Publicité et marketing

Pitche-moi la Cité Rose

 
Intégrer le public dans sa communication et transformer les fans en ambassadeurs de marques, voici la stratégie choisie par Julien Abraham et Sadia Diawara pour le lancement de leur film La Cité Rose, sorti en salles le 27 mars 2013.
La Cité Rose : plus qu’un film, un concept
Comment se mettre le public dans la poche ? Sur Twitter, le community manager retweete tous les internautes qui parlent de La Cité Rose : « Allez voir le film, lourd ! », « @Laimyssgegen : La Cité Rose c’est une tuerie j’ai pleuré mdrrr » ou encore « @Ibrahim_wiz : Pour une fois on est fier de notre quartier comme quoi il n’y a pas que de mauvaise chose dans le hood LA CITE ROSE ». Sur Facebook, les membres de l’équipe du film « likent  » les commentaires et les publications des fans : « MOI JE DIS BRAVO CE FILM TIENT TOUTE C PROMESSE UN BIG UP A MES POTES D’ENFANCE… », « Super le film, bravo !!! J ». Toutes les manifestations des internautes sont relayées et encouragées. Ainsi, le fan se trouve considéré et se transforme en porte-parole du film.
Ce dernier s’est constitué une armée de fans qui communiquent tous dans leur environnement. Le cœur de cible reste les habitants de la Cité Rose, c’est-à-dire ceux d’Ile-de-France et par extension, les personnes ayant grandi dans un environnement similaire. Il y a eu Banlieue 13, fantasme de la banlieue dangereuse et marginale, il y a désormais La Cité Rose, peinture d’un quartier difficile à travers le prisme de l’enfance avec tous les rêves et désirs qu’elle suscite. C’est ce message que porte le film et qui se retrouve dans la campagne marketing.

En somme, les gens se reconnaissent dans le film, ils peuvent s’identifier aux personnages (enfants, adolescents et adultes) et ainsi donner de la légitimité à l’œuvre, se porter garants de la véracité du film et de la réalité qu’il dépeint. En parlant du film sur les réseaux sociaux, les ambassadeurs parlent en fait d’eux-mêmes en ce qu’ils décrivent leur réalité et leur expérience de vie. Le message que la campagne transmet au public est le suivant : si le film connait un succès, c’est aussi le vôtre car c’est votre histoire. Lorsque l’on parcourt la page Facebook , on a accès à des centaines de photos qui présentent les contenus, des acteurs aux réalisateurs, des cadreurs aux perchistes. Encore une fois, le message est clair : vous avez l’habitude de vous déplacer au cinéma, aujourd’hui, le cinéma vient vers vous, dans votre cité, dans votre quotidien.
L’objectif de la production est de récupérer ces témoignages et ces contenus d’utilisateurs pour les exploiter en créant du brand content. Lors de l’avant-première à Lille, le réalisateur Julien Abraham et le co-producteur Sadia Diawara, ont apporté une caméra qui leur a servi à récolter les impressions et les avis du public pour les partager sur Facebook. Une bonne campagne marketing doit raconter une histoire, non pas le scénario du film, mais le scénario de sa réalisation. Le public doit pouvoir identifier une chronologie qu’il viendra compléter par son propre visionnage du film en salles. Sur la page Facebook de la Cité Rose, la production multiplie les rendez-vous (avant-premières, projections spéciales et conférences de presse) et chacun de ses meetings est exploitable. Contrairement à d’autres pages marketing qui veulent rester « clean », la production n’efface aucun commentaire, ne supprime aucun post, même négatif : la page doit transpirer le vécu et l’émotion.
«  Pitche-moi la Cité Rose »

Innovation marketing, la production diffuse toutes les semaines des courts films intitulés « Pitche-moi la Cité Rose ». Ici aussi il est question de recueillir l’expérience du public mais cette fois-ci, ce sont des célébrités françaises qui décrivent le film : Mélissa Theuriau, Arié Elmaleh ou encore Thomas Ngijol. Le choix des personnalités n’est pas anodin : ce sont des acteurs, journalistes et comédiens qui touchent en général un public populaire avec le même cœur de cible que le film. La vidéo se sépare en deux temps distincts : d’abord, ils racontent le film, puis ils donnent des arguments pour inciter le public à se rendre en salles. Cette stratégie donne du crédit au film et contribue à l’élargissement de l’éventail des cibles susceptibles d’être touchées.
La CitéRose présente la vie de quartier de manière différente et le public ne s’y trompe pas. Que ce soit en salles ou sur Facebook, il communique sur la banlieue et la banlieue le lui rend bien.
 
