Société

Sourds et malentendants, leur combat pour la télévision

Qui ne s’est jamais trompé, lors d’un film, en sélectionnant les sous-titres pour malentendants ? Dans ces moments, le spectateur lambda a un petit aperçu de leur quotidien. Les sourds et malentendants représentent aujourd’hui 6,6% de la population française, soit 6 millions de personnes dont 400 000 sourds profonds. Mais comment ce public consomme-t-il les contenus télévisés ? Les chaînes sont-elles adaptées ? La question du handicap est très peu abordée dans les programmes des candidats à la présidentielle. Pourtant, ces derniers négligent une grande partie de leurs électeurs à cause d’une mauvaise adaptation de leurs discours télévisés aux sourds et malentendants. Sans jouer les pères moralistes, essayons ici de décrire la réalité des pratiques développées pour ce public à la télévision.
Un gouvernement qui fait la sourde oreille
Depuis la loi du 11 février 2015, toutes les chaînes (publiques ou privées) représentant plus de 2,5% de la part d’audience moyenne actuelle doivent adapter leurs programmes en proposant un sous-titrage. Cette mesure était essentielle car la télévision, si on se réfère aux malentendants, demeure leur principal moyen d’information et de divertissement.
Mais à cette réaction tardive du gouvernement s’ajoute un manque de diversité des programmes adaptés comme le montre ce témoignage de Lucas, jeune homme sourd :
« Il existe des émissions qui ne sont pas sous-titrées. Notamment l’émission “La Mode, la mode, la mode” sur Paris Première. Je voudrais travailler dans la mode, donc j’aimerais en apprendre plus… J’ai même envoyé un message à la chaîne, personne ne m’a répondu… »
Malgré cette loi de 2015, nombreuses sont les émissions et documentaires spécialisés persistant inaccessibles pour les sourds et malentendants. Leurs choix sont donc bien plus réduits que ceux des autres téléspectateurs.
De plus, pour les émissions en direct, la situation reste catastrophique. En effet, les traducteurs n’ayant pas le temps de traduire les dialogues, on observe un écart de temps entre l’image et les sous-titres dépassant parfois de 10 secondes. 10 secondes semblent représenter peu, mais c’est un écart considérable pour suivre et comprendre un programme télévisé. Ce détail, qui peut sembler anodin, handicape fortement les sourds et malentendants.
Prenons l’exemple d’Emmanuelle, qui avait fait parler d’elle sur Twitter en filmant son téléviseur lors des débats des primaires sur France 2 (voir vidéo ci-dessous). Un mot s’affiche toutes les secondes, sans être mis en lien avec les précédents, il est donc impossible pour Emmanuelle de suivre les discours des candidats. Ce post illustre la réalité des traductions disponibles lors des directs des grandes chaînes comme des petites.

Je suis sourde et je veux suivre la #PrimaireLeDebat comme tout le monde. Mais les sous-titres sont pourris sur @France2tv. #PrimaireGauche pic.twitter.com/e6AglB6obe
— Emmanuelle (@eaboaf_) 19 janvier 2017

Il reste donc beaucoup à faire pour garantir une égalité d’accessibilité aux contenus télévisés, d’autant plus que beaucoup de sourds signant ne sont pas à l’aise avec la lecture et les subtilités de la langue française. L’idéal serait donc de proposer deux options pour chaque programme : les sous-titres ou l’intégration d’une traduction en langue des signes.
Un retard qui se creuse pour les plateformes de VOD 
La solution pour les sourds et malentendants serait donc de regarder les programmes en différé, permettant ainsi aux chaînes de télévision d’avoir plus de temps pour traduire les programmes. Cependant, aucune loi n’oblige les dispositifs de replay à adapter leurs programmes aux sourds et malentendants. Et pourtant, le visionnage en replay est de plus en plus à la mode et serait extrêmement utile pour les malentendants. Il y a donc un sérieux manque de réalisme de la part des chaînes, excluant tout un public de téléspectateurs et renforçant leur sentiment d’isolement.
Autre domaine n’étant pas réglementé : la publicité. Certes, la publicité n’est pas considérée comme programme culturel et énerve de nombreux individus. Cependant, les sourds et malentendants devraient avoir le choix de zapper la publicité ou de la regarder. C’est pour cela que certaines agences de publicité ont décidé de sous-titrer leurs spots télévisés. Publicis a pris cette initiative en 2016 :
« C’est important pour nous dans le cadre de notre responsabilité sociétale de travailler avec nos clients sur ce sujet incontournable qui est l’accès des communications à la population en situation de handicap. Et je suis très fier que Publicis Conseil soit la première agence de France dont tous les annonceurs ont sauté le pas pour sous-titrer tous leurs films TV ». Patrick Lara, Directeur Général de Publicis
Une belle initiative montrant l’envie du secteur de la publicité de s’adapter à tous ses publics. Mais surtout, montrant un pas de plus contre les inégalités de consommation des dispositifs de communication.
Des technologies qui s’adaptent
Heureusement, de nouveaux appareils se développent pour aider la compréhension des programmes à ce public malentendant. Les malentendants peuvent désormais relier leurs appareils auditifs à la télé afin d’augmenter le son de la diffusion directement dans leurs oreilles.
Cependant, avec des écouteurs ou des appareils auditifs reliés à la télévision, le téléspectateur peut uniquement écouter le son de la télévision. Cela l’isole donc des personnes regardant avec lui la télévision, ne pouvant interagir avec ses proches en même temps. Or, si nous reprenons un ouvrage majeur, La télévision cérémonielle, Anthropologie et histoire en direct de Daniel Dayan et Elihu Katz, nous constatons que certains évènements télévisés créent des discussions, du lien social en réunissant plusieurs personnes autour de la télévision. Prenons comme exemple L’Euro de Football, événement suscitant de nombreux échanges lors du visionnage : les malentendants reliés uniquement à la télévision ne peuvent partager leurs avis et profiter de cet événement comme tous les autres téléspectateurs. Les chaînes de télévision sont donc les mieux placées pour aider à la bonne assimilation des programmes.
À ces petits objets connectés s’ajoute l’apparition des caméras à la radio. Les sourds et malentendants regardent essentiellement la télévision et restent coupés des autres médias traditionnels (à part la presse). Avec l’arrivée de la caméra en studio d’enregistrement, certaines matinales sont traduites en langue des signes et parfois, des spécialistes sous-titrent en direct chaque dialogue. France Inter avait montré l’exemple lors de la Semaine Européenne pour l’Emploi des personnes handicapées en mettant en œuvre ces deux types de traduction. Ici, nous avons une réelle amélioration de la communication envers ces publics.

Il y a donc une réelle volonté de communiquer les programmes télévisés aux sourds et malentendants, que ce soit au niveau du gouvernement ou des acteurs privés. Cependant, la société demeure mal renseignée sur les problèmes que rencontre ce public malentendant. Des programmes télévisés se développent donc afin de montrer ce handicap aux yeux de tous, et surtout aux jeunes publics. Gulli, par exemple, a diffusé le premier épisode de C’est bon signe le 2 février dernier. Cette série met en scène un adolescent sourd et ses tracas quotidiens. Quel est le but ici ? Communiquer sur le quotidien d’un sourd de manière adaptée aux jeunes spectateurs afin d’éviter les maladresses commises envers ce public par manque de connaissances. Ces initiatives doivent être développées pour établir et faire perdurer une égalité télévisuelle entre tous les publics.
Nathanaelle Enjalbert
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REMERCIEMENTS
Merci beaucoup à Mélanie Duval, chargée de projet enseignement supérieur au CED, Handicap et Diversité, qui a pris le temps de répondre à mes questions pour cet article. Merci également à Hanna Zouari, étudiante au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) pour son avis précieux.
SOURCES 
DIGIACOMI Claire, « Cette internaute sourde a su attirer l’attention en plein débat de la primaire de la gauche », huffingtonpost.fr, 19/01/2017
AFP, « Les sous-titrages à la télé, un « calvaire » pour les sourds », L’express.fr, publié le 08/02/2015
AUDIGIER Anne, « Les programmes de France Inter en Langue des Signes », Franceinter.fr, publié le 14/11/2016
Site de l’Unapeda, association pour les sourds et malentendants
Daniel Dayan, Elihu Katz, La cérémonie télévisuelle, Anthropologie et histoire en direct, 1996
Crédits photos:
Langue des signes, Getty, photographe non connu
Capture d’écran de la chronique de Sophia Aram sur France-Inter. 
 

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