Panem et circenses pour le Superbowl
Il est presque impossible d’être passé à côté d’un article, d’une publicité, d’un tweet sur le Superbowl ce mois de février, même en France. Le Superbowl est le rendez-vous national le plus populaire de l’année aux Etats-Unis mais n’en reste pas moins un événement mondial. Pour la 47e édition, il a rassemblé 108,41 millions de téléspectateurs (si les chiffres ne vous parlent pas, celui-ci équivaut à un peu moins du double de la population française). Créé en 1967 et officiellement appelé NFL-AFL World Championship Game, le championnat commence en fait dès septembre avec une saison régulière qui dure 16 matchs. Pourtant, les fans et les médias n’en retiennent principalement que la finale et lui préfèrent le nom de Superbowl. Et les médias deviennent finalement les organisateurs de ces jeux, où l’on entend plus parler d’audience que du sport le plus apprécié dans le pays.
La métaphore du football comme religion prend tout son sens dans un événement comme celui-ci. « Le football est devenu une religion, une obsession collective qui fait vibrer la nation », dit Rick Telander, chroniqueur sportif du Chicago Sun Times. On parle de ce rendez-vous comme de la « grand-messe », où fans et téléspectateurs « communient » autour du petit écran. Allen St. John, auteur de « One Billion Dollar event » dit à ce propos que « Le Superbowl est presque plus populaire que Noël, ce n’est pas formel, les familles et les amis se réunissent, boivent de la bière, bouffent de la « junk food » et regardent le spectacle ! » Cet événement rejoint le scénario de « Télévision cérémonielle » que D. Dayan et E. Katz appellent « la confrontation », événement qui est organisée autour de la question « Qui va gagner ?» On y retrouve bien des caractéristiques telles qu’un public préparé par de multiples annonces qui précèdent le « grand moment », une forte mobilisation de symboles, une quasi-obligation d’être témoin, un rendez-vous en rupture avec le quotidien, et une participation à des chiffres d’audience qui dépassent l’imagination. Le Superbowl est donc plus une expérience nationale et collective qu’une simple diffusion médiatique.
Cependant, il est à noter que les organisateurs de cette finale ont tout de même quelques tours dans leur sac pour en faire un bon filon économique et financier…
Suivant le modèle de l’élargissement des contenus pour multiplier les publics, le Superbowl se transforme en véritable show national. Le peuple veut du pain et des jeux, quand Rick Telander dit encore : « Les footballeurs américains sont nos gladiateurs, et nous sommes comme les Romains, ivres de ce jeu magnifié par la télévision, qui avec ses ralentis, devient un ballet brutal et splendide. » Mais ce n’est plus tant à propos du sport, que du « fun » ; on parle alors de « sportainment ». Et c’est Michelle Obama qui nous le prouve, quand son billet a été retwitté plus de 4 500 fois durant la finale, non pas à propos du jeu, mais de la performance de Beyoncé : « Watching the #superbowl with family & friends. @Beyonce was phenomenal! I am so proud of her!”
Les annonceurs se mettent au diapason et concourent pour créer la publicité la plus fun : « Chaque pub est en soi un spectacle, les compagnies font surenchère d’inventivité pour le Superbowl, et il y a un concours de la meilleure réclame » dit St John. Le caractère éphémère de ces créations place pour quelques jours la publicité en dehors de son champ originel et l’élève sur un piédestal, puisqu’une fois diffusées, les publicités rentreront ensuite au placard. Mais pour parfaire le plaisir pris durant ce spectacle, encore faut-il avoir le ventre plein, comme les Romains l’avaient si bien compris. Et les chiffres records continuent pour cette journée, avec une grande délicatesse de la part des organisateurs qui avaient prévu cette année près d’1,23 milliard d’ailes de poulet, une consommation de 3,4 millions de pizzas durant le jeu, et environ 325,5 millions de gallons de bière (1 gallon = 4,5litres environ) Et enfin, comme la soirée doit être inoubliable, les chaînes qui diffusent cette finale (alternativement CBS, Fox et NBC depuis 2007) ne s’arrêtent pas après la victoire. Le traditionnel Superbowl lead-out program, comprendre l’épisode post Superbowl, est diffusé juste après le match. Il s’agit d’un épisode unique et spécial, décalé de sa case horaire habituelle (le Superbowl a toujours lieu le dimanche) d’une série télévisée, souvent tourné spécialement pour l’occasion. Cette année, CBS a choisi la série Elementary qui a pu bénéficier de l’exposition exceptionnelle offerte par le Superbowl, avec 20.8 millions de téléspectateurs. Il ne bat cependant pas l’épisode le plus regardé de l’histoire des post-Superbowls, record détenu par Friends en 1996 avec plus de 53 millions d’audience.
Et puisqu’on parle de chiffres et de records, rentrons dans le vif du sujet, qui alimente tant de discours chaque année à cette période. CBS, Fox, et NBC se partagent d’une année à l’autre la diffusion de l’événement. Commence alors la chasse à l’espace publicitaire par les annonceurs. Le prix de 30 secondes de temps d’antenne est passé de 2,7 millions en 2008 à près de 4 millions de dollars aujourd’hui (et CBS attendait près de 225 millions de dollars de revenus publicitaires cette année). Les subtilités s’ajoutent au fil du temps dans ce commerce, puisque l’année dernière, NBC Sports Group avait décidé de rendre obligatoire l’acquisition d’espaces publicitaires supplémentaires sur la chaîne, en plus de celui du Superbowl. Petit bénéfice personnel quand on sait que les espaces de la finale se vendent sans difficulté aucune. Pour la première fois de son histoire aussi, NBC avait retransmis en direct, l’année dernière, l’événement sur son site Internet et via l’application mobile officielle de la NFL. Enfin, autre nouveauté, cette année les marques ont décidé de ne plus jouer tant sur la surprise lors du grand soir, que sur l’alimentation des conversations sur les réseaux sociaux, en diffusant leur spot publicitaire unique pour certains quinze jours avant le jour J. Et cela fonctionne. Selon certaines études, 57% des Américains affirment porter attention aux publicités du Superbowl avant le match et un Américain sur 5 les cherche avant même la rencontre. Les publicités font donc bien partie du plaisir et du décor attendu de cette expérience unique.
Les chiffres du côté des réseaux sociaux sont montés eux aussi en flèche cette année, et ont permis une collecte de data très estimable pour les annonceurs. On se rend compte que l’enjeu ici pour la publicité est d’être mémorable, que ce soit en bons termes ou non. Ainsi c’est la publicité PerfectMatch de GoDaddy qui a été la plus mentionnée (255 121 tweets), mais particulièrement négativement, contrairement à la publicité Taco Bell (213 125 tweets) qui a d’ailleurs gagné le fameux concours. 26 des 52 marques ont profité cette année de leur spot pour proposer leur Hashtags, augmentation de 300% par rapport à l’année dernière, et ont également profité de cet évènement pour encourager les téléspectateurs à devenir fans de leur page Facebook. Quelques exemples en nombre brut : en une soirée Blackberry a gagné 431 094 fans suivi par Coca-Cola (+379 133) et Oreo (+114 049). Tous ces chiffres sont assez parlants, et d’autres tout autant étonnants sont disponibles dans cette étude.
Concerts, épisodes inédits, concours de réclame, défilés de star dans les spots, tout est fait pour satisfaire un public élargi, et même à la maison, puisque (encore un record) 24,1 millions de tweets ont été publiés durant le jeu. Les villes entrent en campagne pour accueillir l’évènement, l’objet sportif devient tour à tour un objet culturel, médiatique et financier qui définit aussi l’identité de ce pays.
Et le jeu, les équipes, les joueurs, adulés dans tout le pays, sont absents des analyses médiatiques, du moins à l’étranger. Pour trouver quelques infos sur les matchs, mieux vaut fouiller sur les sites spécialisés. On y trouve d’ailleurs quelques informations peu relayées. Les ex-gladiateurs se livrent en ce moment à un procès, étouffé par la NFL, contre les injonctions à la violence qu’ils ont subi par le coaching et notamment pendant ces fameuses finales, et les conséquences de cette violence sur leur santé. Ils se retrouvent presque tous aujourd’hui retraités et infirmes… Les parallèles entre les Jeux romains et le Superbowl se multiplient, esclaves au service du spectacle servi par la violence et l’opulence, est-ce le peuple qui veut du pain et des jeux, ou César ?
Marie-Hortense Vincent
Sources :
Les images proviennent de l’infographie de WhisprGroup, sur SportsMarketing.fr
Alter Journalisme – Courrier International
La Voix du Nord
Le Figaro
Socialsport