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Société

The Take : nouveau visage du placement de produit ?

Les lunettes portées par Scarlett Johansson dans Lucy vous ont fait de l’œil ? Nul besoin d’écumer les boutiques de produits dérivés à la recherche d’imitations cheap qui vous coûteraient deux points de vision. L’application pour smartphone The Take permet de les scanner dans le film et de vous les procurer, changeant le produit culturel en la plus pointue des boutiques. De quoi souffler sur les braises du débat autour du placement de produit au cinéma et dans les séries.

The Take, pour s’habiller comme dans les films américains
Lancée il y a quelques mois, l’application The Take permet d’acquérir des vêtements, des accessoires ou même l’adresse d’un restaurant repérés dans un film (profil blockbuster américain uniquement). Le principe est simple : grâce à la reconnaissance sonore, l’appli identifie le film qu’est en train de regarder l’utilisateur avant de lui proposer une sélection de modèles portés par les acteurs dans les scènes principales. Avec un hyperlien direct, le spectateur-shoppeur est ensuite conduit vers une plateforme de vente où il trouvera le produit identique ou, lorsque l’appli n’a pas réussi à le trouver, un produit similaire qui fera parfaitement illusion. Une sorte de Shazam vestimentaire, en somme. Voilà de quoi réjouir les fans et désoler les puristes réticents au placement de produit.

De l’efficacité du placement de produit : du cinéma au ciné-marque
Le placement de produit est profondément lié à l’histoire du cinéma, puisqu’il est déjà utilisé par les frères Lumière, puis industrialisé après le formidable succès des bonbons Reese’s Pieces, à la suite de E.T. : The Extraterrestrial de Steven Spielberg. Aujourd’hui, le placement de produit est de plus en plus plébiscité par les marques. En effet, il afficherait un ROI (retour sur investissement) moyen quatre fois supérieur à un spot publicitaire, ce qui se traduit par un gain de notoriété et une envie de se renseigner sur le produit bien supérieure. Comment expliquer le succès de cette publicité clandestine ?
Notre époque est à la saturation publicitaire : la plupart des publicités se confrontent à l’hostilité des spectateurs. Pour beaucoup, la pub, c’est la pause, le moment d’aller se chercher un café ou de zapper, pour ne peut-être jamais revenir, au grand damne des annonceurs. C’est en partie la raison pour laquelle la frontière entre la publicité et le film ou la série – jingle, écran noir ou encore petit garçon de Médiavision surfant gaiment sur son ticket de cinéma – tend à s’amincir et à devenir poreuse. Même au sein de cette distinction initiale, les genres se brouillent, quand certains films ressemblent à de gigantesques publicités et que les marques n’hésitent plus à réaliser de véritables courts métrages artistiques, comme La légende de Shalimar – Le film de Guerlain. Ainsi, les différentes strates du programme audiovisuel s’homogénéisent.
C’est ce double phénomène qui est conceptualisé par Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety et Karine Berthelot-Guiet sous le nom de « publicitarisation » et « dépublicitarisation ».

Valérie Patrin-Leclère, définit la publicitarisation comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. »

La notion de « dépublicitarisation », développée par Caroline De Montety renvoie quant à elle à l’action des marques qui développent des dispositifs médiatiques et culturels dans lesquels l’aspect promotionnel est relayé au second plan.
Alors que nous sommes agacés par l’intrusion de la publicité sur nos écrans, et donc sur notre défensive vis-à-vis des marques, nous adoptons une attitude tout à fait bienveillante devant notre programme. Autrement dit, c’est le moment idéal pour une marque de se soumettre à notre regard énamouré.
  Un des multiples placements de produit dans Plus belle la vie.
Et le spectateur est étonnement tolérant ! Une enquête menée par Publicis révèle par exemple que 96% des spectateurs estiment que le placement de produit ne nuit pas à la liberté de création ni à la qualité de l’œuvre et 85% reconnaissent qu’il facilite la mémorisation de la marque.
La relation complexe entre les marques et le cinéma
Le cinéma et les marques entretiennent une relation amour-haine due à leur dépendance réciproque. Le cinéma a bien souvent besoin d’un financement externe : la liberté de création est permise par un investissement des marques, qui influencent également le processus de commercialisation du film, c’est-à-dire sa promotion.
Evidemment, la réussite du placement de produit dépend de l’équilibre entre les intérêts divergents de l’annonceur et du réalisateur. L’annonceur recherche la centralité et la visibilité, tandis que l’auteur du film qui accepte le placement a généralement intérêt à ce que le produit se remarque le moins possible, au contraire, se fonde dans le décor pour ne pas dénaturer le projet artistique initial. Et pour le spectateur, rien n’est plus irritant que d’être ramené à la réalité par un gros plan sur la montre Omega de James Bond au beau milieu d’une scène d’action. Nous voilà embarqués dans une furieuse chasse aux marques pour le restant de la séance, comme s’il s’agissait de « trouver l’intrus ».
Le placement de produit le plus efficace est celui qui s’insère pertinemment dans la fiction, qu’il soit là par simple réalisme (une voiture au logo flouté retient d’avantage l’attention qu’autre chose) ou qu’il serve l’histoire. Une marque est souvent un signe à part entière dans la construction d’un personnage. Elle en dit long sur son origine sociale ou ses revenus, sur son attachement ou son rejet de la mode, facilite l’ancrage de l’action dans un cadre spatio-temporel précis et permet aux spectateurs de se reconnaître en ces personnages. Là, la marque devient désirable car elle ne détonne pas outrageusement. C’est le spectateur qui va entreprendre la démarche de se renseigner sur le produit. C’est là qu’intervient The Take, qui pourrait instaurer une forme de placement de produit alternative et moins indigeste.
L’achat par smartphone, un marché à saisir
Nombre de marques et de producteurs ont décelé le potentiel d’une telle application. Initialement annoncée pour début 2015, l’application Shazam Fashion propose ainsi d’indiquer la provenance des vêtements et accessoires que portent les présentateurs télé et d’accompagner l’achat du spectateur. Ce qui est intéressant, c’est que Shazam Fashion ne fonctionne pas par reconnaissance visuelle du vêtement mais grâce à un système de partenariats avec les producteurs de télévisions américains. Il y a plusieurs années déjà, Andrew Fisher, le PDG de Shazam déclarait dans les pages du Guardian avoir « engagé des partenariats avec plus de 160 émissions de télévision ».
Ce n’est évidemment pas l’amour du 7ème art ou quelque philanthropie qui incite à la création de ces applications mais le marché prometteur de l’achat depuis les smartphones, en nette hausse. Selon une étude, 70% des consommateurs américains ont ainsi effectué un achat depuis leur téléphone portable dans les six derniers mois, contre 59% en 2013. Si les chiffres sont moins impressionnants en France, la tendance est néanmoins identique. C’est ainsi qu’on observe des applis de mode « sourcing » se développer sous diverses formes.
Asap54, par exemple, propose à ses utilisateurs de retrouver l’origine d’un vêtement vu sur un passant à partir d’une simple photo. Une fois la correspondance trouvée, elle redirige l’utilisateur vers le site marchand en question. Et si son système de scan ne parvient pas à trouver de correspondance exacte, plusieurs équivalents proposés. On peut aussi penser à BrandsOnAir et son système de partenariats avec les marques, ou encore à WhereToGet et sa communauté de passionnés qui mènent l’enquête pour trouver la provenance des vêtements photographiés. Cette dernière entretient également un rapport étroit avec les marques, que rien n’empêche d’être des membres à part entière et donc d’encourager les internautes à acheter leurs produits à travers un tracking des recherches et un système de pistage du profil des internautes.

