Politique

Entre échanges cordiaux et dure réalité…

 
Même à l’autre bout du monde, une souffrance reste une souffrance… Et au-delà des cultures, les êtres humains semblent pouvoir la comprendre. La mondialisation aurait-elle du bon finalement ?
Car les informations circulent, et circulent vite. C’est pourquoi, au lendemain de l’attentat du Marathon de Boston du 15 avril 2013, nous pouvions trouver sur la toile une photographie aussi frappante que polémique.
Sincères condoléances…
En effet, à l’heure des réseaux sociaux et du « village global » de MacLuhan, une information n’a jamais eu le pouvoir d’être aussi puissante à deux endroits complètement différents. C’est donc sur Twitter que les révolutionnaires syriens ont envoyé un message d’une efficacité redoutable aux Américains, encore sous le choc des bombes de Boston. Cette photo incarne dès lors cette suprématie d’Internet dans l’immédiateté de la communication.
Vendredi 19 avril, les habitants de Kafr Nabl, une ville située au nord-ouest de la Syrie à environ trois cents kilomètres au nord de Damas, ont profité des manifestations hebdomadaires pour présenter leurs condoléances aux États-Unis. La photo est prise devant des ruines, et la banderole tenue par ces Syriens parle d’elle-même :
« Les bombes de Boston représentent une triste illustration de ce qui se passe quotidiennement en Syrie. Acceptez nos condoléances.
La révolution syrienne KNRC Kafr Nabl, 19.4.13. »

Repéré par le journaliste américain de « Foreign Policy », David Kenner, qui l’a relayé sur son blog, ce tweet s’est ensuite abondamment dispersé sur le réseau social, notamment par les comptes d’opposants au régime de Bachar al-Assad.
Les habitants de Boston ont alors, dès le lendemain, décidé de répondre par la même méthode. La photo fut aussi postée sur Twitter : une vingtaine de personnes posent autour d’un message écrit en arabe et en anglais qui peut se traduire par :
« Amis en Syrie, nous souhaitons également la sécurité pour vos familles et espérons la paix. Avec amour, Boston, 20.4.13 »
Pas si sincères que ça…
Cependant, au-delà de l’échange cordial entre les deux peuples, qui est tout à fait louable, les mots sont là, puissants et pleins de sens, mais surtout remplis de vérité. La pensée des Syriens résonne, traverse l’écran de l’ordinateur pour venir titiller nos petites vies tranquilles. Sans minimiser d’aucune façon la gravité de l’attentat de Boston, il faut tout de même souligner la réelle ambiguïté du message. À moins que ce dernier ne soit justement double, et assumé comme tel. Car oui, entre peuples endeuillés, on se soutient, mais pas trop.
Il ne faut effectivement pas oublier que des tragédies telles que celle de Boston sont devenues le triste quotidien des Syriens, et de bien d’autres peuples. L’électrochoc est donc efficace : lorsque l’on regarde la communication massive et l’omniprésence des images sur les bombes du Marathon face à la souffrance des Syriens qui continue d’être ignorée, il semble bien que cette image prend une dimension extrêmement symbolique.
Mais les habitants de Kafr Nabl n’en sont pas à leur premier message, et c’est sur un ton humoristique, voire cynique, que ces Syriens s’adressent à nous par des banderoles riches de sens. De « The Godfather, Le Parrain » avec Bachar el-Assad en passant par l’analogie des relations entre les États-Unis et la Syrie avec le Petit Chaperon Rouge et le Grand Méchant Loup, ces images ne manquent pas d’originalité pour décrire une situation dramatique et des enjeux cruciaux. C’est sur le site Occupied Kafranbel que l’on peut découvrir ces chefs-d’œuvre communicationnels qui font sérieusement réfléchir… Ils font appel à nos imaginaires collectifs, à nos mèmes, à nos cultures : ce sont Hulk, Oncle Sam, Popeye, Gollum, Titanic ou encore le jeu Angry Birds (ici, « Angry Syrians » !) qui revêtent des rôles d’émetteurs redoutables.

