Le combat des Amérindiens : touche pas à mon dialecte !
À l’heure où notre monde s’uniformise, le langage n’est malheureusement pas épargné. Si comme l’évoque le philosophe roumain E. M. Cioran « on n’habite pas un pays, on habite une langue », alors celle-ci est au cœur de l’identité culturelle de chacun. Triste constat pour les Amérindiens qui depuis des années, voient considérablement diminuer le nombre de locuteurs de leurs langues autochtones.
En 1992, le physicien américano-canadien Krauss, estimait que 90% des langues amérindiennes ne survivraient pas au XXIe siècle. Pour des peuples aux richesses linguistiques traditionnellement essentielles, il semble légitime de parler de catastrophe culturelle face à un tel phénomène. Malgré les démarches tâtonnantes de certains États d’Amérique latine et centrale, aujourd’hui l’alerte est lancée : S.O.S dialectes en voie de disparation ! Comment les préserver ?
Uniformisation rime avec disparition
Remontons un siècle et demi en arrière, lorsque les colons américains achevaient leur conquête territoriale en cloîtrant l’ensemble des tribus indiennes dans des réserves, lorsque la politique d’assimilation battait son plein, lorsque l’on imposait aux autochtones de renier leurs valeurs, leur spiritualité et bien sûr… leurs langues originelles. C’est à ce moment-là que l’uniformisation des langues a commencé.
« Un bon Indien est un Indien mort » : cette règle d’or, énoncée par le général américain Philip Sheridan, enclencha les politiques d’acculturation et d’assimilation. Ainsi, les jeunes de chaque tribu étaient emmenés dans des pensionnats où on leur interdisait de parler leur dialecte maternel, où on leur inculquait une éducation et une religion chrétienne, et où on effaçait toute trace culturelle de leur appartenance au peuple amérindien.
Il y eut bien sûr des conséquences immédiates, mais c’est aujourd’hui que l’on peut réellement parler de communautés linguistiques en voie de disparition. Le schéma est simple mais fatal : diffusés avant tout oralement, les dialectes ne restent gravés que dans la mémoire de ceux qui les parlent ; la plupart étant exclus du système éducatif, seule la transmission intergénérationnelle peut encore les faire perdurer. Celle-ci, ne tenant qu’à un fil, est fragilisée par l’évolution des formes linguistiques actuelles, qui tendent à se simplifier et à se rassembler autour d’une langue prédominante. En somme, quand le langage se limite à une fonction d’« utilité », la tradition, la diversité et l’ethnicité ne sont plus les mots d’ordre.
Les dialectes amérindiens : la Communication avec un grand C
Bien plus qu’un simple moyen de communication, un dialecte construit l’identité d’un peuple, et c’est tout particulièrement vrai chez les Amérindiens. Fondée sur le respect de la terre ancestrale, la spiritualité de la nature et son apport à l’homme, cette identité s’exprime par une communication atypique où prédominent la gestuelle, l’oralité, les symboles… En cela, chaque mot possède une empreinte sémiologique et historique considérable dont dépend la culture amérindienne. Or, de nombreux dialectes amérindiens ont déjà disparu, et avec eux l’identité et l’histoire d’un peuple.
Loin des textos, tweets et chats, les formes du langage des Autochtones se différencient nettement des moyens de communication qui prévalent dans nos sociétés actuelles. Les valeurs traditionnelles au cœur de l’identité de ces peuples, s’opposent à une communication de plus en plus désincarnée et indirecte. Dès lors, la fin de ces dialectes est-elle la conséquence inéluctable de l’évolution des formes du langage ? Ne sommes-nous pas en train de perdre l’essence même de la communication ?
La solution pour sauver ces langues menacées serait alors d’unir deux champs intrinsèquement opposés : allier tradition, diversité et portée culturelle des dialectes, aux moyens de communication modernes et universalisés. Des armes douteuses et fragiles, un combat qu’il est décidément difficile de mener à bien.
Les derniers mots des condamnés ?
Ne fermons cependant pas les yeux sur les démarches engagées par certains États latino-américains visant à revitaliser les langues autochtones des tribus encore majoritairement présentes (comptant encore aujourd’hui des dizaines de millions d’Indiens) sur ces territoires. Prévues dans le cadre du droit démotique (qui implique la prise en compte des minorités, des communautés linguistiques et religieuses dans l’ordre juridique), de nouvelles législations voient le jour ; comme par exemple celle de l’aménagement linguistique dont l’objectif est soit de reconnaître les divers dialectes comme des langues officielles, soit de réglementer leur pratique par la création d’académies dédiées.
