Publicité, Société

Les marques d’aujourd’hui, médias de demain

 
Initialement conçues comme un prolongement des stratégies marketing à l’œuvre dans les médias traditionnels, les stratégies marketing digitales furent elles aussi, un temps axées vers le marketing de l’interruption. Ainsi, à la manière d’un spot de publicité venant interrompre votre programme à la télévision ou à la radio, d’une page de publicité dans un magazine, ou d’une affiche dans l’espace public, les premiers messages marketing sur le web – pop-ups et bannières publicitaires – présentaient cette caractéristique d’être eux aussi des messages non sollicités, interrompant l’activité du prospect.
 Pourquoi le brand-content ?
Mais la plate-forme internet reposait sur un fonctionnement bien trop éloigné de celui des médias traditionnels pour que pareille stratégie n’y perdure, et les marques passèrent bientôt du marketing de l’interruption à une nouvelle forme de marketing digitale : le marketing de la permission[1], schéma dans lequel le message marketing n’est plus centré sur le couple marque/produit, mais sur la satisfaction des besoins en terme d’information et de divertissement du prospect d’une part ; et ne lui est plus imposé d’autre part.
Cette évolution résulte en outre des transformations des modes de consommation et d’information induites par la démocratisation d’internet. Les marques ont dû s’inscrire dans ce qu’est le web : un formidable outil d’information, de recherche et de divertissement. Elles ont en effet dû adapter leur manière d’être traditionnelles aux nouvelles exigences du web afin de se fondre dans son paysage, ne plus être perçues comme interruptives et intrusives dans leur communication et ainsi parvenir à une promotion efficace de leurs produits et services ainsi que de leur image. Cela explique le succès fulgurant du brand-content qui permet justement la satisfaction de cet objectif au travers de l’édition et de la diffusion de « contenus de marque » (brand-content) via des plates-formes dédiées. Ainsi ce n’est aujourd’hui pas moins de 33% des 100 « best global brands » qui détiennent une plate-forme destinée à la publication de tels contenus. Mieux, 20% de ces marques ont fait de cette plate-forme leur nouveau site corporate comme par exemple Coca-Cola avec son nouveau site, Coke Journey. Enfin trois de ces marques (Intel, General Electric, et IBM) se sont dotées de plus d’une plate-forme de ce type[2].
Désignant les contenus produits directement par une marque à des fins de communication publicitaire et d’image, cette terminologie douteuse appelle toutefois quelques remarques avant de poursuivre. Le contenu de marque n’est en effet pas une innovation de l’ère digitale comme certains le laissent entendre. Les marques ont toujours crée du contenu, seules les modalités de diffusion desdits contenus ont évolué. Les très classiques recettes au dos des paquets de sucre, farine, et chocolat en font foi, et sont une forme ancienne de contenu de marque parmi tant d’autres.
L’innovation se situe plutôt sur le plan du rôle du public qui est passé de simple spectateur à relayeur potentiel et efficace des contenus de marque, et donc sur le très fort potentiel de circularité de contenus jugés suffisamment intéressants par les utilisateurs.
Les modalités actuelles du brand-content
Or cette diversification des activités des marques à la publication à grande échelle de contenus de marque s’inscrit dans un contexte de fulgurante inflation des contenus web de toute sorte[3], lequel a entraîné un durcissement des exigences des internautes à l’égard des contenus web en général. Mouvement accentué par les logiques de partage de contenu par les internautes eux-mêmes notamment via les réseaux sociaux, lesquels ne privilégient bien évidemment que les contenus qu’ils estiment intéressants.
Il était donc dans un pareil contexte absolument nécessaire pour les marques de produire des contenus de qualité afin d’être remarquées au milieu de l’épais brouillard formé par les quelques 30 milliards de publications partagées chaque mois sur Facebook, et autres 278 000 tweets quotidiens[4]. Pour ce faire les marques se sont constituées d’authentiques équipes éditoriales d’une part, et ont joué sur la diversité et l’originalité des contenus d’autre part.
 Le brand-content web regroupe ainsi aussi bien des articles de storytelling, comme ceux présents sur Coke Journey, que des forums de discussion comme American Express OPEN destiné à l’échange de conseils entre gérants de petites entreprises, des vidéos de divertissements comme la série The Beauty Inside d’Intel primée aux Cannes Lions 2013, ou encore de l’information « pure » ou pratique.

