The lion that broke the internet
Rappel des faits : le 1er juillet 2015, au Zimbabwe, Walter Palmer, un dentiste et chasseur américain abat Cecil, un lion à la crinière noire, star du parc national Hwange et sujet d’étude des chercheurs de l’université d’Oxford. Ce braconnage a duré plus de 40 heures. Walter Palmer a tout d’abord attiré l’animal à l’extérieur, du parc et l’a blessé avec une arbalète avant de le traquer et de l’abattre au fusil. Très vite, cet abattage a attiré l’attention des médias internationaux et a suscité l’indignation des défenseurs de l’environnement et de l’opinion publique. Résultat, l’affaire est remonté dans les sphères politiciennes et jusqu’aux tribunaux.
C’est précisément cette « attention », cette réaction des médias, qui a érigé ce fait divers en véritable phénomène médiatique, aujourd’hui connu et reconnu sous le verbatim « Cecil le Lion ».
Naissance du phénomène
Les mécanismes traditionnels de l’information se mettent en route
La première couverture médiatique de l’affaire Cecil le lion, concerne l’affaire elle-même. Dans les médias traditionnels, les articles expliquent comment le lion a pu être tué, quelle était sa particularité, et la somme que le dentiste a dépensé pour cette chasse. C’est après cette première couverture factuelle, que l’affaire Cecil le Lion va pouvoir commencer à circuler. Rapidement l’expression “Cecil the Lion” est reprise. La légitimité des médias traditionnels suffit à figer cette formule. Elle va ensuite jouer un rôle très important dans l’amplification du phénomène, puisqu’elle va permettre d’indexer et de retrouver toutes les réactions et tous les commentaires. La formule devient donc une porte d’entrée pour l’ensemble des réactions internationales.
Internet permet à tout un chacun de s’approprier le phénomène
Dans le cas de Cecil le Lion, les internautes sont les acteurs principaux de la viralité du phénomène. Ils se sont appropriés toutes les plateformes d’expression du web pour contribuer à l’écriture du phénomène Cecil le Lion.
Campagnes
Beaucoup de campagnes ont été lancées, avec des objectifs très variés à chaque fois. L’université d’Oxford, qui avait placé un collier GPS autour du cou du lion en 2008, afin de recueillir des données sur le mode de vie des lions et leur longévité, a lancé un appel aux dons pour “révolutionner” la protection des félins. Plusieurs associations de défense de la faune et de la flore ont crées leurs propres pétitions comme l’African Wildlife Foundation ou PETA. Et face à l’absence de campagnes réclamant la justice, des internautes se sont lancés. Cecil, célèbre lion à la crinière noire du Zimbabwe, tué pour 50 000 euros : demande à Barack Obama de faire condamner le dentiste. Même chose pour Extradite Minnesotan Walter Palmer to face justice in Zimbabwe, postée sur la plateforme de pétitions de la Maison Blanche. Cecil est également devenu l’illustration d’autres pétitions comme Justice for Cecil, help fight trophy hunting! ou Demand Justice for Cecil the Lion in Zimbabwe, qui militent pour l’interdiction des permis de chasse.
Réseaux sociaux
Entre les différentes pétitions et appels aux dons lancées par des organismes officielles et toutes celles lancées par des particuliers, il y a eu un vaste éparpillement des campagnes de mobilisation. Mais cette éparpillement est encore plus visible sur les réseaux sociaux, où un nombre pharaonique de pages et autres groupes ont été crées à l’effigie de Cecil.
Sur Facebook, parmi les 100 pages dédiées à Cecil, il y a : Cecil the Lion, Justice for Cecil the Lion, CECIL the LION, Cecil : The Lion, Justice For Cecil the Lion, R.I.P. Cecil the Lion, Cecil, Lion. Parmi la trentaine de groupes, il y a RIP Cecil the lion… let’s tell the dentist he is a coward !, CECIL the Lion HUNTS Walter Palmer, Cecil the lion says “All Lives Matter”, Extradite Walter J. Palmer: Justice for Cecil the Lion, etc.
