César 40ème édition Fanny Ardant
Culture

Et les nommés sont…

Chaque année, 4381 professionnels du cinéma départagent 636 films. Ainsi, 21 César sont remis aux acteurs, producteurs et « petites mains » du cinéma pour récompenser les prestations les plus méritantes. Cependant, cette cérémonie-spectacle est de plus en plus associée à des polémiques et offre une vision inédite des acteurs, passant du statut de personnage à celui de personne. Par ses codes et sa mise en scène, la cérémonie redessine également les frontières d’un « cercle clos », en nous faisant pénétrer dans ce milieu fermé qu’est la grande famille du cinéma français.
C’est à Georges Cravenne, publicitaire et producteur de cinéma que l’on doit la création en 1974 de l’Académie des arts et techniques du cinéma.
Suite à cela, naît la première nuit des César, le 3 avril 1976 sous la présidence de l’acteur Jean Gabin. Son but est alors de concurrencer les Oscars, équivalent américain.
Qu’en est-il du choix de l’intitulé de la cérémonie ? L’appellation « César » a plusieurs origines parmi lesquelles l’hommage à Raimu, acteur et interprète de César dans la trilogie de Marcel Pagnol.
Une parfaite maîtrise du temps
Cette cérémonie s’inscrit dans une temporalité strictement planifiée, rythmée par un calendrier précis. Chaque édition est annoncée par une égérie. En 2015, Fanny Ardant succède à Romy Schneider (2011), Simone Signoret (2013) et Isabelle Adjani (2014). S’en suivent les déclarations médiatiques des nommés, puis la révélation du couple président – maître de cérémonie, séances photos. Enfin, le temps des « Révélations » et le déjeuner des nominés constituent la dernière étape de cet agenda.

Le Trophée des César : l’emblème de la victoire ou l’éclat symbolique du « bijoux » précieux ?
La fonction symbolique du légendaire César est d’incarner – selon l’expression de Riccioto Canudo – le mythe du « 7ème art ». En effet, si les trophées incarnent surtout « l’emblème de la victoire », ces objets semblent dépasser le simple statut de la récompense pour devenir des bijoux précieux, des objets d’art. En effet, les 21 trophées sont fabriqués en Normandie dans la fonderie d’art Bocquel. Ils répondent depuis 40 ans aux même critères définis par César Baldaccini : une « bûche industrielle » de 3,8 kilos, fabriquée en bronze, entrant dans la lignée de ses « compressions ».

L’envers du décors : une cérémonie de plus en plus critiquée
Au-delà d’un passé mythique, les César sont critiqués car ils exacerbent des problématiques telles que le manque de renouvellement des talents, l’existence d’un cinéma à deux vitesses, la frontière entre le microcosme glamour et esthétique et les intermittents du spectacle, la rémunération des acteurs et les polémiques liées au financement du cinéma français.
De plus, la sélection des films est souvent décrite comme trop prévisible ou incohérente par rapport aux succès en salle. « Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu », « Supercondriaque » et « Lucy », vainqueurs au box office ne figurent pas dans la sélection. Il y aurait donc un profil type César que dénonceraient de plus en plus de professionnels du milieu. Dans le palmarès des films, on remarque également l’absence de femmes dans la catégorie « meilleur réalisateur » : 39 hommes pour 1 femme, et 13 réalisatrices nommées pour un total de 183 réalisateurs.
Malgré ces critiques, le vote et le déroulement de la cérémonie restent impassibles : Alain Terzian, président de l’Académie a ainsi déclaré : « Il n’en est pas question. Par respect pour Georges Cravenne qui a créé la cérémonie il y a quarante ans, on ne touchera à rien. »
Ces problématiques favorisent un désamour des César et de nombreuses critiques comme celle de l’acteur Vincent Macaigne. « C’est compliqué les César! J’en pense ni du bien, ni du mal. Pour moi, c’est une sorte de gâteau à la crème. D’un côté, je suis pour qu’il y ait un maximum de publicité autour des films. (…) D’un autre côté, c’est un système qui s’autoalimente. »