Steven Clerima
Sources :
http://www.marketing20.fr/marketing-communautaire-marketing-social/comment-creer-et-animer-un-programme-dambassadeurs-de-marque/
http://www.themavision.fr/jcms/rw_259422/ambassadeurs-de-marque-une-nouvelle-generation-de-marketing-participatif-qui-prend-de-lampleur

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Culture

Le pouvoir communicatif de la bande-annonce

Pleinement intégrée dans notre quotidien, la bande-annonce est un outil de communication qui produit une réelle influence sur son audience. Analyse.
Comme base de cet article, le box-office français de 2012: Intouchables, Sur la Piste du Marsupilami, Astérix, Le Prénom, La Vérité Si Je Mens 3. La bande-annonce est l’outil publicitaire de base d’une bonne action communicationnelle autour d’une sortie prochaine en salle.
 
Fais ce que tu veux: ne lésine pas sur la crème !
Comme le khâgneux qui hésite à tout mettre dans son introduction de peur de griller toutes ses cartouches, tu dois choisir les meilleurs moments de ton film sans tout donner pour autant. Alors oui, tu vas mettre la meilleure blague d’Omar, la punchline de Patriiiiiick Bruel et la larmichette de Marion Cotillard.
Voici la construction de la bande-annonce du Marsupilami: un plan pour présenter le cadre : musique latine et plages exotiques ; l’Amérique du Sud. L’acteur principal, Jamel Debbouze. La situation initiale donc. Une blague! Puis l’élément perturbateur. Ensuite le début de la quête : Chabat et Debbouze sur un bateau. Une autre blague. Le méchant. Les péripéties : gros plan sur la fille restée au pays, mais aussi les tribus effrayantes, les bêtes sauvages. La brochette d’acteurs passée au peigne fin: Jamel Debbouze, Alain Chabat, Fred Testot, Lambert Wilson (déjà là on se dit “waaaaouw le casting, trop cool”), Géraldine Nakache, Patrick Timsit. Puis du bruit, des pleurs, des rires, un crachat de lama, des rires et à la toute fin: le fameux marsupilami! Pour finir, tu colles ce qu’on appelle un “carton” (d’invitation): “Au cinéma le 4.4.12 partout même en Palombie”.
Il n’est pas si fou de se demander si le matériel cinématographique, comme certaines catch-phrases ou scènes originales et hilarantes, n’est pas pensé en fonction d’une optimisation de la bande-annonce. Les premiers mots de la bande-annonce du film Le Prénom avec Patrick Bruel confirmeraient cette hypothèse: “La vie est dure parfois, vous avez eu une journée fatigante, des rendez-vous à la chaîne, des heures dans les transports en commun, c’est bon de se retrouver en famille.” Adresse directe au spectateur, promesse de détente, de bien-être et intégration du public dans l’intrigue.
 

 
Fais comme tu veux : l’essentiel c’est de vendre ton film comme un petit pain
Contrairement à une idée reçue, la plupart des bandes-annonces ne sont pas réalisées par les studios mais par des sociétés spécialisées comme « Bande-Annonce Productions ». On nage en plein advertainment qui mêle message publicitaire et moment ludique. La bande-annonce souligne tous les points forts et les atouts d’un film: le casting, le cadre, le réalisateur, le scénariste, les partenaires médias et j’en passe. S’il s’agit d’un deuxième ou d’un troisième volet, on cible ce qui a fait le succès des premiers films. Ainsi la bande-annonce de La Vérité si je mens 3 est une compilation de toutes les fois où les acteurs lancent leur fameux “La vérité!”. Le spot du dernier Astérix fait quant à lui, une énième allusion, à l’interdiction d’Obélix de prendre de la potion magique.
 
