Freakshow
Publicité et marketing

Le freak, c'est chic ! L'imperfection est-elle tendance ?

Depuis une petite dizaine d’années, la différence a le vent en poupe ! Elle est valorisée : l’étrangeté et l’imperfection sont représentées, et mises en scène. Handicapés, albinos, roux, « gueules », autrefois délaissés, appartiennent désormais à l’espace de la publicité. L’image publicitaire révèle un esthétisme nouveau qui vient briser les canons classiques de la beauté pour mieux percuter celui qui la regarde. La différenciation est une stratégie marketing évidente qui joue sur l’idée que le public se remémore bien plus l’extra-ordinaire car il ne s’y attend pas. La récente campagne de publicité pour « les légumes moches » du groupe Intermarché réalisée par l’agence Marcel dont le succès a été immédiat et la commercialisation des biscuits abîmés à un prix très avantageux encouragent fortement l’action citoyenne dans la consommation. Mais elles soulignent également un engouement sous-jacent pour ce qui sort le public de l’ordinaire. L’esthétique publicitaire, dès lors déplacée, nous invite à questionner les enjeux qu’implique l’imperfection à travers l’image publicitaire.
Contre une monotonie du beau
Dans la publicité, la différence est prise pour ce qu’elle incarne, soit une distance manifeste avec les canons classiques de la beauté et le laid est souvent choisi parce qu’il est laid. La monstruosité est effectivement recherchée pour elle-même, pour ce qu’elle évoque et connote. Ainsi le difforme, l’étrange, contre son gré, provoque des sentiments passionnés car il frappe et choque, lorsque le beau, d’après le principe kantien, suscite une satisfaction désintéressée, proche de l’évidence. Le beau, répété dans l’image, paraît monotone et lisse. La conception actuelle et euro-centrée a imposé un idéal physique (minceur, type eurasien…) qui ne cesse de se répéter. A contrario, dans sa célèbre préface de Cromwell,  Victor Hugo, précurseur, explicita la qualité non négligeable du laid en esthétique : « La beauté n’a qu’un type. Le laid en a mille.»
Déclinable, la difformité paraît toucher à l’authentique car elle offre un spectre plus important de variations dans l’image. L’imperfection profite donc d’un avantage par rapport au beau, comme l’a notamment expliqué Umberto Eco dans son Histoire de la laideur : celui de la différenciation. La figure laide se démarque et se remarque, notamment dans les représentations picturales où longtemps, le peintre a cherché la Beauté à travers la perfection. Le beau a toujours été la finalité des représentations publicitaires : les images publicitaires médiatiques, ou de mode (dispositifs publicitaires également), ont toujours cherché la perfection inégalée, allant même jusqu’à user d’outils techniques (Photoshop) pour faire illusion. Le renouvellement et la nouveauté de l’image de marque semblent désormais passer par le laid, au moment même où le beau est, peut-être, parvenu à sa forme la plus parfaite. La beauté n’est-elle pas, à force, devenue monotone ? La beauté est-elle épuisable, et a-t-elle été épuisée dans (ou par) la pub?  Ces questions se posent d’autant plus actuellement que le laid apparaît aujourd’hui comme une clé-marketing pour se différencier et pour attirer l’œil, un peu endormi, du consommateur.
Freak show et  voyeurisme : les monstrueuses coulisses du marketing ?