Ces applications de fashion sourcing font du monde une vaste boutique, de chaque passant un ambassadeur d’une marque et de tous les instants une occasion de consommer. C’est d’ailleurs sur cette tendance que Comptoir des cotonniers avait surfé lors de sa campagne Cette page est une boutique.
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
www.e-marketing.fr
konbini.com
lemonde.fr
histoiredesmedias.com
Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation
Crédits images :
lemonde.fr
e-marketing.fr
konbini.com

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Médias

Un petit écran, escroc mais pas trop

Alors que le CNC (Centre National de la Cinématographie) annonçait pour 2014 une augmentation de plus de 40% de la fréquentation des films français qui ont alors atteint leur plus haut niveau d’audience depuis trente ans, le cinéma Hollywoodien, en berne depuis 2013, ne cesse de reculer. Sur le territoire américain, les performances décevantes de certains gros opus tels que Transformers 4, Hunger Games, The Amazing Spider-Man 2 semblent vérifier une bien regrettable prophétie annoncée par Michael Cieply en 2012 dans Le New York Times qui titrait «  Movies try to escape cultural irrevence  » autrement dit « Le cinéma cherche à redevenir pertinent ». Le cinéma, du moins outre-Atlantique, aurait-il déjà franchi le seuil de la modernité? Le plus jeune des Arts aurait-il subi un vieillissement prématuré? A ce constat s’ajoute l’effondrement du sacro-saint marché de la distribution doublé du déclin amorcé de la 3D. Depuis le piratage et l’éclatement des plateformes de visionnage illégales, le cinéma bataille pour son existence. Pourtant, alors en plein milieu d’une seconde crise d’audience liée au développement des sites de locations de films et de séries télévisées tels que Netflix, ce sont les grands gardiens du cinéma, ces réalisateurs connus qui ont fait du grand écran le bastion de leur succès, qui semblent se désolidariser de celui-ci en s’associant au format sériel du petit écran, dévitalisant encore plus nos cinémas bien amoindris.
Woody l’entourloupette

Signait cette maxime restée culte : « La vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision ». Prolifique au grand écran, Woody Allen, le réalisateur de Manhattan, abandonne à titre provisoire un septième Art morose, pour se consacrer au petit écran, bien plus tendance en ces temps. C’est précisément le studio de production Amazon Studios qui a annoncé le savoureux projet dans lequel Woody Allen se voit confier l’écriture et la réalisation intégrale d’une saison de huit épisodes d’une demi-heure, baptisée «  Untilted Woody Allen Project » autrement dit Le projet Woody Allen sans titre. Malgré un discours naïf hurluberlu que nous lui reconnaissons bien, « Je ne sais pas comment je me suis mis là-dedans. Je n’ai aucune idée et je ne sais pas par où commencer (…)», difficile de ne pas faire le rapprochement avec l’attribution, et ce, la veille au soir, du Golden Globe à Kevin Spacey, pour son premier rôle dans la série House Of Cards produite par Netflix, un concurrent direct de Amazone Studios.
Petits écrans, grands affronts
Clint Eastwood pour la série Rawhide, Steve Mac Queen pour Au nom de la loi accompagné d’acteurs des plus cinégéniques comme Johny Depp, Brad Pitt ou George Clooney, autant de figures emblématiques du grand écran gagnées par le petit. Hitchcock l’avait très justement présagé dès 1955 avec les anthologies Alfred Hitchcock, ainsi qu’en tournant Psychose avec les moyens techniques de la télévision. L’avenir du cinéma se trouverait donc derrière lui, dans nos écrans LCD, depuis l’érosion de son succès et l’apparition du format sériel. Les plus gros producteurs Américains comme Jerry Bruckheimer, McG, David Fincher, malgré son dernier succès Gone Girl sorti fin 2014, sont aujourd’hui rangés derrière des chaines câblées prépondérantes tels que HBO, Showtime et des sites de locations : Netflix ou Amazone Studios et mènent une guerre d’audience acharnée. Le 7e Art connait une débâcle historique. Le petit écran, longtemps considéré comme un média ringard et peu valorisant pour la carrière d’un acteur se positionne aujourd’hui comme un art à part qui propose aussi bien une densité et une variété des rôles qu’une visibilité telle que le cinéma n’en pourrait jamais donner.

 
Johana Bolender
@JohBolen
Sources :
nytimes.com
slate.fr
lemonde.fr
cnc.fr
Crédits photo :
pro.clubic.com
gq.com

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Société

THE INTERVIEW : UN ACTE DE GUERRE ?

 
La nouvelle est tombée comme un couperet le 17 décembre dernier. La comédie produite par le grand studio américain Sony Pictures Entertainment, The Interview, – en français L’Interview qui tue – s’est vue refuser une sortie nationale en bonne et due forme dans les salles de cinéma américaines et mondiales. Initialement prévue pour le 25 décembre aux États-Unis et le 11 Février en France, cette production met en scène le duo d’acteurs Seth Rogen et James Franco dans une comédie franchement potache. À l’origine de cet échec cuisant, un conflit entre l’Oncle Sam et son éternel ennemi, la Corée du Nord. Retour sur une affaire à prendre avec une pincée de recul et un soupçon de dérision…

Un synopsis décidément trop provoquant
The Interview retrace le périple de deux journalistes américains en mission pour la CIA. Leur objectif : éliminer le leader politique nord-coréen Kim Jong Un. Âmes sensibles s’abstenir. Dans la scène de l’assassinat en question, d’une finesse cinématographique sans précédent, on pourrait voir la tête du dictateur exploser dans une effusion de sang. Il n’en fallait pas plus pour indigner Pyongyang, qui a dès lors défié Sony de diffuser son film, en l’accusant ni plus ni moins « d’acte de guerre ».
Vous l’avez compris, ni la nuance, ni la demi-mesure ne font partie de cette affaire. Cet avertissement du régime nord-coréen vient ponctuer une lutte acharnée qui dure depuis plus de quatre semaines, la dictature ne s’étant pas contentée d’un simple rappel à l’ordre. Une organisation de hackers nord-coréens nommée Guardians of Peace a détourné plus de 100 terabytes de données, dont les informations personnelles de 47 000 employés et collaborateurs de Sony Pictures Entertainment. Ils ont également menacé le studio d’attentats si le film sortait dans les salles américaines. « Rappelez vous du 11 Septembre. » Voilà ce que les employés de S.P.E pouvaient lire sur leurs ordinateurs pendant les cyber-attaques. Plusieurs médias américains d’envergure ont d’ailleurs relayé l’information, baptisant, au passage, l’affaire « Sony Leaks ». Parmi eux le New York Times, qui affirme, selon des sources gouvernementales, que la Corée du nord était « centralement impliquée » dans le piratage des données de S.P.E. La dictature nord-coréenne a immédiatement démenti toute implication dans cet acte en apportant tout de même son soutien aux auteurs. Comme ci cela ne suffisait pas, l’agence de presse gouvernementale nord-coréenne a de nouveau agité la menace de l’arsenal nucléaire du régime et conseillé à Washington de « réfléchir à deux fois à sa politique hostile » envers Pyongyang.
Hollywood capitulerait-il ?
Cette annulation forcée sonne comme une défaite pour un studio aussi puissant et influent que S.P.E. Avant que Sony ne déclare officiellement l’annulation de la sortie du film, les réseaux de distribution hollywoodiens refusaient déjà de le diffuser. Selon le Président américain : « Sony a fait une erreur ». De plus, l’excitation du corps médiatique quant aux affaires de piratage semble avoir quelques peu brouillé les enjeux inhérents à cette affaire. Le Monde, notamment, parlait déjà de « victoire sans pareille dans l’histoire de la guerre cybernétique ». Pourtant si l’on y regarde de plus près, l’aspect économique, avant tout, permet de visualiser plus clairement les obstacles auxquels Sony et tout studio américain doit faire face.
S.P.E comptait amortir un investissement de 80 millions de dollars, 35 pour la campagne de promotion et 44 pour la production, comptant sur la « seasonability » du projet. Ce terme renvoie à la rentabilité du calendrier annuel – les fêtes de Noël et les vacances scolaires sont particulièrement propices à la sortie de productions mainstream, assurant un nombre de spectateurs suffisant pour générer du bénéfice. Voilà l’embarras dans lequel se retrouve Sony : faire une croix sur la période la plus rentable de l’année. Difficile de savoir si cela relève de la stupidité ou de l’exploit, mais une chose est sûre, c’est un aveu de faiblesse vis-à-vis de ses concurrents. S.P.E sortira affaibli de cette épreuve, l’année 2014 ayant été peu reluisante au box-office. Les autres majors hollywoodiennes ont dû être particulièrement soulagées à l’annonce de l’annulation de la sortie de The Interview. C’est pour elles l’occasion inespérée de préserver le succès de leurs blockbusters de Noël. Le Hobbit pour la Warner, Exodus pour la Fox, Hunger Games pour Lions Gate notamment.
Une illustration des luttes inhérentes au Soft Power
Toutes les majors hollywoodiennes sont des ambassadrices de la culture américaine à travers le monde et incarnent un certain idéal de puissance, au-delà des forces militaires, économiques et industrielles. On voit dans cette affaire qu’une major hollywoodienne peut influencer les affaires internationales au même titre que les domaines précédemment cités. C’est parce qu’elles sont détentrices d’une forme particulière de pouvoir et d’influence, le Soft Power. Ce concept renvoie à un pouvoir vu sous le prisme de l’attraction et non pas de la coercition. Un film obéit à tout un système de signe, lui même enraciné dans une culture donnée. Le blockbuster américain, imprégné de sa propre culture, est régi par des codes particuliers et véhicule des valeurs stratégiques : la liberté, la démocratie, l’individualisme, l’économie de marché. La pression nord-coréenne, qui s’est traduite par des actes hostiles, traduit des appréhensions bien plus profondes. Ces luttes interculturelles à l’image de l’affaire Sony Leaks permettent de voir sous un nouveau jour les relations d’attraction et de répulsion que le modèle américain suscite à travers le monde, les tensions entre les affirmations identitaires, sans oublier la course à l’expansion culturelle, à l’heure où les contenus deviennent globaux.
Karina Issaouni
 
Sources
Lemonde.fr 1 & 2
Fréderic Martel – MAINSTREAM, éditions stock

Publicité, Société

Vers une réalité augmentée ?