Où tu veux : l’impact de la bande-annonce diffère selon le lieu de visionnage
Au cinéma, c’est l’occasion d’offrir aux spectateurs une petite revue de l’actualité cinématographique du moment. D’ailleurs, qui n’a jamais commencé ses pop-corn à ce moment là? Les producteurs profitent, intercalent leurs spots promotionnels entre la publicité Ben & Jerries, que tu connais maintenant par cœur, et les spots Miko et M&M’s. Alors lorsqu’une bande-annonce arrive, on se réjouit, on rit plus que d’habitude, on s’émeut plus facilement. Bref, on joue la comédie. Ici, tu cherches à attraper les gens qui se déplacent au cinéma, à donner des idées pour une sortie prochaine.
 
À la télé, c’est l’occasion de s’insérer dans un programme de divertissement type “Les Enfants de la télé” ou “Le Grand journal”. Omar Sy et François Cluzet y font un petit speech de deux minutes puis la bande-annonce met tout cela en image. À ce moment là, le spectateur ne distingue plus vraiment la publicité cinématographique car elle s’inscrit dans son émission du samedi, elle fait partie du show. C’est d’ailleurs pour cette raison que la plupart des bandes-annonces diffusées à la télévision sont des comédies : pas question de miner le moral du spectateur. Ici, tu cherches plutôt à toucher le grand public.
 
 

 
Et puis, il y a la toile, énorme espace de communication cinématographique où la bande-annonce devient virale, où elle peut provoquer le buzz des mois avant la sortie du film en salles. Elle est également accompagnée de trailers.
Commence d’abord sur Allociné et après tu innoveras. L’idéal de la communication online est de créer une communauté d’internautes au sens large, qui va être la première représentante du film. Ici, tu cherches à toucher des porte-paroles et des ambassadeurs de ta marque et de ton film.
 
La bande-annonce est donc devenue un moyen de soutenir son film avant et après la sortie en salles. Elle est faite pour tenir toute seule et constitue une véritable réalisation qui s’adresse au plus grand nombre. Représentative du film, elle doit donner envie de passer à l’acte de consommation. Mais son objectif actuel est quand même de comptabiliser le maximum de vues sur Internet.
À quand une cérémonie pour récompenser les meilleurs spots?
Steven Clérima
 
Sources
Revues
PINO Michaël, Pourquoi est-on déçu par un film au cinéma ? Microsociologie et typologie de la déception, éditions Connaissances et Savoirs, 2008, p.42.
VIVIANI Christian, Entretien avec Axel Brucker, Evolution de la bande-annonce, dans Positif, n° hors-série « La bande annonce », octobre 1996, p.3.
 
Web
http://www.labande-annonce.fr/news/lart-de-la-bande-annonce-loutil-marketing-quest-la-bande-annonce-au-cinema-est-en-train-au-fil-des-ans-de-gagner-ses-titres-de-noblesse/
http://www.culturecrossmedia.com/digital-marketing/comment-susciter-la-curiosite-des-fans-pour-assurer-la-promotion-dun-film-serie/
http://alterrealites.com/2011/09/14/la-bande-annonce-une-approche-du-voirmontrer-1/
 

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Les Revenants
Culture

Le marketing version Revenants

 

 Pour le premier dossier sur Les Revenants de la semaine, Flora Trolliet, Esther Pondy et Sabrina Azouz nous proposent leurs interprétations des stratégies marketing entourant la série. Si l’agence BETC a conduit Canal+ à adopter une stratégie que l’on peut situer entre celles communément adoptées au cinéma et celles des séries américaines, on peut aussi se demander si le succès des Revenants n’est pas aussi dû en partie aux particularités de la chaîne.
 
 
Un positionnement paranormal
Il y a des productions audiovisuelles dont on devine aisément le genre. Bienvenue chez les Ch’tis est une comédie, Paranormal Activity un film d’horreur, aucun doute là dessus. Cette classification par genre est l’une des composantes essentielles de l’analyse stratégique d’objets culturels, notamment audiovisuels. Dans le cadre d’une démarche marketing, elle permet en effet d’identifier le positionnement d’un film sur le marché et par conséquent de définir sa segmentation, c’est-à-dire la clientèle susceptible de s’y intéresser.