En 2006, John Galliano avait déjà imaginé un défilé Dior autour des « freaks », soit les monsters shows tels qu’on pouvait en voir dans les cirques. Cet imaginaire est vendeur car il suscite la fascination. Ainsi, la récupération récente de ce même thème dans la série tendance « American Horror Story » (The Freak show, saison 4) illustre l’importance du spectaculaire comme argument marketing.  Une autre série, plus ancienne, « Ugly Betty » basait son synopsis sur une dimension voyeuriste, alimentée par la curiosité et la surprise. Habitués aux plastiques parfaites des télénovelas, les spectateurs étaient invités à suivre les prouesses d’une jeune femme « laide » (grimée pour l’occasion) dans le monde du journalisme de mode.
Le monde de la mode est le premier à y avoir vu une plus-value pour l’image des marques en engageant des handicapés, des albinos, et même des « femmes à barbe » (Conchita Wurst pour Jean-Paul Gaultier). Diesel et Desigual ont par exemple pris pour égérie le mannequin Winnie Harlow, atteinte de vitiligo (une maladie qui consiste en l’apparition de grandes tâches blanches sur la peau). Elles ont surpris, peu importe la critique, et ont donc réussi le pari de faire parler d’elles. Les médias les relayent davantage, et leur « vedette », choisie avec soin pour incarner cette qualité de distinction tant recherchée, apparaît comme le clou du spectacle. La volonté dans la publicité de vouloir « embellir » le laid est en cela significatif : l’étrange pour apparaître doit être sublimé. Les sociétés humaines semblent en effet depuis leurs origines motivées par le perfectionnement, si ce n’est par la perfection elle-même. Les plus pessimistes diront qu’aujourd’hui l’imperfection est un commerce, avant toutes visées démocratiques. Elle permettrait aux marques d’exister par la différence, valorisant la transgression mais aussi accordant une image philanthrope et sociale à la marque. Mais est-ce si négatif ?

Monsters, Inc. : un échange de bons procédés ?
Pour autant, il ne faut pas oublier que la stratégie marketing n’exclut pas la portée sociale de la représentation du différent, voire du laid, dans la publicité. Les marques prennent tout de même le risque que leurs messages soient perçus comme le comble de l’hypocrisie. Il est envisageable que le consommateur se méfie et accorde du discrédit aux campagnes faussement bien-pensantes de certaines marques. Ce qui ne semble pas être le cas, car le consommateur a secrètement conscience que ce nouvel esthétisme, tendance « pérenne » ou éphémère, participe à introduire les physiques hors-normes dans les images de nos sociétés. Cette tendance de l’imperfection et de l’étrange a permis l’émergence d’agences de mannequins aux physiques atypiques telles que « Ugly People » aux Royaume-Uni et « Wanted » en France. Le choix délibéré de ces mannequins, anciens anonymes, d’appartenir à ces agences, de poser pour une publicité ou de défiler souligne l’ambiguïté du difforme représenté dans la pub : s’ils prêtent leur image à une marque – tel Madeline Stuart, jeune fille trisomique qui a défilé à la Fashion Week de New York en février 2015 – c’est qu’ils ont conscience qu’elle sera valorisée et qu’elle sera l’étendard de la tolérance et de l’authenticité. Il y a deux semaines, le premier défilé de femmes de petites tailles a par exemple eu lieu à Paris. Ouvert à tout public, les codes classiques du défilé y étaient « renversés » : dans le public se mêlaient personnes de taille normale et de petite taille, mais seules ces dernières étaient invitées à défiler.

La charge sémiotique du « laid », dans la mesure où il incarne souvent la différence, est donc complexe et plurielle dans la publicité : il stigmatise la différence mais, en la sublimant, il la rend aussi concevable, et autonome par rapport à la beauté. La différence choque au premier regard puis on s’y habitue. Si elle n’est qu’une pénétration encore rare dans l’espace public, elle n’en est pas moins remarquée et elle sert certainement une cause sociale. Les dispositifs médiatiques donnent peu à peu à ces physiques différents la possibilité d’exister à l’image, alors qu’ils étaient niés jusqu’ici. L’actrice espagnole Rossy de Palma au physique atypique et quelque peu « picassien », réinvente ainsi la définition de la beauté en disant : « Pour moi, c’est ça la beauté, ce mélange entre la réalité de tous les jours et quelque chose de très recherché. Il faut que la vie s’engouffre là-dedans ! Sinon, la beauté, c’est un peu ennuyeux, non ? ».
Emma Brierre
Linkedin
Sources :

Ugly Models : l’agence de mannequins pour gens « moches »


http://www.vice.com/fr/read/la-fashion-week-des-nains-en-images-182
http://weekend.levif.be/lifestyle/mode/l-imperfection-comme-strategie/article-normal-389549.html
Crédits photos :
Défilé Dior, 2006
Desigual
Direct Matin
Ugly people agency