Cependant, un manque de volonté à double facette ralentit le processus. D’une part, l’enseignement public n’est pas encore prêt à s’investir juridiquement et économiquement parlant. Hésitante et superficielle, cette politique de revitalisation des langues autochtones qui impose un enseignement bilingue obligatoire, n’est pas systématiquement respectée. Pourtant, des études sociolinguistiques mises en place, notamment par le Groupe de travail des Nations-Unies sur les populations autochtones, montrent que ce sont les enfants ne recevant pas un enseignement dans leur langue maternelle, qui connaissent les résultats scolaires les plus faibles.
D’autre part, tel que le montre Fernand de Varennes dans son article Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, un réel manque d’implication des populations autochtones elles-mêmes se fait sentir. En effet, certains Amérindiens ne voient pas d’utilité à la pratique de leur dialecte, puisque c’est la langue dominante qui est associée à l’insertion professionnelle et sociale.
Dès lors, la question se pose : à quoi bon se battre si les Amérindiens eux-mêmes ne croient plus en l’importance de leurs traditions ? Le mouvement doit provenir des membres de ces communautés pour que le combat ne s’essouffle pas de lui-même.
Byron Shorty, un Navajo qui ne donne pas sa langue au chat
Créateur du site « Navajo Wotd », Byron Shorty, originaire de Winslow en Arizona et proche d’une branche gouvernementale de la nation Navajo, est un jeune issu de la réserve. Empreint de l’histoire de son peuple, il semble proposer une alternative intéressante à la question de la revitalisation des langues autochtones. Un espoir, un tremplin, une innovation ? Son concept est simple, original et attrayant : il poste tous les jours sur son site un mot en Navajo, dont il donne la traduction, la définition et la prononciation.
L’universalité d’Internet permet alors une redécouverte ludique de la tradition Navajo et en assure la perpétuation. C’est d’ailleurs le but premier de Byron Shorty : « Ce qu’il y a de mauvais dans les techniques d’apprentissage du Navajo aujourd’hui, c’est que ça n’excite pas les gens. Ils le vivent comme une gigantesque obligation, mais ça ne leur apporte pas une grande satisfaction. En utilisant les nouveaux médias et quelques éléments de design, je me disais, pourquoi ne pas commencer avec le truc le plus basique ? Un mot. »
Un début certes, mais un début innovant, original et prometteur. En prônant les valeurs traditionnelles de son peuple, Byron Shorty souligne discrètement mais fermement, l’importance majeure de la préservation des langues et de leur diversité ainsi que l’ampleur du danger culturel encouru. Si la bataille n’est pas encore perdue, on est loin d’entendre s’élever le cri de la victoire.
Madeline Dixneuf
Sources:
Sens public, La revitalisation des langues amérindiennes en Amérique Latine, Sabine Lavorel – Publication : 2 mars 2015 – Consultation : 6 novembre 2016
L’Obs, avec rue 89, L’Homme qui fait vivre le Navajo sur internet, Kim McCabe – Publication : 10 juillet 2015 – Consultation : 2 novembre 2016
Atlas des langues en danger dans le monde, projet UNESCO – Publication : 2011 – Consultation : 6 novembre 2016
Le temps, Navajos les guerriers des mots, Xavier Filliez – Publication : 5 juillet 2016 – Consultation : 6 novembre 2016
Les langues amérindiennes : états des lieux, Colette Grinevald, Lyon2 SDL & CNRS – Publication : 4 juillet 2005 – Consultation : 13 novembre 2016
Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, Fernand de Varennes – Publication : 17 février 2012 – Consultation : 13 novembre 2016
Crédits photos :
Brulé War-Party. © Taschen, Edward Curtis
Little goguette, carnet de voyage pour famille intrépide
Blog, le langage des signes des indiens des plaines, WICASA SIOTANTKA
Portrait de Byron Shorty
Consommation, publicité et NBA : passage au Verizon Center de Washington
L’Amérique est la terre du marketing tout-puissant. Lors de la rencontre entre les Washington Wizards et les Chicago Bulls, nous avons été impressionnés par l’enrobage publicitaire du match de basketball. Tout l’espace, spatial et temporel est occupé par la publicité et rien n’est laissé au hasard. Chaque seconde est calculée, chaque portion de terrain et de gradin possède un potentiel marketing à exploiter tout au long du match.
