Société

Enfants ou gouvernement : qui faut-il sensibiliser aux usages d’internet ?

 
Depuis que l’espionnage à grande échelle mené par la NSA a été révélé au grand public par un scandale sans précédent, les peurs liées à la protection de la vie privée sur internet semblent s’être aggravées. Cela explique peut-être pourquoi la journée consacrée à l’internet sûr à fait parler d’elle sur beaucoup de médias cette année. Cette journée aussi appelée « Safer internet Day », a eu lieu le 11 février et comme son nom l’indique, il s’agit d’une journée consacrée à la protection des internautes.

L’objectif principal de cette initiative, approuvée par la consommation européenne, est la sensibilisation des enfants aux dangers du cyber-harcèlement et à la nécessité de protéger les données personnelles. Toutefois, ces deux points relèvent de l’initiative personnelle, et il ne faut pas oublier que la question de la sûreté d’internet s’insère dans une problématique plus large où les gouvernements ont un rôle à jouer. Les législateurs réussissent-ils à s’adapter à ces nouveaux enjeux ? Rien n’est moins sûr.
Des magistrats perdus
Il semble en tout cas qu’en France les tribunaux aient du mal à s’adapter – ou même à comprendre – la révolution numérique. En effet, le 5 février un blogueur a été condamné à 3 000 euros d’amende pour vol de documents après avoir téléchargé des documents non protégés accès qu’il avait trouvé en utilisant le moteur de recherche Google.
Ces documents de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) auraient dû être confidentiels mais étaient en libre accès sur le site de l’agence susnommée qui n’a d’ailleurs pas souhaité se porter partie civile. La condamnation d’Olivier Laurelli, plus connu sous le pseudonyme de Bluetouff, semble ainsi résulter d’un quiproquos avec le parquet dont le représentant avoue qu’il n’a « même pas compris la moitié des termes qu[’il a] entendus aujourd’hui ».
Des débuts difficiles pour la CNIL
C’est sans doute pour pallier aux lacunes de ces tribunaux ordinaires, dépassés par l’avènement d’un média qu’ils ne comprennent pas, qu’une autorité judiciaire indépendante spécialisée dans l’application de la loi informatique et libertés a été fondée. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a pourtant elle aussi ses failles comme l’a montré récemment le cas Google.

Dans cette affaire, le problème n’était pas tant la condamnation mais l’application de celle-ci, car en obligeant le célèbre moteur de recherche à afficher sur sa page d’accueil le verdict du procès, la Cnil n’avait pas prévu que son site serait saturé par les visites d’utilisateurs de Google, intrigués par l’encart inhabituel. Le site de la commission est alors resté inaccessible pendant plusieurs heures, prouvant par-là que même l’organisme judiciaire le plus spécialisé de France avait encore beaucoup à apprendre.
Malgré les problèmes rencontrés par la Cnil, sa création montre qu’il y a quand même de la part de l’Etat un effort d’adaptation. Cependant, la compréhension du problème par le gouvernement et en particulier par le chef de l’Etat reste relative comme le prouvent les propos plutôt stéréotypés de ce dernier lors de son voyage dans la Silicon Valley. Il se focalise en effet sur les aspects négatifs du média à qui il reproche notamment d’être un grand vecteur de rumeurs et d’attaques personnelles – ce qui est assez étonnant au vu de ses récents démêlés avec la presse papier. Finalement, on en vient à se demander qui des enfants nés à l’heure d’internet ou du gouvernement a le plus besoin de sensibilisation à ce média.
Alexia Maynart
Sources :
Safeinternet.fr
Numerama.com
Cnil.fr
Lemonde.fr
Crédits photos :
Huffingtonpost.fr
Saferinternet.org.uk