Formats spéciaux

Chers lecteurs…

 
Chers lecteurs,
En philosophie, le changement est rectiligne, c’est un éternel retour, un recommencement infini. En sociologie et en histoire, il est le passage d’une société à une autre dite plus évoluée, plus complexe. Saint-Simon le définit comme le résultat du développement des sciences et des techniques industrielles, provoquant ainsi le passage d’une société agricole à une société industrielle. Max Weber, à ce propos, estime le changement comme le résultat de forces économiques et religieuses qui agissent conjointement et provoquent la révolution industrielle. Ou encore, pour Durkheim, c’est la densité démographique, à l’origine de la division et de la spécialisation du travail, qui provoque le changement, le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique. Karl Marx aussi, rêve de ce changement-révolution, de ce jour où le conflit de classe aboutira et provoquera ce changement rêvé, cette nouvelle société socialiste aux vertus idéales.
Pour l’entreprise, la conduite du changement est un enjeu actuel de taille afin de s’adapter aux évolutions de son environnement, auquel les départements des Ressources Humaines s’appliquent non sans difficulté. Car, la psychologie montre que le changement provoque souvent des résistances, des peurs. Pourtant, en communication, il est souvent un argument de taille. François Hollande avec son célèbre « Le changement c’est maintenant », BNP Paribas qui « s’engage pour un monde qui change », Le PMU qui peut « brusquement changer votre quotidien », La Poste qui met en avant ses efforts pour s’adapter aux évolutions du monde actuel, ou au contraire, Ricard et sa dernière campagne de publicité qui souligne le fait que la recette est toujours la même depuis la création, sont autant d’exemples qui montrent à quel point le changement (ou le non changement !) est aussi un argument marketing de taille.
Chez FastNCurious, le changement est en quelque sorte un mélange de tout cela. Lui aussi provoqué par une pression démographique forte (par un boom du nombre de rédacteurs), par la curiosité grandissante à propos des évolutions technologiques actuelles, par le rêve d’atteindre un jour une plus belle place encore sur la toile du Net et pourquoi pas, de le révolutionner, par la volonté de s’adapter aux évolutions de notre environnement, il est le signe d’un nouveau départ. Il est le résultat d’un recommencement, qui nous l’espérons sera infiniment répété.
 
En effet, sans changer de ligne éditoriale, découvrez dès à présent le nouveau FastNCurious dont le contenu sera désormais séparé en deux parties.
Les articles FAST présenteront dans le cadre d’un article bref l’actualité fraîche de la communication, tout en vous donnant les clefs pour comprendre l’importance de l’information.
Les articles CURIOUS seront des articles de fond prenant le temps d’analyser avec recul un objet de communication.
Découvrez aussi notre nouvelle mise en page, plus ergonomique et adaptée aux changements.
Enfin, c’est avec un immense plaisir et honneur que nous remettons le blog dans les mains du nouveau bureau de FastNCurious.
 
Merci à tous,
 

Camille Sohier
Arthur Guillôme

Politique

Le discours des vœux présidentiels ou la communication républicaine normalisée

 
Depuis sa naissance, la Ve République est rythmée par un rituel républicain, mais surtout médiatique, hautement symbolique, auquel se prête chaque président de la République le 31 décembre au soir. Le discours des vœux présidentiels reste un rendez-vous télévisé annuel majeur, retranscris pendant les journaux de quatre chaînes historiques : TF1, France 2, France 3, et M6. Ce mélange public/privé témoigne d’ailleurs de l’engouement autour de cet événement politico-médiatique.
Ce rendez-vous constitue pour le chef de l’État un moment privilégié lors duquel il s’adresse aux Français en toute légitimité. Nul besoin en effet de quelque événement particulier, le 31 décembre est le rendez-vous traditionnel du président et de ses concitoyens. Valéry Giscard d’Estaing le rappelle dans son intervention du 31 décembre 1980 en ces termes :
« C’est (…) un de ces instants – bien rares en vérité – où je peux m’adresser à vous sans être tenu par un sujet particulier. »
Ce lundi 31 décembre, François Hollande a, à son tour, dû s’acquitter de cette tâche traditionnelle. Porté par une mise en scène télévisuelle très solennelle, debout dans la salle des fêtes de l’Elysée, le Président de la République a franchi une nouvelle étape de l’appropriation  d’une rhétorique présidentielle normalisée (plus que normale).
 