La transformation des marques en médias, et ses risques pour les agences de publicité traditionnelles
L’évolution probable du phénomène est la transformation des marques les plus significatives, en véritables entreprises médias. C’est déjà le cas de Red Bull, pionnière du brand-content, et aujourd’hui véritable empire médiatique, dont la filiale média Red Bull Media House est d’ailleurs devenue profitable. American Express et Burger King semblent également envisager, dans le sillon de Red Bull, un pareil virage vers la « marque-média ».
Cette évolution est particulièrement dangereuse pour les agences de publicité, qui ont beaucoup à perdre si les marques continuent sur ce terrain, lequel ne suppose pas nécessairement leur concours. Aussi il est tout à fait indispensable pour elles de s’adapter à ces nouvelles exigences du marché, en développant de nouvelles structures destinées à la production de contenu de marque. Il serait dommage de manquer la marche alors que leurs équipes créatives sont particulièrement à même d’insuffler une note de fraicheur aux contenus de marque, et donc de les différencier de simples équipes éditoriales internes ou sous-traitantes.
 Teymour Bourial
[1] Cette distinction permission marketing vs interruption marketing est l’œuvre de Seth Godin.

[2] Voir Brands as Publishers – Beyond
[3] Voir étude Netcraft relative à l’évolution du nombre de sites internet enregistrés et actifs de 1995 à février 2013
[4] StickyContent – How to avoid inflating the content bubble ?)

Société

Air France s’attaque au low cost

 
« Avec les prix minis, Air France vous rapproche »
Après une montée en gamme lancée en octobre avec une nouvelle offre destinée aux clients voyageant en Business et en Premium Economy, Air France, réputé haut-de-gamme et élégant, lance une nouvelle offre « Mini » afin de concurrencer les compagnies low cost. Depuis quelques mois en effet, l’affichage placardé dans le métro parisien propose de rapprocher les gens à prix minis. La compagnie propose des billets à partir de 49 euros pour 58 destinations en France, en Europe et dans le bassin méditerranéen. Pour cela, elle s’est fondée sur le résultat d’une étude montrant que pour 60% des clients, le prix est un facteur déterminant dans le choix de voyage. L’objectif est donc d’assurer plus d’accessibilité et plus de visibilité à la marque, afin que ceux qui ne prenaient plus l’avion le reprennent à nouveau grâce à ces tarifs plus abordables. Aussi la marque cherche-t-elle à élargir sa clientèle. Les billets sont vendus pour des vols courts et moyen-courrier au départ de Paris-Orly, Marseille, Nice et Toulouse, et peuvent être réservés depuis le 7 janvier. L’offre « Mini » ne permet pas d’enregistrer de bagages. Le succès a été au rendez-vous puisque le site Air France était déjà saturé lors du lancement de l’offre. Alexandre de Juniac, PDG d’Air France, souligne qu’elle est destinée à améliorer les résultats de la compagnie.

Hop ! La nouvelle marque low cost d’Air France
En plus de cette nouvelle offre, Air France lance sa nouvelle marque Hop ! . Dans le secteur très concurrentiel du transport aérien, la compagnie française cherche à surpasser les compagnies low cost rivales avec près de 530 vols par jour. Hop ! est né de la fusion des filiales Britair, Regional et Airlinair, un peu à la manière d’une marque ombrelle des offres low cost d’Air France. A partir du 31 mars, Hop ! proposera une tarification nouvelle, avec une offre commerciale à trois niveaux : Basic (sans bagage), Basic Plus et Maxi Flex (avec possibilité de changement d’horaire). Plus on réserve à l’avance, moins c’est cher. Lionel Guérin, nouveau directeur de Hop !, explique qu’il s’agit d’inventer un nouveau modèle commercial en rupture, le but étant de développer le concept d’un « transport mobile, rapide, au plus près des gens et qui offre plus de service(…). L’’avantage de Hop ! ce sera la fréquence des vols, le maillage du territoire et le nombre des destinations proposé ». Il précise en outre que la différence principale de Hop ! avec les autres compagnies low cost réside dans la possibilité de faire un aller-retour dans la journée. Une campagne de communication de 2 millions d’euros accompagnera le lancement de la nouvelle marque.