Les Revenants nous confronte à une analyse stratégique complexe. Alors que son format (8 épisodes de 52 min) et son mode de diffusion (télévision, prime-time…) ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une série télévisuelle (made in Canal+), son dispositif de création (réalisation, scénario, production) et la création en elle-même (thématiques abordées, interprétation, choix esthétiques) rendent ce positionnement plus ambivalent. Sous différents aspects, la série oscille entre objet culturel télévisuel et œuvre d’art cinématographique. Cette première hypothèse se confirme lorsqu’on analyse la segmentation de la série, tout aussi ambivalente, cherchant à fédérer un public double.
Aussi, le positionnement des Revenants repose-t-il sur une série de paris plutôt dangereux : imposer une thématique fantastique dans un prime-time à la télévision française, proposer une création aux partis pris esthétiques très marqués et surtout, établir un équilibre entre études psychologiques approfondies et éléments surnaturels incompréhensibles. De ce positionnement ambivalent découle une double segmentation dominante : public sériel traditionnel d’une part, public peu sériel mais cinéphile d’autre part ; autrement dit celui qui dévore l’intrigue et veut des réponses à ses questions et celui qui se nourrit des personnages, de leur psychologie.
Cette segmentation s’accompagne du développement d’outils marketing ciblés qui semblent parfois empruntés aux campagnes publicitaires du cinéma. D’une part, avec ses créations originales en général, avec Les Revenants en particulier, Canal+ renoue avec le caractère publicitaire que le cinéma, notamment américain, octroie au casting. D’autre part, dans son mode de diffusion et dans son contenu, le premier épisode fonctionne comme une bande annonce « à la française ». Ces outils marketing, qui paraissent implicites, parce qu’intégrés au contenu de la série elle-même, jouent un rôle essentiel dans la création de bouche à oreille.
Le casting :
Il est un élément crucial du marketing cinéma. Depuis les débuts du 7e art, les « têtes d’affiches » jouent un rôle publicitaire de premier choix et les producteurs, notamment américains, s’arrachent les acteurs du moment à coup de billets verts. Cette tendance est moins marquée sur le petit écran du simple fait que le genre sériel tend à être considéré comme mineur, attirant en général uniquement des acteurs « de seconde zone » (pas encore révélés au cinéma / dont le cinéma ne veut plus).
Les créations Canal+ inversent cette tendance en soignant le choix des comédiens, très souvent issus du cinéma. En ce sens, le casting sériel retrouve ici un rôle publicitaire, seule la cible a changé. En effet, les acteurs 100% cinéma français d’auteur drainent un public d’ordinaire peu enclin aux téléfilms, séries télé et autres blockbusters mais heureux de suivre ses interprètes fétiches sur un format plus long qu’à l’accoutumée. Ainsi, un casting crédible et cohérent contribue largement au succès des créations originales Canal et, sans aucun doute, Les Revenants en est l’exemple le plus abouti (cf. Annexe).
 
