Environnement, Flops

Quand Aoste prend les végétariens pour des jambons

Aoste, célèbre marque de jambon, a pris cette année la résolution de revenir sur les écrans pour nous faire part de sa nouvelle publicité. Mauvaise idée. Mettant en scène une famille végétarienne très stéréotypée pour vendre son jambon grandes tranches, la marque s’est totalement décrédibilisée en janvier dernier. Largement contesté sur le web, ce spot publicitaire permet à Aoste de décrocher le flop du mois.

Comme vous l’avez remarqué dans ce spot s’apparentant à une campagne des années 1950, les végétariens sont donc des hippies sales qui cultivent du quinoa pour pouvoir acheter leurs vêtements chez Desigual. Bah oui, évidemment.
Quand les végétariens 2.0 s’indignent
Au-delà des nombreuses réactions que l’on a pu voir fleurir sur les réseaux sociaux, un article publié sur TerraEco a tiré son épingle du jeu, ne comptant pas moins de 9400 likes sur Facebook et 224 partages sur Twitter. Titré « Dis Aoste, tu voudrais pas foutre la paix aux végétariens ? », le coup de gueule de Claire Baudiffier, rédactrice du site web, a été relayé dans beaucoup d’articles, notamment sur le site Rue89 où il comptabilise à ce jour 267 commentaires. En voici un extrait :
« Et non, Aoste, je ne suis pas hippie, je ne suis pas malade, je ne suis pas carencée, je ne suis pas triste, je ne suis pas chiante, je ne suis pas en manque. Et surtout, Aoste, ingurgiter le moindre bout de ton jambon ne me ferait pas pleurer. Pas de joie en tout cas.
Et pourtant, Aoste, c’est à cause de toi, à cause de publicités d’un autre âge comme la tienne, que je dois tous les jours m’expliquer, me justifier, et raconter le pourquoi du comment. A midi, le soir, au restaurant, quand je rencontre de nouvelles personnes. Et j’en ai un peu marre, figure-toi. » Deux pétitions ont également été lancées dans le but de stopper la diffusion de cette publicité, rassemblant à elles deux plus de 4200 signatures.
Pourquoi tant d’indignation ?
Parce que nombreux sont ceux qui trouvent cette publicité caricaturale et réductrice. Dans le spot, le fils ainé déclare « en avoir marre de manger toujours la même chose : salade verte-céleri, céleri-salade verte… ». La stigmatisation et le concentré de clichés mis en scène par Aoste n’ont pas plu aux végétariens, qui représentent aujourd’hui 2 à 3% de la population française. Cela peut ne pas vous paraître énorme, et pourtant quand les végétariens sont indignés, ils réussissent à se faire entendre. Ce que les végétariens ont le moins apprécié, c’est le fait qu’Aoste sous entende que la privation de viande est une décision imposée aux enfants par leurs parents, et que cela va presque jusqu’à les rendre malades, tant la variété de ce qui compose leur menu laisse à désirer. Or, comme nous pouvons le lire dans un article du Citizen Post, pour les végétariens « cela relève d’un choix personnel, autant que pourrait l’être le choix d’un style vestimentaire, d’une destination touristique ou même d’une idéologie politique ou d’une pratique religieuse ». A vous de vous faire votre propre avis.
Une marque qui dérange
Quoi qu’il en soit, ce qui dérange le plus ceux qui se sont révoltés contre ce spot publicitaire, c’est qu’Aoste se moque non seulement des végétariens, mais passe sous silence un bon nombre de détails concernant son propre cas. En 2011, le mensuel Politis dévoile en effet dans son article « Arnaque au « Made in France » agricole et gastronomique », que le jambon Aoste « n’est que le sous produit d’une multinationale américaine. Ses filiales ramassent des carcasses de porcs dans tous les pays du monde (et en Bretagne) mais le résultat n’a rien à voir avec la charcuterie de la ville italienne d’Aoste dont elle n’a plus le droit de se réclamer après de nombreux procès et surtout l’intervention (en 2008) de la Commission européenne qui a mis fin à cette tromperie organisée par Cochonou et Justin Bridou ». Dans le même article, on apprend que la marque « a sauvé son appellation trompeuse en installant ses usines dans la commune d’Aoste qui se trouve en Isère ; et vend ses produits sous le nom de « Jambon Aoste ».» Vous l’aurez bien compris, Aoste – qui semble avoir pas mal de choses à se reprocher – se moque des végétariens pour véhiculer des informations erronées sur un mode de consommation alternatif qui se veut plus respectueux des animaux et de l’environnement. Ironie du sort. Le problème, c’est que la marque, en réalisant cette publicité, a du se dire qu’il n’était pas grave de choquer une communauté qui ne consomme pas ses produits. Ce qu’Aoste ignorait surement à ce moment là, c’est que ce petit bad buzz aurait pu réveiller quelques uns de ses consommateurs éclairés. Il est un peu trop tôt pour voir l’impact de ce flop communicationnel sur les ventes de la marque de jambon, mais en ce qui me concerne j’ai jeté la tranche qu’il restait dans mon frigo après avoir lu ces horreurs, et je ne dois surement pas être la seule.
Quoi qu’il en soit, la marque s’est finalement sentie obligée de réagir et de bafouiller quelques excuses banales sur Twitter, sous le poids de ces nombreuses plaintes.