Pour une lecture sémiologique des César : portée symbolique et dimension rituelle
D’un point de vue symbolique, cette cérémonie attire car elle installe les acteurs dans une situation inédite où le spectateur ne fantasme plus sur un personnage mais s’identifie à une personne « normale », rendue réelle car ancrée dans notre quotidien.
Les acteurs, habituellement regardés, se regardent mutuellement. L’acteur prend la place du spectateur, il regarde une scène qui se passe sous ses yeux, attend d’être appelé pour faire partie du spectacle. Proximité et distance s’entremêlent dans la mise en scène d’un monde proche (salle de cinéma, présence sur l’écran) mais néanmoins déconnecté du monde réel.
On peut cependant s’interroger sur l’apparente neutralité du rôle « nommé aux césar ». En effet, la cérémonie répond à des codes et rituels précis : elle donne lieu à des répétitions lors du déjeuner des nommés au Fouquet’s. Elle est hiérarchisée entre le président, le maître de cérémonie, les remettants, les nommés. Ainsi, le Président de la Cérémonie est le seul à pouvoir initier la cérémonie avec la phrase suivante : « Et je déclare ouverte la Cérémonie des César » : acte performatif par excellence qui initie la première étape du rituel.

Ainsi, chaque discours de remise de prix ou de remerciement a l’apparence d’un scénario performé. Cette année, un guide de « conseils en cas de victoire » a été remis, visant notamment à synthétiser les remerciements. Les organisateurs précisent : « Évitez que le souvenir de votre intervention ne vous laisse le goût amer d’une prestation décevante ».
Une vitrine publicitaire pour le cinéma français ?
L’acteur Jean Rochefort confie : «  J’ai reçu la première récompense le 3 avril 1976. Drôle d’ambiance. L’impression d’une réunion entre nous, mais avec des caméras qui nous épient. Une poignée d’intimes qui concentre les haines, les colères, les rancœurs que chaque corporation accumule. » La cérémonie s’apparenterait donc plus à une cérémonie d’autocongratulation assurant la promotion d’un cercle clos. A cet égard, l’académie regrette chaque année ses disparus avec une minute de silence et célèbre ses naissances par la remise du César du Meilleur Espoir. Cette récompense serait alors similaire à un rituel d’entrée, de (re)naissance au sein de la grande famille du cinéma. L’idée de transmission et de passation d’un patrimoine entre générations d’acteurs est également présente : chaque espoir est parrainé et chaque vainqueur reçoit son César de la part d’un autre acteur, assurant ainsi le lègue d’un héritage.
Au-delà de l’agréable spectacle que représente cette cérémonie, comment penser les César, autrement que comme une performance de codes et de rituels, assurant certes une longévité à la famille du cinéma français, mais ne semblant pas destinée à se tourner davantage vers le futur…
Clarisse de Petiville
Sources :
academie-cinema.org
cahiersducinema.com (1) ; (2) ; (3)
lanouvellerepublique.fr
culture.fr
parismatch.com
lefigaro.fr
Crédits photos :
culture.fr
blog.lenodal.com
rtl.fr
canalplus.fr

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Le cinéma en France : à bout de souffle ?