Lancés francs et sandwichs au poulet
Le complexe sportif est étudié pour faire du moindre espace un mini-évènement marketing. Une fois passées les portes du Verizon Center, nous devons traverser une boutique aux couleurs des Wizards avec tout l’attirail habituel : casquettes, maillots de l’équipe, drapeaux, calendriers, gants ; tous les articles possibles et imaginables, à condition de contenir le symbole de l’équipe – l’aigle – ainsi que le logo et les couleurs de l’équipe qui joue à domicile. Avant d’arriver à nos sièges, nous croisons au moins une quinzaine de mini-stands vendant d’énormes bretzels, des sandwiches, des frites, des sodas, et puis à nouveau des bretzels, et des frites et des sodas. En abondance. Le parcours du spectateur est criblé/jonché d’obstacles marketing qui l’incitent à mettre la main à la poche. Pour assister au match, le spectateur a donc le choix entre un ticket et un « all you can eat ticket » qui comprend de la nourriture à volonté pendant toute la rencontre. Quand bien même le spectateur ne serait pas conquis par toutes ces douceurs, il se fait bombarder de burritos Chipotle à la mi-temps ! Un match de basket, c’est bien, un match de basket avec nourriture et drapeaux, c’est mieux. Tout est fait pour nous le rappeler. Partout.
Nous sommes enfin à l’intérieur, assis à nos places. L’occupation de l’espace est impressionnante. Il y a bien évidemment le terrain au centre mais au-dessus, c’est l’avalanche de couleurs, un raz-de-marée d’animations en tout genre. Quatre énormes écrans publicitaires surplombent le terrain de manière à être visuellement accessibles depuis n’importe quel siège. Le contenu des programmes mêle publicité et contenu sportif. Avant le match, les écrans diffusent des pubs pour les produits proposés à l’intérieur de l’enceinte. Pendant la rencontre, chaque panier déclenche un court spot pré-enregistré du joueur qui vient de marquer en même temps que le speaker crie son nom, ils encouragent les supporters à crier (« Make some noise ! »). Et soudain, la magie : le speaker annonce au public que si un joueur de l’équipe adverse manque trois lancés francs d’affilée, c’est sandwich au poulet pour tout le monde ! Ainsi, plus aucune séparation entre jeu et consommation, le déroulement du match influant directement sur la consommation du public. Résultat des courses : le joueur des Bulls a manqué trois lancées et tout le monde s’est rué sur les stands après le coup de sifflet final. Société de consommation et consommation en société.
Temps morts et pom-pom girls !
Au basketball, chaque entraineur peut demander plusieurs « temps morts » lors de la rencontre pour recadrer ses troupes, casser la dynamique de l’équipe adverse ou simplement par stratégie. Ces temps morts sont utilisés à merveille pour communiquer sur l’équipe à domicile et en montrer une image positive : au programme, des spots mettant en scène les joueurs (« Les Wizards à la Maison Blanche », « les Wizards au ski », « les Wizards à la plage », etc), des animations (pom-pom girls, mascottes, challenges plus débiles que les autres : « amuse-toi à manger un Oréo sans t’aider des mains ». L’animation la plus utilisée est la « Cam » qui consiste à filmer des personnes dans le public et leur demander un bisou, une danse ou une grimace).
Evidemment, une équipe de basketball n’est rien sans ses pom-pom girls qui se tiennent au bord du terrain en effectuant des chorégraphies qui rythment les célèbres sons d’orgue destinés à déstabiliser l’adversaire ou à encourager son équipe. Chaque minute possède une finalité marketing, il n’y a justement jamais de « temps morts ». Une rencontre de NBA est un exemple parfait de « sportainment » à destination d’un public familial : on vient au Verizon Center pour voir un show qui dépasse le sport. Tout est mis en place pour détourner le spectateur du jeu, tant et si bien que la marketisation du basketball tend à casser ce que le sport nous offre de mieux : l’imprévu.
Steven Clerima
Les discours de Newtown
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.
Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting