Société

Sarkozy : la présence d’une absence ou la construction d’un fantasme médiatique

 
Hegel remarque que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire adviennent toujours deux fois. La plupart des médias français semblent apprécier cette réflexion philosophique en célébrant eux-mêmes les « Cent jours » de notre ancien président de la République. En effet, force est de constater que depuis la rentrée, et d’avantage encore en cette période de crise que traverse l’UMP, l’orchestre médiatique gaulois s’applique sereinement à ressusciter celui qu’on pensait mort.
 
Dis, quand reviendras-tu ?
A l’heure où l’on s’apprête à célébrer les quinze ans de la mort de la chanteuse Barbara, la partition philarmonique des médias semble très bien correspondre aux paroles de la chanson Dis, Quand reviendras tu ? En effet, les journalistes ne se contentent pas de lire de la philosophie, mais s’inspireraient également les classiques de la musique française pour élaborer leur pensée. L’hymne nostalgique des médias en hommage à l’ancien Président n’est pas sans rappeler les paroles élégiaques de Barbara :
Au printemps tu verras je serai de retour (…)
Ton image me hante (…)
J’ai beau t’aimer encore, j’ai beau t’aimer toujours, j’ai beau n’aimer que toi, j’ai beau t’aimer d’amour, si tu ne comprends pas qu’il te faut revenir; je ferais de nous deux mes plus beaux souvenirs (…)
J’irais me réchauffer à un autre soleil (….)

 
Un second mandat dans les médias
Le 22 octobre dernier, on pouvait lire dans Libération la chronique de D.Schneidermann évoquant avec beaucoup d’humour et de réalisme la nostalgie des « sarkolâtres » et des « sarkophobes », tous en mal de buzz médiatiques souvent alimentés auparavant par Nicolas Sarkozy. Durant la semaine du 19 au 25 novembre, l’ancien chef de l’Etat aura fait la couverture de trois quotidiens nationaux (Libération, Le Monde, Le Parisien). Mais c’est l’hebdomadaire Le Point  qui sacralise cette tendance nostalgique pour Nicolas Sarkozy avec une couverture aussi percutante que révélatrice sur laquelle on peut lire le titre « Et le vainqueur est …Sarkozy» accompagné d’une photo de Sarkozy (100000 exemplaires vendus). Le Point avait déjà sorti un numéro titré « Coucou me revoilà… » (27 septembre), précédé par M Le Magazine du Monde avec un article sur Les Sarkozy « la vie d’après », et Le Figaro Magazine qui se demandait si il allait revenir (5 octobre).
Dans l’hebdomadaire ELLE du 26 octobre, où les journalistes M.Fitoussi et V.Toranian interview Carla Bruni Sarkozy, on ne sait pas qui est le véritable sujet de l’article : Carla bruni, ex-Première Dame et chanteuse, Carla Bruni, femme de Nicolas Sarkozy, ou Nicolas Sarkozy lui-même. En effet, le sous-titre « Son homme, l’Elysée, la campagne, la défaite, la maternité, son avenir… » traduit un intérêt particulier pour l’ancien Président. La maladresse des journalistes a été de définir Carla B-S à travers d’abord son mari et sa carrière. L’article n’est pas inintéressant lorsqu’arrive la question désormais incontournable sur le potentiel retour de son mari ; Carla B-S. répond : « C’est un retournement qui n’a rien avoir avec la réalité. C’est plutôt un emballement médiatique. ».
 
Fuis moi je te suis, suis moi je te fuis
Depuis la fin de son mandat, l’ancien chef de l’Etat semble avoir opté pour la discrétion médiatique,  une stratégie qu’il faut reconnaître efficace. On est passé de l’exclamation permanente et de l’agacement  aux chuchotements curieux de savoir ce qu’est devenu, ce que pense, ce que fait Nicolas Sarkozy. Les médias s’emparent de ce silence qu’ils rendent assourdissant (notamment le choix de l’ancien président de ne pas se prononcer sur son soutien à un candidat pour la présidence de l’UMP.).
Cette nostalgie consensuelle soulève malgré tout plusieurs paradoxes. En effet, les sondages révèlent que cette nostalgie ne serait pas partagée par l’opinion : un sondage CSA pour RTL montre que 55% des Français ne souhaitent pas le retour de Nicolas Sarkozy. Mais cette information n’a pas été correctement relayée dans les médias, ceux-là même qui font du retour possible de Sarkozy en politique un véritable acquis, selon un imaginaire collectif de la reconquête du pouvoir comme une norme historique établie (Pensons à Napoléon, De Gaulle…).  Autre paradoxe critique de ce fantasme médiatique : la mise à jour du jeu vicieux auquel se prêtent à merveille Nicolas Sarkozy et les médias, le fameux « fuis moi je te suis, suis moi je te fuis », splendide stratégie du chat et de la souris.
 
Instrumentalisation du chœur 
Au-delà de « l’emballement médiatique », cette stratégie ambivalente serait un excellent moyen pour l’ancien chef de l’Etat d’acquérir une nouvelle légitimité, c’est-à-dire une reconnaissance et une visibilité que lui confèreraient, malgré eux, les journalistes. En effet, les médias semblent être un excellent instrument de légitimation (ou de décrédibilisation) pour réhabiliter une figure politique, avant de préparer son éventuel retour. Mais ce « coup d’Etat » n’est pour le moment que médiatique et anecdotique. Il faut savoir s’en méfier. Bien que les contours de l’ombre qu’il porte encore sur la politique soient accentués dans le paysage médiatique,  Nicolas Sarkozy ne s’est plus exprimé publiquement sur sa carrière depuis une dernière interview en mai dernier. Or, les absents ne sont qu’un nom : il y a des moments où l’on doute de leur vie.
 
Margaux Le Joubioux
Sources
Le Point « Et le vainqueur est…Sarkozy » (22 novembre)
ELLE « Carla Bruni-Sarkozy : la nouvelle vie » (26 octobre)
Rebond de D.Schneidermann « Et si on créait un Sarkoparc ? » 22 octobre
Barbara, Dis quand reviendras tu ?
– Tombeau, Poésies de Mallarmé