 
Spielberg a dit : « Le public a un appétit pour tout ce qui touche à l’imaginaire, tout ce qui est éloigné de la réalité et que la création vous permet ». Ce public, si nécessaire au souffle même du cinéma, semble pourtant s’en être quelque peu détourné ces derniers temps…
Les chiffres sont tombés, le verdict est établi : de 2012 à 2013, le nombre d’entrées de cinéma en France a chuté de plus de 10 millions. Quelques succès, mais pas si retentissants que cela, et un cinéma français qui peine à se faire une place face au cinéma international – et notamment américain.
A quoi peut-être bien dû ce rejet du fauteuil rouge ? De la part d’un pays produisant, qui plus est, un cinéma au retentissement international. Quand le recul des chiffres de fréquentation ne semble pas lié à une baisse de qualité – il y a bel et bien eu des perles cinématographiques cette année – la responsabilité en revient souvent à une mauvaise communication de l’objet que l’on souhaitait vendre.
La France ne saurait-elle pas nous promouvoir le cinéma tel qu’il mérite de l’être ?
Ton affiche,
« je m’en fous, je m’en fous, je m’en fous ! » (1)
Placardées partout, si nombreuses et pourtant si uniformes. Les affiches sont tellement présentes et explicites (visages des acteurs, noms mis en évidence) qu’on ne les remarque même plus. Non seulement la recherche d’un véritable esthétisme ou d’une quelconque originalité paraît abandonnée, mais on y lit également aujourd’hui presque systématiquement les critiques (réductrices et donc erronées) de divers magazines en guise de légitimité. Sans analyse, sans particularité, des « merveilleux », « magiques », « incroyable » à tout bout de champ, qui, lorsqu’ils sont crus, attisent mais déçoivent bien vite les curiosités.
La Télévision : média trompeur ?
“La vérité c’est comme une couverture trop petite. Tu peux tirer dessus de tous les côtés, tu auras toujours les pieds froids » (2)
La promotion des films se fait presque nécessairement par la télévision, média de masse par excellence. Mais, tout en étant indéniablement un processus marketing, le petit écran en vient à ne plus questionner le grand. Ce sont toujours ces mêmes têtes d’affiches, évoquées plus haut, que l’on voit et revoit sans discontinuer. Les animateurs louent les films sans même les avoir vus, – on ne heurte pas les sensibilités, et on lustre les souliers. Les questions sont redondantes et sans cesse les mêmes – « Est-ce que vous vous êtes identifié à ce personnage », « Comment c’était de jouer avec tel réalisateur ? », « Ça fait quoi d’embrasser tel confrère plus ou moins sexy ? ».  C’est finalement, systématiquement, une approbation sage et vide qui est préférée à la critique construite et personnelle. Même les émissions consacrées exclusivement au cinéma se font rares, et ne représentent pas de grandes audiences.
De l’inutilité des réseaux sociaux
«Tu m’emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour ! Mais tu m’emmerdes ! » (3)
Le cinéma est loin d’être un art ancien, et il semble pourtant peiner à utiliser au mieux les moyens modernes dont il pourrait tirer de nombreux spectateurs. Peu de films ont, en France, une page Facebook, ou l’alimentent assez afin que celle-ci représente un intérêt véritable : les exclusivités, les Making-of, les articles à propos des films sont souvent absents de leurs pages sur les réseaux sociaux – quand elles existent (La Vie d’Adèle en est toutefois un bon contre-exemple). On ne cherche pas la participation du public à l’aide de Twitter, on ne fait pas de site dédié au film, bref : on ne met pas en place les armes qui pousseraient les spectateurs à se retrancher dans les salles de cinéma.
Repenser la communication du cinéma en urgence
« Il est l’ooooor, mon seignoooooooor » (4)
Oui, il est bel et bien temps de penser le cinéma autrement et de ne pas le laisser vaciller seul dans sa propre créativité avortée. L’heure/l’or de repenser aux tarifs des places de cinéma par exemple, si chères qu’elles en reviendraient désormais presque au prix du DVD – que l’on peut regarder, lui, autant de fois qu’on le souhaite. Prix qui ne s’accordent pas non à une société où le streaming et le téléchargement illégal sont de plus en plus faciles d’accès.
Projeter d’autres choses peut-être aussi, ou différemment. Des séries ! Pourquoi pas ? La production en est large et riche ! Regrouper des films ensemble, organiser des soirées plus attractives comme le font certains cinémas d’arts et d’essai ; le cinéma Le Select à Antony est novateur, sur ce registre, et sait créer l’événement.
Certes, on ne manque pas d’imagination au sein du monde fictif du 7e art, mais on en manque cruellement dès qu’il s’agit de projeter l’imaginaire dans la vie, la vraie, au champ réel des spectateurs, à défaut du champ de la caméra. Pourquoi ne pas repenser autrement le cinéma ? Des évènements autour de la sortie de film – groupés, par exemple ? – des avant-premières où un dialogue avec les spectateurs serait envisageable, plus fréquemment, une façon autre d’annoncer un film. Le film En Solitaire avec Cluzet montrait dans sa bande-annonce les difficultés rencontrées durant le tournage plutôt que les extraits du film.
Il s’agirait d’aider ainsi cet art si important qu’est le cinéma en France. Non pas réformer le 7ème art en lui-même mais repenser la façon dont il parle de lui. Lui donner un nouvel air, le faire respirer un peu. Avant qu’il ne s’essouffle.
 
Chloé Letourneur
Citations :
(1) La crise, de Coline Serreau, 1992
(2) Le Cercle des poètes disparus, de Peter Weir, 1989
(3) Un singe en hiver, de Henri Berneuil, 1962
(4) La folie des grandeurs, de Gérard Oury, 1971