Politique

Le Brexit, un échec médiatique et communicationnel

Quel a été le rôle des médias dans le vote du Brexit ? La campagne de communication des pro-Bremain a-t-elle été défaillante ? Un an et demi après le référendum et alors que l’heure est encore aux négociations, le rôle des médias et les campagnes de communication des pro-Bremain comme des pro-Brexit sont toujours pointés du doigt.
 La plupart des journaux britanniques doivent leur existence à un petit groupe de « barons de la presse » – des hommes d’affaires tels que Lords Beaverbrook, Northcliffe et Rothermere – qui ont fondé des journaux à but lucratif et politique et exigé qu’ils reflètent leurs opinions sociales et politiques. Un mythe ? Que nenni. En effet, en Grande-Bretagne, les médias sont très engagés et ont souvent influencé le résultat des élections et des référendums : une tendance qui s’est une nouvelle fois vérifiée lors du Brexit.
Une presse divisée au sujet du Brexit
Le paysage médiatique anglais était partagé sur le sujet du Brexit. Les opinions divergentes étaient perceptibles à travers le traitement de l’actualité. La presse pro-Brexit jouait la carte de l’insécurité et celle de l’immigration massive, en pointant du doigt la libre circulation des personnes dans l’Union Européenne, tandis que les médias pro-Bremain mettaient en avant l’incertitude économique si la Grande-Bretagne venait à quitter l’Union Européenne. Ainsi, à la lecture des journaux, les électeurs ayant choisi de quitter l’Union Européenne associaient les problèmes sociétaux (crise migratoire, politique d’austérité, difficultés du marché du travail…) à la présence de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Influencés par la presse pro-Brexit, les citoyens pensaient faire disparaître ces problèmes en votant pour.

Une prise de position engagée de la part des médias
Les convictions pro-Brexit de la presse britannique sont donc allées bien au-delà de la simple analyse, et de l’objectivité qui incombe à la presse. Ainsi, la couverture médiatique a en partie été biaisée par des préjugés et autres fake news… un processus déjà utilisé par le passé dans les journaux britanniques. Les journalistes auraient-ils délaissé la déontologie au profit de leurs opinions personnelles ? C’est en tout cas ce que laisse imaginer le traitement médiatique du Brexit. Les journaux anglais ont, par exemple, véhiculé des fake news au sujet du coût de l’adhésion britannique à l’UE et de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Des informations inexactes rendues crédibles par leur médiatisation. Les médias pro-Brexit affirmaient, par exemple, que la Turquie rejoindrait l’UE d’ici 2020 tout en soulignant qu’il y aurait une migration illimitée provenant de ce pays et de ses voisins tels que l’Iran et la Syrie. De plus, les médias pro-Brexit ont accordé leurs unes à des fausses informations notamment en insistant sur les éventuels dangers qu’encourait la Grande Bretagne avec l’immigration : « Les migrants ne paient que 100 livres pour envahir la Grande-Bretagne », « 20 000 migrants prêts à envahir la Grande Bretagne », … The Mail a même été jusqu’à affirmer que les migrants étaient responsables de 700 meurtres par semaine, une information qu’il a été forcé de corriger tant elle était fausse. Il semble ainsi que les médias ont essayé de provoquer la peur des électeurs afin qu’ils la traduisent dans les urnes. Ce qui prouve que dans le discours politique « post-vérité », l’exactitude de ce que vous dites compte finalement moins que la force et la fréquence à laquelle vous le répétez.

 
Une méconnaissance globale de l’Union Européenne
Mais comment une institution aussi puissante que l’Union Européenne a-t-elle pu perdre l’un de ses membres les plus importants ? Comment une institution censée rassembler peut-elle aujourd’hui être aussi contestée et clivante ? Il semble que le manque de communication de l’Union Européenne sur son rôle justifie en partie le Brexit, les citoyens n’ayant pas été suffisamment informés sur l’Union Européenne et n’ayant pas véritablement saisis ses enjeux. Dominique Wolton dans son texte « Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe » constate que la part de l’information européenne dans les médias est dérisoire, que les citoyens européens méconnaissent l’histoire de l’Union Européenne ou encore qu’il y a une méfiance envers la diversité culturelle. Il propose ainsi d’accroître le volume et la diversité de l’information sur l’Europe, d’enseigner la vie politique européenne dans toutes les écoles, de populariser l’histoire de l’Europe, ou encore de faire de la question des réfugiés un symbole de la solidarité de l’Union Européenne. Des propositions pouvant mener à un nouveau plan de communication efficace de l’Union Européenne afin d’éviter des situations telles que le Brexit.