Le premier épisode :
Le premier épisode des Revenants fonctionne comme une bande annonce cinématographique. Dans son mode de diffusion tout d’abord, il est visible presque un mois avant la diffusion sur Canal+ et cette visibilité en « avant-première » est très médiatisée. Dans son contenu ensuite, il est construit sur le modèle des bandes annonces françaises qui, à la différence de celles américaines (sortes de mini-films à elles mêmes), restent très souvent évasives, ne respectant pas la linéarité du film. Et justement, avec le premier épisode des Revenants impossible de savoir quelle direction la série va adopter, on est à cent lieues d’imaginer que le retour parmi les vivants de Camille, Simon, Mme Costa et Victor va se généraliser. L’intrigue étant centrée sur Camille, on pourrait même imaginer qu’ils se trouvaient ensemble dans le bus. Ce qui donnerait, si ce n’est une explication, du moins une unité au phénomène paranormal dont tous sont frappés. A lui seul, le premier épisode est en outre celui dont le positionnement est le plus difficile à définir. Pour anecdote, cette technique de marketing avait été initiée avec Simon Werner a disparu, le premier film de Fabrice Gobert : en plus des bandes annonces (relativement courtes), on pouvait découvrir en exclusivité … les 3 premières minutes du film !
Mise en bouche efficace des (télé)spectateurs, cette stratégie favorise le feedback que la chaîne ré-exploite notamment dans une bande annonce « twitter » (comprenant des tweets de fans et le slogan « Les Revenants, c’est vous qui en parlez le mieux »), non sans rappeler certaines affiches et bandes-annonces de cinéma. Les affiches de Comme des Frères et celle des Bêtes du sud sauvage en sont deux exemples récents ; la première intègre les commentaires des spectateurs, la seconde ceux des critiques de presse, agrémentés du slogan « Tout ce qu’on vous dit sur Les bêtes du sud sauvage est vrai. »
Le choix d’une segmentation large peut expliquer les records d’audience de la série (1.4 millions de téléspectateurs sur la quasi-totalité de la série). Cependant, si la fin de la saison 1 a suscité un record historique d’audience, elle a également déclenché une avalanche de critiques sur Facebook.
D’une part, dérouté par l’absence de réponses apportées aux mystères de la série, par cette fin sous forme de cliffhanger, le public « plus sériel » se déchaîne sur Internet, là où la série était justement venue le chercher. Plusieurs éléments de scénario restent en effet non-expliqués (l’évolution du niveau de l’eau, la cicatrice dans le dos de la sœur de Camille par exemple). D’autre part, le public a priori « plus cinéphile » a du mal à digérer un certain changement de registre en faveur du paranormal. Les mystères se multiplient en effet (cicatrices, hordes de revenants, bébé mort-vivant d’Adèle…) et éloignent la série des questions relationnelles que le retour des morts cause à l’entourage des revenants. Effet boule de neige, le double positionnement du genre (réalisme, psychologie ET paranormal, intrigue) s’estompe, mettant alors en péril la double segmentation.
Réunir deux types de publics diamétralement opposés ou presque devant le même programme demande un sens de l’équilibre digne des plus grands funambules. Avec des films comme Skyfall ou The Artist, le marketing du cinéma a fait ses preuves en la matière. Avec Les Revenants, Canal+ a ouvert la brèche.
 
 
Une stratégie du plus
Ce qui fait l’actualité s’accompagne toujours d’un certain matraquage médiatique et surtout d’un discours préparé. Avant, après et pendant leur diffusion, les objets (livres, disques, films ou séries) et les hommes qui font l’actualité ne peuvent échapper à cette étape indispensable. Le jeu des plateaux télé et des relations publiques est celui qu’il faut absolument maîtriser.
Dans cette optique, Les Revenants se plie aux règles avec une campagne publicitaire particulièrement léchée que nous devons à la prestigieuse agence BETC, fidèle partenaire de la chaîne Canal+. Mais ce que l’on observe à propos de la production, c’est que ce qui la propulse au rang de série événement n’est pas tant la campagne que la notoriété de la chaîne elle-même, relayée par ses téléspectateurs.
Lancés le 23 octobre, le site Internet, les affiches, le spot radio et la bande annonce TV préparent l’arrivée de quelque chose de nouveau et poussent téléspectateurs et médias à créer eux-mêmes l’événement. « Première série fantastique »; « du jamais vu pour une série française » ; « la série la plus attendue. » Pendant un mois les discours qui se forment autour de la série ne sont pas ceux de la chaîne qui se veut plus discrète.
On concédera à cette stratégie une certaine douceur. Elle s’accorde d’ailleurs parfaitement avec le positionnement éditorial initial de la chaîne.
 