 
Oculus Rift, quésaco ?
Sous ce nom barbare se cache le gadget qui deviendrait le possible enjeu d’une petite révolution numérique, permettant notamment de créer de nouvelles expériences télévisuelles, cinématographiques, publicitaires et même… sportives !
Créé en 2012 et racheté en 2014 par la société Facebook, ce petit bijou, qui se présente comme un masque recouvrant le regard, permet à son utilisateur de se plonger à 360° dans une réalité virtuelle.
Cette technologie, très en vogue chez les gamers, commence doucement à trouver d’autres preneurs. Le cinéma s’en est en effet déjà emparé, Zéro Point, le premier film en 3D et à 360°, étant sorti en octobre 2014.

Même si l’on peut dire de façon certaine que ce film d’une vingtaine de minutes n’est pas un chef d’œuvre cinématographique – ce dernier se présentant plutôt comme une publicité pour les lunettes que comme un film potentiellement primable à Cannes – cette sortie témoigne tout de même d’une tendance qui tend à se déployer dans le monde du cinéma.

En marche vers une nouvelle expérience cinématographique
La preuve en est, quelques semaines plus tard la chaîne Arte programmait le premier documentaire utilisant ce nouveau gadget. La chaîne a diffusé un documentaire se déployant sur différentes plateformes. Un premier format de 90 minutes pouvait être visualisé sur la chaîne puis en Replay. Dans celui-ci, les téléspectateurs voyageaient dans les paysages de l’Arctique, en ayant l’impression d’être acteurs de la scène : le réalisateur avait opté pour un point de vue subjectif.
Mais le plus intéressant reste le deuxième format proposé par Arte : plusieurs minutes de documentaire étaient mises à disposition des téléspectateurs sur internet, et les possesseurs des lunettes Oculus Rift pouvaient les utiliser et ainsi se plonger dans les paysages en immersion totale. En effet, les lunettes captent les mouvements de tête et donnent l’illusion de se déplacer à son gré sur les lieux du tournage.

Le téléspectateur n’est ainsi plus guidé par le regard biaisé de celui qui tient la caméra. Chaque visionnage devient unique, et totalement personnel. Le film s’échappe de plus en plus des mains du réalisateur et glisse vers celles du spectateur qui devient une triple figure de spectateur-acteur-réalisateur portant l’image où bon lui semble.
Arte, par le biais de ce documentaire, souhaitait sensibiliser les spectateurs aux problèmes climatiques et à ce qu’ils infligent aux magnifiques paysages de l’Arctique. Ce n’est donc pas anodin qu’ils aient opté pour l’utilisation des lunettes car celles-ci, en donnant l’illusion au spectateur qu’il se trouve sur les lieux, permettent une identification plus forte encore que celle à laquelle on pourrait être sujet dans un film traditionnel. Et, c’est bien connu, l’identification du spectateur est une des recettes clé pour le chambouler.

Oculus Rift : un coup de pouce pour les coups de pub ?
La publicité a bien compris les enjeux de cette technologie et s’en est aussitôt emparée. En effet, Volvo, par l’utilisation de ces lunettes, propose aux futurs acheteurs de vivre quelques virtuels instants au volant de leur dernière voiture, et leur donne ainsi le sentiment d’être déjà possesseurs de celle-ci. Volvo semble donc croire que la réalité virtuelle peut avoir un impact sur la réalité sensible. Le potentiel acheteur transfigurerait, par l’achat de la voiture, son expérience factice en une expérience concrète. La marque d’automobiles, plus encore que d’insuffler l’envie d’acheter la voiture, donne l’illusion au consommateur qu’il se l’est déjà appropriée.

Bien d’autres domaines ont également mis la main sur cette technique de la réalité virtuelle : une application sportive permettra bientôt à ses utilisateurs d’avoir l’impression de courir durant le marathon de New- ork. Paul McCartney, lui, propose à son public une application permettant d’assister à la performance de la chanson « Live & Let Die ». Pour en citer d’autre encore, même l’industrie de la pornographie s’y est mise, proposant à ses consommateurs de contrôler les images et ainsi de participer à la scène sans pour autant y être réellement…

Une révolution critiquable ?
Mais des critiques émergent déjà : les utilisateurs témoignent d’une douleur aux sinus, à la tête et aux yeux lors de l’utilisation de l’Oculus Rift, rendant impossible une durée de visionnage trop longue. Ils déclarent également que le format en 600*400 est difficilement perceptible pour l’œil humain, incapable de s’y fixer.
Des progrès restent donc à faire, c’est certain, mais l’on peut tout de même déclarer que cette nouvelle technologie est en phase de provoquer une révolution dans divers milieux qui touchent au numérique. Mais cette révolution est-elle positive ? Cette question mérite d’être posée car cette fois ci, ce n’est plus l’Homme que l’on souhaite augmenter, on passe à un niveau supérieur qu’est la réalité elle-même ! Mais à force de chercher l’augmentation, ne finirait-on pas par aboutir à une réduction, le danger étant que cette réalité augmentée finisse par rimer avec substitution de la réalité ?
Valentine Cuzin
Sources :
konbini.com
siliconvalley.blog.lemonde.fr
Crédits photo :
digitaltrends.com

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Société

Nymphomaniac : Sexe, Mensonges et Vidéo(s)

 
Annoncé depuis 2011, le drame érotique Nymphomaniac est enfin sur nos écrans et, une fois de plus, la sortie d’un des films de Lars von Trier s’accompagne de son lot de polémiques.
 Un adepte de la controverse
On se rappelle du scandale qu’avait suscité son Antichrist au Festival de Cannes en 2009, où Charlotte Gainsbourg avait été insultée de « sale pute ! » pendant la projection d’une scène où elle se masturbait.
Rebelote lors de l’édition de 2011, qui avait choqué par les propos antisémites qu’avait tenus le réalisateur lors d’une conférence de presse pour Melancholia, où il avait affirmé sa sympathie envers Hitler.
Immédiatement déclaré persona non grata du Festival, où il avait pourtant présenté la majeure partie de ses œuvres depuis sa consécration avec Dancer in the Dark, on ne sait aujourd’hui toujours pas s’il pourra de nouveau présenter un de ses longs-métrages dans la sélection cannoise. Toujours est-il qu’après avoir été maintes fois repoussé, Nymphomaniac ne devrait logiquement pas figurer dans la compétition cette année, de quoi supposer que Thierry Frémaux, délégué général du Festival, n’est peut-être toujours pas décidé à le réintégrer parmi les habitués.
Pourtant encensé par la critique depuis ses débuts, le Danois aime toujours autant déranger, comme il le prouve avec son dernier film, où il repousse une fois de plus les limites. Ce faisant, il pose de nouveau cette interrogation cruciale : doit-on lire une œuvre artistique à travers le prisme de son créateur ?
On ne saurait que trop vous conseiller de vous faire votre propre avis sur ce réalisateur si singulier, dont l’œuvre ne peut laisser indifférent.

Une campagne promotionnelle résolument suggestive
Le buzz commence au mois de mai dernier, où la première affiche du film est dévoilée. Après un synopsis énigmatique, étayant que le film relate le parcours poétique et érotique d’une femme depuis sa naissance jusqu’à ses cinquante ans, le ton du film se précise grâce à ce qui deviendra l’emblème de la communication qui entoure le film : deux parenthèses formant manifestement l’appareil génital féminin. À noter que le titre du film change peu après pour s’approprier cette symbolique, en devenant Nymph()maniac. La mention qui l’accompagne, « Forget about love », se passe de commentaires…

S’ensuit une longue période de rumeurs, qui commence par l’évocation d’une série télévisée, pour prolonger le plaisir, avant que les acteurs ne s’y mettent. Shia LaBeouf n’hésite ainsi pas à affirmer ne pas avoir simulé les scènes de sexe et va même jusqu’à se vanter d’avoir décroché le rôle grâce à une sextape qu’il aurait confiée au réalisateur. Balivernes pour un buzz réussi, des doublures issues de l’industrie pornographique ayant été en charge des scènes en question.
Tous ces tapages permettent ainsi au film de faire parler de lui plus d’un an avant sa sortie en salles. Et comme le sexe fait vendre, il n’est pas question d’en rester là. À quelques semaines de la sortie en salles, la promotion s’intensifie via une série d’affiches et d’extraits tous plus allusifs les uns que les autres : l’ensemble de l’excellent casting est ainsi mis à contribution pour s’afficher en plein orgasme.

D’ailleurs, là où des campagnes promotionnelles du même acabit avaient été interdites sur la voie publique, à l’instar de celles d’artistes comme Saez, Étienne Daho, ou celles du film Les Infidèles, ces affiches-ci ne posent visiblement pas problème, étant donné qu’elles sont placardées dans chaque rue de la capitale.
Mais l’interdiction au moins de 12 ans est venue briser ces faux-semblants : Nymphomaniac n’est pas l’œuvre sulfureuse qui a été vendue depuis deux ans au public et à la presse, qui ne manquent d’ailleurs pas de se plaindre du mensonge qu’a constitué la campagne de promotion du film, ce qui ne l’a pas pour autant sauvé d’un échec. Mais n’est-il pas encore trop tôt pour parler d’arnaque ?
 Deux versions d’un même film
Si vous vous êtes rendus dans les salles obscures, vous n’avez pas pu passer à côté de cet avertissement, avec lequel s’ouvre le long-métrage : « Ce film est une version abrégée, et censurée, de la version originale de Nymph()maniac de Lars von Trier. Il a été réalisé avec sa permission, mais sans autre implication de sa part ».
Le film sorti en France est donc une version raccourcie, le director’s cut ayant une durée de 5h30 (4h00 chez nous, déclinées en deux volumes de 2h). La rumeur fait état d’un refus du metteur en scène de tailler dans son œuvre, dont le final cut aurait été confié aux producteurs du film. Dès lors, que penser du premier volume sorti en salles ? Difficile de répondre, précisément parce que le film projeté actuellement ne correspondrait pas à la vision qu’en a son créateur…Mais une nouvelle fois, cela semble faire partie des stratégies mises en place pour accroître le succès du film puisque, comme l’a récemment indiqué sa productrice, Lars von Trier a bien consenti aux deux versions de son œuvre : une hard et une soft, pour obtenir une meilleure visibilité internationale.
Personne n’a encore eu accès à la version intégrale, qui devrait être projetée en première exclusivité au prochain Festival international du film de Berlin, mais une chose est sûre, vous n’avez pas fini d’entendre parler de Nymphomaniac…
 
David Da Costa
Sources :
Nymphomaniacthemovie.com
Lemonde.fr
Lexpress.fr
Telerama.fr
Crédits photos :
Les films du losange
Zentropa

Agora, Com & Société

Quand y'en a marre, y'a Shalimar

 
Le 25 septembre, les spectateurs pouvaient découvrir la nouvelle campagne de publicité de Shalimar intitulée « La Légende de Shalimar ». Le film s’inspire de la vie de la princesse indienne Mumtaz Mahal pour qui l’époux fit construire le Taj Mahal. Ici, Natalia Vodianova l’égérie de Shalimar qui n’a rien d’une princesse indienne (ni elle, ni le prince, ni les paysages ne sont réellement indiens), reçoit à la fois le Taj Mahal et du parfum. Vous avez dit sexiste ? Si ce n’était que ça.
 « Shalimar m’a tuer ». Cordialement, le Cinéma.
Cette publicité marque l’acmé du mélange des genres. La publicité prend de plus en plus de place dans les salles, les bande-annonces se mêlent aux marques de boissons et de food. En plus de profiter de l’architecture de la salle de cinéma, de ses installations audio et vidéo et d’un univers imaginaire, la publicité emprunte au cinéma ses codes. Après Zorro, Bruce Lee, Cendrillon, voici « La Légende de Shalimar » : court-métrage voguant sur les talents nouvellement incroyables de Vodianova, révélée au cinéma par le flop « Belle du Seigneur ». La publicité possède même une affiche qui reprend les codes de l’œuvre cinématographique.

Pour ce faire, Shalimar a cassé sa tirelire : 4 millions d’euros, soit 11 000 euros la seconde, « ce qui signifie que si vous la voyez en ce moment avant ‘Miele’, ‘La Bataille de Solférino’ ou ‘Alabama Monroe’ , le film pour lequel vous avez payé votre place aura coûté beaucoup moins cher. » comme le montrent nos confrères de Rue 89. 4 millions d’euros sont nécessaires à cette prise d’otage du spectateur pendant presque 6 minutes, format inhabituel au cinéma.
 
Steven Clerima
Sources :
http://www.rue89.com/2013/09/26/pub-shalimar-guerlain-insupportable-interminable-246093

Agora, Com & Société

Pitche-moi la Cité Rose

 
Intégrer le public dans sa communication et transformer les fans en ambassadeurs de marques, voici la stratégie choisie par Julien Abraham et Sadia Diawara pour le lancement de leur film La Cité Rose, sorti en salles le 27 mars 2013.
La Cité Rose : plus qu’un film, un concept
Comment se mettre le public dans la poche ? Sur Twitter, le community manager retweete tous les internautes qui parlent de La Cité Rose : « Allez voir le film, lourd ! », « @Laimyssgegen : La Cité Rose c’est une tuerie j’ai pleuré mdrrr » ou encore « @Ibrahim_wiz : Pour une fois on est fier de notre quartier comme quoi il n’y a pas que de mauvaise chose dans le hood LA CITE ROSE ». Sur Facebook, les membres de l’équipe du film « likent  » les commentaires et les publications des fans : « MOI JE DIS BRAVO CE FILM TIENT TOUTE C PROMESSE UN BIG UP A MES POTES D’ENFANCE… », « Super le film, bravo !!! J ». Toutes les manifestations des internautes sont relayées et encouragées. Ainsi, le fan se trouve considéré et se transforme en porte-parole du film.
Ce dernier s’est constitué une armée de fans qui communiquent tous dans leur environnement. Le cœur de cible reste les habitants de la Cité Rose, c’est-à-dire ceux d’Ile-de-France et par extension, les personnes ayant grandi dans un environnement similaire. Il y a eu Banlieue 13, fantasme de la banlieue dangereuse et marginale, il y a désormais La Cité Rose, peinture d’un quartier difficile à travers le prisme de l’enfance avec tous les rêves et désirs qu’elle suscite. C’est ce message que porte le film et qui se retrouve dans la campagne marketing.

En somme, les gens se reconnaissent dans le film, ils peuvent s’identifier aux personnages (enfants, adolescents et adultes) et ainsi donner de la légitimité à l’œuvre, se porter garants de la véracité du film et de la réalité qu’il dépeint. En parlant du film sur les réseaux sociaux, les ambassadeurs parlent en fait d’eux-mêmes en ce qu’ils décrivent leur réalité et leur expérience de vie. Le message que la campagne transmet au public est le suivant : si le film connait un succès, c’est aussi le vôtre car c’est votre histoire. Lorsque l’on parcourt la page Facebook , on a accès à des centaines de photos qui présentent les contenus, des acteurs aux réalisateurs, des cadreurs aux perchistes. Encore une fois, le message est clair : vous avez l’habitude de vous déplacer au cinéma, aujourd’hui, le cinéma vient vers vous, dans votre cité, dans votre quotidien.
L’objectif de la production est de récupérer ces témoignages et ces contenus d’utilisateurs pour les exploiter en créant du brand content. Lors de l’avant-première à Lille, le réalisateur Julien Abraham et le co-producteur Sadia Diawara, ont apporté une caméra qui leur a servi à récolter les impressions et les avis du public pour les partager sur Facebook. Une bonne campagne marketing doit raconter une histoire, non pas le scénario du film, mais le scénario de sa réalisation. Le public doit pouvoir identifier une chronologie qu’il viendra compléter par son propre visionnage du film en salles. Sur la page Facebook de la Cité Rose, la production multiplie les rendez-vous (avant-premières, projections spéciales et conférences de presse) et chacun de ses meetings est exploitable. Contrairement à d’autres pages marketing qui veulent rester « clean », la production n’efface aucun commentaire, ne supprime aucun post, même négatif : la page doit transpirer le vécu et l’émotion.
«  Pitche-moi la Cité Rose »

Innovation marketing, la production diffuse toutes les semaines des courts films intitulés « Pitche-moi la Cité Rose ». Ici aussi il est question de recueillir l’expérience du public mais cette fois-ci, ce sont des célébrités françaises qui décrivent le film : Mélissa Theuriau, Arié Elmaleh ou encore Thomas Ngijol. Le choix des personnalités n’est pas anodin : ce sont des acteurs, journalistes et comédiens qui touchent en général un public populaire avec le même cœur de cible que le film. La vidéo se sépare en deux temps distincts : d’abord, ils racontent le film, puis ils donnent des arguments pour inciter le public à se rendre en salles. Cette stratégie donne du crédit au film et contribue à l’élargissement de l’éventail des cibles susceptibles d’être touchées.
La CitéRose présente la vie de quartier de manière différente et le public ne s’y trompe pas. Que ce soit en salles ou sur Facebook, il communique sur la banlieue et la banlieue le lui rend bien.
 
Steven Clerima
Sources :
http://www.marketing20.fr/marketing-communautaire-marketing-social/comment-creer-et-animer-un-programme-dambassadeurs-de-marque/
http://www.themavision.fr/jcms/rw_259422/ambassadeurs-de-marque-une-nouvelle-generation-de-marketing-participatif-qui-prend-de-lampleur

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Société

Sugar Man, la recette d’un succès au cinéma

 
Si Sugar Man raconte la trop tardive notoriété de l’artiste Sixto Rodriguez, ce documentaire connaît lui un véritable succès. Les critiques sont élogieuses et les spectateurs au rendez-vous. L’Oscar 2013 du meilleur film documentaire qu’il a reçu parfait cette belle trajectoire, alors qu’il semblait à l’origine destiné à un public restreint. Une succes story laissée aux mains du hasard ? Pas si sûr ! Ce film illustre parfaitement certaines tendances de l’industrie culturelle. La preuve ici qu’il n’y a pas que du sucre dans Sugar Man.
Ingrédient n°1 : le documentaire
Le temps où documentaire rimait avec « longues séquences animalières sur France 5 à l’heure la plus creuse de la nuit » est révolu. Et pour cause, il est devenu un genre cinématographique à succès. En investissant le grand écran, et c’est bien ce dont rêvent de nombreux réalisateurs, le documentaire devient vecteur d’émotions. Lorsqu’il est animalier, il propose des sujets universels, des images belles et spectaculaires. Souvenez vous du Peuple migrateur en 2001, lui aussi récompensé aux Oscars et plébiscité par le public. Quand il s’agit d’affaires humaines, il doit décrypter et nous ouvrir les yeux sur un système opaque pour nous faire réagir. Inside Job, oscarisé en 2011, éclairait et dénonçait ainsi les rouages d’un système financier planétaire, qui a engendré cette crise économique dont on peine à sortir.