Et la liberté d’expression dans tout ça ?
Cette indignation du « web végétarien » vous semble peut-être un peu abusée. D’accord, le spot est réducteur et provocant, mais ça reste de l’humour après tout. Et pour une publicité sortie au mois de janvier, on est vite amenés à faire le parallèle avec les manifestations « Charlie Hebdo », et à se demander où sont passés les millions de personnes qui défendaient ce jour là le droit de rire de tout : des musulmans, des chrétiens, des juifs, des vieux, des ados, des gros et des maigres, mangeurs de viande ou non. Le site du magazine féminin Biba a publié un article à propos de ce bad buzz, et l’a adouci en rappelant « qu’exagérer la réalité, c’est un peu le principe de l’humour ». En effet, les végétariens rouspètent lorsque l’on se moque d’eux, mais il est rare d’entendre des geeks, des Jean-Eudes ou des gothiques s’offusquer parce que l’on joue sur des clichés les concernant. Comme le rappelle le même article, « Quand dans une pub il y a un nerd, il a des lunettes moches, les cheveux gras et mange des pizzas. Alors qu’il existe des nerds beaux qui se font opérer de la myopie et qui s’alimentent parfaitement, parce qu’ils sont végétariens ». Blague à part, il est intéressant de nuancer l’indignation des végétariens face à cet humour, bien qu’il puisse paraître assez cynique de la part d’une marque qui se moque de personnes qui ne lui ont rien demandé, sachant qu’elle a de lourdes choses à se reprocher. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’Aoste fait une publicité de mauvais goût. En effet, la marque avait fait, en 2013, le lien entre l’occupation française et la charcuterie, ce qui avait déjà indigné pas mal de français :

La diffusion du spot tv étant terminée, cette affaire va surement finir par s’apaiser. Mettons la faute sur un publicitaire en mal d’inspiration, qui aurait mieux fait d’imiter Fleury Michon et sa méthode de transparence sur la production de son jambon. A croire qu’Aoste souhaite encore jouer sur la confusion de son nom… Mais ne perdons pas espoir, cette petite crise sera peut-être l’occasion pour la marque de ré-aligner son positionnement et son discours, pour répondre aux attentes de ses consommateurs et arrêter d’agacer ceux qui ne sont pas concernés.
Voila une histoire qui fait surement sourire Cabu de là-haut, qui luttait à coup de crayons pour défendre le végétarisme, l’écologie et le respect des animaux.

Louise Bédouet
@: Louise Bédouet
Sources :
mrmondialisation.org
communication-agroalimentaire.com
bibamagazine.fr
rue89.nouvelobs.com
leplus.nouvelobs.com
citizenpost.fr
vegactu.com
www.politis.fr
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