Flops

Il faut sauver les Internets

 
Le World Wide Web existe depuis bientôt vingt ans. C’est sur ce système de liens hypertextes que nous nous connectons chaque jour. Il s’est largement démocratisé jusqu’à devenir synonyme d’Internet. Jusqu’en 2010, Internet s’est popularisé. Durant cet âge de la découverte, nous avons entretenu un rapport naïf, enthousiaste, émerveillé face au réseau. Il y avait une sorte d’effusion dans cet usage, encouragé par les idéaux et imaginaires d’Internet. Il était vu comme un objet presque magique.
Or, depuis trois ans son usage s’est complètement banalisé. Se pose alors la question de sa survie. Maintenant que ses fonctionnalités sont considérées comme acquises, il pourrait apparaître dérisoire de les défendre encore. Pourtant nous n’avons jamais eu autant besoin d’un volet législatif sur la question. Heureusement, après des années de méfiances envers le réseau, le gouvernement se décide enfin à agir. Jean-Marc Ayrault a annoncé jeudi 28 janvier, après un séminaire sur le numérique, une feuille de route expliquant dix-huit points sur lesquels le gouvernement va agir. Il s’articule autour des questions de la pédagogie, en lien avec la réforme sur l’Education, mais aussi autour des données personnelles et l’accès au très haut débit. Une loi était nécessaire, mais ces dix-huit points sont-ils suffisants ?
Deux choix fondamentaux
Nous sommes pourtant face à deux choix. Le réseau est de plus en plus surchargé. C’est ce qu’expérimentent par exemple les utilisateurs du fournisseur d’accès Internet (FAI) Free lorsqu’ils utilisent Youtube. Pour retrouver un accès rapide à ces sites utilisant beaucoup de bande passante, il faudrait payer plus. Internet finirait alors par être scindé en deux. La problématique d’un Internet à deux vitesses créerait une nouvelle fracture numérique, entre ceux ne pouvant s’offrir qu’un accès aux fonctionnalités essentielles – mail, moteurs de recherches – et ceux pouvant se permettre un accès aux réseaux sociaux, sites de vidéo, etc. L’Internet à deux vitesses serait contrôlé par les géants du net et par les FAI. L’accès à l’ensemble d’Internet deviendrait une exception. Ce serait la mort d’une de ses premières règles : la liberté d’y avoir accès.
L’autre choix viserait à perpétuer les idéaux d’Internet comme ils furent pensés par les premières communautés – avec la défense de la liberté sous toutes ses formes en tête de file. C’est pour un tel Internet qu’une loi est nécessaire. Ce serait un Internet libre mais encadré, fait et pensé pour les utilisateurs et non pour l’enrichissement de certains par le traitement des données privées.
Internet, une « zone de non droit »
Il est extrêmement urgent que les gouvernements agissent d’une manière concrète et efficace.  Il faut prendre en compte les idéaux d’Internet  et les défendre en les encadrant par une loi ferme, en dépit du lobby formé par les FAI et les géants d’Internet. C’est maintenant qu’il faut légiférer : les abus sur les utilisateurs sont de plus en plus fréquents. Citons par exemple le dernier rapport de la CNIL sur Google ou le blocage des publicités par Free qui a montré ainsi qu’il pouvait avoir de manière très facile un contrôle sur l’Internet de ses utilisateurs.
Il était donc temps qu’une série de lois soit enfin envisagée, surtout sur le point des données privées, de plus en plus grignotées par la récolte des big-datas.
Cependant, en dépit de cette position forte, la neutralité du net et sa protection brillent par son absence. Vite dénoncée par la Quadrature du Net et son porte parole Jérémie Zimmermann, l’absence de cette loi va même à l’encontre de l’avis du Conseil National du Numérique et de son nouveau président, Benoît Thieulin, qui doit présenter le 12 Mars un dossier sur ce sujet à Fleur Pellerin, Ministre chargée du Numérique. Pourtant cette dernière avait annoncé en septembre qu’elle ne voyait pas la nécessité d’une telle loi, position répétée lors d’une table ronde en janvier où Fast’N’Curious était présent.
Philippe Breton en 2001 publie dans Libération une tribune montrant qu’Internet est une « zone de non-droit ». C’est-à-dire que face à l’absence de lois, le territoire numérique est celui des abus et de la délinquance. Cette tribune a inspiré beaucoup de personnes, de Nicolas Sarkozy à Marie-Françoise Marais (actuelle présidente de l’HADOPI). Dans cette optique, Internet n’est vu que dans ses aspects négatifs. Cette vision unilatérale refuse fondamentalement d’envisager Internet dans sa complexité. De comprendre ses mécanismes et de légiférer en fonction de cela.
C’est certes une avancée que le gouvernement entreprenne enfin un volet de lois sur le numérique, en dépit de l’absence sans doute provisoire de la neutralité du net. Nous sommes désormais loin de l’incompétence du gouvernement en matière de numérique, qui trouvait probablement son origine dans cette vision dichotomique. On ne peut que s’en réjouir.
Mais face à ce premier pas, il est urgent que le gouvernement cesse d’entretenir ce climat d’insouciance face aux questions numériques. Il est temps qu’il se positionne sur des questions résolument modernes et qu’il mette fin à une vision simpliste et archaïque d’Internet.
 
