Flops

Le Petit Journal est mort, vive le Petit Journal !

Début mai, Yann Barthès annonçait son départ de l’émission la plus regardée de Canal+ en clair : Le Petit Journal. Après une vive réaction de la part des internautes, beaucoup se sont interrogés sur l’avenir de l’émission. Les réactions se sont amplifiées lorsque Canal+ a annoncé l’arrivée de Cyrille Eldin (et non pas Cyril Hanouna, ne pouvant pas être partout à la fois) connu pour ses interventions dans le Supplément et dans Le Grand Journal.
Après plus d’un mois de diffusion, retour sur le non-succès de cette succession.
Relancer la machine après un présentateur de taille
L’annonce de la nouvelle identité du Petit Journal avait déclenché les foudres des internautes. Le 25 août dernier, la photo de Yann Barthès avait été remplacée par celle de Cyrille Eldin sur la page Facebook du Petit Journal. L’avis des internautes ne s’est pas fait attendre et le nombre d’abonnés a dégringolé: 15500 d’abonnés de moins en seulement une heure. Aujourd’hui, on estime une perte de 60 000 abonnés, soit une part d’audience à 45% inférieure à celle de l’an dernier.
À cela s’ajoute une fin particulièrement tragique du Petit Journal de Yann Barthès, avec une intervention de Catherine Deneuve annonçant la fin d’une ère. Difficile de relancer la machine après de tels adieux de la part de Barthès. Ce n’est pas tant l’image de Cyrille Eldin qui est critiquée, mais le départ d’un présentateur plus qu’apprécié ayant fondé l’identité même du Petit Journal.
En effet, Yann Barthès a construit avec son équipe l’essence d’une émission critique, légère, joyeuse et innovante. C’est un personnage qui capte l’attention, alternant entre sous-entendus et plaisanteries fines. Il a su faire ses preuves au sein du groupe Canal+ malgré une position délicate avec son émission dérangeant les politiques. Image qui s’oppose à celle de Cyrille Eldin, connu pour ses bons rapports avec de nombreux politiciens et ses nombreux contacts à l’Assemblée.
Chambouler les codes de l’émission
Bolloré avait annoncé vouloir changer l’orientation de l’émission en adoptant des approches plus douces envers les figures politiques pour mieux saisir la profondeur de leurs idées. Mais l’organisation de l’émission se forme beaucoup plus autour du présentateur et cela s’est ressenti dès le premier soir. Cyrille Eldin nous présente un one man show, imitant le président de la République et enchaînant quelques blagues peu pertinentes sur l’ancien présentateur de l’émission : « Ça me rappelle qu’il faut que j’envoie un petit SMS à Yann Barthès, j’avais oublié. » Eldin précise le contenu, « Yann si tu reviens, j’arrête tout. ». Il n’en faut pas plus pour que le public dénonce son manque de légèreté et que Cyrille Eldin occupe la une des journaux le lendemain.
Ces plaisanteries adressées à Yann Barthès ont finalement incité les téléspectateurs à comparer les deux figures et non à aborder une distance vis-à-vis de ce nouveau format. Le nom de l’émission, Le Petit Journal, influence le téléspectateur qui s’apprête à retrouver le même programme, le même humour. Or, si nous comparons les deux personnages, nous avons d’un côté un Cyrille comédien, très joueur et avec un gestuelle prononcée contre un Yann plus discret, très concis et sûr de lui. Mais, le départ de Yann Barthès accentue davantage les différences entre les deux personnages. Car, même si le présentateur a permis le succès de l’émission, la gloire du Petit Journal est également due aux personnes qui l’entourent (Martin Weil ou Eric et Quentin par exemple). C’est un élément que la plupart des critiques négligent, préférant se focaliser sur l’écart entre les deux présentateurs.
Rivaliser avec le groupe TF1
Reprendre le Petit Journal était un défi de taille. Alors, quand Yann Barthès a annoncé l’arrivée de Quotidien, sa nouvelle émission sur le groupe TF1, accompagné par sa société de production Bangumi, la position de Cyrille est devenue délicate. C’est sans surprise que l’on se retrouve devant un programme de Yann Barthès qui annonçait qu’il garderait la même essence : « On change tout mais sans rien changer, toute l’équipe est avec nous, en gros on ne change pas des masses. C’est bien non ? » (Interview sur France Inter). En effet, c’est même très bien. Quotidien commence avec plus de 1,3 million de téléspectateurs et concurrence même avec Touche pas à mon Poste. Alors est-ce vraiment judicieux de la part de Yann Barthès d’utiliser à nouveau les mêmes codes pour cette émission ? D’une part oui, car l’idée de braver les interdits politiques et de repousser les limites plaisent à la société actuelle. De plus, le personnage qu’incarne Yann Barthès reste un repère pour la génération des 20-30 ans, comme l’était Claire Chazal pour les 45-55 ans. Mais d’un autre côté, la société ne cesse d’aspirer au changement, et Yann Barthès devra sûrement innover lors des prochaines années afin de conserver sa place dans le cœur des français.
Convaincre des téléspectateurs fermés à la nouveauté
Avec des débuts très difficiles, les journaux et les internautes annonçaient la perte du Petit Journal. Mais, après quelques modifications, l’émission regagne du terrain avec des chiffres d’audience ayant doublé du 26 septembre au 12 octobre (de 258 000 à 486 000 téléspectateurs). Certes, le niveau n’atteint pas le million d’habitués du temps de Yann Barthès, mais le Petit Journal remonte la pente. Puis il ne faut pas omettre que ce programme avait connu des débuts peu concluants en 2011 et qu’il n’avait fait que surprendre d’année en année. Alors, peut-être est-ce l’occasion d’aborder un nouveau point de vue sur la politique et d’accepter le changement. Car s’il y a une chose à retenir de ce non-succès, c’est l’incapacité des téléspectateurs français à s’ouvrir aux changements lorsqu’il s’agit d’émissions qu’ils connaissent et suivent régulièrement. Face à de nouveaux codes de la communication et de nouvelles approches, les téléspectateurs se réfugient dans la critique. Mais, le Petit Journal n’a peut-être pas encore dit son dernier mot.
Nathanaelle Enjalbert
Linkedin : Nathanaelle Enjalbert
 