Dans la sauce, on veut des histoires !
Sugar Man, c’est encore une autre recette. C’est le nec plu ultra de ce qu’on appelle, pardon d’utiliser encore cette expression, le storytelling. L’histoire vraie d’un homme simple, élevée au rang de mythe. Un homme qui aurait du être une star mais qui, au lieu de ça, a vécu dans l’ignorance de son succès et dans la plus grande modestie. Le documentaire vient alors réhabiliter Rodriguez et sa musique qui cartonne également. Car c’est bien la première visée d’un documentaire : s’approcher du réel, le dépeindre. Mais pour attirer le public, la réalité se doit d’être romancée et embellie. C’est l’un des rares reproches qui a pu être adressé au film par quelques critiques (voir Le Monde). L’histoire de Sugar Man est véritable mais l’omission de certains éléments rend le récit plus parfait. Si le réalisateur avait mentionné le succès du chanteur en Australie et en Nouvelle-Zélande dans les années 70, ce documentaire aurait été plus réaliste, mais aussi moins spectaculaire. N’est ce pas alors la fonction première du documentaire qui est ici bousculée ? A chercher plus d’authenticité, la construction médiatique ne fait peut être que s’en éloigner.
Ajouter une stratégie bien léchée
Au delà de sa belle réalisation sur laquelle on ne s’étalera pas ici (car elle est l’objet de quasiment toutes les critiques du film), le succès de Sugar Man s’explique aussi par un bel accompagnement marketing. Comme l’explique la productrice Michèle Halberstadt dans le Monde, le film a bénéficié de la technique « platform release » : le film sort d’abord « dans un nombre restreint de salle pour susciter le désir ». En France, après une projection VIP avec stars et show case de Rodriguez lui même, il n’a d’abord été visible que dans quelques salles parisiennes. Quelques villes de province ont pu ensuite le projeter, et il ne cesse encore de voir sa diffusion et son succès augmenter. « D’un opus branché, on est passé à une œuvre populaire, que le grand public veut voir par curiosité ».
Assaisonnement subtil, entre élitisme et populaire
Cette technique marketing est aussi révélatrice d’un phénomène sociologique observable, car elle s’adapte à une population aux goûts culturels de plus en plus éclectiques. Comme le disait le sociologue Olivier Donnat, on est passé de l’exclusion à l’éclectisme. Plus besoin aujourd’hui de rester cantonné à un genre selon son appartenance sociale ou son niveau d’étude pour construire sa légitimité culturelle. Pour résumer, c’est s’intéresser un peu à tout qui est bien vu aujourd’hui, et les frontières entre culture d’élite et culture populaire sont de plus en plus floues. Cette hybridité culturelle peut déclencher une deuxième dynamique : le besoin des élites de se démarquer à tout prix. Une œuvre, devenue populaire, peut alors être réévaluée par les critiques intellectuelles. The Artist ou encore les Intouchables, acclamés à leur sorties par la presse, ont vu leur qualité souvent remise en cause après avoir été massivement récompensés. Il n’est pas toujours bon d’aimer ce que tout le monde aime.
Ainsi peut on déjà s’attendre à ce que Sugar Man, chouchou de la presse, soit de plus en plus critiqué à mesure que son succès s’accroit. Commence alors le décryptage du documentaire : on cherche à connaître la vérité qui se cache derrière ce qui est censé déjà être la réalité.
Un mélange production-critique-public à consommer sans modération !
 
Agathe Laurent
Sources :
« Sugar Man » : les raisons d’un succès bien huilé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man » : un « storytelling » soigneusement agencé, LE MONDE | 07.04.2013
« Sugar Man », le conte de Noël d’un rockeur miraculé, LE MONDE | 25.12.2012
Le succès grandissant des documentaires au cinéma, Le Point
– THÉORIE DU FILM DOCUMENTAIRE (PENSER LE CINÉMA DOCUMENTAIRE : LEÇON 3)
– Le phénomène « Sugar Man »
– Critiques de presse sur AlloCiné des films SugarMan, the Artist, les Intouchables
– Sociologie de la communication et des médias, Eric Maigret

Société

Amicalement pas vôtre

 
En période d’évolution et de changement, il est intéressant de constater des comportements qui se cristallisent, voire qui se radicalisent : le modèle économique des grandes majors de la musique, des grandes maisons d’édition est en pleine mutation, si bien qu’elles se montrent de plus en plus intraitables dans la défense de leur propriété. De même, les partisans du libre et du partage gratuit radicalisent leurs actions en même temps que leur raison d’être tend à se faire moins évidente.
 
Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dans le cas du livre, le succès insolent d’Amazon, notamment aux États-Unis, ne le dément pas : il ne vous est plus permis de posséder, on vous concède une licence d’utilisation sur un bien dont vous n’êtes plus le propriétaire. Le livre que vous achetez ne peut être revendu, transmis, échangé ou prêté. Il est la propriété d’Amazon. La musique tend à suivre le même chemin, après l’interdiction des DRM (verrous numériques limitant l’usage) avec des services comme Deezer ou Spotify qui proposent des abonnements. De même, le jeu vidéo, qui bénéficiait d’un marché de l’occasion important, s’en trouve privé puisqu’il est de plus en plus téléchargé et non acheté sur des supports physiques, ce qui rend dès lors impossible la revente, le prêt, la transmission…
Fini donc le temps où vous récupériez les livres ou la musique de vos parents.
Mais cette évolution est à l’œuvre partout : le vélo en libre service, la voiture en libre service, l’abonnement annuel à des logiciels comme la suite Office, l’abonnement aux éditions en ligne des médias d’information plutôt que l’achat au numéro…
 
