité : « Faites entrer la musique dans
 une nouvelle dimension. Écoutez tout ce que vous aimez, 
partout, tout le temps »
Sur le site d’Autolib’, la rubrique avantages met en évidence la réduction des coûts et l’environnement : « Économique, pratique, écologique, simple »
En présentation de l’abonnement mensuel ou annuel de la suite Office, on retrouve la mobilité : « Utilisez Office quand et où vous en avez besoin »
 
De l’usager à l’aliéné
 Mais cette économie de la fonctionnalité est, dans la pratique, moins convaincante : parce que l’on accroît sa dépendance à l’égard de ces différents acteurs. Si Google ou le Groupe Bolloré rencontrent un problème, vous n’avez plus accès à vos documents ou applications hébergés en ligne, et vous n’avez plus de moyen de transport. Ceux à quoi certains, auxquels les événements ont donné tort, répondront que ces acteurs sont « too big too fail » ; de quoi être rassuré sur la pérennité de ces services, non ?
En dehors de cette forme d’aliénation à un nombre croissant de prestataires extérieurs, cela soulève un deuxième problème : la disparition de la propriété. Or cette même propriété est aussi garante d’un usage non marchand des biens que l’on acquiert. L’économie de la fonctionnalité, des usages, en dépit de ses avantages avancés, est une percée conséquente de l’économie marchande dans le non-marchand : prêt, échange, transmission, héritage… Et la disparition de telles structures aurait des répercussions telles qu’il apparaît aujourd’hui impossible d’en circonscrire toutes les implications.
Plus rien ne vous appartiendra, c’est le mot d’ordre de demain.
 
Oscar Dassetto