Bic for her - Pub
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Women's Write

 
En 2011, Faith Popcorn prédit la « Fin du Genre » (« End of Gender » ou « En-Gen »). Les grandes tendances marketing seraient celles de la personnalisation, au-delà des structures établies autour de notre sexe. Cette prévision ne semble pas avoir été entendue par tous. Le « marketing genré » continue de se répandre autour de nous, provoquant surprise et indignation quand il touche des objets aussi triviaux que la brosse à dent, l’alimentaire ou bien le stylo. Dernier en date, la marque Bic développe au sein de sa gamme de « stylos à valeur ajoutée » un produit essentiellement destiné aux femmes, « Cristal for Her ». La description fait grincer : « corps coloré (rose et violet en présentation) plus fin pour une meilleure prise en main des femmes,  avec niveau d’encre visible et embout à la couleur de l’encre » (décidemment, on pourrait se tromper). De plus, quelques avantages environnementaux : « léger, conçu et fabriqué avec juste ce qu’il faut de matière première » (les études marketing prouvent la forte sensibilité des femmes à l’écologie). Selon le directeur marketing de BIC Europe, Alexis Vaganay, ce produit a été conçu dans l’idée d’éviter les stéréotypes constitutifs du marketing genré. Il précise ainsi : «Nous en sommes conscients (des préjugés véhiculés par les produits sexués) mais travaillons pour ne pas tomber dans cet « écueil ». C’est pour cela que nous basons nos développements produits sur des études et non sur l’idée que nous nous faisons de ce qui plairait aux femmes».
S’il s’agit bien d’une réponse à une demande féminine, comment expliquer la naissance d’une polémique endémique sur le site d’Amazon où les commentaires sarcastiques abondent dans chaque fiche produit des stylos Bic for Her ? Jezebel (blog féminin new-yorkais) le remarque déjà en 2011, mais l’affaire s’amplifie depuis quelques mois à peine. Ellen DeGeneres, contactée par Bic pour promouvoir cette nouvelle gamme, en tire une vidéo parodique et s’indigne ouvertement de la connotation sexiste du produit : « C’est pas trop tôt ! Toutes ces années passées à utiliser des stylos pour hommes ! (…) Ces vingt dernières années, les entreprises ont dépensé des millions pour fabriquer des pilules qui font pousser les cheveux et boostent la vie sexuelle des hommes…et maintenant, les femmes ont un stylo ! »
Cette réaction a été majoritairement partagée par les internautes sur Amazon.com, plusieurs tumblrs réunissant les meilleurs commentaires sont nés. Face à cette vague de critiques, l’attitude de Bic reste néanmoins caractéristique des difficultés que traversent les entreprises dans la gestion de crise sur internet. Silence complet de la part de la marque qui fait face à une polémique tardive et déployée sur un site marchand et non un réseau social. La fragilité de Bic face à la cohésion d’une communauté d’internautes semble remettre en question la vocation de la marque à répondre à une demande féminine.
Pourtant, il convient de s’interroger sur notre attitude de consommateur vis-à-vis du marketing genré. Comme le note Maura Judkis dans le Washington Post, le débat aurait-il eu lieu si Bic avait choisi de nommer autrement leur produit ? En le définissant rigoureusement comme un objet sexué, la marque s’est attirée les foudres d’une communauté de consommateurs modernes qui refusent de se voir segmentés dans leurs pratiques d’achat les plus communes. On ne peut qu’approuver l’ironie des critiques et se féliciter de la perception lucide d’une majorité d’acheteurs qui parvient à imposer une distance entre les méthodes de marketing et son propre jugement. Cependant, une certaine hypocrisie se dégage du procès dont Bic est la victime : qu’en est-il des produits qui exploitent de manière plus discrète les codes du marketing genré sans pour autant s’affirmer comme tels ? Peut on s’insurger contre un produit « dédié aux femmes » tout en continuant à consommer (et donc à approuver) tous ceux qui nous assignent à notre identité sexuelle (par leur code couleur bleu vs. rose ; leur discours force et rapidité vs. douceur et élégance) ? Bic aurait ainsi franchi une limite, créant une visibilité trop directe sur les pratiques communicationnelles adoptées pour promouvoir leur nouveau produit. La logique de vente apparaît trop bien au consommateur qui la refuse par principe, par souci d’éthique. L’image que Bic nous renvoie de la consommatrice est faussée et vieillie. Elle nie les tendances actuelles au renversement des clivages de genre qui dynamisent les dernières tendances marketing. La cible que Bic vise existe-t-elle encore ?
L’erreur de Bic, son attitude maladroite, mais aussi son silence radio depuis l’émergence de la polémique ne font que révéler les contradictions propre au caractère volatile du consommateur, tout autant que son pouvoir (critique et fédérateur) trop souvent sous estimé. Le bénéfice à tirer de cette affaire aura été de révéler cette force au grand jour.
 
Clémentine Malgras
Sources :
Bic for Her, publicité officielle
Bic Pen for Women, The Ellen Show
Article Slate
Article Forbes
Article Jezebel

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