Le changement, pas maintenant
« Se plier à une tradition n’interdit pas d’y introduire un brin d’innovation » écrit le journaliste T. Wieder dans le Monde. Hollande ne semble pas en effet avoir eu l’intention de révolutionner le discours des vœux cette année. Il aura préféré suivre l’exemple de ses prédécesseurs, et notamment celui de Jacques Chirac, lors de son premier discours de vœux en 1995. Quand Hollande prévoit de résorber le chômage « coûte que coûte », ça n’est pas sans rappeler les paroles de Chirac : « Notre priorité depuis sept mois, c’est l’emploi ». Ils évoquent tous les deux la « responsabilité » des syndicats, les angoisses quant à la crise, et la nécessité de la « mobilisation de tous » pour garantir un avenir meilleur.
 
Le jeu présidentiel
Ces discours, malgré la stabilité apparente de la forme, peuvent révéler des ethos singulièrement contrastés et des conceptions souvent différentes de la fonction présidentielle.  Il s’agissait pour Hollande d’établir sa propre crédibilité par la mise en scène de qualités morales comme la bienveillance et la sincérité.
Lors de son discours, le Président de la République aura beaucoup employé la première personne du singulier, moins fréquemment la première personne du pluriel, rarement la seconde. Cette prédominance du « je présidentiel » suggèrerait deux choses. La première est l’affirmation dans ce discours de la tendance présidentialiste du régime. La seconde, néanmoins paradoxale, serait le sentiment que notre actuel Président rechercherait encore une légitimité face au Français.
A travers l’exposition et la justification des réformes accomplies lors de ce discours, on croirait voir s’exprimer un candidat qui défendrait son programme. Hollande évoque ainsi la « belle tradition »,  référence qui légitime sa prise de parole. Dans l’exorde toujours, il rappelle que son élection de Président de la République s’est effectuée au moment où s’épanouissent« une crise historique, un chômage qui progresse (…) et une dette record. ». Cet argument justifierait la difficulté de sa fonction et de ses pouvoirs. A l’heure où les sondages continuent de jouer en sa défaveur, cet exercice républicain semble être une belle occasion de redorer son image d’un peu de crédibilité et de légitimité. Légitimité par exemple, de son orientation sociale-libérale : « Voilà, le cap est fixé : tout pour l’emploi, la compétitivité et la croissance. »
 
Meilleurs aveux 2012 ?
François Hollande aura choisi pour ce discours de vœux un ton réaliste lorsqu’il avoue au début de son allocution : «  je n’entends pas vous dissimuler les difficultés qui nous attendent. Elles sont sérieuses. ». Quand le Président De Gaulle choisissait d’exulter la puissance économique et politique de la France, François Hollande a préféré la sincérité et l’argumentation technique. Quel étrange moment que le discours des vœux pour avouer les difficultés qui attendent la nation. Mais il contrebalance cette tonalité pessimiste par son optimisme (de nature plus que de circonstance) : « Ce soir je veux vous dire ma confiance en notre avenir. (…) Ma confiance, elle est surtout dans la France. » Ce flegme optimiste ainsi que l’appel républicain à la « mobilisation de tous » est solidaire du célèbre leitmotiv américain du Président Obama « Yes We Can ».
 
Je te vois, tu me vois
Enfin, ce rituel républicain suggère le jeu très symbolique du regard réciproque, qui relève de la représentation politique. Quand le Président déclare « Je n’ignore rien de vos inquiétudes. Elles sont légitimes. » ; il rappelle aux Français qu’il peut les « voir », les connaitre, les comprendre. Or, eux-mêmes ont l’occasion lors de ce discours télévisé de « voir » le président dans une certaine transparence. Ce 31 décembre, 11,580 millions de Français ont suivi le  premier discours des vœux du Président François Hollande. 11, 850 millions d’électeurs ?
Margaux Le Joubioux
Sources :
INA- discours des vœux présidentiels sous la Ve République
Le Monde – 2janvier 2013
Le Point.fr
Site officiel de l’Elysée
FinnissBoursin Françoise, Les Discours De Voeux Des Présidents De La République – La France Au Fond Des Yeux
Jean-Marc Leblanc, Les messages de vœux des présidents de la Cinquième République : L’ethos, la diachronie, deux facteurs de la variation lexicométrique

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