Une communication numérique réussie
À l’inverse des pro-Bremain, les pro-Brexit ont réussi leur campagne de communication en misant sur le digital et en donnant le ton au débat sur les réseaux sociaux. Les nombreux partisans actifs du Brexit leur ont permis de dominer Facebook, Twitter et Instagram, influençant des foules d’électeurs indécis. Selon l’étude « impact of social media on the outcome of the EU referendum », les partisans du Brexit sur Instagram étaient cinq fois plus actifs que les partisans du Remain. De plus, les 3 hashtags les plus utilisés provenaient du camp du Brexit : #Brexit, #Beleave et #VoteLeave. Le message du camp du Brexit était ainsi beaucoup plus intuitif, direct et émotionnel, ce qui a facilité la propagation virale des idées pro-Brexit. En effet, les messages émotionnels se propagent plus rapidement que les messages axés sur des arguments rationnels ou économiques. Ainsi, l’erreur communicationnelle des pro-UE a été de ne pas dominer les médias sociaux. Internet a changé la nature des campagnes politiques et continuera à jouer un rôle clé dans les futures élections politiques.
De nombreux électeurs du Brexit semblent maintenant souffrir de ce qu’on appelle « Bregret ». En effet, ils ont voté pour quitter l’Union Européenne, et maintenant, ils auraient aimé ne pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas vraiment compris les implications des choix offerts. Ce qui est si inquiétant, c’est qu’avec une meilleure communication des différents camps et un traitement médiatique plus neutre, les électeurs auraient au moins pu prendre une décision éclairée, quelque soit le camp qu’ils avaient choisi.
Sandrine Roul
Sources :

Abott James, Brexit : les prises de position engagées des médias britanniques, RTL, 23/06/2016, consulté le 01/11/2017.
Lessons From Brexit: How Not To Communicate Your Cause, Entrepreneur Middle East, 10/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Polonski Vyacheslav, Impact of social media on the outcome of the EU referendum, EU Referendum Analysis 2016, consulté le 01/11/2017.
Malherbe Michael, Réflexions post-Brexit sur la communication de l’Union européenne, La Com Européenne, 13/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Simon Hinde, Brexit and the media, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 80-86.
Dominique Wolton, Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 243-247.

Crédits photos :

Photo à la une : L’Express
Photo 1 : Reuteurs Institute fort the Study Journalism
Photo 2 : scoopnest
Photo 3 : Vyacheslav Polonski

Politique

Fake news et autres perlimpinpineries

Les fake news (ou littéralement fausses nouvelles) : qui n’en a pas entendu parler ? Elles ont déterminé et requalifié le vote de nombreux électeurs, que ce soit durant les présidentielles américaines ou durant la campagne du Brexit.
Mais la véritable question n’est pas tant de savoir si nous sommes tous individuellement égaux face à ces fake news que de comprendre pourquoi celles propagées lors de la campagne présidentielle française n’ont pas su trouver prise. Pourquoi n’avons-nous pas mordu à l’hameçon comme des millions d’électeurs avant nous ailleurs dans le monde ? Est-ce une question de culture, ou bien d’autres paramètres d’ordre technique sont-ils à prendre en compte ? D’où vient cet écart entre la perception de l’information américaine ou britannique et la perception française, si tant est que nous puissions définir l’information selon une pseudo-identité culturelle ?
 
