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Amnesty International, 50 ans de campagnes choc

Depuis plus de 50 ans, l’ONG Amnesty International dénonce les attaques à l’encontre des droits de l’homme dans le monde, et cherche à avertir le public  par le biais de campagnes de communication violentes et dérangeantes sur des sujets aussi variés que graves. Dans un contexte d’hypermédiatisation et d’hyper-information, le message en lui-même ne suffit plus malgré un message porteur de sens et doit s’accompagner d’une stratégie de communication parfois plus évènementielle. Comme chaque année, le 10 décembre, journée mondiale des droits de l’homme, l’ONG lance des campagnes pour inviter les citoyens du monde à réagir face aux libertés bafouées.
Un contexte et une démarche particulière
Afin de faire connaitre leurs actions, sensibiliser le public aux causes qu’elles défendent mais aussi récolter des fonds, les ONG doivent s’assurer une vaste couverture médiatique, on remarque cependant depuis plusieurs années différents facteurs qui viennent impacter leur communication : elles font face à une multiplicité des associations défendant des causes locales aussi diversifiées que complexes. Par ailleurs, les médias avec lesquels elles travaillent sont de plus en plus internationalisés et contribuent à une augmentation de la vitesse de diffusion et de réaction de l’audience de plus en plus fragmentée. Alors que quelques années auparavant, un spot de 20 à 30 secondes au moment des pics d’audience suffisait pour convaincre, aujourd’hui il leur faut se démarquer à travers des choix stratégiques et théoriques.
Amnesty International a décidé d’utiliser une stratégie de communication spécifique pour chaque pays : chacun des 80 bureaux relaie les informations transmises par le siège de l’organisation. Une politique globale est mise en place et diffusée au travers de moyens de communications modernes et novateurs.
Les choix stratégiques et créatifs
L’ONG s’illustre par son utilisation du « street marketing » une stratégie marketing qui utilise la rue et le paysage urbain pour surprendre les gens et ainsi bénéficier d’une meilleure diffusion dans l’opinion. L’exemple le plus emblématique fût la campagne « It happens when nobody is watching » en 2009, qui sensibilisait aux violences conjugales : un panneau d’affichage d’abribus équipé d’une caméra eye tracking* diffusait le visuel d’un homme battant sa femme. Dès lors qu’un regard se posait sur celui-ci la scène de violence s’arrêtait et laissait apparaître l’image d’un couple d’apparence paisible et serein. L’association donne ainsi un aspect événementiel à sa campagne en créant le buzz et en générant de nombreuses retombées presse. C’est cette étrangeté choquante et puissante qui créé l’impact auprès des médias qui vont alors démultiplier son importance en en parlant.

Malgré des campagnes similaires au fil des années, le shockvertising (stratégie de communication qui par le biais du choc vise à accroitre l’attention du destinataire et la mémorisation du message dans le but de provoquer une réaction) initialement destiné aux politiques et aux publics, est de plus en plus tourné vers les médias et la volonté non masquée de faire parler.
Les nouvelles technologies permettent de faire le buzz, et Amnesty International ne cesse de les utiliser pour réinventer sa communication et toujours être à l’avant-garde. Tous les supports sont bons à utiliser pour sensibiliser. Ainsi, en 2011 lors de son 50ème anniversaire, l’association lance une application nommée « Bulletproof » pour sensibiliser les utilisateurs d’iPhone à la défense des droits de l’homme, le but est d’arrêter les balles lancées par un peloton d’exécutions sur l’accusé – le joueur.  Conçue par l’agence La Chose, le but de la vente de cette application est de rappeler la cause principale de l’association : la lutte contre la peine de mort.
L’audace marketing de l’association semble porter ses fruits puisqu’à plusieurs reprises les publicités de l’ONG ont été récompensées par des prix, c’est le cas en 2011 avec la campagne « La peine de mort est destinée à disparaitre » récompensée du grand prix de la campagne citoyenne (ayant pour but de promouvoir les campagnes de communication dont la vocation est d’améliorer un comportement individuel ou collectif), et primée lors du grand prix de la publicité presse magazine. C’est de fait une des preuves de l’efficacité du shockvertising quand il mêle impact et justesse des propos.
Les lendemains
Amnesty International continue sur cette lancée, et se fait notamment remarquer en 2014, lorsque le siège belge dévoile sa campagne pour dénoncer la torture. Déclinée sous forme de triptyque  représentant Iggy Pop, Karl Lagerfeld et le Dalai Lama le visage tuméfié à la suite de torture proférant des propos chocs tels que « l’avenir du rock’n roll c’est Justin Bieber », « Un homme qui n’a pas de Rolex à 50 ans a raté sa vie » avait pour message principal de dire « torturez un homme, il vous racontera n’importe quoi ». Valérie Michaux, la directrice du bureau de la communication Belge s’est félicitée de ce buzz « La campagne a eu un succès fulgurant dans les médias et sur les réseaux sociaux. On a pu atteindre 2 millions de personnes et les médias du monde entier nous ont relayés. »**