Du propriétaire à l’usager
Tout cela participe de ce que l’on appelle l’économie de la fonctionnalité : on cherche à monétiser un usage et non plus une propriété. Ce système permet beaucoup de choses, parce qu’il facilite par exemple l’évolution du bien dont vous achetez l’usage ; vous n’êtes plus tenu d’acheter à chaque fois le nouveau produit pour bénéficier de nouvelles fonctionnalités. De même, il y a l’idée que vous payez pour ce que vous utilisez plutôt que d’acquérir un surplus inutile. Un bel exemple de cette évolution est le ChromeBook de Google, un ordinateur, couplé à son OS (Operating System ou Système d’exploitation, logiciel qui gère la partie matérielle d’un ordinateur et permet l’interaction avec l’utilisateur : Windows, MacOs ou Linux sont des systèmes d’exploitations) : ChromeOs. En effet, cet ordinateur de faible capacité (relativement à ce que l’on trouve aujourd’hui) fonctionne grâce à des applications hébergées en ligne, accessibles et utilisables en ligne, mais non installées sur votre ordinateur.
Cela permet, en théorie, de réduire les coûts, puisque vous ne payez qu’en fonction de vos stricts besoins.
Beaucoup de ces entreprises et marques qui se lancent dans l’économie de la fonctionnalité mettent en avant les avantages en termes de coûts, d’environnement (notamment pour l’automobile, le vélo et le papier), la mobilité en ce qui concerne le contenu comme la presse, les livres, la musique…
Cet argumentaire s’intègre d’autant mieux aujourd’hui que la Responsabilité Sociétale et Environnementale (RSE, ou ESG pour les anglo-saxons) et, de manière générale, le bilan extra-financier des entreprises prend de l’importance dans les choix des investisseurs et des consommateurs.
Par exemple, la page d’accueil de Deezer joue sur la mobilité : « Faites entrer la musique dans
 une nouvelle dimension. Écoutez tout ce que vous aimez, 
partout, tout le temps »
Sur le site d’Autolib’, la rubrique avantages met en évidence la réduction des coûts et l’environnement : « Économique, pratique, écologique, simple »
En présentation de l’abonnement mensuel ou annuel de la suite Office, on retrouve la mobilité : « Utilisez Office quand et où vous en avez besoin »
 
De l’usager à l’aliéné
 Mais cette économie de la fonctionnalité est, dans la pratique, moins convaincante : parce que l’on accroît sa dépendance à l’égard de ces différents acteurs. Si Google ou le Groupe Bolloré rencontrent un problème, vous n’avez plus accès à vos documents ou applications hébergés en ligne, et vous n’avez plus de moyen de transport. Ceux à quoi certains, auxquels les événements ont donné tort, répondront que ces acteurs sont « too big too fail » ; de quoi être rassuré sur la pérennité de ces services, non ?
En dehors de cette forme d’aliénation à un nombre croissant de prestataires extérieurs, cela soulève un deuxième problème : la disparition de la propriété. Or cette même propriété est aussi garante d’un usage non marchand des biens que l’on acquiert. L’économie de la fonctionnalité, des usages, en dépit de ses avantages avancés, est une percée conséquente de l’économie marchande dans le non-marchand : prêt, échange, transmission, héritage… Et la disparition de telles structures aurait des répercussions telles qu’il apparaît aujourd’hui impossible d’en circonscrire toutes les implications.
Plus rien ne vous appartiendra, c’est le mot d’ordre de demain.
 
Oscar Dassetto

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Jacques a dit : « Au cinéma comme dans la vie »

 
Quel est le point commun entre Abraham Lincoln, Alfred Hitchcock, Edith Piaf, Margaret Thatcher, Marie-Antoinette, Henri IV et Nelson Mandela ? Après avoir marqué leur époque, ils sont tous devenus des stars du grand écran. Dans des adaptations plus ou moins fidèles à la réalité (jusqu’au désarmant Abraham Lincoln : chasseur de vampires), on met en scène leur vie forcément palpitante, puisque relevant du mythe historique. Le genre connait un succès particulier en ce moment, et les producteurs d’Hollywood en raffolent. Alors, fausse bonne idée commerciale ou vrai renouveau cinématographique ?
Du point de vue communicationnel, la formule présente un double avantage. On propose aux spectateurs à la fois un divertissement classique, avec ses promesses d’action, d’humour, d’amour et de péripéties, tout en jouant sur le côté instructif. Une sorte de C’est pas sorcier du septième art en somme (en un peu mieux quand même). Tout bénéf donc pour la promo, où on vise à la fois le public intello qui voudrait en savoir plus sur la guerre de Sécession ou la Révolution française, et le spectateur lambda qui cherche à se détendre en fin de semaine à coups de pop-corn et de blockbusters. Un double horizon d’attente qui permet d’élargir au maximum les publics visés.
 En l’adaptant au cinéma, on rend l’Histoire vivante car incarnée par des personnages en chair et en os,  et par conséquent plus intéressante car soudain bien plus proche de nous. À tel point que Steven Spielberg a offert des milliers de DVD de son film Lincoln aux écoles américaines, comme support d’enseignement. Mais dans quelle mesure peut-on considérer ces adaptations comme de l’information pure ? Si pour Adorno les arts se consument les uns au contact des autres, ici c’est tout bonnement le réel qui se consume au contact de la fiction. Le spectateur est soudain placé dans la position de décrypteur, souvent jusqu’à la paranoïa. Alors que dans une fiction pure il est invité à tirer des vérités générales de l’artifice assumé, ici au contraire il s’attache à débusquer le faux, l’inexact, l’approximatif d’un récit qui se revendique comme entièrement authentique. D’où les éternels reproches : « ça ne s’est surement pas passé comme ça », « le personnage n’était pas ressemblant » à la sortie des salles.
Ce procédé mérite qu’on s’y attarde, car depuis quelques temps il semble marquer plus largement tout un pan de la communication médiatique. Faux-vrais témoignages dans les pubs pour dentifrice, multiplication des émissions de scripted reality à la télévision, on est désormais à la recherche du Vrai, même (surtout ?) quand celui-ci est factice. Reste à l’audience de faire la part des choses, en attendant la sortie du prochain film.
 
Marine Siguier