« Canal+, demandez plus à la télé »
Si la légende veut que le « + » qui qualifie la chaîne ne soit dû qu’à une erreur d’impression, la coïncidence est heureuse car un simple « Canal 4 » n’aurait probablement jamais suffit à décrire combien la chaîne se présente comme un lieu à haute valeur ajoutée.
La différence entre les chaînes lambda et la quatrième a toujours été fortement marquée. Publicité, cryptage, annonces, les « plus » réservés aux consommateurs qui payent pour ont toujours été visibles et déployés devant les yeux des téléspectateurs moins heureux. Les meilleurs films de cinéma plus rapidement, les meilleures séries avant les autres, le foot en exclusivité, etc. Dans l’imaginaire comme dans les faits Canal+ n’est pas un chaîne comme les autres.
La marque se distancie des autres chaînes, mais prend surtout ses distances vis-à-vis de la télévision elle-même. L’atout cinéma a rapidement été le moyen de s’imposer d’abord en tant que diffuseur de films de premier choix. Avec le temps, la critique s’est élargie à tous les contenus disponibles sur la chaîne désormais également reconnue comme un producteur de qualité.
Cette façon de mettre en valeur le raffinement, l’exclusivité et la rapidité fait entrer dans les esprits que le meilleur est sur Canal+. Symboliquement, l’effet même de cryptage renforce cette idée qu’il existe un privilège, une richesse Canal+.
« Des créateurs originaux pour des programmes originaux »
Dans le temps, cet argument du plus n’a pas fondamentalement changé. Mais il a évolué, il s’est renouvelé. Le cinéma, le foot, les séries américaines et aujourd’hui les créations originales viennent s’ajouter à la notoriété de la chaîne.
Pigalle, Engrenages, Borgia, Maison close : avant même leur sortie, ces fictions made in France ont été annoncées comme des séries « événement ». Originales, elles le sont parce qu’elles ne sont faites comme aucune autre série (saisons de huit épisodes, 52 minutes) mais aussi parce que chaque production se distingue des autres par l’intrigue, l’univers qu’elle incarne, son genre, sa tonalité. Les choix sont souvent audacieux, mais le public sanctionne positivement.

C’est dans ce contexte béni qu’apparaît la série Les Revenants. L’intrigue seule suffit à susciter l’intérêt, mais la provenance Canal+ et le cachet des autres séries de la chaîne sont un argument inimitable. C’est cet élément que la bande annonce de la saison exploite. Les noms de la série et de la scène sont physiquement replacés dans le cadre créateur original.
La création originale Canal+ devient ainsi un label à part entière, unique en son genre et propre à la chaîne. La création Canal+ n’est pas tout à fait comme la série américaine ; mais elle reste aussi inégalée par les producteurs français. Un label et un format qui ne se sont encore jamais vus ailleurs et qui se veulent exportables, comme le montrent les nombreux projets d’adaptation en cours aux États-Unis.
 
Un marketing fantôme
En effet, si la série Les Revenants a fait le buzz en France, on parle déjà d’un remake américain en préparation. Le network ABC et la société de production Plan B de Brad Pitt auraient déjà acheté les droits d’adaptation non pas de la série française mais d’un roman américain, The Returned, publié en septembre prochain. L’histoire ? Des parents qui assistent au retour de leur fils de huit ans, mort des années auparavant et qui n’a pourtant pas vieilli. Très vite, ils réalisent que le phénomène est mondial. Cela vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant, vous dirais-je. Si The Returned vous rappelle Les Revenants avec une première intrigue qui serait un croisement entre celle de Camille et Victor, personne ne parle pourtant de plagiat. La société de production assure même que cela n’aurait rien à voir avec la série fantastique française. Bref, on attend de voir pour le croire.
Mais en regardant la série diffusée sur Canal+, on n’a pas pu s’empêcher de remarquer un désir possible de la chaîne d’exporter cette nouvelle création originale à l’étranger*. Si la série est située dans une ville fictive mais tournée dans la banlieue d’Annecy, le choix des producteurs concernant les décors nous conforte dans cette idée. En effet, l’American Dinner au gérant exécrable qui subit les foudres de Simon, et situé au milieu de nulle part, nous rappelle très vaguement les séries américaines dans des villes un peu perdues. Mais aussi le Lake pub, le bar billard où se retrouvent les ados comme Léna, ou même Adèle et Simon des années auparavant. Pourtant, lorsqu’on interroge les réalisateurs et producteurs, ces derniers nient tout en bloc et évoquent simplement l’influence de la série de David Lynch, Twin Peaks, comme une référence cachée.
Hormis l’influence de Twin Peaks, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à la série américaine 4400. Même si on ne parle pas de morts revenus à la vie, c’est presque la même chose puisque ce sont des milliers de personnes qui ont été portées disparues et qui réapparaissent telles qu’elles étaient au moment de leur disparition. On se souvient, outre les 4400, de Lost (2004-2010) ou Roswell (1999-2002) qui ont connu un vrai succès à leur début avec du suspense et de nouveaux éléments à résoudre ne cessant d’apparaître au fil des épisodes. Mais finalement, elles ont échoué à cause de l’incapacité des scénaristes à trouver une résolution à l’avance.