Le public est sans cesse sollicité et pris à parti, c’est le cas dans une campagne contre les mariages forcés pour laquelle Amnesty International a utilisé et détourné les sites de rencontre tels que Tinder, l’association a créé son propre compte le 8 mars (la journée mondiale de la femme) et a posté des photos avec l’idée que certaines personnes n’ont pas toujours le choix, la liberté de choisir ou non son partenaire n’étant malheureusement pas un choix pour bon nombre de femmes dans certains pays. Cette sollicitation se retrouve plus récemment dans la campagne de décembre 2015 nommée « 10 jours pour signer » et qui vise à mobiliser l’opinion publique sur 10 situations emblématiques de violation des droits humains. Dans une vidéo traitant de la torture le public se retrouve à la place du spectateur qui détient entre ses mains le pouvoir de faire changer les choses et de stopper la séance de torture qui se passe face à lui.   

Cette stratégie de communication choc semble avoir porté ses fruits puisqu’elle permet de faire parler de l’ONG et ainsi de diffuser au plus grand nombre ses messages  et ses combats. Elle permet de diffuser un message cohérent face à des médias de plus en plus diversifiés. Ce choix du shockvertising n’est pas seulement utilisé par les ONG mais aussi par des grands groupes tels que Benetton dont les publicités sont souvent l’occasion de dénoncer des problèmes de société, telles que l’anorexie et les violences faites aux femmes. En cherchant à se démarquer et à créer du buzz Amnesty International semble avoir frôlé certaines limites. En effet la campagne contre la torture utilisant des photographies de personnages publics a provoqué une vague de contestations de la part de leurs agents, dans la mesure où les personnes représentées n’avaient pas été informées de l’utilisation de leur portrait dans une campagne de communication. Malgré les excuses d’Amnesty International, on peut se demander si son statut d’association agissant pour la bonne cause lui permet de repousser les limites tolérées dans le monde de la communication et par l’opinion publique.
Notes :
*: Technique utilisée pour repérer où se pose l’œil du consommateur lorsqu’il regarde un message publicitaire. Ainsi le message principal pourra être placé là où il convient. (définition de Linternaute)
**: Réaction suite à l’utilisation des images de célébrités et réponse de Valérie Michaux:
Le soir, Même sous la torture Iggy Pop veille à son image, 26/06/2014
Arianna Delehaye
 
Sources : 
Le Monde marketing, La nouvelle campagne de sensibilisation d’Amnesty International, 8/12/2015 
Ionisbrandculture.com, Étude de cas Amnesty International 
Crédits photos: 
Puretrend.com
itele.Fr
PMDstatic.com
Vimeo

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Le marketing immersif: plongez dans vos séries préférées !

La série TV est un phénomène qui a explosé au XXIème siècle, le support ne cesse d’évoluer et chaque année plusieurs centaines de nouvelles séries font leur apparition dans le champ médiatique. Pour le lancement de séries TV inédites ou de nouvelles saisons, les sociétés de production (HBO, Netflix, AMC, Showtime,… pour ne citer qu’elles rivalisent d’ingéniosité en offrant des campagnes de communication toujours plus insolites. L’engouement sans cesse démultiplié et renouvelé pour les séries TV, leurs succès – le cosplay, les COMI-CON (conventions de pop culture) et autres festivals en témoignent — suscitent d’intenses attentes au sein du public. Et les campagnes de communication jouent fortement sur les attentes des fans en proposant de rendre réel l’univers fictif de leur série préférée, ceci grâce à la publicité. Chaque série à succès a un univers très marqué, les équipes de production travaillent à ce que tous les détails fassent sens et renvoient à une entité fictive, un univers créé de toutes pièces, que les spectateurs peuvent s’approprier. La série ne se limite donc pas seulement à son contenu scénarisé, elle renvoie également à un ensemble de signes distinctifs qui l’identifient clairement. Grâce à son univers, elle devient une marque. La figure de Walter White (bouc, chapeau, lunettes), érigée en égérie de la très appréciée Breaking Bad, est révélatrice d’une sémiotique nouvelle de la série, où la construction des personnages et de l’espace fictif conduit à produire une identité forte. Les vêtements colorés, décalés et dépareillés des nerds de The Big Bang Theory  (notamment les boucles de ceinture d’Howard Wolowitz !) créent un visuel caractéristique de la série et facilement identifiable.