La promesse de Hop ! se positionne en rupture avec les codes traditionnels de l’aérien ; c’est l’agence H qui a été chargée de la campagne de lancement. Celle-ci présente l’avion comme le trait d’union entre deux businessmen, entre un enfant et ses grands parents ou encore entre un golfeur et son caddie. La campagne se décline à travers la presse, l’affichage (du 4 au 19 février), la radio, sur internet et sur les réseaux sociaux. L’univers graphique en 3D de la campagne diffère de manière radicale de la communication dans les secteurs de l’aérien. D’après l’agence H, le nom Hop! évoque « la rapidité, l’agilité, le rebond. Accolé à un point d’exclamation penché, qui symbolise le décollage d’un avion, Hop ! marque sa volonté d’être toujours en mouvement. » Le logo de la marque a été créé par l’agence Brandimage et apparaît sur les 98 appareils. La signature « faire un saut d’une région à l’autre » quant à elle met en avant la simplicité.

Cependant on peut émettre quelques réserves à l’encontre de cette campagne sur le plan communicationnel. En effet, d’aucuns ne manquent pas de faire remarquer sur les réseaux sociaux que sur le visuel principal de la campagne, un enfant embarque seul, dans un avion en « plastique », et la grand-mère aborde un air soucieux… Tous ces éléments ne sont pas des plus rassurants pour un voyageur anxieux. D’autre part, le nom « Hop ! » se veut synonyme de mobilité, de simplicité et d’action ; mais pour beaucoup cette onomatopée reste empreinte d’une connotation « cheap » qui contraste avec les campagnes d’habitude plus raffinées et élégantes de la compagnie.

Air France et la communication
Les publicités Air France sont bien connues, de même que la signature « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Petite analyse des campagnes Air France en général : la compagnie cultive une image hédoniste et sophistiquée elle apparaît comme ce qu’Alain Roussel appelle un « concentré de la France » – à savoir un art de vivre, de l’élégance et du raffinement. Les visuels constituent généralement de véritables odes à la sérénité : de fait, le voyage est assimilé à un moment magique. Air France développe une nouvelle conception du voyage, mettant l’accent sur le plaisir et non plus sur le transport. De plus, il s’agit d’installer le passager au centre du discours de la compagnie, qui se veut à son service ; néanmoins la cible réelle se compose principalement de businessmen. Une originalité des campagnes Air France par rapport aux autres compagnies aériennes tient au fait que, si le passager est constamment présent, il n’est jamais mis en scène dans l’avion. On observe un lien permanent entre ce qui se passe sur terre et dans l’air. Aussi la compagnie française se place-t-elle dans une logique d’espace, de respiration et d’élégance.
La publicité « L’Envol » a notamment marqué les esprits : il s’agit d’un spot-film sorti en Septembre 2011 qui constitue une véritable métaphore poétique. Le chorégraphe Angelin Preljocaj y met en scène les danseurs Benjamin Millepied (vu dans « Black Swan ») et Virginie Caussin, qui évoluent avec grâce sur un immense miroir reflétant un ciel pur. De fait, c’est dans le désert d’Ouarzazate qu’a été installé pendant une semaine un miroir gigantesque – 400 mètres carrés – pour les besoins du spot, réalisé sans effets spéciaux. Les codes graphiques (le bleu, le blanc) et créatifs (la délicatesse des mouvements) permettent d’identifier la marque dès les premières secondes du film. Aussi les danseurs évoluent-ils en toute confiance entre ciel et terre, à travers une métaphore poétique de l’envol, du transport et de l’abandon sur le Concerto pour piano n° 23 de Mozart. François Brousse, directeur de la communication d’Air France, explique jouer sur le registre de la métaphore « car montrer le produit, c’est-à-dire l’espace confiné d’un avion, des sièges à peu près identiques à ceux de la concurrence, n’a pas grand intérêt ».

Air France propose avec « l’Envol » une magnifique publicité qui joue sur l’émotion du spectateur. Le soin apporté à l’image et l’esthétique tire la compagnie vers le très haut de gamme. La campagne avait en effet pour but de faire face à des enjeux de poids : écart de compétitivité croissant avec ses principaux concurrents, alourdissement de la dette, gel des embauches, etc.
Avec Hop !, Air France se démarque donc très clairement de ses campagnes précédentes et se positionne en rupture par rapport à son univers traditionnel. Ce passage d’une atmosphère onirique et éthérée à une ambiance bien plus triviale jouant sur le registre du dessin animé-pâte à modeler saura-t-il convaincre les consommateurs ? Il se pourrait bien que les habitués d’Air France n’adhèrent pas pleinement à ce virement low cost. Reste à savoir si la nouvelle campagne relèvera le défi d’un élargissement effectif de la clientèle.
 
Clara de Sorbay
Sources :
Air France
Ac-noumea.nc
France Bleu
Le Monde
E-marketing.fr, ici et là.
Minterdial.fr
Le Point
Crédits photo : © Air France