 
Mais ce ne sont pas seulement le suspense ou l’intrigue qui nous rappellent nos très chères séries américaines ; les stratégies purement marketing, elles aussi, s’y prêtent savamment. Pourtant, on a plutôt l’habitude d’une promotion très discrète autour des séries françaises, d’où parfois leur manque d’audiences et de succès. Or, Canal+ a aussi fait le choix d’être discret avec une campagne d’affichage pour Les Revenants classique alors que les chaînes américaines, elles, sont plutôt prêtes à tout pour qu’on parle partout de leur série, et surtout, qu’on la regarde. Si les Américains font les choses en grand, c’est non seulement à cause de la compétition des séries qui fait rage aux Etats-Unis entre les chaînes, mais également parce qu’ils ont plutôt l’air d’apprécier le street marketing et les choses décalées et surprenantes. Ainsi les Américains avaient pu expérimenter l’installation en pleine rue d’une grande fontaine remplie de liquide rouge, de sang, pour la promotion du sérial killer préféré des téléspectateurs, Dexter. Pour la série Lost encore, il n’était pas rare de voir des affichages dans des endroits insolites rappelant la série, tels qu’un labyrinthe ou en forêt, mais également des affiches reprenant la compagnie aérienne sur laquelle nos survivants avaient voyagé avant le crash. Si l’on aime cette manière de faire de la pub pour nos séries préférées de manière géante et surprenante, on ne s’attend pas à voir le street marketing prendre une telle ampleur en France.
Canal+ a donc préféré jouer une autre carte empruntée aux séries américaines et tenté d’inclure les spectateurs à la série et à l’intrigue. Encore une fois, l’équipe des Revenants semble avoir tout appris de J.J Abrams et de son bébé, Lost, qui avait proposé aux spectateurs d’explorer les rouages et mystères de la série sur Internet, afin de les faire patienter jusqu’à la prochaine saison. Ce fut un succès, les fans de la série s’étant identifiés aux personnages très rapidement et ayant été victimes du suspense. Le phénomène a ensuite été répété dans plusieurs autres séries et les expériences transmedia sont devenues monnaie courante. Mais nous aborderons cette stratégie plus en détails demain. Seulement, Canal+ a très vite repris cette idée pour fidéliser facilement ses spectateurs, élever les « coûts de sortie » (c’est-à-dire les barrières de sortie de la série, d’arrêt du visionnage par le téléspectateur) et ainsi rendre difficile l’abandon de la série par le spectateur. La chaîne retente l’expérience pour Les Revenants puisque cela avait déjà été fait pour plusieurs autres de leurs créations originales, comme pour Maison Close. Ils avaient aussi créé des comptes Twitter tenus virtuellement par les différentes héroïnes de la série.
Si la création originale de Canal+ semble souffrir d’un léger syndrome Lost, on espère juste qu’elle ne finira pas comme elle. Mais on peut se rassurer puisque Fabrice Gobert, le créateur de la série, a déclaré qu’il avait en tête plusieurs directions qu’il souhaiterait aborder pour la série et son enchaînement.
Ce qui nous amène ici au « season finale » de la saison 1 des Revenants qui se différencie encore une fois des autres séries françaises. Si, en France, nous sommes peu habitués aux séries qui finissent sur un cliffhanger, les créateurs de la série, eux, n’ont pas hésité à jouer la carte du to be continued. Si certains téléspectateurs ont été déçus par cette fin, qui ne répondrait pas assez à leurs interrogations, la plupart sont déjà « accros » et attendent avec impatience le retour de la série. Le public restera-t-il fidèle malgré la longue attente ? L’effet des Revenants va-t-il durer ? On peut le croire, puisque la création originale de Canal+ a rencontré un succès sans précédent sur la chaîne câblée. En effet, un quart des abonnés était devant leurs écrans, ce qui en fait la création originale la plus suivie de l’histoire de Canal+, devant d’autres réussites telles que Engrenages, Braquo, Mafiosa mais aussi  Maison Close ou Pigalle la nuit, avec une audience moyenne sur les huit épisodes d’environ un million et demi de téléspectateurs, sans compter bien sûr les téléchargements illégaux.
La chaîne, pour se féliciter de ses audiences, s’est même empressée de mettre en vente un coffret DVD de la série juste avant les fêtes de Noël. C’est le meilleur moyen de continuer à surfer sur la vague du succès tout en boostant les ventes de DVD à Noël. Évidemment, on aurait tous aimé voir le coffret de la série sous notre sapin. On peut donc applaudir Canal+ pour cette stratégie commerciale très efficace qui leur a sans aucun doute permis de toucher une nouvelle cible : les non-abonnés à la chaîne Canal+, mais également de lutter contre le téléchargement illégal. De plus, on les félicite pour leur rapidité, les derniers épisodes des Revenants ayant été diffusés le 17 Décembre et les coffrets commercialisés trois jours plus tard. Du jamais vu. Canal +, c’est décidément « tellement plus encore. »
 