Street et Beach marketing: le marketing immersif sort la tête de l’eau
Cette logique de marque a poussé les productions à mystifier l’identité de leurs séries en lançant de grandes opérations de street marketing, où la fiction devient réelle le temps d’un happening ou d’une campagne de pub. L’univers de la série est parachuté dans l’espace public, impliquant une immersion jouissive et inattendue du fan.
Ainsi, en se baladant sur les plages anglaises du Dorset, les promeneurs pouvaient, à l’occasion de la sortie de la troisième saison de Game of Thrones, se retrouver nez à nez avec un crâne de dragon de trois mètres de haut.  

D’autres campagnes sont d’autant plus surprenantes qu’elles intègrent le spectateur à leur mise en scène, elles exposent un contenu, mais font aussi participer l’audience. Netflix, pour le lancement de la série Sense8 où tous les personnages sont psychiquement connectés, a par exemple collecté les données cérébrales de huit volontaires et les a converties en ondes musicales, créant une toute nouvelle symphonie.
Ces multiples campagnes reproduisent en temps réel les attentes qu’un fan peut avoir derrière son écran, deux exemples sont ici significatifs :
– Envie d’une frayeur sans danger ? En partenariat avec l’agence Relevent, AMC avait, pour le retour de la saison 4 de The Walking Dead, imaginé un stunt (un outil publicitaire créatif qui interpelle le consommateur quand il ne s’y attend pas) horrifique où les New Yorkais se faisaient surprendre de bon matin par des bras de zombies jaillissant d’une bouche de métro. Cette campagne accompagne l’effervescence autour de la Zombie Mania, sur laquelle surfe  The Walking Dead. Le phénomène urbain, véritable happening artistique, des Zombie Walks où des individus se retrouvent, maquillés et déguisés en zombies, pour marcher dans la rue, illustre le déplacement fantasmé de la fiction jusqu’à l’espace public et réel, et il est ici utilisé de façon inattendue par des annonceurs.

– Qui n’a jamais rêvé de se retrouver dans le passé ? Véritable machine à remonter le temps, HBO avait imaginé en 2010 pour la promotion de la saison 1 de Boardwalk Empire  (produite par Mark Wahlberg et dirigée par Martin Scorcese) une campagne aux allures rétro, en s’associant à une marque de whisky, et un hôtel-casino décoré pour l’occasion. La série se déroule pendant la Prohibition, à Atlantic City aux Etats-Unis : gangsters, dollars, et alcool sont donc au rendez-vous. Pour la saison 2, c’est avec la ville de New York qu’HBO s’était associée en remplaçant les actuels wagons de métro par des vieux modèles tout droit sortis des années 1920, à l’intérieur confortable et désuet.

Ces campagnes imaginatives invitent à plonger dans l’atmosphère d’une série. Loin de votre lit ou de votre canapé, l’univers de la série envahit votre rue et se confond avec la réalité. Déplacé du point de vente, le marketing immersif propose une expérience de vie qui mêle la fiction au quotidien du spectateur. L’espace public est alors gagné par la fiction, et renouvelle l’intérêt des fans. Le désir romantique de se voir totalement absorbé dans une fiction, voire confondu avec, est ici pleinement réalisé, jouant avec le plaisir de l’immersion.
Les limites du marketing immersif: la noyade d’Amazon
Cependant, cette immersion fantasmée semble avoir des limites éthiques. L’échec de la récente campagne de communication menée par Amazon pour sa série The Man in the High Castle, révèle que le désir d’immersion n’est pas toujours approprié…