Sur Twitter, 53 comptes lui sont dédiés, dont : Cecil The Lion Game @lioncecilgame, Cecil_the_Lion @Lion_for_Truth, CecilTheLion @CecilTheLion, Justice For Cecil @justiceforcecil, Cecil Lion Festival @GurundoroFest, Cecil The Lion @lion_cecil…
Sur les réseaux sociaux, on voit une véritable volonté de réappropriation du phénomène. Signe d’une énorme volonté de mobilisation des internautes. Même s’il existe une première page ou un premier groupe, qui reprend la terminologie exacte « Cecil the Lion», beaucoup d’autres pages et groupes éclosent, avec à chaque fois, un effort du créateur ou de la créatrice pour trouver une manière de reformuler la terminologie, en jouant sur les majuscules, les signes de ponctuation, les tirets, en rajoutant des mots…
Forums
Mais bien au-delà des élans d’émotions et d’indignation, la mort de Cecil le Lion a généré beaucoup de commentaires et de débats. Les plus grands forums se sont tous retrouvés avec un, ou plusieurs, sujets mentionnant Cecil : American hunter illegally killed Cecil the Lion, Cecil the Lion as a non-killable beast in WoW, The killing of Cecil the Lion, Cecil the Lion, We need a tribute to Cecil the Lion in the game, The brother of Cecil the Lion, was killed by a hunter in Zimbabwe, this Saturday, announces CNN, Cecil the Lion Killed.
Vidéos
Et le phénomène Cecil le Lion n’a pas non plus échappé aux plateformes de vidéos. En dehors des reportages journalistiques, un florilège de vidéos sur les réactions qu’a provoqué l’affaire ont été postées : en allant des réactions de célébrités aux réactions d’internautes lambdas.
Ce qui nous amène à notre 3ème et dernière partie sur le traitement médiatique de l’évènement médiatique lui-même de Cecil le Lion, et de la manière dont il a été couvert dans les médias.
Troisième niveau, le traitement médiatique du phénomène en tant que tel
Quand les figures médiatiques se mettent en scène et deviennent des leaders d’opinion
Ici le reportage journalistique porte plus sur le scandale qui a éclaté autour de l’affaire, que de la mort de Cecil en elle-même.
D’autres vidéos vont commencer à fleurir pour commenter la manière dont telle ou telle célébrité a réagi à la mort de Cecil. Des articles ont fleuri sur le même thème « Celebs React to the Heinous Murder of Cecil The Lion », avec une énumération des tweets.
Le Figaro a fait un article sur l’acteur Arnold Schwarzenegger qui attaque le dentiste américain. Le Télégramme a couvert l’indignation de Brigitte Bardot le 1er août. Et dernièrement c’est la photo d’Ashley Benson, sur Instagram qui a réveillé la communauté pro-Cecil. A l’approche d’Halloween l’actrice poste une photo d’elle en costume de lion, avec comme légende “Help ! Can’t decide on my Halloween costume this year ! What do you guys think of this Cecil the Lion costume?” Très vite le message a fait un tollé, les internautes qualifiaient sa référence d’offensive et de mauvais. Cette anecdote a même fait l’objet d’un article, le 7 octobre sur PureBreak.
Dans d’autres vidéos, des internautes se filment en train de « découvrir » et de réagir pour la première fois, à la réaction de Jimmy Kimmel.
Ou encore la vidéo Jimmy Kimmel Chokes Up Over the Death of Cecil the Lion, dont le sujet n’est pas la mort du lion mais uniquement la réaction du présentateur vedette. Dans la vidéo Teens React to Cecil the Lion Killed, filme des jeunes devant un ordinateur et filme leur réaction « spontanée ». A ce stade, ce n’est plus la mort de Cecil le Lion qui est médiatisée, mais la réaction d’individus plus ou moins connus à sa mort.