Internet, cette nouvelle tyrannie ?
Ces fausses nouvelles sont notamment le résultat connexe de plusieurs causes. Spirale du silence, tyrannie des agissants, audiences invisibles et filter bubbles (« bulles de filtre ») en sont les principales composantes qui, lorsqu’elles sont mises bout à bout, font d’Internet un espace de liberté, certes, mais où toutes les opinions ne sont pas également percevables.
Si la théorie sociologique et de science politique de la spirale du silence* est assez connue et a façonné dans les années 1970 l’idée que nous nous faisons de ce que l’on nomme les « mass-médias », il peut sembler intéressant ici de s’intéresser à la notion de « tyrannie des agissants ». Dominique Cardon, qui a développé le concept, décrit le phénomène en ces termes : « On est tous égaux a priori, mais la différence se creuse ensuite [ …] entre ceux qui agissent et ceux qui n’agissent pas. Internet donne une prime incroyable à ceux qui font.
Et du coup, il peut y avoir une tyrannie des agissants. » Pendant l’élection de Trump, on a pu se rendre compte des effets néfastes du phénomène de la tyrannie des agissants dans la mesure où ceux qui se sont le plus exprimés sur les réseaux sociaux sont ceux proférant des propos racistes ou misogynes. Cette tendance ne fait que renforcer la force des fausses nouvelles et de la désinformation car ces individus « agissants » gagnent en visibilité tandis que les tentatives de ré-information des médias traditionnels sombrent dans une partie silencieuse des électeurs qui, sans être agissants, ne relaient ces informations qu’avec leur propre audience.
 
Prise de conscience réelle ou indifférence manifeste ?
Lors de la campagne en faveur du référendum pour quitter l’Europe, les « Brexiteers » (ceux qui souhaitaient voir le Royaume-Uni sortir de l’UE) ont eu recours à un certain nombre de ces fausses nouvelles sur lesquelles ils sont ensuite rapidement revenus**.

Pour ce qui est des présidentielles américaines – bien que les experts de la CIA, du FBI et de la NSA ne se prononcent pas encore sur les potentiels effets de cette campagne de désinformation sur l’élection de D. Trump – il est certain que la divulgation d’informations compromettantes pour la candidate démocrate via le site Wikileaks à quelques jours de l’élection présidentielle n’a pu jouer qu’en sa défaveur. Mais en France, cela n’a pas entraîné de tournant majeur dans la campagne présidentielle. Car le candidat de En Marche !, bien qu’il ait lui aussi dû faire face à une massive et soudaine campagne de désinformation, et ce à quelques jours de l’une des élections les plus importantes de notre Vème République, est aujourd’hui président. En effet, l’évocation de l’existence d’un compte offshore (relayée sur Twitter et lors du débat par des membres de l’alt-right US, Jack Posobiec et William Craddick), ainsi que le hacking par des partisans du régime russe et la fuite (encore via Wikileaks) de documents de campagne, parfois en provenance de Macron lui-même, aurait pu nuire à son élection – mais il n’en fut rien. Aussi, en dépit du MacronGate et de la naissance du hashtag #MacronLeaks sur Twitter, l’impact a été considérablement moindre.

La période de réserve pré-élection*** a empêché les journaux français de s’emparer de l’affaire et réduit l’effet de tyrannie des agissants. Cette période de réserve ne s’étend cependant pas au reste du monde (notamment à la presse belge et suisse) qui ont pu, en s’exprimant, jouer de l’impuissance des candidats à se défendre. Mais cette période, qui aurait pu défavoriser des candidats incapables de se défendre, n’a finalement rien changé. En outre, des dispositifs avaient été élaborés par les membres de campagne de Macron pour parer à ce genre d’éventualité de hacking, membres tout aussi avertis que n’importe lequel des citoyens face au risque de surgissement des fake news dans la mesure où les dernières élections avaient été polluées par ce genre de scandale (The New York Times, pour n’en citer qu’un), et c’est probablement ce qui joué en notre faveur à tous… Mais pouvons-nous vraiment blâmer les Américains et leur reprocher d’être tombés dans le piège des fake news ? Non ; pas plus que nous pouvons nous croire plus malins pour avoir su le contourner. Ainsi, nous pouvons donc légitimement penser que c’est uniquement cette prise de recul, mêlée à d’autres paramètres encore indistincts (comme peut-être des critères plus sociologiques et peut-être culturels ), qui a permis une certaine lucidité sur le phénomène, lucidité que les Américains, face à la brutalité de ce surgissement nouveau des fake news, n’avaient pas encore pu acquérir.

L’égalité face aux fake news : le vrai cœur du problème ?
Comme le souligne The New York Times, le contraste est particulièrement frappant avec les Etats-Unis : l’annonce du hacking des documents de campagne de Macron n’a été accueillie que par « silence, dédain et mépris ». S’il est sûrement trop tôt pour pouvoir savoir si nous sommes tous soumis au même régime face au phénomène de la désinformation, cela a le mérite de soulever un autre problème. A ce sujet, une citation de Hannah Arendt fait particulièrement sens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plait ». Alors il peut paraître bon de rappeler, comme un avertissement, que l’indifférence dont nous avons fait preuve est peut-être bien plus dangereuse que ces fake news en elles-mêmes.
 
