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Société

La neutralité du Net, par-delà Bien public et Mal économique

C’est une bataille qui durait depuis bien longtemps qui vient de se terminer le 26 février dernier avec la consécration d’Internet par la Federal Communications Commission (FCC) comme bien public. En 2004, la FCC avait pourtant tenté, sous la pression des puissants lobbys des télécoms, d’encadrer la neutralité du Net. Ce n’est qu’en 2010 que l’idée est venue d’empêcher les opérateurs de discriminer certains services, interdisant ainsi la création d’un Internet à deux vitesses. Mais il aura fallu attendre l’intervention du président Barack Obama, appelant en novembre 2014 la FCC à faire d’Internet un bien public, ainsi que l’incroyable mobilisation des partisans de la neutralité, pour que les choses se concrétisent enfin. En consacrant la neutralité du Net le 26 février, la FCC a pris une décision qui risque de faire de nombreuses vagues et peut-être d’inverser les rapports de force entre opérateurs de télécommunications et géants d’Internet. Dans ce contexte, il semble important de préciser ce que l’on entend par « neutralité du net ». Cette expression apparaît trop souvent réduite à sa seule dimension technique. Pourtant, la décision de la FCC apparaît à bien des égards comme sociale et politique.
Les implications techniques de la décision de la FCC
Rappelons rapidement ce qu’est la neutralité du net. Il s’agit d’un principe fondateur d’Internet, défini par Tim Wu en 2003 dans « Network Neutrality, Broadband Discrimination ». La neutralité du Net garantit l’égalité de traitement de toutes les données sur le réseau. Comme le rappelle Marie Mougin dans Internet sous péage : entre voies express et chemins de terre, « La fin de la neutralité du Net ce serait donc des offres différenciées, un système de péage, amenant à un Internet à deux vitesses, entre ceux qui pourront payer plus cher un débit de connexion plus rapide et un accès illimité, et les autres. ». La décision de la FCC, en empêchant les fournisseurs d’accès à Internet comme Verizon, AT&T, Orange ou SFR, de discriminer les données qu’ils transportent selon les sites dont elles proviennent, consacre donc la neutralité du Net. Il faut ici souligner l’effort de mobilisation des internautes suite à la fuite d’un plan de la FCC en avril dernier, autorisant des « voies rapides » réservées aux services s’étant acquittés d’une taxe auprès des fournisseurs d’accès : la FCC a ainsi recueilli quatre millions de messages, la plupart en faveur de la neutralité.
Cependant, il ne saurait être question d’oublier que la décision de la FCC s’inscrit dans un cadre économique et social bien plus large qu’un simple débat concernant les modalités d’utilisation d’Internet.
La question du coût de la neutralité
Autorisons-nous d’abord à faire aux détracteurs de la neutralité le crédit de l’argument économique. Promouvoir la neutralité au nom des fondements d’Internet est une bonne chose, mais la question du coût de cette neutralité ne saurait être éludée. En effet, ceux qui s’opposent à la neutralité du Net et à la décision de la FCC, notamment les fournisseurs d’accès à Internet, insistent sur les coûts importants qu’engendrerait le maintien d’un accès non discriminatoire à Internet, dans un contexte de forte croissance du trafic. Cependant, au sein même des détracteurs de la neutralité, cet argument est remis en cause. Mike Masnick parle même d’un « bluff » de la part des fournisseurs d’accès visant à s’assurer des rentes de monopoles… D’autre part, certains élus républicains rejettent la neutralité au nom du libéralisme et de la crainte de toute forme d’ingérence. Ted Cruz, sénateur républicain, a ainsi qualifié la neutralité d’ « Obamacare de l’Internet ».
 

 
La neutralité, fondement de la « société de la connaissance »
Dans une vidéo humoristique de l’émission satirique « Last Week Tonight », John Oliver avait lancé en avril dernier un appel aux internautes, leur enjoignant de défendre la neutralité sur le site de la FCC. Derrière la neutralité, nous indique en creux John Oliver, se pose une question essentielle : quel Internet, pour quelle société ? La neutralité est en effet porteuse de bien plus de choses qu’un débat opposant fournisseurs d’accès et géants d’Internet. Ce qui est en jeu, c’est bien le type de société dans laquelle nous voulons vivre. La neutralité permet l’innovation : les petites start-up peuvent concurrencer les grands du Net. C’est ce qui explique pourquoi certains géants se sont rangés du côté de la neutralité : eux-mêmes n’oublient pas d’où ils viennent. La neutralité s’entoure ainsi d’une enveloppe politique. Défendre la neutralité du net, c’est défendre le mode de transmission de l’information et du savoir dans notre société. Un Internet libre et ouvert devient ainsi un lieu d’exercice de la liberté d’expression. Comme le dit Benjamin Bayart, « L’imprimerie a appris au peuple à lire, Internet lui apprend à écrire ».
http://www.slate.fr/economie/87935/neutralite-net-chiant-video-john-oliver
 
 
Pour terminer, revenons sur le concept de « neutralité » en lui-même. Quelle est la pertinence empirique de ce concept ? Nicolas Curien, dans  « Du coût de la net-neutralité au goût de la net-potabilité », propose une analyse intéressante selon laquelle le concept de «neutralité » serait trop absolu, et donc biaisé : viser un Internet absolument neutre serait illusoire. Il propose donc le concept de «potabilité » du Net : peut-être ce critère, autorisant quelques variations mais nécessitant un traitement, comme pour l’eau, permettra-t-il de concilier les attentes des acteurs respectifs de ce débat technique, économique, politique et social qui entoure la neutralité du net. Comme l’écrit Nicolas Curien : «A une net-neutralité sans odeur ni saveur, et surtout inatteignable en raison de son illusoire perfection absolutiste, je préfère quant à moi, dans leur imperfection satisfaisante, le charme et le goût discrets de la net-potabilité ! ».
Alexis Chol
 
Crédits photos :
huntnewsnu.com
deadstate.org
 
 
 
Sources :

www.slate.fr
lopinion.fr
fastncurious.fr
techdirt.com
docassas.u-paris2.fr
ncurien.fr
lemonde.fr (1) et (2)
ecrans.liberation.fr

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