Toutes ces réappropriations ont renforcé le phénomène, car elles ont généré de l’engagement et de l’identification. Les internautes se sentent investis dans le débat, et se sentent appartenir à une communauté.
Toutefois, la mobilisation sur Internet, a amené à des manifestations plus concrètes : devant la maison de Walter Palmer et devant son cabinet dentaire par exemple. Ces manifestations physiques ont continué à alimenter le phénomène. Elles ont rendu la mobilisation télégénique, et ont ainsi permis une couche supplémentaire de couverture médiatique.
Le méta-discours
Et puis il y a eu des articles sur le phénomène : comment Cecil le Lion a généré autant d’engagement et de réactions dans le monde occidental. Le 30 juillet, Marino Eccher écrit l’article « Why the death of Cecil the lion ran wild on the Internet ? ». Nous sommes seulement deux jours après la révélation de la mort, il énumère les réactions sur Internet (plus de 700 000 tweets et 1 million de recherches sur Googe, rien qu’aux Etats-Unis). Selon lui, l’histoire a été propagée par une poignée d’influenceurs sur les réseaux sociaux, des comptes qui agrègent à chaque fois des dizaines de millions de followers, comme des comptes de médias ou de célébrités, dont l’acteur Ricky Gervais. Fin août, la BBC2 dédie son émission Newsnight au phénomène, avec comme accroche “We look back on the killing of Cecil the Lion : did we overeact ? is social medial to blame ?” En effet, dans la naissance et la propagation du phénomène Cecil le Lion, les réseaux sociaux ont vraiment joué un rôle de tremplin. Le fait divers a été partagé et relayé sur les réseaux, avant d’atteindre par la suite le palier des médias traditionnels. Sans aucun doute, si un le braconnage de Cecil était arrivé avant l’existence des réseaux sociaux, il serait resté un fait divers et n’aurait pas pris cette ampleur phénoménale.
Aujourd’hui Cecil the lion est devenu un emblème. Une véritable communauté d’internautes émus par sa mort s’est crée, et depuis elle agit comme un vigile. D’autres cas de meurtres d’animaux sauvages été révélés, comme celui d’une girafe par la chasseuse américaine Sabrina Corgatelli). Chaque nouvel épisode judiciaire entre Walter Palmer et le Zimbabwe fait de nouveau l’objet d’articles, renouvelant une fois de plus le phénomène et les réactions des internautes. Des rumeurs et des intox ont même vu le jour : Cecil serait finalement bien en vie, ou son frère Jericho aurait été à son tour assassiné par un chasseur. Cette dernière intox a d’ailleurs fait l’objet d’un article, sur la formation et la déformation de la rumeur sur francetvinfo.fr.
Ainsi, le phénomène Cecil le Lion est devenu viral sur les plateformes web. L’institution de la formule « Cecil the lion » a permis de fixer ce phénomène et de lui permettre de circuler. La réappropriation des internautes a permis d’ériger ce fait divers jusqu’à un véritable évènement. Ces réappropriations ont crée un nouveau niveau dans l’affaire Cecil le Lion, avec une nouvelle couverture médiatique, qui a porté cette fois sur les vagues d’émoi. Il y a donc eu un mouvement de balancier entre les internautes et les médias traditionnels : les internautes ont crée le phénomène, qui a ensuite été relayé par les médias traditionnels, ce qui a alimenté de nouvelles réactions d’internautes etc… Et au fil de toute cette circulation médiatique, Cecil le Lion est devenu aujourd’hui un véritable objet culturel.
Cet article est un résumé d’une étude qui a été réalisée par Orlane Lebouteiller, Marion Parquet et Marie Mougin, dans le cadre du cours de sémiotique culturelle d’Internet, d’Etienne Candel, en décembre 2015.
Marie Mougin