Lina Demathieux
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/lina-demathieux-775745135/
 
*développée par la sociologue allemande Elizabeth Noelle-Neumann
**contrairement à ce qu’on a répété pendant toute la campagne par exemple, Londres ne versait non pas 350 millions de livres par semaine à Bruxelles, mais 136 millions.
***: selon la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale), pendant deux jours, « toute activité à caractère électoral doit cesser » . En effet, la CSA explique que durant cette période, «il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale». « La campagne s’arrête pour que les citoyens aient un temps de réflexion et ne reprend qu’au moment où les votes sont clos.»
 
Sources :
MOULLOT Pauline, « Fausses informations, vraies conséquences », Libération http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/fausses-informations-vraies-consequences_1549282 Paru 17/02/17, consulté le 12/05/17
DONADIO Rachel, « Why the Macron Hacking Attack Landed With a Thud in France », The New York Times https://www.nytimes.com/2017/05/08/world/europe/macron-hacking-attack-france.html?_r=0 Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
SHLINDER R. Robert, « Putin Declares War on the West », Observer http://observer.com/ 2017/05/vladimir- putin-kremlin-wikileaks-france-germany-election-interference/ Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
KOTELAT Didier, « Les « Macron Leaks », itinéraire d’une opération de déstabilisation politique », RTS INFOS https://www.rts.ch/info/monde/8599552-les-macron-leaks-itineraire-d-une-operation-de-destabilisation-politique.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
MATHIOT Cédric, « Fake news, retournez d’où vous venez ! », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/10/fake-news-retournez-d-ou-vous-venez_1568574 Paru le 10/05/17, consulté le 13/05/17
NOSSITER Adam, SANGER E. Davaid and PERLROTH Nicole, “Hackers Came, but the French Were Prepared”, The New-York Times https://www.nytimes.com/2017/05/09/world/europe/hackers-came-but-the-french-were-prepared.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
ALBERT Eric, « Les approximations des partisans du « Brexit » sur la contribution du Royaume-Uni à l’UE », Le Monde http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/04/les-approximations-des-partisans-du-brexit-sur-la-contribution-du-royaume-uni-a-l-ue_4935129_4872498.html Paru le 04/06/16, consulté le 13/05/17
DEBORDE Juliette, « Ce qu’on peut dire (ou pas) sur les réseaux sociaux ce week-end », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/05/ce-qu-on-peut-dire-ou-pas-sur-les-reseaux-sociaux-ce-week-end_1567279 Paru le 05/05/17, consulté le 16/05/17
Comment la presse veut survivre face aux « fake news », Challenges https:// challenges.fr/media/presse/comment-la-presse-veut-survivre-face-aux-fake-news_460190 Paru le 13/03/17, consulté le 13/05/17
Z, « A Lire Absolument. Comprendre le phénomène des « fakes news » – Spirale du silence, tyrannie des agissants et Pensée tribale : « La langue des dictateurs » (comment les élites bernent le peuple) » , Le blog de la résistance https://resistanceauthentique.net/2017/02/17/comprendre-le-phenomene-des-fakes-news/ Paru le 17/02/17, consulté le 13/05/17
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirale_du_silence Consulté le 15/05/17
BELAICH Charlotte, « «Période de réserve» : de quoi peut-on parler ce week-end ? », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/21/periode-de-reserve-de-quoi-peut-on-parler-ce-week-end_1564254 paru le 21/04/17, consulté le 18/05/17
 
Crédits photos :
Photo de couverture : http://www.snopes.com/2017/04/24/fake-news-french-elections/
Car de déplacement des pro-Brexit lors de la campagne : https://static.independent.co.uk/s3fs-public/styles/article_small/public/thumbnails/image/2017/02/08/09/ gettyimages-576855020-0.jpg
Tweet de Jack Posobiec: http://md1.libe.com/photo/1019546-posobiec.png? modified_at=1494051841&width=750
Infographie : https://visionarymarketing.fr/blog/wp-content/uploads/2017/04/new-piktochart_22000118_3ad8a8beb17567d28f1b9f95e2a2d6f88b3e09b1.png

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