Sources:
– Assouline Gary, La chute vertigineuse du « Petit Journal » de Cyrille Eldin sur Facebook – Le Huffington Post, 25/08/2016 consulté le 22/10/2016
– Lefilliâtre Jérôme, « Quotidien », le remake hollywoodien de Yann Barthès – Libération.fr, 13/09/2016 consulté le 20/10/2016

Bolloré Canal +
Société

Bollo', les pieds dans le plat

Rififi à la rédac’… Canal + se cherche et peine à renouer avec le fameux esprit éponyme sur lequel reposait toute la singularité du groupe. En effet, « l’esprit canal » a toujours résonné comme un appel à la liberté, à la pluralité des contenus et comme une possibilité de parler de tout, en disant tout enfin toujours… du moins jusqu’à l’avènement de l’ère Bolloré.
Vincent Bolloré, 63 ans -homme d’affaire et main de fer- est aujourd’hui pointé du doigt après qu’il ait saisi les ciseaux d’Anastasie afin d’effacer l’identité Canal pour imposer la sienne. Dès juillet 2015, son entrée en matière s’est faite sans manières puisque dès lors, les fameux Guignols étaient désignés comme irrévérents faisant ainsi de la moquerie un produit soumis à la prohibition à défaut d’être un plaisir de télévision.
De manière récurrente, journalistes et chroniqueurs réduisent l’art de communiquer sous le nom de « com », néanmoins, ces derniers ont fait preuve d’agilité afin de répondre à la censure de manière subtile -en usant de cet art. Yann Barthes annonçait la couleur dès les premières émissions de la rentrée 2015 en réduisant, durant l’émission, la chaîne Canal + au statut de simple “diffuseur” du Petit Journal.

Quand Bolloré interdit la diffusion d’un documentaire « Evasion fiscale, une affaire française » dans le cadre de l’émission Spéciale Investigation, le bras de fer se veut avant tout communicationnel et le Zapping de Canal + prend des allures de résistance ; effectivement l’intervention du milliardaire à la défaveur du documentaire a eu pour effet direct le rachat et la diffusion du doc par France 3. Le Zapping s’empare alors de l’occasion et diffuse de longs extraits de ce sujet sur l’évasion en plein milieu de la traditionnelle séquence du Zapping, un vrai pied de nez envers l’homme au bras long.
L’actuelle situation se veut assez cocasse, alors que Bolloré est taxé d’un cruel manque d’humour, c’est bien l’arme principale des rédacteurs de Canal : en rire. Quel plaisir de voir Catherine et Liliane (Alex Lutz et Bruno Sanches) tourner en dérision le côté « Big Brother » de leur nouveau PDG en mettant en avant la peur de se faire éjecter du groupe : « Fallait pas voler ce stylo bic, ça creuse le budget d’une chaîne, lui il fait ses calculs… il pense qu’à ça » … Le poids du stylo, de la plume face à la montagne financière : classique et toujours aussi efficace.
Confortablement assis, le spectateur de Canal assiste au triste spectacle consistant à voir Vincent Bolloré s’asseoir sur l’esprit de la chaîne. Étrangement, une horde de communicants entoure la classe politique, mais cette dernière ne se distingue dans cette affaire que par un cruel manque de communication. Timidement, Fleur Pellerin – Ministre de la Culture – murmure la nécessité de garantir l’indépendance… Inaudible.
« Ce n’est qu’un au revoir » disait ce semblant d’adage, mais finalement, va-t-on revoir cet esprit Canal ? Difficile d’y croire tant la chaîne a perdu de sa fougue, des Guignols en passant par les interventions un peu barrées de la miss météo, on ne s’y sent plus à l’aise : la décoration a été refaite au profit de plus de sobriété et cela résulte davantage à plus d’ennui.
On aurait pu s’attendre à une forme de solidarité des médias mais malheureusement ces derniers montent davantage au créneau pour parler d’une affaire de « chantage à la sextape » que pour déclamer le cruel manque de libertés, incompréhensible dans la France de 2015. Interviewé par RTL, Vincent Bolloré n’a subi que quelques égratignures gentilles et le débat est resté stérile. Ah si, il y a eu une annonce : le retour de l’ancien cryptage de Canal +, oui oui nous parlons bien du bruit atroce et de ces grosses bandes grisâtres qui ornaient nos écrans lorsque la chaîne était à l’heure cryptée … Quand Canal + figure avant-gardiste du new school, se retrouve enterrée par son « boss » dans … le old school.
Jordan MOILIM
Crédits images : 
– Canal +
– Claude Prigent