Annexe
Un casting 100% pur cinéma français… (liste non exhaustive)
Interprétation :
Anne Consigny (a notamment tourné avec A. Renais et A. Desplechin), Clotilde Hesme (Les Chansons d’Amour, Angèle et Tony…), Frédéric Pierrot (jouait dans Les Revenants, le film) ou Grégory Gadebois (Pensionnaire de la Comédie Française, césarisé pour Angèle et Tony) : acteurs confirmés, peu habitués à des rôles pour la télévision.
Céline Sallette (L’Apollonide…) , Sami Guesmi (Camille redouble…), Guillaume Gouix (Jimmy Rivière, Hors les murs, Mobil Home…) : valeurs montantes du cinéma d’auteur.
(Re)découvertes : Matila Milliarkis (Cœur Océan, l’un des seuls a avoir joué dans une série avec Jenna Thiam), Yara Pillar (révélée par 17 filles, Semaine de la Critique, Cannes 2011), Pierre Perrier (rôles atypiques dans films marginaux, Plein Sud, American Translation…)
Réalisation et scénario :
Fabrice Gobert (repéré avec Simon Werner a disparu, son premier long, sélectionné dans la catégorie un Certain regard, Cannes 2011)
Collaboration d’Emmanuel Carrière (a reçu le prix Renaudot, a été membre du jury de Cannes en 2010)
De Céline Sciamma (recrue Fémis, deux longs à son actif, très remarqués dans le milieu du cinéma d’auteur français Naissance des Pieuvres, Tomboy)
Production :
Haut et Court, distributeur cinéma avant tout mais qui a déjà produit une série en 2011, Xanadu (du nom de l’entreprise pornographique familiale où se déroule l’intrigue), diffusée sur Arte. Témoigne déjà d’un goût prononcé pour les créations originales et les chaînes qui osent.

*EDIT DU 14 JANVIER à 23h00.
Le compte officiel de Haut et Court vient de retweeter une information selon laquelle Les Revenants seront adaptés en langue anglaise par le distributeur FremantleMedia Enterprises. They Came back sera produit par l’Anglais Paul Abbot.Voici un lien vers l’article source de Variety.
 
Flora Trolliet (pour « Un positionnement paranormal »)
Esther Pondy (pour « Une stratégie de plus »)
Sabrina Azouz (pour « Un marketing fantôme »)