Ainsi, au-delà du débat de la véracité des informations où de la simplification (ou non) des relations internationales, il s’agit ici de tirer sa révérence devant un impact et une efficacité communicationnels en temps de guerre. Les messages circulent, et circulent vite : il faut ici faire fonctionner la mondialisation et tenter d’accorder aux Syriens de Kafr Nabl le droit d’expression qu’ils revendiquent à travers la mise en ligne de ces photographies.
Le message se dessine alors comme une interpellation de la communauté internationale afin d’éveiller les consciences. S’agit-il de rappeler au monde des priorités de plus en plus ignorées, voire oubliées ?
 
Laura Lalvée
Sources :
Rue 89
Bag news
Le Monde (blog)

Politique

Les Liaisons Dangereuses

 

« La haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l’amitié ». Évoqué par Laclos au 18e siècle, ce principe n’a pas pris un pli et les enveloppes envoyées au sénateur Roger Wicker et au président Barack Obama en sont bien l’exemple.
Comment les moyens de communication deviennent-ils des armes destructrices ?
Lorsque Valmont et la marquise de Merteuil correspondent, c’est le contenu des lettres qui est dangereux, leurs actions, leurs secrets, leurs projets. Et déjà la relation épistolaire devient dramatique par les propos qu’elle tient et les conséquences qu’elle implique à leur découverte.
Avec les lettres du 16 et 17 avril dernier, c’est le moyen de communication lui-même qui est empoisonné.
La recette, un peu fantastique mais malheureusement vérifiée, est simple : saupoudrez vos écrits d’une pincée de poison mortel ! En effet, à partir d’une certaine dose, le pouvoir toxique de la ricine, cette macro-molécule, peut être létal.
Alors quand le moyen de communication est empoisonné, il devient difficile de communiquer. Ce ne sont plus les mots qui sont toxiques, ce ne sont plus les manières de les utiliser qui sont néfastes mais c’est la lettre qui devient une arme.
De la peur de l’autre à la peur d’une communication homicide
Les interactions entre les hommes sont souvent compliquées. En effet, les valeurs, les sentiments, le tempérament propre à chacun, amènent à la méfiance de ce qui est autre. D’autant plus que ce qui est méconnu voire inconnu a tendance à attiser cette peur.
La communication reste le moyen pour appréhender et connaître autrui. Cependant lorsque les codes de cette dernière sont corrompus il est difficile de ne pas s’en méfier.
Avec la remise au goût du jour des lettres empoisonnées c’est la peur de la souffrance et de la mort qui entrent dans l’imaginaire de la communication interindividuelle.
En parallèle des attentats à la bombe de Boston, le bioterrorisme et la terreur d’une mort invisible sont de nouveaux éléments à ajouter à ce moyen de communication. L’évolution des usages de la lettre fait aussi évoluer sa conception. Au delà de la lettre de cachet qui vouait arbitrairement à la prison ou à la mort ceux à qui elle était envoyée, la lettre empoisonnée agit sans que celui qui la lit ne s’en rende compte. Et c’est cette invisibilité qui inquiète.
Cette pratique marginale de la rédaction entre dans le champ de réflexion des relations épistolaires.Heureusement, notre indifférence, plus ou moins prononcée, ne nous empêche pas de continuer à vivre.
Par ailleurs, les autorités et les médias n’évoquent ni le contenu des lettres envoyées ni le possible lien entre elles. Cela pourrait être remis en question. Les États-Unis sont ébranlés de toutes parts et les temps sont durs du côté de la superpuissance ; composée d’humains elle reste toujours mortelle. Enfin, le fameux Memento Mori nous rappelle que les liaisons dangereuses sont surtout celles que nous entretenons avec la mort.
 
Maxence Tauril