Cette nouvelle série, adaptation du roman choral de Philip K. Dick Le Maître du haut château, est une Uchronie où les forces de l’Axe (Allemagne nazie, Japon) ont gagné la deuxième guerre mondiale et se sont partagés les Etats-Unis. Elle malmène l’Histoire en mettant en scène le quotidien de cette autre Amérique, totalitaire, où les systèmes de pensée et de valeurs occidentaux ont été totalement renversés.
La série invite à questionner, à travers la logique du “et si…?”, les définitions de liberté, d’Etat et d’obéissance dans un monde de terreur où tout est à repenser. Pour le scénariste Frank Spotnitz, l’enjeu de la série se résume à « Comment rester humain face à l’inhumain ? ».
Dans une démarche promotionnelle, et avec l’accord de la Metropolitan Transportation Authority (responsable du réseau new yorkais), Amazon a donc recouvert du drapeau impérial japonais et d’un drapeau américain fictif, où figurent l’aigle nazi et la croix de fer, les sièges d’une ligne de métro. Cette campagne s’inscrit dans la continuité de la publicité immersive en invitant les usagers à se projeter dans cet univers parallèle. Seulement, en essayant de maximiser l’effet de surprise, et en décontextualisant cette mise en scène, cette campagne s’est retournée contre son créateur. Amazon s’est vu interpellé à de nombreuses reprises sur les réseaux sociaux. Les usagers se sont indignés face à cette esthétique nazie qui leur était imposée, sans qu’il leur soit demandé leur avis. Certaines associations juives ont également appelé au boycott de la campagne, notamment la célèbre « Anti-Defamation League », association juive luttant contre l’antisémitisme mais contestée pour son lobbying pro-sioniste (elle a, par exemple, été condamnée dans les années 1990 pour espionnage, et a été reconnue coupable d’avoir collecté des informations sur les opposants au mouvement sioniste ?). Amazon a finalement demandé à la MTA de retirer sa campagne seulement quelques jours après l’avoir lancée. Pourtant, si le lynchage médiatique et effectif de cette campagne de communication paraît unanime et évident (le maire de New York Bill de Blasio lui-même a accordé son soutien aux opposants de la campagne), il révèle aussi l’ambiguïté du marketing immersif, qui peut faire du tort à l’image de marque. Certains brandissent l’argument selon lequel Amazon a, grâce au scandale, fait parler de sa série, à juste titre. Cependant, plusieurs internautes ont également exprimé leur dégoût à l’égard de la production, la considérant comme immorale, déplorant une utilisation commerciale du célèbre roman de Philip K. Dick et appelant au boycott de la série.  

 

La série, qui a par ailleurs reçue de bonnes critiques, se voit donc prise à son propre piège, celui d’une fiction dans laquelle l’immersion ne saurait se faire qu’à travers un écran. La population refuse de revivre une sombre période de l’Histoire du XXème siècle, qui, bien que savamment détournée, ne paraît pas  encore assez lointaine. On sait, par exemple, que New York, même si elle n’a jamais vécu d’occupation nazie, accueille une forte diaspora juive (Israël y recense deux millions de juifs). Elle questionne, au fond, le désir d’oubli des traumatismes de l’Histoire ; celui là en particulier. La série, et surtout sa campagne de communication, se retrouve prise dans une logique entre nécessité de mémoire et désir d’oubli. Ainsi la fiction doit rester fiction, et elle ne saurait pénétrer l’espace réel : devenir trop réelle. L’immersion marketing obéit donc aux lois, parfois sévères, du politiquement correct, et bien que voulant éthiquement questionner la place que nous aurions pu occuper dans cette alternative historique (qui ne s’est jamais demandé s’il aurait été résistant ?), cette campagne produit des effets trop forts.
L’immersion interroge également le pouvoir du symbole, car si la campagne est dérangeante, c’est bien plus en raison de l’aigle impérial et de la croix de fer, icônes nazies, que du drapeau japonais. Un pouvoir du symbole qui suppose une responsabilité éthique dans l’espace public. L’immersion est mise en échec par une réalité qui, même absolument détournée par la fiction, doit rester le choix de chacun de voir ou de ne pas voir.
Dans une Amérique qui imagine des campagnes de plus en plus insolites, poussant à une immersion absolue de l’audience, et où le premier amendement de la constitution autorise quiconque à porter la croix gammée, il est tout de même des sujets avec lequel on ne peut pas jouer. Si la campagne se voulait dérangeante et décalée, elle n’en échappe pas moins à ses créateurs en étant donnée à un public qui veut choisir d’y être ou de ne pas y être, de l’investir ou non. Le marketing immersif révèle ainsi, par ses audaces et ses limites, que la publicité est de plus en plus faite par et pour le consommateur, dont on ne saurait négliger le pouvoir de décision.
Emma Brierre
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Sources:
Deadline, Amazon has no regrets as « the Man on the High Castle » Ad campaign pulled from NYC subway, 24 novembre 2015
Ina global, l’expérience immersive du deep media, 12 août 2015
Télérama, La série « The Man in the High Castle » sonde les valeurs occidentales, 1 décembre 2015
Journal du geek, Amazon retire les pubs de « The Man in the High Castle » du métro de New York, 26 novembre 2015
Gothamist, Should the MTA allow these Nazi insignias on subway cars ?, 23 novembre 2015
Crédits photos: 
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