Arthur Guillôme
Sources :
France Info
Ecrans.fr
La Quadrature du Net

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Flops

Google, ce grand méchant

 
Les fondements de l’affaire
 
Il est indéniable qu’aujourd’hui la presse française traverse une crise sans précédent. Le développement d’Internet et de la presse gratuite sont autant de facteurs explicatifs de la diminution du nombre de ventes des quotidiens(1). Le modèle économique de la presse tente tant bien que mal de s’adapter aux nouvelles exigences.
En 2010, le chiffre d’affaires publicitaire de la presse en ligne est estimé à 250 millions d’euros. Google, lui, annonce avoir gagné 1,2 milliard d’euros, uniquement en France. La presse française s’insurge : un tel bénéfice proviendrait de la publicité située dans l’onglet « actualités » du premier moteur de recherche mondial. On lui reproche de gagner de l’argent sur le dos d’une presse française en perte de financement. En effet, Google envoie les internautes directement vers l’actualité recherchée. Les publicités situées sur la page d’accueil des journaux, celles qui sont les plus rentables, sont de ce fait évitées.
L’Association de la presse d’Information Politique et Générale (IPG) regroupe les journaux les plus touchés par ce problème de référencement. S’inspirant d’une initiative allemande, l’IPG a émis un projet  de loi qui pousserait Google à reverser une grande partie de ses bénéfices à la presse française.
Mais les choses prennent vite une ampleur politique lorsque le gouvernement déclare vouloir prendre le projet en considération.
 

Un rapport de force inédit
 
Jusqu’ici les différends entre Géants d’Internet et Gouvernements s’étaient réglés en faveur de ces derniers. A l’instar de l’Union Européenne qui avait fait pression sur Facebook à cause de la protection des données personnelles.
Or, dans ce conflit économique et politique, Google refuse le consensus. La société californienne – dont le slogan est  don’t be evil  (Ne soyez pas malveillant)- menace tout simplement de désindexer l’ensemble de la presse française de son onglet « Actualités ».  Le moteur de recherche légitime sa posture au nom de la liberté d’Internet et de l’accès libre à l’information.
Cette posture  ne profite pas à Google, pourtant dominant dans ce rapport de force. En effet, l’entreprise renvoie une très mauvaise image  en tenant tête à un gouvernement. Et cette posture négative s’ajoute à un déficit de notoriété déjà très largement entamé par diverses polémiques entre la compagnie américaine et les utilisateurs. Comme les différends à propos des problèmes de confidentialité(2).
Le Géant a su se rendre indispensable ne serait-ce que par le fait qu’il se soit développé parallèlement à la démocratisation des usages d’Internet. Désormais intégré aux navigateurs Internet, il  n’a pas besoin de campagnes publicitaires massives pour être omniprésent.  Par conséquent, Google ne fait parler de lui qu’à chaque fois qu’il est lié à une polémique. Ce qui a tendance à ternir fortement son image. Sa communication semble ainsi être réduite aux annonces émises pour répondre aux conflits qui le mettent en cause. La pente dans laquelle la société de la Silicon Valley s’engage est dangereuse : menacer de censurer la presse française, qu’elle puisse le faire ou non, pourrait avoir un impact extrêmement négatif sur sa réputation.
 

La réaction de Google augmente le déficit d’image des géants d’Internet
 
Nous pouvons voir qu’il y a eu un glissement du regard posé sur les géants d’Internet ces dernières années. Ils sont désormais en perte de légitimité. Ils ne sont plus vus comme participant à une certaine utopie d’Internet. Celle qui fut construite à coup d’idées et d’actions instaurant une impression de liberté totale pour l’internaute. Ils sont aujourd’hui vus avec suspicion, notamment à cause de leur politique de traitement des données personnelles.
Leur communication fondée sur leur omniprésence sur Internet et dans le monde physique  est largement contrecarrée par des scandales mettant à mal leur image de protecteurs d’Internet. Il est donc intéressant de voir que c’est justement ainsi que Google se présente lorsqu’il répond au projet de loi française. Une censure de la presse française devient la seule réponse possible face à l’établissement d’une loi d’ordre économique taxant le moteur de recherche. Ainsi, paradoxalement, en prônant une posture de défense de l’idéal d’accès gratuit à l’information, Google dégage l’idée contraire, bien malgré lui. Cette menace de censure est éloignée de la légitimité de la demande de la presse française.
Encore une fois, l’image du Géant est dégradée, car cela le place irrémédiablement dans le camp des méchants, ceux qui veulent justement prendre le contrôle d’Internet.
 

Arthur Guillôme

(1) Sur une base 100, la distribution annuelle de quotidiens payants a baissé de quinze points entre 2001 et 2011 (chiffres OJD).
(2) Problème central et majeur qui n’est pas encore réglé comme le montre le dernier rapport de la CNIL.

Sources :
OWNI
Télérama
Les Ecrans

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